19/06/2012
La cité était à la fois la famille, l'Église et l'État
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« Plus nous remontons dans le passé, messieurs, plus nous trouvons les droits de l'État sur l'éducation de l'enfant affirmés hautement et même exagérés. Dans ces petites sociétés grecques qui sont pour nous à l'horizon de l'histoire comme un idéal, l'éducation, de même que la religion, était absolument une chose d'État. L'éducation était réglée dans ses moindres détails ; tous se livraient aux mêmes exercices du corps, tous apprenaient les mêmes chants, tous participaient aux mêmes cérémonies religieuses et traversaient les mêmes initiations. Y changer quelque chose était un crime puni de mort ; "corrompre la jeunesse", c'est-à-dire la détourner de l'éducation d'État, était un crime capital (témoin Socrate). Et ce régime, qui nous paraîtrait insupportable, était charmant alors ; car le monde était jeune, et la cité donnait tant de vie et de joie, qu'on lui pardonnait toutes les injustices, toutes les tyrannies. Un beau bas-relief trouvé à Athènes par M. Beulé, au pied de l'Acropole, nous montre une danse militaire d'éphèbes, une pyrrhique ; ils sont là, l'épée à la main, faisant l'exercice avec un ensemble et à la fois une individualité qui étonnent ; une muse préside à leurs exercices et les dirige. On sent dans ce morceau une harmonie de vie dont nous n'avons plus d'idée. Cela est tout simple. La cité antique, messieurs, était en réalité une famille ; tous y étaient du même sang. Les luttes qui chez nous divisent la famille, l'Église, l'État, n'existaient pas alors ; nos thèses sur la séparation de l'Église et de l'État, sur les écoles libres et les écoles d'État, n'avaient aucun sens. La cité était à la fois la famille, l'Église et l'État.
Une telle organisation, je le répète, n'était possible que dans de très-petites républiques, fondées sur la noblesse de race. Dans de grands États, une pareille maîtrise exercée sur les choses de l'âme eût été une insupportable tyrannie. Entendons-nous sur ce qui constituait la liberté dans ces vieilles cités grecques. La liberté, c'était l'indépendance de la cité, mais ce n'était nullement l'indépendance de l'individu, le droit de l'individu de se développer à sa guise, en dehors de l'esprit de la cité. L'individu qui voulait se développer de la sorte s'expatriait ; il allait coloniser, ou bien il allait chercher un asile dans quelque grand État, dans un royaume où le principe de la culture intellectuelle et morale n'était pas si étroit. On était probablement plus libre, dans le sens moderne, en Perse qu'à Sparte, et ce fut justement ce que cette vieille discipline des Hellènes avait de tyrannique qui fit verser le monde du côté des grands empires, tels que l'empire romain, où des gens de toute provenance se trouvaient confondus sans distinction de race et de sang. »
Ernest Renan, La Réforme intellectuelle et morale de la France
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Commentaires
C'est toujours autant le panard que de venir sur ce blog. La culture s'y mélange délicieusement avec la légèreté et la musique de bonne qualité.
Écrit par : DINDON | 19/06/2012
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