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31/10/2012

Un parti de logiciens, un parti logique

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« Les théoriciens de l’Action française veulent que l’affaire Dreyfus ait été dans son principe même, dans son origine non seulement une affaire pernicieuse, une affaire véreuse, mais une affaire intellectuelle, une invention, une construction intellectuelle ; un complot intellectuel. Je me permettrai de dire à mon tour, et en retour, que cette idée même me paraît être le résultat d’une construction intellectuelle. Si l’on engageait la conversation, je dis une conversation un peu suivie avec les hommes de ce parti, on (dé)montrerait peut-être aisément, on en viendrait, je crois, rapidement à poser qu’ils sont et surtout qu’ils se croient les grands ennemis du parti intellectuel et du monde moderne, mais qu’en réalité ils sont eux-mêmes une certaine sorte de parti intellectuel et de parti moderne. Très notamment un parti de logiciens, un parti logique. »

« Il ne fait aucun doute que pour nous la mystique dreyfusiste fut non pas seulement un cas particulier de la mystique chrétienne, mais qu’elle en fut un cas, éminent, une accélération, une crise temporelle, une sorte d’exemple et de passage que je dirai nécessaire. Comment le nier, à présent que nous sommes à douze et quinze ans de notre jeunesse et qu’enfin nous voyons clair dans notre cœur. Notre dreyfusisme était une religion, je prends le mot dans son sens le plus littéralement exact, une poussée religieuse, une crise religieuse, et je conseillerais même vivement à quiconque voudrait étudier, considérer, connaître un mouvement religieux dans les temps modernes, bien caractérisé, bien délimité, bien taillé, de saisir cet exemple unique. J’ajoute que pour nous, chez nous, en nous ce mouvement religieux était d’essence chrétienne, d’origine chrétienne, qu’il poussait de souche chrétienne, qu’il coulait de l’antique source. Nous pouvons aujourd’hui nous rendre ce témoignage. »

Charles Péguy, Notre jeunesse

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30/10/2012

D’une Europe à l’autre, il n’y a qu’un pas

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« Une forte odeur, une odeur violente et grasse, monte à ma rencontre, venant du Bratesc. Quelque charogne enfoncée dans la boue. De grosses mouches vertes et bleues, aux ailes irisées d’or, bourdonnent alentour avec insistance. Un détachement de sapeurs roumains prépare une mine pour faire sauter le pont unissant la rive de Galatz à la rive soviétique de Reni. Les soldats parlent et rient à haute voix. L’eau trouble du Bratesc éclaire de reflets jaunes un paysage en agonie, paresseux et fugace, un paysage pourri. On sent l’imminence de la guerre comme un orage en suspens, comme une chose indépendante de la volonté humaine, presque un fait naturel. Ici, l’Europe est déjà hors de ses propres limites, extérieure à toute architecture morale : elle n’est autre chose qu’un prétexte, l’Europe, ce continent de chairs pourries. À la tête du pont, au seuil de l’U.R.S.S., se dresse un rustique arc de triomphe soviétique surmonté du rituel trophée de la faucille et du marteau. Je n’ai qu’à traverser le pont, à faire quelques centaines de pas, pour sortir de cette Europe, et passer les frontières de l’autre Europe. D’une Europe à l’autre, il n’y a qu’un pas. Un mauvais pas, dirai-je. »

Curzio Malaparte, La Volga naît en Europe

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29/10/2012

L'impression écrasante, définitive, qu'un homme est noyé dans l'humanité...

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« D'autre part, au cours de ces interminables queues que nous faisions par millions le long des routes menant aux trop vastes champs de bataille, j'avais reçu, pour la première fois de ma vie, l'impression écrasante, définitive, qu'un homme est noyé dans l'humanité... »

« Dans les deux dernières années de l'occupation, je vivais dans un charme de plus en plus captivant. Depuis longtemps je m'étais séparé de la foule et de tous ceux qui pensent selon la foule... »

« Enfin seul, à jamais seul. Je pouvais jouir comme je n'en avais jamais joui de ma solitude, et de son véritable caractère, enfin découvert, de chemin vers la mort. »

« Et il n'en restait pas moins qu'en d'autres temps, quand rien de particulier ne me menaçait, j'ai conçu de mourir jeune, d'aller au devant de la mort. Et, entre deux peurs, celle d'être tuée et celle de mourir, j'ai vaincu celle de mourir. »

« La littérature est le contraire d'une sérieuse discipline philosophique et religieuse qui veut aller jusqu'à l'ascèse, et par là, acquérir la concentration sur des points de plus en plus imperceptibles. »

« Mes habitudes de pensée n'ont pas changé depuis mon enfance; presque tout mon temps est occupé par des imaginations qui piétinent sans cesse dans les mêmes ornières, ou bien j'imagine le corps d'une belle femme qui tire ses traits de mes divers souvenirs et je me décris mes relations quotidiennes avec elle, selon le mythe d'une liaison réussie et d'un mariage parfait (il entre là-dedans quelques velléités sentimentales...) ou bien j'imagine un appartement, une maison dont je trace tous les détails : telle table, tel lit, ou bien j'imagine tel état politique idéal. »

« J'aurais dû rester dans une sphère "supérieure", ne pas m'engager de temps en temps dans les comparaisons particulières ? Et bien non, je voulais être humain jusqu'au bout et prendre ma part de la merde des opinions partisanes, des fureurs éphémères, des animadversions locales. Oui, je voudrais avoir de la merde aux pieds... Mais pas plus haut. »

« Je fais des méchants poèmes qui m'amusent beaucoup : je sais qu'ils sont mauvais et pourtant... un mauvais poème rapproche le poète sinon le lecteur, de la beauté, parfois. »

« l y a quelques années que je suis las de la politique : dans cette sphère, ce que nous appelons la sottise humaine éclate avec une satisfaction monstrueuse. »

« Je ne crois pas dans la littérature et je pense que le temps de la littérature est passée. »

« Je perds chaque jour l'avantage sublime de cette concentration d'esprit qui pouvait se faire sur un décès de date certaine. »

Pierre Drieu la Rochelle, Récit Secret

 

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28/10/2012

Son propre visage...

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« La meilleure solution serait de ne jouer aucun rôle, de montrer son propre visage, n'est-ce pas ? Il n'y a rien de plus astucieux que son propre visage parce que personne n'y croit. »

Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski, Les Démons

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L'acte de ceux qui n'ont pas su en accomplir d'autres

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« Il n'osait pas lui protester que la vie était bonne, faute de se sentir en possession d'arguments bien aigus. »

« Il se sentait de plus en plus encerclé par les circonstances qu'il avait laissées se poser autour de lui. »

« l aurait pu concevoir, dès lors, la fonction de l'écriture qui est d'ordonner le monde pour lui permettre de vivre. »

« Les actes sont rapides; la vie est vite finie; on en arrive bientôt à l'époque des conséquences et de l'irréparable. »

« Sa famille croyait qu'il avait des idées subversives. Mais il n'avait pas d'idées, il en manquait atrocement : son esprit, c'était une pauvre carcasse récurée par les vautours qui planent sur les grandes villes creuses. »

« Pourtant il lui fallait encore parler, d'abord pour empêcher un effrayant silence, et aussi parce qu'en défendant ces idées qu'il avait rencontrées et qui convenaient si bien à ses vices et à ses faiblesses, il défendait sa peau. »

 

Pierre Drieu la Rochelle, Le Feu Follet

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27/10/2012

Ces mythes que sont les foules, les peuples, les états

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« Et puis, ajouta Bardy, je m'excite beaucoup plus sur ces mythes que sont les foules, les peuples, les états que sur ces mythes que sont les femmes. J'y trouve un assouvissement sensuel et sentimental beaucoup plus grand. »

« Nul mieux que lui ne savait que les recherches mystiques ne vous font pas sortir du camp de concentration de la comédie humaine dont une des sections est la comédie des caractères nationaux. »

« Ah, est-il vraiment d'étranges humains qui regardent les hommes avec le regard d'un dieu, et le dieu même avec le regard de Dieu, et Dieu avec l'orbite vide et vertigineuse du non-être ? »

« Sa vie n'était que réalisation et il avait besoin sans cesse de la saveur de la réalisation. »

« Les hommes d'action sont des artisans maniaques qui remettent sans cesse le même objet sur le tour. »

« - Au fond les germanophiles sont des gens qui ont pitié des Allemands, de leur isolement. Il n'en a pas toujours été ainsi. Au siècle dernier les Allemands ont été dans l'intimité de beaucoup de nations... mais au fond les Allemands n'ont communiqué avec le monde que par la philosophie et la musique, on ne leur pardonne pas les heures trop profondes qu'on a passées avec leurs grands esprits. ... C'est eux aussi qui ont fait l'histoire...

- L'histoire...

- Oui, ça n'intéresse plus personne, assura Constant. Les hommes prennent en horreur l'histoire dont ils ont abusé. L'époque des lumières est bien finie. Les hommes ont besoin d'oublier. »

Pierre Drieu la Rochelle, Les chiens de Paille

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25/10/2012

Glisser dans le dégoût

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« Mon désir éperdu devant tous les êtres est de séduire, et si je vis dans la solitude aujourd'hui, entre autres raisons, c'est que d'avoir exercé cette passion sur n'importe qui m'a de bonne heure fait glisser dans le dégoût. »

« Je sentais depuis un an auprès de cette fille, sans les compensations de la tendresse partagée, cette atroce solitude de l'homme devant la concupiscence de la femme qui reste toujours indifférente à ce qu'il a le plus à cœur, en dépit des simulations... »

« Se réveiller sans soucis, c'est une conjoncture extraordinaire et incompréhensible qui, à la réflexion, doit vous faire amasser une débordante inquiétude pour le lendemain. »

« Pour moi, pendant des années, je n'avais jamais vu poindre une silhouette de femme sans croire que la face de la terre commençait de se retourner. »

« Rien de plus trompeur que l'apparence physique à notre époque de transition où la robustesse, surtout chez les femmes, paraît encore une exception, un mérite, et, pour cela, une promesse de force morale. »

Pierre Drieu la Rochelle, Blèche

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24/10/2012

Le Rebelle est résolu à la résistance et forme le dessein d’engager la lutte

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« Nous appelons ainsi celui qui, isolé et privé de sa patrie par la marche de l’univers, se voit enfin livré au néant. Tel pourrait être le destin d’un grand nombre d’hommes, et même de tous - il faut donc qu’un caractère s’y ajoute. C’est que le Rebelle est résolu à la résistance et forme le dessein d’engager la lutte, fût-elle sans espoir. Est Rebelle, par conséquent, quiconque est mis par la loi de sa nature en rapport avec la liberté, relation qui l’entraîne dans le temps à une révolte contre l’automatisme et à un refus d’en admettre la conséquence éthique, le fatalisme. A le prendre ainsi, nous serons aussitôt frappés par la place que tient le recours aux forêts, et dans la pensée, et dans la réalité de nos ans. »

Ernst Jünger, Le recours aux forêts

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23/10/2012

Ce dont j'ai le plus souffert, c'est de l'inachèvement des hommes

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« J'avais cru vivre mon sacrifice et ma mort, mais de mon propre consentement. Je m'apercevais que là où je n'avais vu que du feu, les autres jouissaient de ma sueur servile et se vantaient de mon acquiescement sans réplique. »

« Les Américains ne sont que les pires Européens qui ont changé de continent pour jouer plus à l'aise leur jeu de brutes captées par l'abstrait. »

« Comment est-ce qu'on peut faire sortir la vie de rien ? Mais on ne fait jamais entièrement rien ; on peut faire peu de choses. C'est de ce peu que j'ai fini par noircir un livre. »

« Vos vies n'ont pas été exemplaires : je ne vous pardonne pas que l'on puisse séparer vos vies de vos œuvres. »

« Mais il y a dans l'ascétisme, une façon de laisser aller le monde, de le laisser devenir laid, qui me dégoûte, qui me révolte. »

« Pour écrire je n'ai pas vécu, je n'ai vécu que pour écrire, et aujourd'hui je puis écrire seulement que je n'ai pas vécu. »

« Maintenant je voyais clairement que je ne pouvais garder mon honneur d'homme. L'honneur d'un homme, c'est d'agir. Or il y avait beau temps que je ne pouvais plus agir. ... Depuis quelque temps cette inaction me semblait ma nature même et je commençais d'espérer qu'une puissance inconnue s'y cachât. »

« J'étais né esclave et fait pour la meule. Incapable des gestes de la liberté, je ne pouvais me déployer que dans une humilité exemplaire. »

« On ne peut se mêler à la vie comme spectateur mais comme acteur. »

« Comment accepter de propos délibéré que les actes qu'on accomplit ne soient pas susceptibles tous d'exercer un pouvoir exemplaire ? »

« Ton œuvre a besoin de ta vie, elle exige que tu vives, tant bien que mal.

(...)

J'aurais été pour eux un objet de scandale et de dérision.

(...)

Ce dont j'ai le plus souffert, c'est de l'inachèvement des hommes. »

« Mais enfin, la beauté, c'est tout ce qui nous est donné et je ne pardonnerai jamais à mes amis ni à moi de n'avoir pas tout fait pour être moins laids. »

« Je ne veux renoncer à rien. »

« Alors le cri certain tourne à n'être qu'une fanfaronnade malsaine, digne d'un sectaire de ruisseau, fasciste ou communiste. »

« Après tout, je ne suis pas qu'un écrivain, je suis un homme en proie au problème total. Toute cette écriture, toute cette tunique de signes qui s'accroche à mes reins, c'est votre tourment à tous, c'est votre vieille conscience fatiguée, exsangue. »

« Et cet adieu, comme j'ai envie de le prolonger, de le répéter, car produire des formes, c'est toute la passion de l'homme. »

« Que le chant de ma paresse emporte la rumeur de mes derniers soucis. »

Pierre Drieu la Rochelle, Le Jeune Européen

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22/10/2012

Une certaine tranquillité avec soi-même

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« C'est un privilège bien rare, et qui ne tient ni à la fortune, ni au rang, que d'être à l'aise dans la vie. Cela suppose une certaine tranquillité avec soi-même. »

« Un artiste qui a fait de l'art sa religion, sait très bien que l'injustice règne dans le monde des lettres et que personne n'est à sa place ; il n'attend d'aucune expiation pour les méchants auteurs, aucun salut pour les meilleurs. Cela admis, il peut s'accommoder de tout sur terre. »

« Aujourd'hui une bonne part de ma vie disparaît dans le sommeil, le reste est vite dissipé, la suite des jours prend une allure inquiétante, tout le monde, autour de moi, vieillit rapidement ; c'est à peine si je peux considérer une chose future, elle est tout de suite dépassée. »

« ... je n'ai vu que chez Drieu, le silencieux, cette façon de s'exprimer en mots éteints, presque insaisissables et qui vous transperçaient par je ne sais quelle vertu aigüe, quel poids dans l'indéterminé. »

« Si un écrivain a du style, ce qu'il dit n'a aucune importance. On le lira toujours avec plaisir. »

Jacques Chardonne, Vivre à Madère

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21/10/2012

Cette abdication, cette création, c'est l'amour

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« Il était emporté dans le sens de sa vie qui ne relevait ni de la raison ni du plaisir, fidélité mystérieuse, volonté subie, implacable comme la direction du train. »

« Tout ce que j'ai fait est inutile,... Eh bien, c'est étrange, je n'ai pas le sentiment d'une vie perdue ... Il n'y a pas de vie perdue, quand on a aimé ... ne fut-ce que ses outils ... Cet attachement, cet amour pour des êtres et pour de petites choses de rien, assurément périssables, et que la vie même, avant la mort, nous retire, je voudrais savoir ce qu'il signifie l'amour si vivace, rebelle à toute raison, à la plus vieille expérience ... et cet espérance qui est au fond de l'amour ... cet espérance qui est au fond de tout ... »

« ... il sait le néant des choses humaines, et aussi le vide de ce monde spirituel qu'il a cru d'essence si différente. »

« Une force de destruction semble s'acharner sans relâche sur toute tentative d'harmonie ou de stabilité, rouler des débris, salir les maisons, bousculer les êtres qui vont s'user au travail. »

« Le plus souvent l'amour suffit chez un seul ; cela facilite les rencontres. Avec beaucoup d'assiduité un homme finit par se faire agréer ;... - Il arrive aussi que l'amour soit partagé. - Voilà le mystère. - Le cas est si rare que l'on pourrait se dispenser d'en parler. Cependant tout se passe dans la société comme si l'exception était la règle, l'amour partagé et durable, ce que le mariage suppose ... Tout est organisé en faveur de l'exception merveilleuse.

(...)

"Aimer une femme, c'est le bonheur", se disait Jean. Par une femme, seulement, on adhère à la vie, on saisit un objet réel, on connaît la beauté, on a une raison d'être. Mais cet amour suppose un cœur apte à le recevoir et une complète soumission, afin que la femme domine par sa douceur même. Pauline n'aura jamais tort, elle ne sera jamais vieille, elle sera toujours la plus charmante, la plus sage, la plus noble. Elle n'impose rien. Son pouvoir vient de Jean ; elle n'existe que pour lui. Cette abdication, cette création, c'est l'amour. »

Jacques Chardonne, Les Destinées Sentimentales

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20/10/2012

Il faut de l'âge pour savoir au juste ce que l'on aime

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« Il faut de l'âge pour savoir au juste ce que l'on aime. Les blessures et les fatigues de la vie ont affiné le tact. On ressemble à ces connaisseurs délicats que tout rebute : ce qu'ils apprécient avec discernement les ravit comme personne. »

« Ceux qui nous ressemblent ne nous intéressent qu'un instant ; ils nous montrent bientôt notre faiblesse. »

« On ne saisit la réalité humaine que dans sa propre vie et à travers son expérience, mais elle n'est pas communicable. L'homme est infini et impossible à représenter. »

Jacques Chardonne, Claire

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L'engagement n'a pas d'autre motif que la trouille de se retrouver seul avec soi-même

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« C'est parce que je n'ai pas la crainte de la solitude, même si elle m'est parfois à charge, que je n'éprouve pas le besoin d'imiter mes camarades de fac qui militent dans des mouvements : l'engagement, qu'il soit chrétien et marxiste, n'a souvent pas d'autre motif que la trouille de se retrouver seul, en tête à tête avec soi-même. Le groupe, ça distrait et ça tient chaud. »

Gabriel Matzneff, Cette camisole de flammes, journal 1953-1962

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19/10/2012

Du sang, oh, il y en avait dans cette nuit de vengeance

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« Il était 4 heures du matin lorsque les chars alliés forcèrent la porte du camp. Les SS s'étaient réfugiés dans les miradors et se barricadaient. De tous les "lags" ce fut une ruée vers les tanks. Bientôt ceux-ci furent entourés d'une foule compacte aux cheveux courts et qui bégayait d'admiration. Les hommes en kaki nous contemplaient. "American, American, American..."

Nos yeux morts regardaient leurs yeux d'un autre univers. Et subitement ce fut une explosion d'enthousiasme. Nous bondîmes sur eux, avec des baisers, des cris, des sanglots et des rires. Des chocolats, des cigarettes, des rations K sortirent de toutes leurs vestes. On mangea comme des brutes et on se retourna contre nos bourreaux. Ah, quelle chasse ! J'avais une barre de fer dans les mains et tout ce qui était gris je le fracassais. Les SS mettaient les bras contre leur figure, la barre volait et cassait l'homme qui s'abattait en petits soubresauts craintifs.

Les "Lags" on y mettait le feu, on déversait de l'essence à seaux et avec des pelles et des fourches, 220 gammés connurent la mort. Ils couraient comme des lapins en furie, on leur sautait à la gorge et dessous le menton s'enfonçait l'acier. Il y en eut qui furent sabrés depuis le ventre jusqu'au coeur. Les Russes coupaient des oreilles et des bras. Un feldwebel eut les deux jambes arrachées et perdit son sang en quelques minutes avec des hurlements de bête hallucinée. Sa femme fut attachée, jupes au vent à quatre piquets fichés au sol et tour à tour une légion de damnés en pantalons ouverts vint prendre sa jouissance. Au début, la gueuse cria. A la fin, elle remuait encore faiblement la poitrine, ses seins étaient lacérés de griffes et ses cuisses où les deux jarretelles pendaient lamentablement étaient recouvertes de glu.

Un petit boche qui nous enlevait les ongles un par un fut ligoté à un poteau. Une corde fut mise à sa tête et huit hommes tirèrent sur cette corde jusqu'au moment où le crâne se détacha du tronc.

Du sang, oh, il y en avait dans cette nuit de vengeance. On cassait des reins, des os, on broyait des muscles dans une atmosphère d'extermination. Le gardien qui me fit fouetter pour une tentative de révolte, cent détenus lui donnèrent des coups furieux et un chien le dépeça. Je revois encore son visage craquer dans la gueule de la bête. »

« Oui, j'ai tué avec rage, avec haine, avec foi, avec une lucidité terrible. J'ai tué parce que j'avais mal, dans mes yeux, dans mon crâne, dans mes oreilles, dans ma poitrine, et dans mon ventre et dans mon âme. J'ai tué pendant deux semaines avec toute ma violence et tout mon mépris pour recouvrer le droit de vivre.

Et cependant, moi et mes camarades n'étions rien, n'étions que des loques et des squelettes nauséabonds et ridicules, n'étions que du vent, des ombres, des plaies et des pleurs, n'étions que la peau sur l'os et la bure rayée sur la peau. Et le miracle fut de tenir, de tenir durement, sans pitié, seize jours pleins et furieux.

Nous avons eu des dégoûts, des apitoiements, des gestes horribles ; nous avons brûlé des maisons, pillé des villages, brûlé des fermes, écartelé des êtres. Nous avons rendu une justice effroyable et primitive, nous avons ri du sang. Nous avons fait naître la peur, les humiliations, la détresse, la révolte et la mort et la prière ; nous avons chanté devant les cadavres, chanté devant les filles nues et les adolescents pâles ; nous avons creusé des trous dans la douleur allemande. Nous avons renversé des "Gretchen" blondes et rousses, et jeunes et belles, nous les avons prises sauvagement et sans faiblesses en fouillant dans leur chair avec la ferveur des justiciers. Nous avons méprisé la loi des hommes, foulé les sentiments ; nous avons accompli notre travail. »

Jean Bradley, "Jours francs"

Vous pouvez télécharger l'intégralité de "Jours Francs" (avec sa Préface de Joseph Kessel) en fichier PDF, ICI

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18/10/2012

Voilà le drapeau de l’Europe

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« (…) A Janpol, sur le Dniestr, en Ukraine, au mois de juillet 1941, il m’était arrivé de voir dans la poussière de la route, au beau milieu du village, un tapis en peau humaine. C’était un homme écrasé par les chenilles d’un char. Des bandes de juifs en caftan noir, armés de bêches et de pioches ramassaient ça et là les morts abandonnés par les Russes dans le village. [Quelques-uns] arrivèrent et se mirent à décoller de la poussière ce profil d’homme mort. Ils soulevèrent tout doucement avec la pointe de leur bêche les bords de ce dessin, comme on soulève les bords d’un tapis. (…) La scène était atroce, légère, délicate, lointaine. Les juifs parlaient entre eux et leurs voix me parvenaient douces et éteintes. Quand le tapis de peau humaine fut complètement détaché de la poussière, un de ces juifs piqua la pointe de sa bêche, du côté de la tête, et se mit en route avec ce  drapeau. Il marchait la tête haute (…) [avec] cette peau humaine qui pendait et se balançait dans le vent comme un véritable étendard. Et je dis à Lino Pellegrini qui était assis près de moi : ”Voilà le drapeau de l’Europe, voilà notre drapeau. (…) Un drapeau de peau humaine. Notre véritable patrie est notre peau.” »

Curzio Malaparte, La Peau

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17/10/2012

Les sucettes marrons

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« Au bas de la rue, la municipalité de Paris avait implanté deux de ces modestes sucettes marron qui indiquent les lieux historiques. Qui a inventé la sucette pour l'histoire ? On aimerait le connaître, l'inventeur de la sucette marron ! Qu'il se dénonce ! Deux sucettes marron, rue de Belleville, indiquent l'une, le bal Desnoyez, l'autre, le bistrot du bagnard Maxime Lisbonne. Qu'est-ce que c'était, le bal Desnoyez ? Qui était Maxime Lisbonne ? Allez voir. Les sucettes marron vous le diront. De toute façon, il n'y a plus rien derrière elles. C'était la vie d'avant. La sucette marron désigne invariablement ce qui est mort une bonne fois pour toutes. La sucette marron, ou : Paris cimetière. La sucette marron est l'ultime signal de la vie d'avant. D'avant quoi ? D'avant rien. D'avant la sucette marron. Quand on installe des sucettes marron pour signaler la vie, c'est qu'il n'y a plus de vie. Passez muscade ! »

François Taillandier, Il n'y a personne dans les tombes – La Grande Intrigue III

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16/10/2012

L'électeur, cet animal irrationnel, inorganique, hallucinant

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« Une chose m’étonne prodigieusement — j’oserai dire qu’elle me stupéfie — c’est qu’à l’heure scientifique où j’écris, après les innombrables expériences, après les scandales journaliers, il puisse exister encore dans notre chère France (comme ils disent à la Commission du budget) un électeur, un seul électeur, cet animal irrationnel, inorganique, hallucinant, qui consente à se déranger de ses affaires, de ses rêves ou de ses plaisirs, pour voter en faveur de quelqu’un ou de quelque chose. Quand on réfléchit un seul instant, ce surprenant phénomène n’est-il pas fait pour dérouter les philosophies les plus subtiles et confondre la raison ?

Où est-il le Balzac qui nous donnera la physiologie de l’électeur moderne ? et le Charcot qui nous expliquera l’anatomie et les mentalités de cet incurable dément ? Nous l’attendons.

(…)

Et s’il existe, en un endroit ignoré, un honnête homme capable de te gouverner et de t’aimer, ne le regrette pas. Il serait trop jaloux de sa dignité pour se mêler à la lutte fangeuse des partis, trop fier pour tenir de toi un mandat que tu n’accordes jamais qu’à l’audace cynique, à l’insulte et au mensonge.

Je te l’ai dit, bonhomme, rentre chez toi et fais la grève. »

Octave Mirbeau, 1888, La grève des électeurs, Le Figaro

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15/10/2012

Tendu vers la pureté, dépouillé de tout esprit de calcul

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« Il est de bon ton à présent de brocarder ce passé-là. C'était une foi de charbonnier, intransigeante, tatillonne, qui n'empêchait bien sûr ni l'hypocrisie ni les autodafés. Mais il me semble que toute société secrète son conformisme. La foi de ma jeunesse a été remplacée par la loi du marché, qui tente aujourd'hui d'imposer sa férule. Des vies entières sont ainsi dominées par le calcul économique, la concurrence et les réflexes financiers. Le progrès me paraît douteux. J'ai du mal à rejeter d'un bloc le monde d'hier dans les ténèbres et à placer celui d'aujourd'hui dans la lumière. La vérité d'un jour nous aveugle. Les règles que les sociétés s'imposent à elles-mêmes changent avec l'écorce du monde en perpétuelle évolution, sans modifier la difficulté de la condition humaine. La liberté intérieure est un idéal à conquérir, qui ne dépend pas de la société environnante, mais de soi. La vraie liberté était possible hier comme elle est possible aujourd'hui.La religion envahissante encourageait chez les enfants que nous étions la peur et le mensonge mais aussi la valeur de l'engagement. J'ai rencontré à cette époque beaucoup d'hommes et de femmes tendus vers la pureté, dépouillés de tout esprit de calcul. »

Hélie de Saint-Marc, Les champs de braise

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14/10/2012

Lorsqu'un homme désire entreprendre quelque chose, il doit s'y engager jusqu'au bout

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« Lorsqu'un homme désire entreprendre quelque chose, il doit s'y engager jusqu'au bout, mais il doit avoir la pleine responsabilité de ce qu'il fait. Peu importe ce qu'il fait, il doit en tout premier lieu savoir pourquoi il le fait, et ensuite il lui faut accomplir ce que cela suppose sans jamais avoir le moindre doute, le moindre remords. (...) Considère mon cas personnel, je n'éprouve ni doute ni remords. Tout ce que j'accomplis, je le décide et j'en prends l'entière responsabilité. La plus simple des choses que j'entreprends ... peut parfaitement signifier ma mort. Ma mort me traque. Par conséquent, je n'ai ni le temps du doute ni celui du remords. Si je dois mourir ... alors que je meure. Toi, à l'opposé, tu as l'impression d'être immortel, et les décisions d'un immortel peuvent s'annuler, être regrettées, faire l'objet du doute. Mon ami, dans un monde où la mort est un chasseur il n'y a de temps ni pour regret ni pour doute. Il y a seulement le temps de décider. »

Carlos Castaneda, Le voyage à Ixtlan

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13/10/2012

Les illusions

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« Olivier a perdu ses illusions, c'est une chose excellente, c'est comme les dents de lait ; ensuite il en vient d'autres, des illusions de grandes personnes, l'ambition, l'amour, etc. Il ne croit plus que son père ait jamais ressemblé à un héros, ni que sa mère soit une sainte. Suprême infortune, il ne pense pas que M. Le Barsac soit une canaille. Les ordres chevaleresques et religieux : un jour il faut partir, s'arracher de ce monde comme d'une peau répugnante. »

Roger Nimier, Les enfants tristes

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12/10/2012

Quand on veut parcourir son chemin jusqu'au bout

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« La plupart des hommes ... ne permettent jamais à leur propre monde intérieur de s'exprimer. Sans doute, on peut être heureux ainsi, mais lorsqu'on a appris autre chose, on n'a plus le choix de prendre le chemin de la foule. ... Le chemin de la foule est facile, le nôtre est difficile. (...) Celui qui ne veut que sa destinée n'a plus ni modèle, ni idéal, ni rien de cher et de consolant autour de lui et ce serait ce chemin-là qu'il faudrait prendre. Des hommes comme vous et moi sont bien solitaires, mais ils possèdent la compensation secrète d'être autres, de se rebeller, de vouloir l'impossible. À cela aussi il faut renoncer quand on veut parcourir son chemin jusqu'au bout. Il faut arriver à ne vouloir être ni un révolutionnaire, ni un exemple, ni un martyr. C'est inconcevable. »

Herman Hesse, Demian

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11/10/2012

Le Feu

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« L'histoire se ramène à un mot d'une syllabe de Jean Cocteau. Il avait montré à un journaliste les souvenirs émouvants ou prestigieux qui entouraient sa vie quotidienne. Et le visiteur lui pose la question traditionnelle :

 - Si la maison brûlait, et si vous ne pouviez emporter qu'une seule chose, laquelle choisiriez-vous ?

 Réponse de Cocteau :

 - Le feu ! »

Michel Tournier, Le vent paraclet

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10/10/2012

Le Vote

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« L'individu se trouve de toutes parts entouré par un gouvernement auquel il ne saurait résister ; un gouvernement qui, sous peine de châtiments graves, l'oblige à donner son argent et ses services, et à renoncer à exercer quantité de droits qui lui sont naturels. Il voit, en outre, que c'est grâce au vote que d'autres hommes exercent sur lui cette tyrannie. Il voit encore que, si seulement il est disposé à utiliser lui-même le vote, il a une chance de se délivrer quelque peu de la tyrannie des autres en les soumettant à la sienne propre. Bref, il se trouve, sans l'avoir voulu, dans une situation telle que s'il utilise le vote, il sera peut-être un maître ; s'il ne l'utilise pas, il sera, nécessairement un esclave. »

Lysander Spooner, Outrage à chefs d'Etat

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09/10/2012

Clémentine était raide comme un cadavre gelé

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« Les chambres à coucher communes, lorsqu’elles sont sans lumière, mettent un homme dans la situation d’un acteur qui doit jouer devant un parterre invisible le rôle avantageux, mais un peu usé tout de même, d’un héros évoquant un lion rugissant.

Or, depuis des années, l’obscur auditoire de Léon n’avait laissé échapper devant cet exercice ni le plus léger applaudissement, ni le moindre signe de désapprobation, et l’on peut dire qu’il y avait là de quoi ébranler les nerfs les plus solides. Le matin, au petit déjeuner qu’une respectable tradition leur faisait prendre en commun, Clémentine était raide comme un cadavre gelé et Léon sensible à en trembler.

Leur fille Gerda elle-même s’en apercevait à chaque fois et se figura dès lors la vie conjugale, avec horreur et un amer dégoût, comme une bataille de chats dans l’obscurité de la nuit. »

Robert Musil, L’homme sans qualité 

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08/10/2012

Etant anarque, je suis résolu à ne me laisser captiver par rien, à ne rien prendre au sérieux

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« Etant anarque, je suis résolu à ne me laisser captiver par rien, à ne rien prendre au sérieux, en dernière analyse... non, certes, à la manière des nihilistes, mais plutôt en enfant perdu qui, dans le no man's land d'entre les lignes des marées, ouvre l'oeil et l'oreille.
Aussi ne puis-je non plus m'engager dans la direction du retour. C'est l'ultime refuge du conservateur, après qu'il a perdu tout espoir en politique et en religion. Mille ans sont alors, pour lui, la plus petite unité monétaire ; il parie sur les cycles cosmiques. Un jour viendra où le Paraclet connaîtra son épiphanie, où l'Empereur magiquement endormi sortira de la montagne. 
Mais en attendant, le devenir, le temps sont toujours là. L'être dans le temps se répête, et contraint les Dieux mêmes à assumer ses corvées - aussi ne peut-il y avoir de retour éternel ; c'est un paradoxe -, il n'y a pas de retour éternel. Le retour de l'éternel vaut bien mieux ; il ne peut se produire qu'une seule fois- et voilà le temps renversé dans la poussière.
(...) L'idée de l'éternel retour est une inspiration de poisson qui veut bondir hors de la poêle à frire. Il retombe sur la plaque de la cuisinière. »

Ernst Jünger, Eumeswil

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