21/05/2013
L'anticommunisme demeure donc répréhensible, si négatif soit le bilan du communisme
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« Une oraison plaintive servit d'ouverture en sourdine à la confession agressive. Sous le coup du naufrage, on avoua du bout des lèvres la faillite et jusqu'aux crimes du communisme. Mais ce ne fut qu'en manière de précaution oratoire et pour mieux pleurer la perte du Bien suprême que seul, soupirait on, il aurait pu nous apporter et dont l'humanité se trouvait, par sa chute, à jamais dépouillée.
Supercherie éculée par laquelle on contestait l'essentiel, qui était, non que le communisme eût échoué, ce que, vers 1990, personne n'osait plus ou n'osait encore nier, mais que son échec était d'une nature et d'une ampleur qui en condamnait le principe même. Car c'était là le fait nouveau. Pour le communisme en tant que doctrine, après tant de sursis immérités, l'heure du jugement dernier venait enfin de sonner. Tout le reste était archéologie. Les désastres du socialisme réel, on y était habitué depuis longtemps. II n'avait jamais et nulle part rien produit d'autre. Ce qui s'imposait en outre, désormais, c'est qu'il ne pouvait rien produire d'autre. C'était là l'évidence supplémentaire et libératrice : il souffrait, dans sa conception même, d'un vice de conformation. Bien des marginaux l'avaient vu et dit depuis longtemps. La gauche, même non communiste, les avait régulièrement bouclés dans le panier à salade de la "réaction". En 1990, leur explication devenait celle de tout le monde.
Ainsi, le communisme avait été poussé à n'engendrer que misère, injustice et massacres, non par de contingentes trahisons ou malchances mais par la logique même de sa vérité profonde. Telle était la révélation de 1990. L'histoire condamnait, au-delà du communisme réel, l'idée même du communisme.
Or le postulat qui se réaffirme à travers les sanglots du deuil post-soviétique exprime d'emblée le refus de cette conclusion. Mais faute de pouvoir s'appuyer sur des faits, il se réduit à cette croyance superstitieuse qu'on trouve dans quelque ciel lointain une société parfaite, prospère, juste et heureuse, aussi sublime que le monde suprasensible de Platon et aussi inconnaissable que la "chose en soi" de Kant. Cette société idéale, le communisme était le seul instrument apte à en faire descendre le modèle sur terre. Comme il a disparu, la possibilité même de cette société de justice disparaît aussi. L'effondrement du communisme, en dépit de tout le mal qu'il a perpétré, est donc aussi la défaite du Bien.
Raisonnement circulaire qui suppose démontrée la thèse que précisément l'expérience vient de réfuter. Dérobade qui n'est au demeurant qu'une resucée de l'antique sophisme dont la fanfare de la propagande n'avait cessé de tympaniser les jobards accourus vider les poubelles de l'histoire : nous ne nions, avouaient périodiquement les socialistes dans leurs replis tactiques, ni les mauvais résultats ni les atrocités du communisme; nous nions en revanche catégoriquement que ces malencontreux déboires expriment l'essence du socialisme. Celle-ci reste intacte, immaculée, et promise à une très prochaine incarnation. Selon cette argumentation, l'horreur des conséquences prouve l'excellence du principe.
Se réclamant d'un prototype parfait, puisque irréalisable, le communisme, si monstrueuses aient été ses fautes dans la pratique, ne peut pas être réactionnaire. C'est pourquoi continuent, eux, à l'être, les gens qui le jugent sur ses actes. Car ce ne sont pas les actes qui doivent servir de critère, quand on évalue les zélateurs d'un modèle idéal, ce sont les intentions.
Au fond, le royaume du communisme n'est pas de ce monde, et son échec ici-bas est imputable au monde, non pas au concept communiste. Dès lors, ceux qui le récusent en alléguant ce qu'il a fait, sont en réalité poussés par une haine secrète pour ce qu'il était censé faire: accomplir la justice. L'anticommunisme demeure donc répréhensible, si négatif soit le bilan du communisme. Tel est le deuxième volet de l'esquive préliminaire, préparation de la contre-offensive ultérieure. »
Jean-François Revel, La Grande Parade
07:04 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Les commentaires sont fermés.