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24/11/2014

Cette humanité ostentatoire et programmatique du littérateur

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« L’amour ! L’humanité ! Je les connais, cet amour rhétorique, cet humanitarisme doctrinaire, que l’on exprime les dents serrées, pour marquer du dégoût à l’égard de son propre peuple. Je le connais, le cri des littérateurs d’aujourd’hui. Je connais aussi les œuvres d’art où il s’exhale, des œuvres où l’ "humanité" est une exigence intellectuelle, une doctrine littéraire, quelque chose de conscient, de voulu, de didactique et où, en même temps, elle fait défaut, et qui vivotent uniquement de ce que public et critique confondent l’ "humanité" avec une exigence rhétorique et politique de l’humanité. Cette humanité ostentatoire et programmatique du littérateur, qui se sert d’elle pour attaquer et humilier, qui est fier d’elle comme un paon et qui semble perpétuellement crier : "Voyez comme je suis humain, et vous, qu’êtes-vous, sinon d’infâmes esthètes !" - oh ! grand merci pour ce genre d’ "humanité" publicitaire !
Oui, la guerre est atroce ! Mais si, pendant cette guerre, le littérateur politique bombe le torse et déclare que dans sa poitrine passe le souffle d’amour du grand Tout, c’est l’abomination des abominations, – un spectacle intolérable. "En vérité, dit la démence servile, c’est non seulement un grand artiste, mais avant tout un homme admirable..."
N’a-t-il pas honte ? Car il n’est pas admirable et il le sait. Un acharnement mesquin joint à la sentimentalité, un endurcissement doctrinaire, une présomption, une intolérance froide et rigide, l’emphase pharisienne, prête à l’immolation des autres, du "tant pis si vous périssez, moi je demeure dans la lumière", tout cela ne fait pas une humanité admirable. [...]
Tourgueniev a dit une fois du rousseauiste Léon Tolstoï que son suprême et plus terrible secret, c’était de ne pouvoir aimer personne hormis lui-même. C’est le secret de tous ceux qui suivent Rousseau, qui toujours, d’une manière ou d’une autre, fourrent leurs rejetons à l’hospice des enfants trouvés et écrivent des romans éducatifs. [...] L’action publique de quelqu’un qui s’entend très bien à dire "j’aime Dieu" peut être importante ; mais si cependant il hait son frère, alors, selon l’Evangile de Saint-Jean, son amour pour Dieu n’est rien que belle littérature, et une fumée de sacrifice qui ne s’élève point. »

Thomas Mann, Considérations d’un apolitique

 

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