24/04/2015
Il n’est rien de plus naturel à l’homme que de tuer
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« Mais les chiffres ne sont peut-être pas l’essentiel en pareille matière. L’essentiel, c’est l’attitude à l’égard du meurtre. Je n’ai jamais vu, ni parmi les Espagnols, ni même parmi les Français venus soit pour se battre, soit pour se promener — ces derniers le plus souvent des intellectuels ternes et inoffensifs — je n’ai jamais vu personne exprimer même dans l’intimité de la répulsion, du dégoût ou seulement de la désapprobation à l’égard du sang inutilement versé. (...) Des hommes apparemment courageux — il en est au moins un dont j’ai de mes yeux constaté le courage — au milieu d’un repas plein de camaraderie, racontaient avec un bon sourire fraternel combien ils avaient tué de prêtres ou de "fascistes" — terme très large. J’ai eu le sentiment, pour moi, que lorsque les autorités temporelles et spirituelles ont mis une catégorie d’êtres humains en dehors de ceux dont la vie a un prix, il n’est rien de plus naturel à l’homme que de tuer. Quand on sait qu’il est possible de tuer sans risquer ni châtiment ni blâme, on tue ; ou du moins on entoure de sourires encourageants ceux qui tuent. Si par hasard on éprouve d’abord un peu de dégoût, on le tait et bientôt on l’étouffe de peur de paraître manquer de virilité. Il y a là un entraînement, une ivresse à laquelle il est impossible de résister sans une force d’âme qu’il me faut bien croire exceptionnelle, puisque je ne l’ai rencontrée nulle part. J’ai rencontré en revanche des Français paisibles, que jusque-là je ne méprisais pas, qui n’auraient pas eu l’idée d’aller eux-mêmes tuer, mais qui baignaient dans cette atmosphère imprégnée de sang avec un visible plaisir. Pour ceux-là je ne pourrai jamais avoir à l’avenir aucune estime. »
Simone Weil, Lettre de Simone Weil à Georges Bernanos, in "Oeuvres" - Quarto Gallimard
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