Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

17/01/2017

Or la lecture de Nietzsche pulvérisait ces certitudes...

=--=Publié dans la Catégorie "Friedrich Nietzsche"=--=

 

« Je me souviendrai toujours de la première fois où je lus Nietzsche : j'avais dix-sept ans et déambulais dans la grande cour du collège des Jésuites de la rue des Lys, à Avignon. Nous étions en 1976, au mois de mai et je préparais le bac français. C'était l'après-midi, il faisait beau et je compulsais "Par-delà bien et mal" en désordre, puis au fur et à mesure de ma découverte, avec application. J'étais bouleversé par ce que je lisais et avais l'impression que le sol tremblait sous mes pieds. Le texte de Nietzsche résonnait en moi comme si je l'attendais depuis toujours. Il y a des coups de foudre dans la pensée comme en amour. Je ne découvrais pas Nietzsche, c'était la lecture de Nietzsche qui m'arraisonnait à moi-même, à travers lui je me comprenais mieux. Je n'ai jamais éprouvé un tel choc en lisant un livre de philosophie et, de fait, Nietzsche n'est pas un philosophe mais un psychologue et un poète, et c'est sa psychologie, comme sa poésie, qui m'allaient droit au cœur. Pourquoi ce choc et qu'est ce qui en est résulté dans ma vie, c'est ce que je vais tenter d'élucider ici.

Si j'éprouvais un tel choc, c'est que la lecture de "Par-delà bien et mal", à laquelle succéda "La Généalogie de la morale", me délivrait d'un fardeau pénible ; non pas celui du christianisme, comme on pourrait s'y attendre – je faisais plus ou moins profession d'athéisme – mais celui du communisme. Car à l'époque je me croyais encore communiste. J'avais adhéré au Mouvement des Jeunesses Communistes à quinze ans et je croyais au sens de l'histoire. Or la lecture de Nietzsche pulvérisait ces certitudes. Nietzsche désacralise complètement l'histoire, notamment celle de la Révolution française. Pour lui, un des principaux moteurs de la Révolution française ne fut pas le désir de justice mais le ressentiment qui habitera son credo égalitaire. J'étais bouleversé par ce que je lisais à ce sujet car j'avais éprouvé cette puissance de ressentiment chez les jeunes communistes que j'avais côtoyé à Aix-en-Provence. Je n'avais pas connu, parmi eux, le sentiment de partage et de fraternité que j'avais ressenti, par moment, avec les catholiques que je fréquentais depuis mon enfance. Un jour, un responsable communiste venu à ma rencontre après avoir lu une lettre que j'avais envoyée à la direction du PCF concernant sa stratégie – j'étais très prétentieux, comme on l'est souvent à cet âge – m'avait dit avec un sérieux que je juge aujourd’hui comique, en regardant la résidence bourgeoise où j'habitais : "Profites-en bien parce que cela ne durera pas longtemps", comme si la révolution était imminente et que la maison où nous vivions allait nous être confisquée. La résidence des Floralies, qui se trouve traverse Saint-Pierre, tout près du stade d'Aix-en-Provence est encore là tandis que le PCF a, lui, quasiment disparu du paysage politique.

La lecture de Nietzsche fut donc concomitante à mon éloignement du PCF. En septembre 1976, je ne renouvelais pas ma carte d'adhérent au Parti. J'avais cessé d'être marxiste pour toujours car j'avais admis, en lisant Nietzsche, que le sort de l'art et de la civilisation étaient d'une importance supérieure au bonheur des masses et que celui-ci n'était pas forcément la condition d'une grande civilisation. S'il en était ainsi, il faudrait condamner les civilisations égyptienne et grecque, mais aussi romaine, esclavagistes par essence, sans oublier le Moyen Âge, avec son ordre social complètement inégalitaire. Or, de fait, ces civilisations, nous ne cessons de les admirer. La lecture de "Par-delà le bien et le mal" où Nietzsche justifie l'esclavage, selon lui nécessaire à toute grande civilisation, me subjuguait donc par sa cruauté. Une cruauté inséparable de sa passion de la vérité : pour Nietzsche les hommes se cachent la vérité pour ne pas avoir à en pâtir. Ils préfèrent la sécurité que procure l'illusion.

"On mesure la force d'un homme au degré de vérité qu'il peut supporter !"
"Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort !"
"L'homme a créé l'Art pour ne pas mourir de la Vérité."
"Nul ne ment plus qu’un homme en colère."

…Et ainsi de suite. »

Paul-François Paoli, Friedrich Nietzsche

 

16:00 Publié dans Friedrich Nietzsche | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Les commentaires sont fermés.