04/04/2017
Les deux aspects d'une même imposture, l'envers et l'endroit d'un même mensonge
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« Le mot de pesimisme n'a pas plus de sens à mes yeux que le mot d'optimisme, qu'on lui oppose généralement. Ces deux mots sont presque aussi vidés par l'usage que celui de démocratie, par exemple, qui sert maintenant à tout et à tout le monde, à M. Staline comme à M. Churchill. Le pessimiste et l'optimiste s'accordent à ne pas voir les choses telles qu'elles sont. L'optimiste est un imbécile heureux, le pessimiste un imbécile malheureux. Vous pouvez très bien vous les représenter sous les traits de Laurel et Hardy. Après tout soyez justes, j'aurais bien le droit de dire que je ressemble plus au second qu'au premier... Que voulez-vous ? Je sais bien qu'il y a parmi vous des gens de très bonne foi, qui confondent l'espoir et l'optimisme. L'optimisme est un ersatz de l'espérance, dont la propagande officielle se réserve le monopole. Il approuve tout, il subit tout, il croit tout, c'est par excellence la vertu du contribuable. Lorsque le fisc l'a dépouillé même de sa chemise, le contribuable s'abonne à une Revue nudiste et déclare qu'il se promène ainsi par hygiène, qu'il ne s'est jamais mieux porté.
Neuf fois sur dix, l'optimiste est une forme sournoise de l'égoïsme, une manière de se désolidariser du malheur d'autrui. Au bout du compte, sa vraie formule serait plutôt ce fameux "après moi le déluge", dont on veut, bien à tort, que le roi Louis XV ai été l'auteur...
L'optimisme est un ersatz de l'espérance, qu'on peut rencontrer facilement partout, et même, tenez par exemple, au fond de la bouteille. Mais l'espérance se conquiert. On ne va jusqu'à l'espérance qu'à travers la vérit, au prix de grands efforts et d'une longue patience. Pour rencontrer l'espérance, il faut être allé au delà du désespoir. Quand on va jusqu'au bout de la nuit, on rencontre une autre aurore.
Le péssimisme et l'optimisme ne sont à mon sens, je le dis une fois pour toutes, que les deux aspects d'une même imposture, l'envers et l'endroit d'un même mensonge. Il est vrai que l'optimisme d'un malade peut faciliter sa guérison. Mais il peut aussi bien le faire mourir, s'il l'encourage à ne pas suivre les prescriptions du médecin. Aucune forme d'optimisme n'a jamais préservé d'un tremblement de terre, et le plus grand optimiste du monde, s'il se trouve dans le champ de tir d'une mitrailleuse, — ce qui aujourd'hui peut arriver à tout le monde — est sûr d'en sortir troué comme une écumoire.
L'optimiste est une fausse espérance à l'usage des lâches et des imbéciles. L'espérance est une vertu, "virtus", une détermination héroïque de l'âme. La plus haute forme de l'espérance, c'est le désespoir surmonté.
Mais l'espoir lui-même ne saurait suffire à tout. Lorsque vous parlez de "courage optimiste", vous n'ignorez pas le sens exact de cette expression dans notre langue et qu'un "courage optimiste" ne saurait convenir qu'à des difficultés moyennes. Au lieu que si vous pensez à des circonstances capitales, l'expression qui vient naturellement à vos lèvres est celle de courage "désespéré", d'énergie "désespérée". Je dis que c'est précisément cette sorte d'énergie et de courage que le pays attend de nous. »
Georges Bernanos, La Liberté, pour quoi faire ?
16:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Les commentaires sont fermés.