05/02/2018
Luc Ferry : « Non, le transhumanisme n'est pas le nazisme ! »
=--=Publié dans la Catégorie "PARENTHÈSE"=--=
Dès qu’on en parle, la loi de Godwin fonctionne à plein régime : des gens qui en général n’ont jamais ouvert le moindre livre sérieux sur le transhumanisme hurlent à l’hitlérisme, fantasmant sur ce qu’aurait selon eux de diabolique le projet d’augmenter la longévité humaine.
De quoi s’agit-il en réalité, si l’on veut bien écarter un instant les discours moralisateurs à bon marché et les caricatures simplistes ?
De trois idées qu’on peut bien évidemment discuter, mais qui n’ont strictement aucun rapport avec le nazisme.
La première, c’est que la médecine est désormais en mesure d’ajouter au modèle thérapeutique, dont la finalité depuis des millénaires est de soigner, une nouvelle dimension, celle de « l’augmentation » ou de l’amélioration du potentiel de l’espèce humaine.
Que s’agit-il d’augmenter ? Pour l’essentiel, et c’est là la deuxième idée, il n’est nullement question de fabriquer un « surhomme » mais de parvenir à augmenter la longévité humaine, de lutter contre le vieillissement, non seulement en éradiquant les morts précoces, comme on l’a fait de manière spectaculaire tout au long du XXe siècle, mais en recourant aux biotechnologies, à l’hybridation homme/machine et à la médecine réparatrice pour faire vivre les humains vraiment plus longtemps. Le but ultime serait de parvenir à réconcilier jeunesse et vieillesse, à donner enfin tort au fameux adage « si jeunesse savait, si vieillesse pouvait ». En admettant que nous parvenions un jour à vivre vraiment plus longtemps en bonne santé physique et mentale, alors nous pourrions voir naître une humanité qui, à la fois jeune et vieille, riche d’expériences et cependant pleine de vitalité, serait potentiellement plus sage. Pour le moment, rien ne prouve que ce soit possible pour l’homme, mais on a déjà réussi à augmenter de 30% la vie de souris transgéniques en éradiquant leurs cellules sénescentes. Qui peut dire sérieusement à quoi ressembleront les biotechnologies au siècle prochain, voire dans deux cents ans ? Et qui n’a jamais eu le sentiment, l’âge venant, que nous mourrons trop tôt, à vrai dire juste au moment où nous commencions à être un peu moins bêtes ?
Il est clair que, pour le moment, les progrès dans ces domaines sont à proprement parler inimaginables, mais la voie est ouverte et elle n’est pas près d’être refermée de sorte qu’il serait sage d’anticiper dès maintenant les problèmes éthiques, démographiques et spirituels que cette nouvelle approche de la médecine va inévitablement poser.
Le troisième trait touche à la politique : après la lutte contre les inégalités sociales menées par nos États-providence qui mettent en place des dispositifs d’égalisation des conditions, le temps serait venu de lutter aussi contre les inégalités naturelles. La loterie génétique est aveugle, amorale et injuste. Votre enfant se retrouve porteur d’une malformation, frappé par un handicap, une maladie génétique ? Vous n’y êtes pour rien, et si la volonté libre pouvait corriger les calamités que la nature dispense de manière aveugle aux humains, ne serait-ce pas un progrès ? On dira qu’il s’agit d’eugénisme. Oui, bien sûr, et les bonnes âmes de pousser à nouveau des cris d’épouvante devant le mot tabou. C’est comme un réflexe de Pavlov, on se met derechef à bêler à l’hitlérisme.
C’est toutefois d’une rare bêtise, car en l’occurrence, il s’agit de passer « de la chance au choix » (from chance to choice), en clair, de la très injuste et très hasardeuse loterie naturelle au libre choix de la modifier par la volonté humaine. Si eugénisme il y a, il est donc l’exact inverse de l’eugénisme nazi : il ne s’agit pas d’éliminer les plus faibles, mais tout à l’inverse, de réparer les injustices qui nous sont infligées par une nature dont la principale caractéristique est l’indifférence.
En réalité, s’il y a danger, il se situe moins dans le projet de corriger notre ADN que dans la compétition qui pourrait, faute de régulation, s’instaurer entre les nations, les armées et finalement les familles, compétition qui risquerait de nous entraîner sans le vouloir et hors de tout contrôle vers une modification de l’espèce humaine. Le maître mot doit donc être ici « régulation ». Que devrions-nous autoriser ou interdire, et surtout, qui pourra en décider ?
D’évidence la question est aussi sérieuse qu’infiniment difficile à résoudre, mais l’accusation d’hitlérisme n’est certainement pas le meilleur moyen d’y parvenir, d’autant qu’Hitler, à ce qu’il me semble, s’employait davantage à raccourcir nos vies qu’à les allonger.
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Source : Luc Ferry pour Le Figaro
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