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24/06/2018

Néant...

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Ceci avait été l’idée du suicide, gratuite, en soi. Cette idée reparut souvent depuis, mais seulement pour se prêter aux circonstances. Je m’étais engagé plus avant dans la vie : les difficultés, les peines, les vexations surgissaient. Alors je pensais au suicide. Ce n’était plus du tout la même chose, ce n’était plus la force, l’exubérance, la curiosité qui m’incitaient, mais la faiblesse, la fatigue. Et l’idée de ce que je trouverais au-delà du suicide n’était plus la même. La première fois, l’au-delà c’était l’inconnu, quelque chose de parfaitement indéterminé, innomé, indicible. Maintenant c’est le néant. En cela comme en beaucoup d’autres choses, l’adolescent, l’adulte avaient rétrogradé sur l’enfant. Car le néant… j’allais dire "le néant est une notion absurde". Mais deux mots mystérieux peuvent-ils se heurter ? Et qu’est-ce que j’appelais le "néant" ? N’était-ce pas un lieu très doux, donc encore de la vie, une vie douce, ralentie, quelque chose comme le début du sommeil, quelque chose comme les gris champs élysées dont parle Virgile ?

Toutefois, je me demande si mon idée de suicide, quand elle reparaissait même dans les pires circonstances de gêne, d’oppression, était jamais tout à fait impure. Et je ne dis pas ça pour moi, en particulier. Il y a presque toujours, il y a peut-être toujours un élément de pureté dans le suicidaire. Même chez celui pour qui le suicide est un acte purement social, un geste entièrement enchaîné à tous ses gestes précédents qui étaient tous dans la vie et tournés vers la vie, ne faut-il pas qu’il ait une ouverture, si étroite qu’elle soit, sur l’au-delà, pour qu’il puisse perpétrer son acte ? Il faut qu’il ait eu une familiarité quelconque, si inconsciente qu’elle ait été — et tout à fait inconsciente, elle a pu être profonde et constante — avec un univers plein de dessous et de secrets et de surprises. Il pense croire au néant, il pense s’abandonner au néant, mais sous ce mot négatif, sous ce mot approximatif, sous ce mot limite quelque chose se cachait pour lui. »

Pierre Drieu la Rochelle, Récit Secret

 

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