28/06/2018
Patrick Buisson - Dominique Reynié : quel avenir pour la droite ?
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L’auteur de La Cause du peuple rêve d’un populisme conservateur à la française tandis que le directeur général de la Fondation pour l’innovation politique s’inscrit dans une tradition plus libérale. Cependant, les deux théoriciens se retrouvent sur un même constat. Un an après l’élection de Macron, l’opposition de droite est toujours affaiblie et sa recomposition ne fait que commencer.
LE FIGARO MAGAZINE – Un an après son élection, Macron a su séduire une partie de l’électorat de droite tandis que l’opposition de LR et du Rassemblement national peine à se faire entendre. Comment l’expliquez-vous? Macron est-il finalement un président de droite?
Dominique REYNIÉ – Distinguons la position des Républicains et celle du désormais Rassemblement national. Les Républicains sont un parti d’alternance. Sa vocation est donc de gouverner. Face à Emmanuel Macron, Les Républicains devraient constituer une opposition visible, thématique, crédible, ordonnée autour d’une doctrine. Aujourd’hui, ils n’offrent rien de cela. Différemment, Marine Le Pen dirige un parti de rupture. Sa promesse est de combattre le système, et non de le gouverner à la place de Macron. La force de son opposition se manifeste lors des grands scrutins nationaux. Parti officiel de l’alternance, Les Républicains devraient donner le sentiment d’être en route vers le pouvoir… Leur situation est donc beaucoup plus dégradée que celle du Rassemblement national, crédité d’un programme d’action radicale dont les électeurs ne se détacheront pas facilement et sûrement pas pour se recentrer. Enfin, Emmanuel Macron satisfait indubitablement une fraction de la France de droite, par sa manière d’incarner la fonction présidentielle, de porter le drapeau, contrastant avec son prédécesseur, ou encore par sa confrontation victorieuse avec la CGT. À droite, on a trop peu considéré l’exaspération qu’a provoquée jusqu’ici le spectacle d’un pouvoir investi par les urnes mais reculant cependant sous la pression de minorités actives agissant depuis la rue. L’électorat, surtout à droite, a fini par y voir l’expression d’un mépris pour la souveraineté du vote.
Patrick BUISSON – La droite est reconnaissante à Emmanuel Macron de la manière dont il a su endosser l’habit de monarque républicain. Sa force, c’est d’avoir compris que la France est un pays de tradition chrétienne et latine où le pouvoir ne s’exerce pas par délégation, mais par incarnation, et que si l’on veut retrouver l’autorité comme fonctionnalité, il faut d’abord la rétablir comme transcendance. Au-delà de la droite, ce type de pouvoir épiphane rencontre une large adhésion populaire ancrée dans notre tradition politique. C’était déjà le propos d’un paysan au lendemain de la défaite de Sedan: «La République, moi j’ai rien contre ; à condition que ce soit Napoléon qui soit roi.» Ce qui manque, cependant, à Macron, c’est l’altitudo des anciens monarques. Sa verticalité est en lévitation, c’est une verticalité hors sol qui risque à tous moments de déraper vers l’autocratisme faute de s’appuyer sur le consentement populaire. En fait, il y a chez lui un mélange d’autocratisme et de démophobie. Il a du peuple une image péjorative estimant que celui-ci est dépourvu de tout jugement parce que tributaire de ses affects et de ses passions forcément tristes.
En cela, il s’inscrit parfaitement dans la tradition de la démocratie gouvernée contre la démocratie gouvernante, c’est-à-dire du gouvernement pour le peuple, et non par le peuple, qui consiste à exclure celui-ci du processus de décision et à privatiser les instruments du pouvoir au profit d’une caste. La pensée médiévale distinguait les tyrans d’usurpation des tyrans d’exercice: les premiers étaient illégitimes, les seconds abusaient de leur pouvoir en cherchant à imposer leur volonté propre contre la coutume et le bien commun. On peut encore espérer que le président méditera la fable de La Fontaine sur les deux coqs : « Tout vainqueur insolent à sa perte travaille. »
LE FIGARO MAGAZINE – La séduction qu’il opère sur la droite est-elle durable ?
Dominique REYNIÉ – Cette séduction durera tant que la droite flottera ainsi, sans doctrine. La droite n’a pas voulu ou pas su faire le bilan de ses responsabilités. Qu’a-t-elle fait du pouvoir qui lui a été confié tant de fois ? Depuis 1958, on compte quarante ans de pouvoir gouvernemental. La droite convaincra donc difficilement qu’elle fera demain ce qu’elle a déjà promis à maintes reprises sans le réaliser. En réalité, le mal est profond. Il remonte au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : pour différentes raisons, la droite française s’est alors débarrassée de toute tradition intellectuelle et politique. La droite française n’aura été ni chrétienne, ni nationaliste, ni libérale. Elle s’est paresseusement alignée sur un programme social-étatiste qui est, en France, la vraie pensée dominante, sinon unique. Droite et gauche ont ainsi peu à peu mis en place une cartellisation de la démocratie qui leur a assuré le pouvoir malgré leurs piètres résultats. C’est ce système qui a fini par voler en éclats, en 2017. Avant cette refondation doctrinale de la droite, Macron sera préservé.
LE FIGARO MAGAZINE – N’a-t-il vraiment aucun point faible ?
Dominique REYNIÉ – Non, il n’est pas invincible pour autant. Il devra en particulier régler ce déficit d’autorité régalienne auquel l’opinion deviendra de plus en plus sensible parce qu’il touche la question de l’immigration, de la sécurité et de la lutte contre l’islamisme. On sait les exigences montantes de la société sur ces enjeux fondamentaux. Macron laisse prise à l’idée d’une indétermination favorisant la renaissance d’une droite, même si la refondation de la droite ne pourra se résumer au programme d’un ministère de l’Intérieur.
Patrick BUISSON – Pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, on a un président qui ne cherche pas à consolider sa majorité de second tour, mais à élargir sa majorité relative du premier tour. Son insistance à mettre désormais en avant son ethos de droite obéit à une logique comptable: il sait que ses réserves sont deux fois plus importantes de ce côté-là de l’échiquier politique que de l’autre. Par bien des aspects, Macron est l’héritier de Valéry Giscard d’Estaing. Au moins le temps d’une élection, il aura réussi là où son prédécesseur avait échoué : rassembler un bloc central de deux Français sur trois. À défaut de pouvoir faire passer cette majorité de l’état gazeux à l’état solide, il est néanmoins parvenu à ressusciter l’UDF grâce à un arc de soutiens qui va de François Bayrou à Philippe de Villiers. C’est pourquoi il serait aberrant pour Les Républicains de chercher à lui disputer l’espace du centre et du centre-droit où il occupe jusqu’à preuve du contraire une position inexpugnable. L’angle mort du macronisme, ce sont bien évidemment les enjeux d’identité et de civilisation, les questions étroitement imbriquées de l’immigration et de l’islam. Son logiciel exclusivement économique est à la fois daté et inadapté au moment où, partout en Europe, les valeurs immatérielles sont en train de reprendre le dessus. Comme le disait récemment un néolibéral : Macron, c’est bienvenue dans les années 1980 !
LE FIGARO MAGAZINE – Quelle stratégie pour la droite, face à ce bloc central que tient fermement le Président ? Celle-ci passe-t-elle nécessairement par des alliances avec le Rassemblement national ?
Dominique REYNIÉ – Le prochain scrutin présidentiel est prévu en 2022. La campagne démarrera dès 2020. Le temps fera défaut à la droite : il lui faut à la fois tirer les leçons de son exercice du pouvoir, penser une doctrine et bâtir un programme attractif. Quant au Rassemblement national, les bouleversements de notre époque lui assurent une influence électorale significative malgré la faiblesse révélée de son leadership. La question des alliances ne peut se poser que si l’on sait qui occupera la position de force qui permet de les initier et de les conclure. Il faudrait que Les Républicains dominent le Rassemblement national avant de penser à une alliance dont la seule annonce provoquerait leur éclatement. De plus, sur le fond, une telle association amènerait la droite à se rapprocher encore du discours du Rassemblement national, ce qui prendrait inévitablement la forme d’un ralliement du faible au fort, d’une soumission. On peut douter de la dynamique que les héritiers du gaullisme pourraient tirer d’un ralliement aux héritiers du plus acharné de ses adversaires historiques.
Patrick BUISSON – Les Républicains comme le Rassemblement national se trouvent dans une triple impasse : idéologique, stratégique et sociologique. La droite ne peut plus se prévaloir du bénéfice automatique de l’alternance, et la « grande alternance » dont rêvait Marine Le Pen s’est avérée à l’épreuve des urnes totalement chimérique. La seule stratégie susceptible de s’imposer découle du rapport de force électoral. Il existe un antagonisme irréductible entre l’électorat libéral des grandes villes et les classes populaires, entre les insiders et les outsiders. Leurs intérêts économiques sont inconciliables et leurs voix non miscibles. En revanche, la tension idéologique et sociologique est bien moindre entre l’électorat conservateur et l’électorat populaire. À condition d’opérer les clarifications nécessaires, la jonction entre la France conservatrice et la France périphérique peut s’opérer sur une large base programmatique: la défense de l’identité, le droit à la continuité historique et culturelle, l’enracinement et la transmission, le localisme et les mœurs. En somme, tout ce qui est aujourd’hui mis à mal par la finance globalisée et par l’islam radicalisé.
LE FIGARO MAGAZINE – L’union des droites passe donc davantage par une alliance sociologique que par des accords d’appareils…
Patrick BUISSON – L’enjeu des échéances électorales à venir se situe au niveau des classes moyennes qui ne se sont raccrochées à Macron en 2017 que par peur des extrêmes. Leur basculement pourrait s’effectuer au terme du double processus d’exclusion sociale et culturelle qu’elles subissent actuellement. Voici des années que cet électorat-là attend un discours de refondation de la politique de solidarité nationale en lieu et place des vieilles politiques publiques frappées d’illégitimité. Est-ce cela que le chef de l’État a compris en refusant d’engager financièrement l’État dans une ruineuse et inefficace relance de la politique de la ville ? La question qui se pose à droite n’est donc pas celle des alliances, mais celle du programme et du leadership. Celui ou celle qui saura composer une offre politique qui s’adresse à la fois aux conservateurs et aux populistes disposera d’un tel rapport de force qu’il n’aura besoin d’alliés que comme supplétifs.
LE FIGARO MAGAZINE – Qui est en mesure de faire bouger les lignes ? Quel leadership pour la droite de demain ?
Dominique REYNIÉ – Au sein des oppositions, la crise de leadership est générale. Il me semble que cette situation est inédite sous la Ve République. Le Front national devenu « Rassemblement national » n’en reste pas moins exposé au dégagisme. Abandonner le nom du parti auquel son nom de famille est associé s’apparente à une tentative désespérée de contenir les effets du dégagisme en feignant de se dégager un peu soi-même… Vainement, car Marine Le Pen reste à la tête du parti des Le Pen dont elle est l’héritière, en ligne directe. En revanche, Marion Maréchal, qui a « délepénisé » son nom, mise à l’évidence sur ce désir de renouveau pour avancer. En face, malgré son âge, Laurent Wauquiez appartient à la classe de ceux qui ont déjà gouverné. Or, nous sommes entrés dans une période de destitution et de disgrâce. L’heure est cruelle pour les carrières politiques au long cours. Voici le temps, prometteur et redoutable à la fois, des ruptures et des jaillissements. Qui connaissait Luigi Di Maio et quel était le poids politique de Salvini il y a quatre ou cinq ans ?
Patrick BUISSON – Il semble qu’une compétition soit engagée entre Laurent Wauquiez et Marion Maréchal. Le président des Républicains a beaucoup de qualités, mais le piège serait pour lui de reproduire la faute inaugurale de l’UMP : vouloir à toute force marier les contraires et faire ainsi prévaloir l’idée de rassemblement sur la cohérence stratégique et idéologique de son camp. Rien ne sert de s’attaquer aux grands discours universalistes des faux généreux sur un illusoire vivre-ensemble et l’accueil nécessaire des migrants s’il ne tire pas lui-même les conséquences politiques de la ligne qu’il a choisie en opérant une véritable révolution culturelle en rupture avec l’histoire d’une droite qui, de Chirac à Sarkozy, a lourdement failli. Le peut-il ? Le veut-il ? Là est toute la question. Marion Maréchal, quant à elle, a beaucoup de talents mais il faudrait qu’elle aille jusqu’au bout de la desquamation. Car il ne suffit pas d’abandonner derrière soi la moitié de son patronyme comme une peau morte, encore faut-il aussi qu’elle se débarrasse de cette « escorte de béquillards », pour parler comme Bernanos, ces éternels émigrés de l’intérieur, devenus étrangers à leur propre pays, qui ignorent tout de l’appareil d’État comme du pouvoir ; de sa conquête à son exercice.
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SOURCE : Le Figaro Magazine du 15 Juin 2018
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