04/02/2020
Affaire Mila : "Nous paierons cher cette lâcheté"
=--=Publié dans la Catégorie "PARENTHÈSE"=--=
Par Elisabeth Badinter, Elisabeth de Fontenay, Marcel Gauchet, Jacques Julliard, Jean-Pierre Le Goff
Le 18 janvier dernier, une adolescente de 16 ans, prénommée Mila, s'est filmée sur le réseau social Instagram en tenant ces propos : "Je déteste la religion, (...) le Coran, il n'y a que de la haine là-dedans, l'islam, c'est de la merde. (...) Il y a encore des gens qui vont s'exciter, je n'en ai clairement rien à foutre, je dis ce que je veux, ce que je pense. Votre religion, c'est de la merde, votre Dieu, je lui mets un doigt dans le trou du cul, merci, au revoir." On pourrait contextualiser, expliquer l'origine de cette saillie mais, à vrai dire, qu'importe. Concentrons-nous sur l'essentiel : on peut être en désaccord avec ce que dit la jeune fille, apprécier ou non son vocabulaire, rien de ce qu'elle dit n'est illégal.
Dix jours plus tôt, vendredi 10 janvier, l'humoriste Frédéric Fromet chantait, sur les ondes de France Inter : "Jésus, Jésus, Jésus est pédé (...) Du haut de la croix, plutôt que de l'avoir cloué, pourquoi pas l'avoir enculé ?" On pourrait également revenir sur les circonstances, l'intention, le bon ou le mauvais goût. De la même façon, concentrons-nous sur l'essentiel : rien de ce qu'il a chanté n'est illégal.
Que s'est-il passé depuis ? Dans le cas de Mila, une horde de harceleurs islamistes l'ont menacée sur Internet, jusqu'aux promesses de mort, révélant son identité et son adresse, obligeant la jeune fille à se déscolariser. Mais, en parallèle de l'enquête ouverte pour "menaces de mort, menace de commettre un crime, harcèlement", le parquet de Vienne a décidé d'ouvrir une autre enquête, celle-là visant l'adolescente du "chef de provocation à la haine raciale". Personne n'a songé à ouvrir ce genre d'enquête pour Frédéric Fromet.
Un inquiétant "deux poids, deux mesures"
Pas plus que la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, ne s'est sentie obligée d'intervenir en expliquant, comme elle l'a dit à propos de l'affaire Mila que "l'insulte à la religion, c'est évidemment une atteinte à la liberté de conscience, c'est grave". Depuis, la ministre a reconnu une "expression maladroite", tout en persistant néanmoins dans la godille : "On peut critiquer les religions. Pas inciter à la haine." Comme s'il fallait tout de même accabler Mila. Et le parquet de Vienne a abandonné les charges contre l'adolescente, actant ce qui était évident dès le départ : critiquer une religion, même grossièrement, n'est pas inciter à la haine contre ceux qui la pratiquent. Incident clos ? Il nous semble pourtant important d'y revenir malgré tout. Ce qui s'est passé ces derniers jours est inédit et plante les jalons inquiétants d'un "deux poids, deux mesures" qui s'installe durablement dans notre nation.
Pourquoi, dès lors que la cible du blasphème est l'islam, tord-on nos principes républicains ? Pourquoi si peu s'émeuvent quand le délégué général du Conseil français du culte musulman, Abdallah Zekri, dit de Mila "qu'elle l'a bien cherché" (les menaces de mort) et qu'elle n'a qu'à assumer (d'être agressée, de ne plus aller à l'école, etc. ) ? Pourquoi, enfin, quand un amuseur public et adulte s'exprime sur une radio d'Etat pour dire à peu près la même chose qu'elle sur le Christ, on n'y voit pas à redire, grâce à la liberté d'expression concernant la critique des croyances ? La réponse est à aller chercher dans la lâcheté de la justice et de la politique, désormais obsédées par l'acrobatie du "en même temps" sur les sujets de liberté d'expression quand ils concernent l'islam. Nous paierons cher cette lâcheté.
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Source : L'Express
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