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26/05/2009

Sapho Chante Oum Kalsoum... un souffle qui vient de loin...

=--=Publié dans la Catégorie "Music..."=--=

 

Sapho nous indique la voie bien mieux que les blaireaux du Raï moderne qui m'indisposent au plus haut point. Je n'ai jamais pu apprécier ni Cheb Khaled, ni Cheb Mami, ni je ne sais quel autre Cheb plus crâneur que la fierté elle-même. Par contre Oum Kalsoum, Farid El Atrache, Mohamed Abdel Wahab m'ont toujours illuminé la tête d'éclairs et d'orchestrations denses, jusqu'aux larmes libératrices du Tarab. C'est que les larmes viennent facilement, les soirs d'ivresse quand la mélancolie se fait assassine. 

 

Ici, Sapho apporte les traductions des paroles en chaque début de partie comme si elle cherchait à indiquer la filiation poétique de ces mots qui remontent jusqu'aux temps pré-Islamiques, chez les tribus arabes qui pratiquaient l'Amour Courtois comme  les Banou-Odhra. Les Frères Musulmans n'ont d'ailleurs jamais aimé ces chanteurs épiques qui portaient un vrai souffle de vie contre leurs faces de momies haineuses. Je m'autorise cette digression rapide pour parler, par exemple, d'IMROU'L QAIS (500-540), celui qu'on nommait El Malik ed-Dillil (« Le roi toujours errant »). IMROU'L QAIS a vécu l'existence d'un Prince en s'adonnant aux voluptés du libertinage (bref, un gars qu'a toute mon estime de mec bien portant qui bande encore). Il s'adonne à la poésie assez jeune, y traitant de ses débauches avec un goût de la provocation bien connu. Du coup, son père le chasse à cause de sa plume trop osée, ce qui était indigne, paraît-il, d'une personne de son rang.


Anthologie, traduite et présentée par René R. Khawam (Edition Phébus)

 

Je cite mon anthologie concernant ce poète des temps pré-Islamiques : "Chassé par son père Houdjr, roi de Kinda, qui désapprouvait sa passion pour une fille des Banou-Odhra, la tribu où l'amour courtois était à l'honneur, le prince-poète erra de campement en campement à travers l'Asie mineure. Il connut de nombreux succès d'amour, même à Constantinople où Justinien le reçut avec pompe et libéralité. Lorsque son père mourut en combattant la révolte des Banou-Asad, dans l'Arabie Centrale, IMROU'L QAIS se mit en mesure de le venger. Il n'en continua pas moins à composer des poèmes -- avant de mourir empoisonné. On lui attribue les règles fixes auxquelles fut soumise après lui la poésie arabe. Il donna le modèle du poème appelé QASÎDA, dans lequel l'éloge de la tribu et le récit des exploits guerriers s'allient à un sentiment aigu de la rapidité de l'existence et de la vanité des liens dont s'embarrasse le coeur de l'homme. (...) Regard perspicace sur la réalité quotidienne, souffle épique, densité de l'expression, tout concourt à faire du "prince errant" un initiateur et un modèle."

Et voilà ce qu'il écrit... de l'Amour Courtois avant l'heure, mêlé à des allusions libertines franches :

"Arrêtons-nous et pleurons au souvenir de l'aimée.
Maison près du banc de sable entre Dakhoul et Harmal,

Toudiha et Miqrat, les vents du Nord et du Midi
leur étoffe ont tissé mais n'ont point effacé sa trace.

Mes compagnons près de moi ont arrêté leurs montures,
disant :"Maîtrise-toi et fuis cette affliction mortelle."

Ma guérison, amis, c'est de laisser couler mes larmes
mais doit-on s'affliger d'une trace effacée ?

N'as-tu pas courtisé Oumm-al-Houwayrith avant elle,
et puis encore la belle Oumm-al-Rahab à Ma'sal ?

Quand elles se levaient, des effluves de musc partout
se répandaient, parfum d'oeillet porté par le zéphyr.

En les quittant, d'abondantes larmes avaient coulé
jusqu'à ma gorge et mon ceinturon en était mouillé

Oui, plus d'un jour parfait d'elles tu as pu obtenir,
et surtout, parmi ces jours, celui de Darah-Djouldjoul.

(...)

Je suis entré un jour dans le palanquin d'Ounayza...
"Malheur !Tu vas me forcer d'aller à pieds, me dit-elle"

et entre temps le palanquin ployait avec nous deux...
et puis : "Descend, IMROU'L QAIS, tu fatigues ma bête."

Et moi de lui répondre :" Va, laisse filer sa longe,
ne m'éloigne pas, de grâce, de ton fruit qui distrait...

J'ai visité des femmes comme toi, et même enceintes,
qui ont laissé leur nourrisson entouré d'amulettes...

S'il pleurait, de moitié se tournaient vers lui, et mon soc
les pourfendait tranquillement, sans être détourné."

L'une un jour se refusa sur la colline de sable,
s'obligea de rompre, par un serment indissoluble.

Doucement ! ô Fâtima, après ta coquetterie,
modère-toi, même si la rupture est décidée.

Cela t'a-t-il séduite de voir ton amour me tuer,
de constater que mon coeur t'obéit sans murmurer ?

Si quelque créature t'a poussé à me haïr
sépare nos habits : tu verras qu'unique en est la trame."

 

C'est bien cette poésie-là qui survécu à l'islamisation et qui, selon mon anthologie, put fleurir en particulier dans le sud de l'Espagne, loin du centre du Califat, "en marge des sentiers de la vertu héroïque toute une poésie qui ne jure que par l'Amour, et que l'on dira "courtoise" avant la lettre (c'est elle, d'ailleurs, à travers les poètes arabes de l'Espagne, qui finira par influencer -- et par dégrossir -- le beau parler des troubadours du Pays d'Oc). Ainsi donc, dés le VIIème siècle, les preux chevaliers de l'Orient ne dédaignent pas d'avouer qu'ils portent au coeur la blessure d'amour."

L'autre manière qu'a eu l'Amour Courtois pour s'imposer en Europe Chrétienne c'est grâce probablement au seul génie véritable qu'a eu le monde musulman celui de la transmission du savoir et des écrits venus du monde greco-latin antique, écrits oubliés par l'Occident après la chute de l'Empire et les invasions barbares successives. Et une oeuvre qui a contribué à l'apparition de l'Amour Courtois mais qui n'est pas de création arabe et encore moins islamique c'est le livre nommé "Les Métamorphoses" d'Ovide et surtout l'Ars amatoria (L'art d'aimer) du même auteur que les arabes en débarquant sur le sol européen avaient dans leurs bagages intellectuels. Mais ils ne l'ont pas inventé de bout en bout.

L'Amour Courtois est donc une manière d'aimer et de célébrer l'Amour qui existait déjà du temps d'Ovide, et dans l'Arabie aux temps pré-Islamiques. Les conquêtes musulmanes n'ont fait qu'entraîner derrière elles certaines pratiques avec les populations qu'elles drainaient aux 4 coins du monde. 

 

Il y avait également JAMIL, mort en 701 de notre ère, Poète nomade, il appartient à la tribu des Banou-Odhra, encore, dépositaires de l'ancienne poésie courtoise qui ne pouvaient aimer sans mourir d'amour, c'est-à-dire prêt à se battre pour. Il célébra la jeune et belle Bouthayna dont il ne put obtenir la main. Ses vers comptent parmi les plus tendres de la poésie arabe.

"Encore enfant
je me suis lié
par le désir d'elle,
et ce désir avec moi
n'a cessé de croître en âge
jusqu'à ce jour,
et d'augmenter en force
et en intensité.

J'ai donc dilapidé
ma vie,
en attendant qu'elle veuille bien
m'accorder ses dons ;
et, en elle,
mes jours nouveaux,
je les ai transformés
en guenilles fatiguées.

Puissé-je enfin
passer une seule nuit
avec toi
à Wadi'l-Qoura' !
Alors je m'estimerai
heureux.

Car auprès d'elle
et de ses compagnes,
les propos les plus bénins
me seraient
un sourire,
et tout assassiné
deviendrait
un martyr."

 

Mais à présent, faisons silence et écoutons le chant splendide qui provient de cet âtre. Montez le son...

 

 

Oum Kalsoum

 

07:00 Publié dans Music... | Lien permanent | Commentaires (3) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Commentaires

Merci Nebo pour cette splendide découverte..Ca passe aussi très bien avec un petit Sancerre blanc bien frais.

Écrit par : Ed | 26/05/2009

Sublime

Merci.

Écrit par : Yasmina | 28/05/2009

Yasmina a raison, j'ai mis cette page dans mes favoris pour y revenir à l'occasion. Merci pour cette découverte merveilleuse.

Écrit par : Sarah | 12/08/2009

Les commentaires sont fermés.