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13/08/2009

Dans la Nuit... buvant du Sang d'Ours...

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

Huguenin, tricheur, brouilleur de pistes : « La seule chose qui rende ma douleur supportable, c’est sa beauté. Et alors ? Suis-je un esthète ? C’est tellement plus simple — si atrocement simple… » À la date du mercredi 5 mars 1958. Le lendemain il poursuit : « Se raconter est fat. Se justifier est lâche. Si je veux que vous me compreniez, je me garderai bien de vous parler de moi. »

Écran de fumée. Dans son journal, Huguenin nous parle essentiellement de lui et je le comprends comme un jeune frère. Curieux, n’est-ce pas ? Huguenin a 22 ans au moment où il s’essaye à ces masques qui ne me trompent pas et je viens d’en avoir 44. Il est amusant de lire, sous la plume de François Mauriac dans la préface à son journal, ces mots teintés d’ironie : « Si Jean-René Huguenin avait vécu, si le temps avait été donné à l’auteur de La Côte sauvage pour écrire l’œuvre que ce premier livre annonçait, et si, vers sa cinquantième année, il avait retrouvé ce manuscrit au fond d’un tiroir, il en eût été peut-être irrité ; il ne l’aurait pas publié sans ces commentaires dont nous accablons volontiers la jeunesse et que nous n’épargnons pas au jeune homme que nous fûmes. »
C’est, à mon humble avis, tout à fait exact. Mais François Mauriac poursuit : « Mais dans la lumière de sa mort, ces pages ont pris un aspect bien différent. Presque chaque parole en est devenue prémonitoire. »

D’où ma lecture admirative.

Cette connerie qui veut faire croire, sans les avoir ouverts, ou en les ayants mal ouverts, que les Evangiles sont une source de dolorismes divers, de souffrances et de retenues ascétiques de toutes sortes, m’épuise jusqu’à la nausée. Moi je vois un homme manifester librement l’amour et la vie et si je retiens l’effroi tragique de sa crucifixion, je suis surtout interpellé par la puissante charge symbolique de sa résurrection. C’est le Christ ressuscité qui m’intéresse, moins que le Christ en croix, même si les deux sont théologiquement liés et prophétisés en maints endroits de l’Ancien Testament.

 

Si la bêtise nous conduit vers le malheur, le bonheur, en ce cas, serait une forme d’intelligence ?

La source du bonheur serait-elle dans le fait d’écouter avec une vive attention sa conscience ?

Le bonheur n’est pas un état, mais c’est une quête.

Lorsque l’on s’arme, donc, d’intelligence, ce que l’on mène sa quête en écoutant attentivement sa conscience, on est en mesure d’affronter les zones d’ombres et leur pestilence existentielle en étant pleinement confiant.

La confiance c’est le début du bonheur.

Le véritable hédonisme consiste, simplement à prendre très au sérieux ce que nous donne comme trésors savoureux la vie, ici-bas, sur terre. Mais Qohelet, déjà, clamait qu’il fallait prendre ce qui nous était donné sous le soleil. C’est, déjà, une relation intime avec Dieu. Les orthodoxes diraient qu’en cette jouissance claire nous sommes divinisés.

La ceinture à clous que portait Blaise Pascal pour se punir de Dieu sait quoi, assombrit considérablement sa philosophie. « Pascal, ce sublime avorton du christianisme. » disait Nietzsche, très impressionné, néanmoins, par le penseur.
« Sublime avorton ». Certains y voient de l’ironie. Moi, j’y vois l’expression assumée d’une admiration critique.

Le message essentiel des Evangiles est dans ce don de liberté qui s’offre comme une possibilité de sortir du cercle de la faute, du péché, de la chute, de l’exil, hérités de génération en génération comme un lourd fardeau généalogique qui sclérose le libre arbitre. Nos péchés retombent sur nos enfants jusqu’à la septième génération dit Yahvé, juge sévère. Et comme nous commettons de nombreuses erreurs au cours de notre vie et que nos enfants en commettent de multiples à leur tour, et ce dès leur plus jeune âge, et bien on n’est pas rendu comme on dit en Bourgogne, le pays d'Irina. Le Christ vient briser ce cercle qui, lui, est doloriste, en y créant une brèche, pour le pèlerin en quête, armé d’intelligence et écoutant minutieusement leur conscience. Hors les murs.

Nietzsche est, malgré lui, chrétien en cela que sa négation de Dieu n’est possible que grâce à la critique qui justifie cette négation mais… justifie, aussi, Dieu.
Ce qui a accouché notre civilisation, c’est cet écartèlement, cette constante tension, chez l’occidental, entre la Lettre et l’Esprit, entre ce qui est dit et ce que le dire formule en de-ça. Beaucoup sont tombés dans le piège des concepts et ont construit leur perception du christianisme, qui est une parole de vie, sur une série de faux-sens et contre-sens en donnant une confiance aveugle aux mots de la théologie et en les fixant comme des racines indiscutables alors que les notions religieuses, travaillées, au corps par des docteurs fiévreux de pénétrer un peu plus le tabernacle, n’étaient que des bourgeons appelés à s’épanouir avant de mourir pour être remplacés par des bourgeons neufs. Cette confiance accordée au langage a créé une perception altérée de la réalité, un monde fictif qui s’oppose à la réalité en la travestissant ou, pire, en l’ignorant. Or, Nietzsche était philologue de formation et les textes, il savait les lire, et sans doute les a-t-il lus sans préjugés moraux.

 

« Chaque église est la pierre sur le tombeau d’un homme de Dieu : elle veut à tout prix qu’il ne ressuscite pas. (Nietzsche)

Qu’a nié le Christ ? tout ce qui aujourd’hui porte le nom de chrétien.(Nietzsche)

Le Christ sur la croix est le plus sublime des symboles — aujourd’hui encore.(Nietzsche)

Les sarcasmes et les invectives de Nietzsche contre le christianisme occultent le sérieux de sa méditation sur la personne du Christ. On oublie trop souvent que le Surhomme, s’il doit avoir la volonté d’action et l’attachement à la terre d’un « César romain » doit aussi posséder la spiritualité la plus haute, celle de « l’âme du Christ ». Nietzsche a toujours respecté et admiré ce qu’il croyait avoir saisi de la personne réelle du Christ, au-delà et contre la tradition des églises. Lorsque, sombrant dans la folie, le philosophe signe ses dernières lettres des noms mêlés de Dionysos et du Crucifié, il révèle que si on l’a compris, Dionysos est moins l’ennemi du Christ qu’il n’en est le doublet.
La méditation sur le type du Christ, comme celle sur Socrate, parcourt toute la pensée nietzschéenne. Ici plus que jamais, l’ennemi est l’ami vénéré, l’autre est le même, le plus différent est le plus proche. L’image que Nietzsche nous donne du Christ n’est en rien mesquine, même si, par ailleurs, elle ne fournit qu’une partie des qualités qui devront caractériser la Sur-humanité future. Dans sa richesse et sa complexité, elle donne à penser aussi bien au croyant, qui, par-delà le Bien et le Mal, recherche une foi affirmative, qu’à l’athée en quête d’un idéal humain débarrassé de tout « moraline » métaphysique. »

Sur la Christologie nietzschéenne
Nietzsche et les métamorphoses du divin
– Emmanuel Diet

 

Il faut tenir. Mes lectures désespérées m’y invitent. Bernanos et Houellebecq, par exemple. Triste soumission que leur plume décortique. Les ténèbres sont percées par leur verbe. Les ténèbres et l’anomalie de la soumission, l’anomalie de la servitude. Même du centre de la mort il faut qu’un chant s’élève, le plus simple, le plus innocent.

« et ce fut silence et présence de nuit
et de nuit souveraine
et de règne de nuit aux rives de la mer
et ce fut nuit à l’absence des vents
et vents de nuits à l’écume des mers. »

« et tant de nuits au siècle de l’absence…
ton regard est la nuit
où règne le silence
ton corps est règne de vent
règne de vent ton corps
et nuit de vent au siècle de l’absence. »

Arielle Monney, dit Alderbaran (1957-1975) "La mort est ce jardin où je m’éveille"

Celle que j'avais déjà évoqué ici... écrit ces lignes en 1974. Elle a 16 ans. Elle tient tête. Sa mort est proche. Il faut tenir.

Car il faut tenir. Quoi qu’il en coûte. Histoire d’être un homme et de tenter, toujours, de connaître le prix des choses, de se déterminer soi-même dans le cours des choses en question. Ils ont bon dos ceux qui sont dans la certitude des certitudes, statufiés sur place, le cul hémorroïdaire car constipé, à lancer leurs malédictions faciles en lieu et place des bénédictions qui s’imposeraient si ils ouvraient les yeux. Nietzsche qui a postulé que « Dieu est mort » a plus de foi en lui lorsqu’il dit, de mémoire, d’hommes qui prient nous devons devenir des hommes qui bénissent. Je songe, du coup, à Zbigniew Herbert, Monsieur Cogito et autres poèmes. Ce poème qui demande de tenir, de ne pas baisser sa garde, d’être confiant dans le mouvement.

« Monsieur Cogito. Envoi

Va-t’en où allèrent les autres vers l’issue obscure
chercher la toison d’or du néant ta dernière récompense

va redressé parmi ceux qui sont à genoux
qui tournent le dos ou sont réduits en poussière

tu as été épargné mais non pour que tu vives
tu as peu de temps il faut témoigner

que ta Colère impuissante soit comme l’océan
chaque fois que tu entends la voix des persécutés des battus

que ne t’abandonne jamais ton frère le Mépris
pour les mouchards les bourreaux les lâches — c’est eux qui gagneront
ils iront à tes funérailles et soulagés jetteront leur motte de terre
puis le ver à bois écrira ta biographie arrangée

et ne pardonne pas car en vérité je te le dis il n’est pas en ton pouvoir
de pardonner au nom de ceux que l’on a trahis à l’aube

garde-toi cependant de l’orgueil inutile
examine au miroir ton visage de bouffon
redis : j’ai été appelé — n’y en avait-il pas de meilleurs

garde-toi de l’aridité du cœur aime la source matinale
l’oiseau au nom inconnu le chêne en hiver

la lumière sur un mur la splendeur du ciel
n’ont que faire de ton haleine chaude
elles existent pour dire : personne ne te consolera

reste en éveil — quand le feu flambera sur la colline — lève-toi et va
aussi longtemps que le sang dans ton sein fait tourner ton étoile obscure

répète les anciennes conjurations les contes et légendes
car ainsi tu atteindras le bien qui t’échapera
répète les grandes paroles répète-les obstinément
comme ceux qui traversaient le désert et mouraient dans le sable

tu seras récompensé de ce qui leur tombe sous la main
par le fouet de la dérision par un meurtre sur la décharge publique

va car ainsi seulement tu seras admis au cercle des crânes froids
parmi tes ancêtres : Gilgamesh Hector Roland
défenseurs du royaume sans limite et de la cité des cendres

Sois fidèle Va »

Monsieur Cogito et autres poèmes, Zbigniew Herbert

Il est des fulgurances qui se plantent en nous comme des bouées de sauvetage, des béquilles ou des ailes qui nous permettent un équilibre dans ce monde qui se joue de nous sans lassitude.

« Il faudrait savoir plusieurs langues pour changer d’identité, disparaître.
Parce que la parole est difficile.
Parce que la vie est dans la parole. »

Claude Held, Le temps déchiré

Léon Bloy choque les chrétiens chétifs qui ne trouvent leur force que dans la lettre marbrée et poussiéreuse. Léon Bloy, avec sa théologie intuitive et sa flamme verbale, à croire qu’il a saisi un peu de ce feu qui brûle sans consumer le buisson ardent, Bloy tabernacle naturel, corpulence sévère.

Il ne se voulait que poète m'a dit une fois l’ami Restif. Et je tombe par un heureux hasard sur ce passage d’Armel Guerne dans L’Âme insurgée, écrits sur le Romantisme, au chapitre « Hölderlin ou le mystique malgré lui » :

« Le poète, je l’ai dit, n’est jamais qu’un prophète manqué ; — pour peu, du moins, qu’il ne soit plus l’un de ces ridicules amuseurs, profanateurs attitrés de la langue, auxquels le Satan anonyme du monde accorde avec délices ce noble nom de poète qu’il inonde de toutes ses gloires, récompensant ainsi ses serviteurs de leur culte fidèle, ô dérision ! Et plus le poète est grand, oui, plus il est entré loin, profond et haut dans la vérité du langage, plus il aura lutté pour le langage de la verte, plus les beautés seront venues, prodigieuses entre ses mains : plus aussi sera-t-il, par la vertu de ce même langage, un prophète manqué. D’autant plus proche, et d’autant plus loin ; d’autant plus haut, et d’autant plus « tombé », tout humble sous la loi des splendides beautés qui, véritablement, accablent son orgueil. — Le saurait-il ? Ce n’est pas sûr. Mais ce qu’il sait, c’est que chaque mot engage, chaque parole prononcée ou pensée, chaque image, non seulement dans son fait mais dans son mouvement même, l’engagent tout entier dans ce monde absolu de la vérité sous lequel, ici-bas, il répond par des responsabilités infinies ; et comme nos actes nous suivent terriblement, terriblement aussi ses parles le suivent… La vocation, c’est cela : répondre à un appel. Mais d’où vient-il ? On s’avance vers lui. Mais où va-t-on ? Sous tous les travestis de l’orgueil, sel pour n’être plus seul, on s’avance, on avance, on se risque ; mais est-on même sûr d’avoir seulement obéi ? Dès le premier mot, pourtant, alors qu’on croit n’apprendre encore que les rudiments de cet « art » où la jeunesse pétulante et fanfaronne ambitionne de s’illustrer, tout le sérieux de la chose est là. Et le dernier mot sera pour le reconnaître. Le reste, c’est la vie : le lieu panique et le tems de ce drame ; d’autant plus unique et d’autant plus grand ; d’autant plus invisible et d’autant plus constant. C’est autour de ce feu que s’élaborent et se disposent, se pressent et s’échafaudent les circonstances : autour de ce seul feu qui les éclaire et les dévore ; et l’homme vient et va parmi elles, se heurte et se déchire parce qu’il ne sait pas, et qu’il sait, aveugle dans sa hâte…
Ah ! que ne cesse-t-on enfin de vouloir expliquer par le pourtour apparent d’une vie son contenu réel ! Que ne renonce-t-on — comme si l’on craignait toujours de la voir se répandre ailleurs et surtout dans le cœur —, que ne renonce-t-on à cerner d’un trait dur la silhouette seule de l’existence, à dessiner son contour ; pour essayer de pénétrer la vie, de ne plus s’écarter de son mystère et de son unité, de sa chaleur ! »

Il n’y a pas de hasard. Tout s’agence comme il se doit pour peu que l’on sache être à l’écoute. En tout cas, cela va comme un gant à Bloy lui-même.

 

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Commentaires

Il sied parfois de laisser de côté son goût de la discussion. Ainsi ici, pour laisser la seule place à l'envie de saluer cette musique qui émane de vos textes, un poème mien :


épousailles temporelles
de grain de sable et goutte d'eau,
tenons-mortaises du souffle
d'où le limon prend chair

clefs de charpente pour les portées,
du poids des larmes et de nos os
résonnent les grelots d'airain
sur les trébuchets des jours

ainsi l'ambitus du chant
sinue-t-il dans l'espace et le vent,
d'incrustations émaillées
en mouvances de l'âme

petites musiques du Temps qui court

Écrit par : sandgirl | 13/08/2009

Vos lectures sont terribles et votre sensibilité, tellement retenue, transperce vos lignes. Merci pour cette violente émotion.

Écrit par : Sophia | 10/07/2010

Explorant votre blog pour la première fois sérieusement, je découvre votre sensibilité ainsi que votre plume personnelle qui est de grande qualité. Votre personnalité est séduisante. Vous êtes de ces rares êtres insaisissables et inclassable. J'ai pu voir que vous passiez de la musique noire américaine à Léon Bloy (une référence pour moi) en n'évitant pas Sollers ou Onfray ce qui a de quoi irriter.

Quelle est votre profession ?

Écrit par : Mathieu | 26/05/2011

Cher Mathieu, je suis (pour bouffer) magasinier pour une Enseigne de Distribution de biens de consommation culturels, mais en réalité (et ne le dites à personne) je suis un nomade des vastes territoires intérieurs, et je prend ma pitance là où il me sied de la prendre, quitte à ce que ce soit chez Sollers et Onfray, envers lesquels je sais être très critique, cela étant dit. Et si j'aime Bloy, je jubile devant Jimi Hendrix ou Prince ce qui rend mon cas désespéré... mais jouissif.

Merci pour votre attentive lecture et vos propos sympathiques.

Écrit par : Nebo | 26/05/2011

Merci pour votre réponse. Je suppose qu'au sein de votre boulot vous devez faire "tache" aussi ?

Mais que vient faire le sang d'ours dans votre nuit ? :)

Écrit par : Mathieu | 26/05/2011

Sur mon lieu de travail je suis, en effet, une sorte d'Alien.

Le Sang d'Ours (Medveda Krv) est une marque de vin serbe de qualité vraiment médiocre que je pense je devais boire la nuit où j'ai rédigé cette note... ;-) ... si ma mémoire n'a pas été entamée par la boisson en question.

http://file1.npage.de/005182/97/bilder/medveda-krv.jpg

Écrit par : Nebo | 26/05/2011

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