22/07/2010
Pour faire des Français, il faut de l’héritage et du désir
=--=Publié dans la Catégorie "PARENTHÈSE"=--=
Un entretien de Renaud Camus avec Elisabeth Lévy et Cyril Bennasar du site CAUSEUR. Normalement l'entretien n'est accessible qu'aux abonnés... mais je l'ai chopé grâce à l'excellent Didier Goux, dans un premier temps, puis je me suis aperçu qu'il était disponible intégralement sur le Forum du Parti Politique créé par Renaud Camus, le Parti de l'in-nocence. Je suggère aux lecteurs éventuels de Gôche de lire l'entrevue jusqu'au bout avant de prendre des airs de vierge effarouchée et de crier, comme c'est à leur habitude, au Fâââââscîîîîîîsmeuh !
Un instant d'intelligence qui donne une bouffée d'air pur. Je vous le donne en lecture ici.
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« Pour faire des Français, il faut de l’héritage et du désir »
Entretien avec Renaud Camus
Publié le 20 juillet 2010 à 13h00
-- Pour que cela ait un sens d’être français, il faut qu’il y ait des étrangers. Mais vous savez que ce ne sont pas des catégories figées : l’Histoire montre qu’on peut devenir français alors qu’il est sans doute presque impossible de devenir japonais. Donc, notre première question est simple : qu’est-ce qu’être français ? Cela a-t-il à voir avec l’ethnie (ou la race), la culture, le mode de vie, les droits, les devoirs ? Autrement dit, peut-on « fabriquer des Français » avec n’importe qui ou y a-t-il, selon vous, des populations inassimilables ?
-- Toutes les populations sont inassimilables. Il en va de l’acculturation et de l’assimilation comme de l’éducation : elles ne peuvent pas faire l’économie de l’individu. Ce sont des hommes et des femmes et des enfants qui peuvent être assimilés au sein d’un peuple, pas des peuples, surtout quand ces peuples ont une forte réalité, une culture, une civilisation, une langue, une religion, une puissance en dehors de la nation censée les assimiler. Pourquoi se renonceraient-ils eux-mêmes ? Deux éléments créent des Français et peuvent en créer encore : l’héritage (la naissance, l’ethnie, la race, les ancêtres, l’appartenance héréditaire) et le désir (la volonté, l’élection particulière, l’amour d’une culture, d’une civilisation, d’une langue, d’une littérature, des mœurs, des paysages). On peut certes être français par la culture, par Montaigne, par Proust, par Manet, par la montagne Sainte-Victoire, par le pain, par le vin, par la langue : encore faut-il les connaître et les aimer, et d’abord les désirer.
-- Concernant l’immigration arabo-musulmane, vous parlez de « contre-colonisation », ce qui revient à affecter un coefficient forcément négatif à des mouvements migratoires qui sont aujourd’hui une réalité planétaire (et on peut aisément expliquer que les candidats à l’émigration se tournent naturellement vers l’ancien colonisateur dont ils connaissent la langue et les coutumes). Comment justifiez-vous ce terme provocateur ?
-- Rien n’est plus éloigné de mon esprit que la provocation. Face à la réalité historique à laquelle nous sommes confrontés, il s’agit bien de cela ! Mais si vous voulez, je veux bien dire « colonisation » tout court. Après tout, la Suisse, l’Autriche, la Suède n’ont jamais colonisé personne (enfin, pour le dire vite…), et ils ne sont guère moins colonisés à présent que la France. Le terme de « colonisation » est beaucoup plus adéquat à la situation actuelle qu’il ne l’est à l’ère dite « coloniale », pour laquelle il constitue une sorte d’abus de langage. Sauf en Algérie et bien avant cela au Canada, la France ne « colonisait » pas, au sens propre, et je ne le dis pas pour diminuer ses torts : elle conquérait, elle fondait un empire, elle ne transférait pas sa population. L’ère dite « coloniale », et que mieux vaudrait appeler « impériale » fut une brève parenthèse vite refermée. Tandis que la colonisation actuelle, dans l’autre sens, mérite bien mieux son nom, étymologiquement. Elle est d’ailleurs de conséquence mille fois plus grave, puisqu’elle implique ce que le parti de l’In-nocence appelle le « Grand Remplacement », d’une population par une ou plusieurs autres. C’est de très loin le phénomène le plus important de l’histoire contemporaine, et peut-être de toute l’histoire du territoire appelé France. Il ne s’agit pas, cette fois, pour le peuple colonisé, de perdre son indépendance un moment : il s’agit de disparaître, de s’effacer, de se dissoudre et même, par le biais des champions de l’antiracistisme, d’être persuadé qu’il n’a jamais existé, qu’il a rêvé son histoire et son existence même.
-- Vous observez qu’une partie des immigrés et des Français d’origine immigrée se définit aujourd’hui par une forme d’hostilité à la France. Mais ne sommes-nous pas collectivement responsables de cette situation ? Si nos Français « issus de » ne se reconnaissent pas comme Français, n’est-ce pas dû au fait que la culture française n’est plus, comme elle l’a été dans le passé, un cadeau et un privilège qui justifiait que les arrivants abandonnent volontiers leur propre culture ?
-- C’est la culture et l’éducation en général qui ne sont plus un privilège et un cadeau. À ce propos, on a sans doute insuffisamment réfléchi à ce qu’impliquait ce terme d’« obligatoire » un beau jour accolé à l’instruction publique. L’éducation et la culture ne sont plus perçues comme des objets de désir, comme désirables en soi, mais comme des obligations, autant dire comme des corvées. C’est la raison pour laquelle le parti de l’In-nocence, dans son programme pour l’éducation, propose, ne serait-ce qu’à titre provisoire, et face à l’impasse actuelle, une sécession en faveur d’une éducation fondée sur un triple volontariat, des professeurs, des parents et des élèves eux-mêmes : faire en sorte que ceux qui désirent une véritable éducation ne soient plus empêchés de la recevoir, et de la prodiguer, par ceux qui ne la désirent pas, qui veulent même s’en prémunir par tous les moyens.
Cela dit, vous avez parfaitement raison. La contre-colonisation n’aurait pas été possible sans l’effondrement culturel dû, pour la plus grande part, au désastre du système éducatif. Un peuple qui connaît son histoire et qui sait ses classiques ne se laisse pas mener béatement dans les poubelles de l’Histoire en se trémoussant mollement dans la sonorisation de tout, obligatoire elle aussi. L’enseignement de l’oubli, l’inoculation scolaire de l’inculture, la bêtification de masse étaient les conditions indispensables du Grand Remplacement.
-- Vous savez bien que de nombreux Français de souche récente n’aspirent qu’à se fondre dans le paysage, mais que, malgré leurs efforts, ils se heurtent à une forme de refus : ils font des études (au prix d’efforts considérables), respectent la loi et, à l’arrivée, se font retoquer à leurs entretiens d’embauche, contrôler au faciès dans le métro et on en passe… Comprenez-vous leur amertume, voire leur ressentiment ? Ne faisons-nous pas payer à la majorité les méfaits d’une minorité qui habille d’un vague vernis islamiste la culture des gangs américains ?
-- L’amertume et le ressentiment sont les leviers de la conquête. Je ne doute pas qu’ils n’aient quelques fondements véritables, mais enfin ceux-là ne sont rien auprès de la masse de nocence, de nuisance, d’agressivité, d’« incivilité », comme on dit joliment, dont certains Français de souche récente, pour reprendre votre expression, semblent tenir à s’assurer le quasi-monopole, pour ne rien dire des non-Français de vieille souche. Si amertume et ressentiment il devait y avoir, il me semble qu’ils ne devraient pas être en priorité de ce côté-là. Voilà un peuple qui se fait tout petit et se serre pour accueillir toujours plus d’étrangers, lesquels se précipitent chez lui tout à fait volontairement, pour la plupart, et c’est lui qui se fait traiter de raciste, et autres insultes et agressions quotidiennes, motivées par l’« amertume » et le « ressentiment ». Il aurait bien de quoi être amer. Le plus triste est qu’il ne le soit guère, trop hébété pour l’être par la grande déculturation et par le philtre d’oubli antiracististe, à l’absorption duquel se réduit désormais la transmission scolaire.
Cela dit, qu’il y ait des bonnes volontés déçues, parmi les Français de souche récente, ce n’est que trop vrai, hélas. Ce serait précisément la tâche d’un antiracisme véritable, et qui ne serait pas un procédé d’aveuglement systématique face à ce qui arrive, d’apprécier les êtres en tant qu’êtres et les groupes en tant que groupes, sans interférences.
-- Vous observez, pour la déplorer, une « malédiction » française : dans le champ politique, les seuls défenseurs de la culture française ont un discours ambigu ou franchement déplaisant sur la Seconde Guerre mondiale ou sur les races. Mais compte tenu de notre expérience historique qui a vu l’amour de la nation virer au nationalisme, peut-il en aller autrement ? Si nous sommes condamnés à choisir entre « francophobes » et « racistes », ne vaut-il pas mieux en finir avec ces identités mortifères ?
-- Cette malédiction n’est pas seulement française : on peut l’observer dans plusieurs autres pays d’Europe. On dirait parfois − c’est triste à dire − que seuls ceux auxquels leur marginalité idéologique et morale a permis d’échapper au philtre d’hébétude de l’antiracisme dogmatique se rendent compte de ce qui arrive. Mais après tout, il s’est passé la même chose pour la liberté sexuelle : n’en ont bénéficié d’abord que les prostituées, les scandaleux, les gens « perdus de mœurs », comme on disait, ceux qui n’avaient rien à perdre, pour qui la morale ne comptait pas. Que cette liberté sexuelle fût au contraire une exigence morale, comme la vérité, n’est apparu que plus tard. C’est ce qui me frappe le plus dans ce rapt de la morale auquel se livrent les antirascististes, qui la voudraient toute à eux. On dirait que l’exigence de vérité ne fait pas partie de leur morale. Ils décrivent un monde et un homme faux, imaginaires, mensongers, que la réalité dément jour après jour. Et pourtant ils sont sûrs que la morale est à eux et qu’en face d’eux, il n’y a que des criminels, comme ils disent. Or une morale qui fait fi de la vérité, qui met sur les yeux un bandeau pour ne pas voir ce qui survient et contredit ses préceptes, cette morale-là n’est pas une morale, c’est une niaise idéologie, dont les conséquences peuvent être désastreuses (et elles le sont).
-- Dans cette perspective, l’affaire de « l’apéro saucisson-pinard » a clairement soulevé la question des alliances : des « hyper-laïques » de gauche ont choisi de mener le combat avec des « identitaires ». Peut-on défendre la France avec n’importe qui ? Vous sentez-vous proches des « identitaires » qui se voient comme une communauté de « descendants de Gaulois », ce qui, au passage, exclut les « Français-Crémieux » que nous sommes de la nation ?
-- L’apéro saucisson-pinard n’est pas exactement ma tasse de thé, vous vous en doutez. Il était organisé par Riposte laïque, auquel je ne vois pas grand-chose à reprocher. De Gaulle lui-même ne s’est pas montré trop choosy quand il s’est agi de défendre la France. Cela dit, et si c’est ce que vous voulez me faire dire, je n’ai aucune espèce de sympathie pour les néo-nazis, les skinheads, les antisémites et les nostalgiques de la Collaboration. J’ai toujours été dans l’autre camp. En revanche, je ne vois pas pourquoi les Français d’origine française et tous ceux qui se fantasment comme descendants de Gaulois seraient les seuls, parmi nous, à n’avoir pas le droit de se penser comme un peuple, comme une culture, comme une tradition, une hérédité, une histoire. Dans l’appartenance nationale, il faut faire toute sa place au désir, au désir d’appartenance ; mais il n’est pas question d’exclure pour autant l’héritage, la naissance, l’ascendance ; sans quoi l’on tombe dans le pur hermogénisme, selon le terme que j’ai proposé dans Du sens, par opposition au cratylisme et en référence au Cratyle : dans la convention pure, dans l’illusion administrative, dans le règne du coup de tampon, dans l’in-culture parce que la culture c’est toujours, aussi, la culture des ancêtres et la présence des morts. Aucun peuple ne peut subsister sans référence à l’ascendance, et les contre-colonisateurs le savent bien, qui ne songent pas un instant à abdiquer la leur, mais voudraient que nous abdiquions la nôtre, en quoi ils sont d’ailleurs largement entendus. Il ne faut exclure aucun des deux termes : ni l’appartenance par l’hérédité, ni l’appartenance par le désir (et dans le cas des « Français-Crémieux », pour reprendre votre expression, par contribution majeure à la culture nationale).
-- Pensez-vous que l’islam pose un problème spécifique et presque insoluble par nature, autrement dit que l’idée d’un islam de France est une vertueuse illusion ? Dans le fond, ne seriez-vous pas simplement islamophobe, comme on dit aujourd’hui ?
-- D’abord, je déteste ce procédé des phobie-ceci phobie-cela, qui est une façon de réduire des opinions souvent parfaitement légitimes à un dérangement de l’esprit. L’islam est une religion, je ne suis pas fou des religions en général, du moins quand elles sont un pouvoir politique direct. L’islam est aussi une civilisation qui a produit, en architecture, en poésie, dans les arts décoratifs, en musique, certains des plus beaux accomplissements de l’humanité. Maintenant, il y a quelque chose de très troublant dans le fait, constamment relevé, que, dans l’espace islamique, il n’y a pour ainsi dire que des dictatures ou des régimes autoritaires, comme si cette civilisation était incompatible avec l’état politique de la liberté ordonnée, avec l’État de droit, avec le moins pour le plus qu’impliquent, pour chacun, le contrat social et ce que le parti de l’In-nocence appelle le « pacte d’in-nocence ». On dirait que ceux qui relèvent de cette civilisation − pris en masse, bien entendu, je ne parle pas d’individus − sont ingouvernables, sinon par la tyrannie. On dirait que le pacte d’in-nocence, qui pourtant peut seul fonder la liberté, le bien-être et la prospérité, leur est inaccessible parce qu’indésirable ; que seule a d’attrait la nocence, au contraire, revêtue des oripeaux du ressentiment, qui crée les moyens de sa perpétuation indéfinie. Je dirais, comme Lévi-Strauss, que ce type de société n’a pas de séduction à mes yeux. Qu’il s’exerce dans ses zones géographiques traditionnelles, très bien, mais je n’éprouve pas de plaisir à le voir se substituer, dans nos contrées, au type de société et d’état politique traditionnel, car je ne crois pas qu’il lui soit supérieur. Or il s’y substituera nécessairement puisque les immigrés, très étrangement, paraissent n’avoir de cesse qu’ils aient reconstitué dans leurs pays d’immigration le type de société qui leur a fait fuir leur pays d’origine. Bien entendu, ils ne s’en rendent pas compte : ils croient qu’ils peuvent avoir le meilleur de ceci et le meilleur de cela, sans les inconvénients, les charges, les devoirs, les contraintes qu’impliquent les avantages qui les ont attirés. Mais ce n’est évidemment pas possible.
-- Quel argument pouvez-vous opposer à ceux qui disent : « Nous sommes la deuxième religion, ou la deuxième communauté de France et cela nous donne des droits. » Après tout, la démocratie, c’est la démographie − « Combien de divisions ? » Au nom de quoi refuserions-nous à une partie des Français le droit de faire évoluer nos mœurs ? Et pourquoi le changement ne serait-il pas un enrichissement ?
-- Parce que les peuples ne veulent pas mourir, en général, malgré les pulsions suicidaires qui semblent animer ceux de l’Europe. Quant à la démocratie, elle ne peut pas désirer, elle aussi, sa propre mort. On nous dit qu’elle n’est pas possible en Algérie ou en Tunisie parce qu’elle amènerait immédiatement une terreur et une tyrannie pires que celles qui sévissent déjà. Il est certain que la pensée politique va bien devoir s’interroger rapidement sur les limites qu’il convient de lui impartir, ne serait-ce que pour la confiner au domaine politique. Comme Hélène de Troie, la plus belle femme du monde qui, selon le poète, a détruit les villes, détruit les armées, détruit les vaisseaux, la démocratie sortie de son lit, transposée dans des domaines où elle n’avait que faire, a déjà détruit les structures familiales, détruit la culture, détruit les systèmes d’éducation, aboli la transmission, effacé les manières de table, la courtoisie et la douceur de vivre, ruiné la civilisation. Dès lors qu’on lui laisse absolument libre cours, qu’on l’affranchit de l’histoire, de la géographie, de la culture, de la nature, du bon sens, de la common decency, on ne voit pas pourquoi elle ne détruirait pas les nations, ni ne subjuguerait les peuples. Les Chinois sont déjà majoritaires au Tibet.
-- Quoi qu’il en soit, en supposant que votre pessimisme soit justifié, dès lors que le problème n’est pas l’immigration étrangère, mais l’intégration des Français d’origine étrangère, que faire ?
-- Réagir, résister, refuser. Ceux de ces Français d’origine étrangère qui disent « les Français » pour parler des habitants traditionnels du pays qu’ils conquièrent par leur nombre, par leur masse, comprendraient très bien qu’on leur résistât quand ils veulent imposer ici leur société d’origine. C’est le contraire qui les stupéfie et d’ailleurs les emplit de mépris : qu’on leur abandonne sans une larme et sans une protestation ce beau royaume. Ils sont comme ces adolescents que désespère et désempare et rend toujours plus exigeants, plus emplis de ressentiment, l’absence de toute règle qu’on leur oppose. On pourrait au moins commencer par les prendre au mot quand ils renient la nationalité française et font allégeance à d’autres drapeaux, ce dont je crois comprendre que ce n’est pas rare.
-- Dans notre héritage, il y a l’universalisme des Lumières. Votre idée de ce qu’est un peuple ne lui tourne-t-elle pas le dos ?
-- Dans notre héritage, il y a bien autre chose que les Lumières, même si elles en font incontestablement partie ; bien autre chose que leur universalisme, qui dans l’ensemble du legs ne me paraît pas le plus précieux, c’est vrai. Quoiqu’il en soit nous avons le droit de faire des choix, et la France ne commence pas aux Lumières. Un peuple n’est pas une idée, même s’il peut avoir des idéaux. Un peuple qui ne serait qu’une idée serait perdu — c’est peut-être ce qui nous perd.
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