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19/01/2014

Denis Tillinac : Eloge du Réac

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

Eloge du Réac


L 'autre jour, je croisais Régis Debray, qui est mon voisin de palier, devant les boîtes aux lettres de notre immeuble. Il prenait son courrier. Comme d'habitude, j'ai glissé les prospectus qui engorgeaient ma boîte aux lettres dans celles d'à-côté et j'ai laissé les lettres.

« Tu ne les prends pas? », m'a demandé Régis. « Non, lui ai-je répondu benoîtement, ce sont des factures, donc des emmerdements, ma femme s'en occupera ». Après avoir éclaté de rire, il a hoché la tête. De la morosité attristait son regard. « Tu as de la chance. Un réac peut dire ça, et le faire. Nous, on n'a même pas le droit de le penser ». Par « nous », il entendait les modernes, les branchés ; bref, les gens convenables. Moi, je suis catalogué réac depuis belle lurette. Donc, pas convenable. Qu'est-ce qu'un réac au juste ? Le contraire d'un branché et d'un moderne. L'hérétique de la théologie préchée implicitement par les bulletins paroissiaux que sont devenus la plupart des quotidiens et des hebdos français. Un réac est un dissident de l'ordre moral qui bouquine sans culpabilité au coin du feu tandis que son épouse apprête un fricot dans la cuisine. Après quoi, il déserte le logis conjugal pour aller voir un match avec des copains sans se soucier de la vaisselle. Si l'anatomie d'une minette lui paraît avenante, un réac en dresse le constat à haute voix. C'est du machisme et c'est mal vu, mais ça n'a pas d'importance, un réac est méjugé par définition, et s'en fiche. On le confond à tort avec un boeuf ou un droitier, parce qu'il ose dire comme Chevènement que l'ordre républicain est bafoué dans certaines banlieues et qu'il serait urgent d'y remédier. Ou bien il affirme, comme Régis Debray justement, que trente années de pédagogie soixante-huitarde ont fabriqué en série des semi- analphabètes privés de repères et de morale. Le même Régis Debray a aussi peu de goût que moi pour la plupart des « créations » contemporaines, mais il n'a pas le droit d'avouer le classicisme de ses goûts: un flic intérieur, commis par la langue de bois officielle, le surveille de près. Le seul fait d'avoir émis des réserves sur les offensives américaines contre l'Irak et la Serbie lui a valu la réprobation unanime du haut clergé de la pensée unique. En qualité de réac, je puis affirmer que les Américains, en ces deux occurrences, se sont fourvoyés, et nos autorités avec. Pire: je prétends qu'au Kosovo, sous le faux règne de la KFOR, ce sont surtout les Serbes qu'il faut plaindre. En écrivant cela, je crois voir les modernes bigots pincer le bec: le bon parti des bien- pensants, c'est l'UCK.

En vacances, un réac a le droit de glander, de draguer, de jouer au foot où de se faire des apéros à perte de temps. Un branché se croit tenu de donner dans le « culturel », il se tape une kyrielle de festivals, concerts, visites guidées, etc. Un réac intello est dispensé de colloques, de pétitions et de manifs. Le reste à l'avenant. Un réac jouit de tant de privilèges que j'ai de la compassion pour les spectateurs innombrables du puritanisme « politiquement correct ». Le plus précieux de ces privilèges, c'est tout simplement la liberté. Y compris celle de vivre ses ambivalences à coeur ouvert. Prolo ou bobo, le branché est corseté dans un uniforme mental; sa pensée, sa sensibilité sont formatées par les normes au demeurant variables de la modernité. Variables mais strictes. La fluidité sied au réac. Par exemple, je suis plutôt conservateur sur le registre de la culture, permissif en matière de moeurs (sauf pour la drogue) mais aussi hostile au capitalisme mondialisé que Bové et Laguiller réunis. Evidemment, toute insoumission a un prix. Un écrivain réac est mal barré s'il rêve d'avoir le Goncourt ou d'entrer à l'Académie. Grâce au ciel, il y a des rêves plus chatoyants dans la besace de mon imagination.

Denis TILLINAC, Ce qui reste des jours

18:45 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (1) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Commentaires

Bel homme.
En long en large et en travers.

Écrit par : fredi maque | 19/01/2014

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