10/05/2011
Les "französichs"
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« Puisqu'il faut que quelqu'un se dévoue... quitte à me faire quelques nouveaux amis... je vais me répéter : il n'y a pas eu dans toute l'Europe occupée, de citoyens plus enclins au "balançage" que les französichs. Délateurs, anonymographes, faisant la queue dès potron-minet aux guichets des Kommandantur, dénonçant les tapeurs de faux tiquets, les fraudeurs d'étoiles jaunes ou tout simplement le voisin de palier qui venait de recevoir du jambon d'Auvergne, ou la petite blonde d'en face qui "ne voulait rien savoir". Il paraît qu'à la fin, les fritz ne décachetaient même plus les enveloppes. Les services étaient saturés.
Tout ça n'est pas bien grave. Des remarques, c'est tout. Je ne règle pas de comptes. J'en veux à personne. Je pardonne tout. Pour que tout soit bien net, j'ajouterais même ceci : je préfère les lâches aux héros. Les premiers sont fragiles, friables, inquiêts, en final assez démunis. Les seconds me font franchement peur. Ils ont presque toujours un pistolet chargé dans la tête, un meurtre qui mijote au bain-marie quelque part dans leur cerveau plein de rêves d'exploits.
Le héros d'alors était ce genre de type qui vous flinguait un soldat allemand dans le métro. Bravo, bravo ! Mais le lendemain une affiche rouge informait la population que cinquante hotages avaient été fusillés contre le mur de la Santé. Vous auriez pu être un de ces otages. Pensez-y avant d'applaudir. On peut échapper aux mouchards, beaucoup plus rarement aux héros. Personnellement, je me souviens d'avoir toujours fait très gaffe aux uns comme aux autres. Pas causant. Au bistrot, par exemple, ou dans la queue devant l'épicier, lorsqu'un de mes bouillants compatriotes exhaltait les succès militaires de la Wermarcht, je ne me serais jamais avisé de le contredire, approuvant au contraire quitte à « en remettre ». Les lieux publics étaient pleins, comme ça, de provocateurs qui passaient par là, vous glissaient un petit mot, guettaient la réponse et vous envoyaient au poteau. Beaucoup sont morts, des gens bien innocents d'avoir répondu étourdiment à leur concierge. La Résistance aurait-elle fait plus de mal que de bien ? Question à ne pas poser même trente-cinq ans après. Mais j'ai toujours eu un sens inné de ce qu'il ne faut pas écrire. Ca dérange les "paranoïaques".
Des années plus tard, on peut toujours raconter qu'on a abrité des parachutistes anglais, zigouillé des feldwebel, niqué des "souris grises", rendu Himler maboul à force de malice. Mais lorsqu'on est dans la mouise, il y va un peu différemment. Et nous y étions ! Pour subsister, nous autres (je parle des enfants du quartier) n'ayant pas le privilège d'opérer dans le marché noir, d'exporter des métaux non ferreux, ni de construire le mur de l'Atlantique, ni de diner chez les Abetz, on volait des vélos. Combien ? J'ai oublié. Des cycles pas toujours pimpants qu'on échangeait chez les commerçants "honnêtes" contre de la margarine, quelques litres de pinard trafiqué, ou mieux encore, de ces boissons bizarres, qui s'appelaient des trucs comme "Kina roc", des elixirs qui vous dégringolaient tout droit dans les godasses, parfois aussi contre des Gauloises piquées par des types qui travaillaient à la Régie. Tout le monde volait un petit peu. Fallait bien. »
Michel Audiard, Paris-Match n° 1525, 18 août 1975
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