19/07/2012
Percevoir...
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« Les bibliothèques sont diverses de par le monde. D’un pays à l’autre, d’une ville à l’autre, ou même dans une même ville, elles ne se ressemblent pas. J’aime, en voyage, aller visiter des bibliothèques, regarder les livres, les gens qui les lisent. J’essaie de comprendre le système pour obtenir des livres et quand je commence de percevoir que c’est dans les choses possibles, je m’en vais. Et, bien qu’il s’agisse d’une fausse journée de travail, il m’est quand même accordé ce plaisir : retrouver le monde au sortir de la bibliothèque, les rues, les voix, le mouvement, le soleil vif, la neige humide, le vent qui soulève les jupes et fait tournoyer les feuilles mortes.
Peut-être même certaines bibliothèques sont-elles construites pour l’instant de l’émergence hors des salles de lecture, pour le plaisir d’en sortir. Si tel est le cas, la Bibliothèque nationale de France est parfaite. C’est toujours une émotion, à la tombée du jour, de se laisser porter par l’escalier roulant qui, entre de hautes murailles métalliques, nous extirpe du sous-soul dit rez-de-jardin pour nous permettre de rejoindre le tapis roulant, lequel nous rend à la voûte céleste, à la scénographie des nuages.
Voilà, j’y suis ! Tout en haut ! Je marche sur une immense esplanade, je cours sur le sommet d’une pyramide (pas trop vite, car le sol en bois est glissant). J’ai le dos fatigué, les yeux clignotants, mais au cœur une fierté, le sentiment d’une élévation. Comme si cette journée m’avait fait progresser d’un cran. Mais dans quoi ? Dans rien de linéaire, ni même de cernable. Alors comment graduer ce soi-disant progrès ? Il faut la naïveté d’un personnage de l’autodidacte dans La Nausée pour pouvoir y croire, puisqu’il s’est fixé un programme de lecture qui, s’alignant sur l’ordre alphabétique, a le mérite de lui indiquer clairement où il en est. L’autodidacte est ridicule, pathétique, désespérant, mais quelque chose de son épuisante manie se retrouve en tout habitué de bibliothèque. Ainsi, tout en parcourant les hauteurs de l’esplanade, je tente de me formuler ce que j’ai appris de plus. Ma tête se brouille, reste cette bouffée de fierté. Je baisse les yeux vers la Seine et le trafic des péniches au-dessous de moi. Je m’assois un moment en haut des marches.
Enfin, comme je ne peux pas demeurer indéfiniment dans ce ravissement d’altitude, je me décide à descendre. Je rejoins le niveau de ceux qui n’ont pas eu ce luxe : une journée entière dans les livres. Et mêle, entraînée par un courant massif et aveugle, j’entre dans une station de métro, je descends plus bas que terre. Toute fierté m’a quittée. J’ai seulement la tête un peu chaude, une vague impression d’amnésie. »
Chantal Thomas, Souffrir
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