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04/12/2012

Le laboureur revient toujours

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« Kirchhorst, 2 mai 1945.(...)

Le labeur, le souci de petites choses ne crée pas seulement un contrepoids à l’illusoire, mais aide aussi à préserver la dignité, ou à la rétablir lorsqu’on lui a fait atteinte. Plus la panique croît, et plus on se réjouit d’apercevoir l’homme qui ne fait pas de l’épouvante plus de cas qu’elle ne mérite, et lui refuse ses courbettes – à une époque d’athéisme, cela ne devient pas plus facile, mais plus dur.

Dans mon enfance, j’avais à peine appris à lire, une histoire de la guerre des Boxers me fit grande impression. Si je m’en souviens bien, c’était un officier de l’Etat-major de Waldersee qui racontait une exécution d’otage chinois en train de lire un livre. Ce spectacle l’émut, et il demanda au responsable de l’exécution la vie sauve pour cet homme ; il l’obtint. Il fit part au lecteur de cette mesure de grâce. Le Chinois le remercia courtoisement, mit son livre dans sa poche et quitta le lieu des supplices, qui poursuivirent leur cours. Je me demandai, plus tard : que pouvait-il bien lire ? Il faudrait connaître ce texte. Aujourd’hui, je pourrais concevoir qu’il ait lu un chapitre du Kin-Ping-Meh, ou un manuel de culture des lis. Celui qui sait se reconnaît non à la matière, mais au fait de son savoir. C’est là ce qu’il faut mettre à l’épreuve : il existe des prières creuses, comme il existe un sourire qui convainc.

Les paysans ont repris le chemin de leurs champs, bien qu’ils aient des bandes de fêtards installées chez eux. La récolte est incertaine. Mais le paysan qui laboure en suivant ses chevaux, tandis que les armées passent sur les routes, offre une image imposante de cette continuité, de cette permanence de l’effort humain, si souvent déçue, et qui pourtant est plus importante, plus riche de consolations, plus profondément enracinée que son progrès, qui, bien plutôt, s’en éloigne. Le laboureur revient toujours ; je l’ai vu à l’œuvre durant notre offensive en France, et l’on dit qu’il traçait ses sillons à Waterloo, entre les armées qui se déployaient l’une contre l’autre. »

Ernst Jünger, Tome IV du Journal de Ernst Jünger : "La Cabane dans la vigne", consacré à la période 1945-1948, qui englobe les années d’occupation américaine en Allemagne

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Commentaires

L'on dit désormais que le labour est néfaste, que le labour abîme le sol.
Continuez, votre blog est très bon et très utile.

Écrit par : DavC | 04/12/2012

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