10/06/2012
Après tant d’imposture et de fraude, il est réconfortant de contempler un mendiant
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« Après tant d’imposture et de fraude, il est réconfortant de contempler un mendiant. Lui, du moins, ne ment ni ne se ment: sa doctrine, s’il en a, il l’incarne; le travail, il ne l’aime pas et il le prouve; comme il ne désire rien posséder, il cultive son dénuement, condition de sa liberté. Sa pensée se résout en son être et son être en sa pensée. Il manque de tout, il est soi, il dure: vivre à même l’éternité c’est vivre au jour le jour. Aussi bien, pour lui, les autres sont-ils enfermés dans l’illusion… Sa paresse, d’une qualité très rare, en fait véritablement un “délivré”, égaré dans un monde de niais et de dupes. »
Emil Michel Cioran, La Tentation d'Exister
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09/06/2012
La "dépression" est partout
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« On peut raisonnablement estimer que, depuis la nuit des temps, tous les représentants de notre espèce connaissent épisodiquement des moments de déprime ; le mal-être, le flou identitaire et la douleur d’exister font jusqu’à un certain point partie intégrante de notre condition. On peut imaginer aussi que certaines personnes sont plus vulnérables que d’autres à ce que nous appelons aujourd’hui la "dépression", que ce soit pour des raisons purement psychologiques, liées à l’éducation, ou pour des raisons physiologiques, liées au circuit neurologique et hormonal du corps.
Mais il y a néanmoins tout lieu de penser que notre époque est la proie d’un sentiment exacerbé de malaise intérieur. Depuis le tournant des années 1830 et l’entrée brutale dans la révolution industrielle, l’Occident semble ainsi submergé par une vague plus ou moins généralisée de "spleen", que les auteurs romantiques qualifiaient avec optimisme de "mal du siècle", sans savoir que nous l’éprouverions encore près de deux cents ans après eux… Notre art s’en est largement fait l’écho, tout au long du XXe siècle, de même que nos publications médicales, nos magazines, nos reportages télévisés et nos conversations. La "dépression" est partout, superficiellement soignée par les traitements pharmacologiques à la mode, comme une rustine apposée sur un navire en voie de perdition. »
Thibault Isabel, A bout de souffle
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08/06/2012
Gauche et Droite
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« La gauche s’est ralliée au libéralisme économique parce qu’elle était déjà acquise à l’idée de progrès et au libéralisme "sociétal", tandis que la droite s’est ralliée au libéralisme des moeurs parce qu’elle a d’abord adopté le libéralisme économique. Il est en effet tout aussi illusoire de croire qu’on peut être durablement libéral sur le plan politique ou "sociétal" sans finir par le devenir aussi sur le plan économique (comme le croient la majorité des gens de gauche) ou qu’on peut être durablement libéral sur le plan économique sans finir par le devenir sur le plan politique ou "sociétal" (comme le croient la majorité des gens de droite). En d’autres termes, il y a une unité profonde du libéralisme. Le libéralisme forme un tout.
A la sottise des gens de gauche qui croient possible de combattre le capitalisme au nom du "progrès", répond l’imbécillité des gens de droite qui pensent possible de défendre à la fois des "valeurs traditionnelles" et une économie de marché qui ne cesse de les détruire. »
Alain de Benoist, "Le socialisme contre la gauche", in revue "Eléments"
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Quelques caresses qui rayonnèrent comme des prodiges
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« Je me sentis écrasé par mon immonde destinée. Je fis un signe à la première venue : une petite blonde maigrelette, à peine aperçue. Elle avait des cheveux de mousse qui sentaient le champagne bon marché, des jarrets fragiles.
Elle m’accorda quelques caresses sommaires qui rayonnèrent comme des prodiges. Puis ce fut la même brisure que la première fois, mais je la dissimulais avec un soin rageur. Comme c’est long de se rhabiller. »
Pierre Drieu la Rochelle, L’Homme couvert de femmes
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07/06/2012
L’art n’est pas une petite pose devant le miroir
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« Marie Laurencin (je n’ai pas vu son envoi). En voilà une qui aurait besoin qu’on lui relève les jupes et qu’on lui mette une grosse... quelque part pour lui apprendre que l’art n’est pas une petite pose devant le miroir. Oh ! chochotte ! (ta gueule !) La peinture c’est marcher, courir, boire, manger, dormir et faire ses besoins. Vous aurez beau dire que je suis un dégueulasse, c’est tout ça.
C’est outrager l’Art que de dire que pour être un artiste il faut commencer par boire et manger. Je ne suis pas une réaliste et l’art est heureusement en dehors de toutes ces contingences (et ta sœur ?)
L’Art, avec un grand A, est au contraire, chère Mademoiselle, littérairement parlant, une fleur (ô, ma gosse !) qui ne s’épanouit qu’au milieu des contingences, et il n’est point douteux qu’un étron soit aussi nécessaire à la formation d’un chef d’œuvre que le loquet de votre porte, ou, pour frapper votre imagination d’une manière saisissante, ne soit pas aussi nécessaire, dis-je, que la rosé délicieusement alangourée qui expire adorablement en parfum ses pétales languissamment rosées sur le paros virginalement apâli de votre délicatement tendre et artiste cheminé (poil aux nénés !)
(...)
Ne pouvant pas me défendre dans la presse contre les critiques qui ont hypocritement insinué que je m’apparentais soit à Apollinaire ou à Marinetti, je viens les avertir que, s’ils recommencent, je leur torderai les parties sexuelles.
L’un d’eux disait à ma femme : « Que voulez-vous, Monsieur Cravan ne vient pas assez parmi nous. ». Qu’on le sache une fois pour toutes : Je ne veux pas me civiliser.
D’autre part, je tiens à informer mes lecteurs que je recevrai avec plaisir tout ce qu’ils trouveront bon de m’envoyer : pots de confiture, mandats, liqueurs, timbres-postes de tous les pays, etc., etc. En tout cas chaque cadeau me fera rire. »
Arthur Cravan, "L’exposition des indépendants" - Revue Maintenant n°4(mars-avril 1914)
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06/06/2012
Du point de vue amoureux Véronique appartenait, comme nous tous, à une génération sacrifiée
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« Du point de vue amoureux Véronique appartenait, comme nous tous, à une génération sacrifiée. Elle avait certainement été capable d’amour ; elle aurait souhaité en être encore capable, je lui rends ce témoignage ; mais cela n’était plus possible. Phénomène rare, artificiel et tardif, l’amour ne peut s’épanouir que dans des conditions mentales spéciales, rarement réunies, en tous points opposées à la liberté des mœurs qui caractérise l’époque moderne. Véronique avait connu trop de discothèques et d’amants. Un tel mode de vie appauvrit l’être humain, lui infligeant des dommages parfois graves et toujours irréversibles. L’amour comme innocence et comme capacité d’illusion, comme aptitude à résumer l’ensemble de l’autre sexe à un seul être aimé, résiste rarement à une année de vagabondage sexuel, jamais à deux. En réalité, les expériences sexuelles successives accumulées au cours de l’adolescence minent et détruisent rapidement toute possibilité de projection d’ordre sentimental et romanesque ; progressivement et en fait assez vite, on devient aussi capable d’amour qu’un vieux torchon. Et on mène ensuite, évidemment, une vie de torchon. En vieillissant on devient moins séduisant, et de ce fait amer. On jalouse les jeunes, et de ce fait on les hait. Cette haine condamnée à rester inavouable, s’envenime et devient de plus en plus ardente ; puis elle s’amortit et s’éteint, comme tout s’éteint. Il ne reste plus que l’amertume et le dégoût, la maladie et l’attente de la mort. »
Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte
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C’est le piège qui est tendu aux révoltés et je suis tombé dedans
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« J’ai fait erreur, dit il soudain. Le terrorisme gauchiste et le terrorisme étatique, quoique leurs mobiles soient incomparables, sont les deux mâchoires du… il hésita…du même piège à cons, acheva-t-il et il continua aussitôt. Le régime se défend évidemment contre le terrorisme. Mais le système ne s’en défend pas, il l’encourage, il en fait la publicité (…) C’est le piège qui est tendu aux révoltés et je suis tombé dedans. »
Jean-Patrick Manchette, Nada
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05/06/2012
Tout à l’écurie respirait la joie de vivre
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« Tout à l’écurie respirait la joie de vivre ; les chevaux étaient debout dans la paille dont les brins leur chatouillaient le ventre. On trouvait toujours deux ou trois autres chevaux-légers auprès de Wittgrewe, des anciens de troisième année. J’y appris comment on panse sa monture après une longue chevauchée, comment on lui prépare sa litière, on la bouchonne, on lui tâte les paturons, on place devant elle de l’eau où l’on a versé de la paille hachée pour qu’elle ne boive pas trop goulûment, comment on la soigne et on la cajole, jusqu’à ce qu’elle vous pose la tête sur l’épaule et souffle à travers ses naseaux. J’appris aussi les arcanes du service d’écurie chez les châtelains et les paysans, j’appris à boire de l’eau-de-vie, à fumer des pipes demi longues à fourneau peint, à jouer aux cartes et autres arts sans lesquels nul ne peut faire un bon hussard. »
Ernst Jünger, Abeilles de verre
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04/06/2012
Quand on a la chance d’être une brute, il faut savoir le rester
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« Il n’est personne qui puisse me comprendre car il serait moi – Qu’on le sache une fois pour toutes: Je ne veux pas me civiliser – Errant dans les rues, je rentrai lentement, et je ne quittai point des yeux la lune secourable comme un con - Je voudrai être à Vienne et à Calcutta, prendre tous les trains et tous les navires, forniquer toutes les femmes et bâfrer tous les plats. Mondain, chimiste, putain, ivrogne, musicien, ouvrier, peintre, acrobate, acteur, vieillard, enfant, escroc, voyou, ange et noceur, millionnaire, bourgeois, cactus, girafe ou corbeau, lâche, héros, nègre, singe, Don Juan, souteneur, lord, paysan, chasseur, industriel, faune et flore : Je suis toutes les choses, tous les hommes et tous les animaux !
[…] Quand on a la chance d’être une brute, il faut savoir le rester. »
Arthur Cravan, Maintenant n°4 (1914)
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