13/02/2013
Honoré d'Estienne d'Orves, un héros français
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« Dans l’autocar, le silence règne. Les condamnés, assis sur les cercueils, sont encadrés par des soldats de la Wehrmacht, désignés pour former le peloton d’exécution : dix militaires allemands, originaires de Sarre et de Thuringe, assis, eux sur les banquettes. L’intérieur du car est éclairé, pour prévenir toute tentative d’évasion, jetant sur la scène une lumière lugubre. A l’avant du véhicule, un magistrat en uniforme d’officier allemand, l’Oberleutnant Keyser ; il présidait il y a trois mois le tribunal militaire qui a envoyé ces hommes au peloton. A ces côtés, un prêtre, soutane noire et brassard de la Croix-Rouge : l’abbé Franz Stock.
Quelques heures plus tôt, vers 4h30, l’aumônier est venu dans la cellule des trois hommes pour célébrer la messe. En ce jour décollation de Saint Jean-Baptiste, le précurseur du Christ. Pour la circonstance, l’église catholique revêt des ornements liturgiques rouges, du sang de ses martyrs. D’Estienne d’Orves en a fait la remarque à ses amis : cette coïncidence est pour eux une grâce extraordinaire, un signe de promesses. La messe, servie par Doornik, a été suivie avec ferveur par ses compagnons. Tous trois ont communié. Puis les prisonniers ont retenu l’abbé Stock pour que celui-ci prenne le petit déjeuner avec eux. Ils lui doivent tant de sollicitude, de services, de prières. N’a-t-il pas maintes fois passé outre le règlement, communiquant du courrier hors de la prison, le soustrayant au contrôle des autorités militaires ? Jusqu’à ce petit manuel du soldat chrétien réédité par ses soins, qui les a soutenus en captivité au point que les condamnés ont demandé à pouvoir l’emporter jusqu’au poteau d’exécution.
Le convoi traverse Paris, désert à cette heure matinale. Pas de témoins aux fenêtres, c’est encore le couvre-feu. On croise des monuments, des bâtiments publics, dans la pâleur de l’aurore : Saint-Pierre de Montrouge, Montparnasse, les invalides, le Grand Palais, l’étoile. Honoré d’Estienne d’Orves rompt le silence pour faire à ses deux camarades un exposé sur chacun des édifices aperçus. Mais l’heure n’est plus au tourisme. Ensemble, ils récitent la prière des agonisant: Adjutorium nostrum in nomine Domini, "Notre secours est dans le nom du Seigneur". Puis ils se mettent à chanter. Le trajet dure une heure. Pour ces hommes qui vont mourir, c’est court. Pour les soldats chargés de leur exécution, c’est interminable. Voici Suresnes et sa colline, et la forteresse qui, jusqu’à la guerre, abritait le 8e régiment du génie. L’endroit offre le double avantage d’être près de Paris et à l’écart. Sur le mont Valérien, il faut suivre un sentier raide, entre les arbres, qui conduit à une petite chapelle désaffectée. Jusqu’au milieu du XIX ème siècle, l’endroit était une des résidences de l’évêque de Nancy. Derrière les remparts de la forteresse s’élève l’élégante demeure du prélat, Mgr Forbin-Janson, dont les fenêtres sont surmontées d’un blason représentant ses armoiries: une croix de lorraine. Les condamnés ont-ils perçu ce détail, clin d’œil insolite du hasard à leur cause ? Ils n’en ont pas le temps. Déjà ils sont conduits par un chemin sous les arbres jusqu’à une clairière encaissée, en contrebas. Dans le fond, un talus contre lequel se dressent des poteaux. Non loin, un tunnel de pierre où se range le convoi et où l’on dispose les cercueils. Les trois condamnés descendent de l’autocar.
D’Estienne d’Orves prend la paroles et demande une faveur pour lui et ses camarades : ne pas avoir les yeux bandés, ni les poignets entravés. Requête acceptée. Chacun d’entre eux s’agenouille et reçoit de l’abbé Stock une dernière bénédiction. Leur air apaisé frappe les présents. Ils semblent ne plus appartenir à ce monde.
Honoré d’Estienne d’Orves s’approche du président Keyser et lui déclare : "Monsieur, vous êtes officier allemand. Je suis officier français. Nous avons fait tous les deux notre devoir. Permettez-moi de vous embrasser."
Et, devant les soldats interdits, les deux hommes se donnent l’accolade. Enfin les condamnés font face au peloton, l’ordre claque, puis les coups de feu. L’on entend distinctement "Vive la France" et les trois hommes s’écroulent. Yan Doornik a encore la force de tracer en l’air un signe de croix, en témoignage de pardon. Il est 7 heures, le 29 août 1941. »
Étienne de Montety, Honoré d'Estienne d'Orves, un héros français
22:51 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (4) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Commentaires
Hier, il était impossible de déposer des commentaires. (?)
Écrit par : Paglop77 | 16/02/2013
Ça fonctionne à nouveau. Je dépose mon petit mot:
Le coffret de 2 DVD "Des hommes libres - Une histoire de la France libre par ceux qui l'ont faite" réalisé par Daniel Rondeau et Alain Ferrari contient des séquences drôles, tragiques et émouvantes où les compagnons d’armes de Honoré d'Estienne d'Orves racontent leur départ "en dissidence" comme on appelait le choix de ceux qui refusaient l'armistice et l'aplatissement devant les exigences nazies. Ces jeunes officiers étaient en service à bord des navires de la force X qui mouillaient dans la rade d'Alexandrie. Ils allaient écouter pousser les palmiers lors de perm' à terre. N'y tenant plus, d'Orves, Patou et quelques autres partirent donc en dissidence... officiellement. Curieuse époque.
Dans les récits captés par Roger Stéphane durant les 60's avec le soutien discret de Charles de Gaulle qui visionna des rushes - c'est le matériau sur lequel les deux réalisateurs ont planché -, les évocations de D'Estienne d'Orves sont lumineuses et pleines d'émotion. Pour Patou, Honoré fut parmi les premiers héros de la France libre. Après quelques velléités rimbaldiennes consistant à aller guerroyer dans les Somalis, d'Orves accepta de prendre la tête de la petite troupe qui fit du bateau-stop pour rejoindre Londres où ils avaient appris que de Gaulle "montait sa boutique" comme le dit drôlement Jean Patou.
Écrit par : Paglop77 | 16/02/2013
PS: Ce coffret a été édité par Montparnasse Vidéo en 2004. A partir des centaines d'heures d'entretiens avec des Français libres enregistrées par Roger Stéphane, Daniel Rondeau a monté chronologiquement les témoignages. Certains sont émouvants, d'autres très drôles. Roger Barberot fait son numéro de cabotin avec une verve heureuse qui s'est perdue, noyée dans l'esprit de sérieux postmoderne des donneurs de leçons actuels. La France libre de l'été 40 à l'été 43 (avant le recréation d'une armée française avec les unités d'Afrique du Nord restées fidèles à Pétain et l'Etat de Vichy) fut une école buissonnière de l'audace, du courage et d'un désespoir teinté d'humour, car comme le rappelle un des Compagnons de la Libération répondant à la question de Stéphane sur son état d'esprit à l'été 1940: "Nous étions totalement désespérés."
Écrit par : Paglop77 | 16/02/2013
Vos références, cher Paglop77, sont des pépites, comme d'habitude...
Pour ce qui est des commentaires, hier, je n'ai aucune idéede ce qui se serait passé... je ne le savais même pas...
Écrit par : Nebo | 16/02/2013
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