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05/07/2013

En portant précisément le couteau vivisecteur à la gorge des vertus de l’époque

=--=Publié dans la Catégorie "Friedrich Nietzsche"=--=

 

« Il me parait de plus en plus certain que le philosophe, en sa qualité d’homme nécessaire de demain et d’après-demain, s’est toujours trouvé et a dû se trouver toujours en contradiction avec son époque : son ennemi fut constamment l’idéal d’aujourd’hui. Jusqu’à présent, tous ces promoteurs extraordinaires de l’homme, qu’on nomme philosophes et qui se sont eux-mêmes rarement regardés com me des amis delà sagesse, mais plutôt comme des fous insupportables et des énigmes dangereuses — ont eu pour tâche (tâche difficile, involontaire, inévitable), et reconnu la grandeur de leur tâche en ceci qu’ils devaient être la mauvaise conscience de leur époque. En portant précisément le couteau vivisecteur à la gorge des vertus de l’époque, ils ont révélé ce qui était leur propre secret : connaître pour l’homme une nouvelle grandeur, une voie nouvelle et inexplorée qui le conduirait à son agrandissement. Ils ont trahi chaque fois combien d’hypocrisie, de commodité, de laisser-aller et de laisser-choir, combien de mensonges se cachaient sous le type le plus honoré de la moralité contemporaine, combien de vertus étaient arrivées à se survivre. Chaque fois ils disaient : "Il faut que nous sortions, que nous nous en allions vers des contrées, auxquelles vous vous êtes le moins accoutumés." En présence d’un monde d’ "idées inodornes" qul voudrait confiner chacun dans son coin, dans sa spécialité, un philosophe, si des philosophes pouvaient exister aujourd’hui, serait obligé de plucer la grandeur de l’homme, le concept "grandeur" dans toute son extension et sa diversité, dans toute sa totalité multiple : il établirait même la valeur et le rang d’après la capacité de chacun à prendre sur lui des choses diverses, en se rendant compte jusqu’où il pourrait étendre sa responsabilité. Aujourd’hui le goût de l’époque, la vertu de l’époque affaiblissent et réduisent la volonté ; rien ne répond mieux à l’état d’esprit de l’époque que la faiblesse de volonté : donc, l’idéal du philosophe doit précisément faire rentrer dans le concept "grandeur" la force de volonté, la dureté et l’aptitude aux longues résolutions. De même la doctrine contraire et l’idéal d’une humanité timide, pleine d’abnégation, humble et qui douterait d’elle-même s’adaptait à une époque contraire,comme le seizième siècle par exemple, qui souffrait de son accumulation d’énergie de la volonté et d’un torrent d’égoïsme impétueux. Au temps de Socrate, au milieu de tant d’hommes aux instincts fatigués, parmi des Athéniens conservateurs, qui se laissaient aller — "au bonheur", selon leurs expressions, au plaisir, selon leurs actions, — et qui avaient encore à la bouche les vieilles expressions pompeuses auxquelles leur vie ne leur donnait plus droit, peut-être l’ironie était-elle nécessaire à la grandeur d’âme, cette malicieuse assurance socratique du vieux médecin, du plébéien qui tailla sans pitié dans sa propre chair, comme dans la chair et le coeur du "noble", avec un regard qui disait assez clairement : "Pas de dissimulation avec moi ! ici... nous sommes tous pareils !" Aujourd’hui par contre, alors que la bête de troupeau arrive seule aux honneurs et seule à la dispensation des honneurs en Europe, alors que l’ "égalité des droits" pourrait se traduire plutôt par l’égalité dans l’injustice : je veux dire dans la guerre générale contre tout ce qui est rare, étrange, privilégié, la guerre contre l’homme supérieur, l’âme supérieure, le devoir supérieur, la responsabilité supérieure, la plénitude créatrice et dominatrice — aujourd’hui être noble, vouloir être pour soi, savoir être différent, devoir vivre seul et pour son propre compte sont choses qui rentrent dans le concept "grandeur" et le philosophe révélera en quelque mesure son propre idéal en affirmant : "Celui-là sera le plus grand qui saura être le plus solitaire, le plus caché, le plus écarté, l’homme qui vivra par delà le bien et le mal, le maître de ses vertus, qui sera doué d’une volonté abondante ; voilà ce qui doit être appelé de la grandeur : c’est à la fois la diversité et le tout, l’étendue et la plénitude." Et nous le demandons encore une fois : aujourd’hui — la grandeur est-elle possible ? »

Friedrich Nietzsche, Par-delà bien et mal - § 212

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