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15/02/2014

La passion de l’amitié

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Quand Gilles se retrouva seul ce soir là, il rêva longuement. Il rêva en frissonnant, à propos de Cyrille Galant, à ce qu’était l’amitié : très jeune, il avait cru cette passion plus forte que celle de l’amour. Il s’était écrié parfois : “l’amitié est plus sûre que l’amour.” Pourquoi avait-il prétendu cela ? A cause de ses émotions et de ses actions de la guerre. Il avait satisfait dans les tranchées plusieurs fois, et presque continuellement à de certaines périodes, un besoin poignant qu’il devait bien appeler la passion de l’amitié. Ce n’était point seulement l’instinct de conservation pressé par les circonstances jusqu’à devenir un réflexe de réciprocité, pas seulement l’instinct de la tribu ; non, il avait risqué sa vie avec plus de ferveur pour celui-ci que pour celui-là.
Qu’était-il advenu de ces amitiés ? La mort était passée, mais aussi la paix. Deux ou trois hommes avec qui il avait cru tout mettre en commun, n’avaient plus de lien apparent avec lui qu’une lettre de loin en loin ou une rencontre embarrassée. Le sentiment qui les avait unis se voyait impuissant devant la médiocrité des conditions que la paix telle qu’elle était comprise en France leur faisait, et ce sentiment se repliait, pudique. Ne restait-il donc rien de ces amitiés ? Il leur restait le rayonnement qui était passé dans l’éternel.
Mais, en fait, l’amitié ne durait pas. C’était cela qui décevait Gilles, c’était justement dans l’ordre de la durée qu’il avait cru que l’amitié pouvait surpasser l’amour. Or, il s’apercevait qu’il en était de l’amitié comme de l’amour. C’est une passion qui a la violence et la fragilité des autres passions. Et elle n’en a sans doute pas la puissance de renouvellement car il est plus facile de reflamber, à quarante ou à cinquante ans, dans l’amour que dans l’amitié. Il y a plus d’amertume et de découragement à l’intérieur d’un que d’un sexe de l’autre. L’amitié demande trop d’efforts et de sacrifices qui touchent à la substances même d’un homme qui menacent son originalité et sa nécessaire persévérance en soi-même. Un ami c’est une chance unique de connaître du monde autre chose que soi ; chance sur laquelle un esprit généreux se jette d’abord avec ivresse et que bientôt, en ayant assimilé quelque chose d’indicible, il rejette avec crainte et horreur. Au fond, l’amitié n’est possible que dans la jeunesse, où elle se confond avec la découverte de la vie et de l’amour, ou dans la guerre, ou dans la révolution qui n’est qu’une forme de la guerre, état extrême qui fait de l’homme un être détaché comme le jeune homme. »

Pierre Drieu La Rochelle, Gilles

 

16:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (2) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Commentaires

Et dire que Drieu se prenait pour un .... Cela dit son "Journal" reste peut-être, bien que je n'ai pas tout lu de lui, son plus bel ouvrage. Probablement parce qu'il était plus proche d'un penseur ( dans le sens pascalien du terme ) que d'un romancier.

Écrit par : Ostia | 15/02/2014

Et dire que Drieu se prenait pour un médiocre écrivain.... Cela dit son "Journal" reste peut-être, bien que je n'ai pas tout lu de lui, son plus bel ouvrage. Probablement parce qu'il était plus proche d'un penseur ( dans le sens pascalien du terme ) que d'un romancier.

( désolé pour le doublon, c'est la faute à la pleine lune ! )

Écrit par : Ostia | 15/02/2014

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