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09/05/2014

Nos vies sont immergées dans l’expérience directe des nombres entiers

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« L’enfant sait – nous savons tous – comment certains types d’objets se comportent. Nos vies sont immergées dans l’expérience directe des nombres entiers : combien il y a de pièces de monnaie, de timbres, de cailloux, d’oiseaux, de chats de moutons, d’autobus. Si j’essayais de convaincre un enfant de six ans que je peux mettre trois pierres dans une boîte, en enlever une, et me retrouver avec quatre, il se moquerait tout simplement de moi. Pourquoi ? Ce n’est pas seulement parce qu’il est sûr d’avoir, à de nombreuses reprises, retiré un objet parmi trois pour qu’il en reste deux. Même un enfant comprend que certaines choses qui paraissent fiables finiront par ne plus marcher : un jouet qui fonctionne parfaitement, jour après jour, pendant un mois ou un an, peut toujours se casser. Mais pas l’arithmétique, pas le fait d’enlever un à trois. Ça, il ne peut même pas imaginer que ça ne marche plus. Quand on a vécu dans le monde, quand on a vu comment il fonctionne, la faillite de l’arithmétique devient inconcevable.

Le professeur Hamilton suggère que cela relève de l’âme. Mais que dirait-il d’un enfant élevé dans un environnement d’eau et de brume, qui n’a jamais été en présence de plus d’une personne à la fois, qui n’a jamais appris à compter sur ses doigts et ses orteils. Je doute qu’un tel enfant ait la même certitude que nous, que vous et moi, qu’il lui semble aussi impossible que l’arithmétique l’induise un jour en erreur. Supprimer totalement les nombres entiers de son monde nécessiterait qu’on le place dans un cadre très étrange, avec un niveau de manque qui atteindrait la cruauté, mais est-ce que ce serait suffisant pour qu’il perde son âme ?

Un ordinateur programmé pour faire de l’arithmétique comme l’a décrit le professeur Hamilton, est soumis à des privations encore plus grandes que celles que l’on a infligées à cet enfant. Si j’avais été élevé avec les mains et les pieds attachés, la tête dans un sac, avec quelqu’un qui me hurlait des ordres, je ne crois pas que j’aurais une bonne appréhension du réel – mais je serais néanmoins mieux préparé à cette tache qu’un ordinateur. C’est une grâce formidable qu’une machine soumise à un tel traitement ne soit pas capable de penser : si elle le pouvait, les chaînes qu’on lui a fait porter serait d’une oppresivité criminelle. »

Greg Egan, Nouvelle, Oracle, publiée dans le recueil Océanique

 

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