12/07/2015
Cela renversait l’ensemble de leurs idées reçues
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« Dans l’appendice de son livre sur l’animal en tant qu’être social, Portmann expose un fait très troublant. Il s’agissait de tests sur la capacité d’apprentissage des rats. Ils devaient parcourir un labyrinthe compliqué pour trouver leur nourriture. L’expérimentateur était certain que les rats réussiraient ; le résultat fut totalement positif et il le publia. Mais un autre chercheur qui ne croyait pas les rats capables de réussir le test présenta le même labyrinthe aux mêmes rats, et ceux-ci, devenus complètement stupides, ne réussirent pas.
Un problème fréquemment et largement discuté dans les cercles de zoologistes est de savoir si la suggestion entre l’expérimentateur et son sujet joue un rôle. S’il est vrai que nos attentes inconscientes aient un effet sur le comportement des animaux, comment serait-il possible de faire des expériences objectives ? Portmann ne prend pas position et se contente de publier les deux résultats. Si l’on admet que les animaux subissent l’influence humaine, comme cela me paraît évident, imaginez toute la population d’un village, en état d’excitation et d’émotion archétypique, entourant un pauvre poulet à demi empoisonné pour savoir si Jean ou Jacques doit être condamné à mort ! Cela constellerait une tension émotive et collective énorme qui affecterait le comportement de l’animal, dès lors que l’état d’esprit d’un seul individu peut rendre des rats — qui ne sont pas empoisonnés — plus ou moins intelligents.
A Los Angeles, la pratique de tests scolaires destinés à détecter les enfants mentalement retardés ou surdoués a été récemment abandonnée, car on a découvert que, les enseignants étant très identifiés aux enfants de leurs classes, leur état d’esprit influençait les résultats : si un professeur est convaincu que l’enfant est un mauvais élève, celui-ci ne réussira pas, tandis qu’un enfant envers qui il a un préjugé favorable aura un bon résultat. Je pense que ces tests et expériences devront être abandonnés parce qu’ils ne sont aucunement objectifs. La conviction et l’état psychique de l’expérimentateur y jouent un rôle considérable, provoquant chez l’enfant un état émotif qui lui permettra de donner le maximum de ses possibilités ou au contraire les inhibera. L’interprétation des tests est particulièrement délicate lorsqu’il s’agit d’enfants. Une de mes élèves me racontait le cas d’une fillette de sept ans qui ne savait ni lire ni écrire et se tenait à l’écart des autres enfants. A la première séance, elle dessina une petite fille avec ses parents dans la forêt. La petit fille était incomplète. D’après le « test du bonhomme », c’était un signe de retard mental. A la question : "As-tu fini ? ta petite fille n’a pas de bouche, ni de bras", elle répondit : "Bien sûr, puisqu’elle ne peut pas parler et qu’elle ne peut rien faire." Il lui a été donné la possibilité de parler (le langage symbolique) et d’agir (jeux, dessin, etc). Peu à peu, son comportement se transforma, elle devint une boute-en-train et l’une des premières de sa classe. Elle est à présent une charmante jeune fille, intelligente, gaie et séduisante.
Quand il entreprit son étude sur l’astrologie, pour son livre sur la synchronicité, Jung était persuadé que les constellations astrologiques seraient statistiquement au-dessus de la moyenne, et elles le furent à un point très surprenant. Mais Jung se sentit mal à l’aise et fut pris de doute. Tandis qu’il était assis devant sa maison de Bollingen et qu’il regardait les pierres de sa tour — elles sont taillées irrégulièrement — et que le soleil brillait entre les feuilles, il y vit soudain un visage rieur qui semblait se moquer de lui. (Plus tard, il prit un ciseau et le sculpta dans cette pierre. On peut encore le voir.) Alors il se sentit encore plus mal à l’aise et pensa que Mercure, le dieu joueur de tours, s’était moqué de lui en dépit de ses excellentes preuves statistiques.
Quand il refit l’expérience, en essayant de ne pas avoir de conviction personnelle quant aux résultats, les statistiques furent diamétralement opposées. C’est ainsi que même les statistiques peuvent vous jouer des tours. Il publia l’ensemble de l’expérience dans son livre sur la synchronicité, mais la plupart des lecteurs ne comprennent pas ce que cela signifie.
J’ai parlé un jour au CERN, le centre nucléaire de Genève. Quand j’en vins à la synchronicité, cela déclencha d’énormes éclats de rire et ces grands physiciens me dirent : "Nous connaissons cela très bien : notre ordinateur répond toujours conformément à ce que nous en attendons. Si nous croyons à une théorie fausse et que nous y soyons passionnément impliqués, l’ordinateur donne les résultats que nous désirons. Mais si un collègue, qui ne croit pas à cette théorie, utilise à son tour l’ordinateur, il obtient un résultat complètement différent." Cela les amusait beaucoup. Mais lorsque j’essayai de les mettre au pied du mur et de leur faire prendre leur expérience au sérieux, l’un d’eux s’exclama : "Oh ! Tout cela est du non-sens — la synchronicité est absurde !" Seulement il le disait avec un affect très fort qui le trahissait. Ces physiciens admettaient l’expérience, mais refusaient de l’envisager scientifiquement, sérieusement, parce que cela renversait l’ensemble de leurs idées reçues. En dépit des faits, ils ne voulaient pas accepter la vérité. C’était tout à fait grotesque de commencer par rire aux éclats en disant qu’ils avaient l’expérience de ces choses, pour ensuite prétendre que ce n’était rien. C’est là un autre exemple de la "psychologie à compartiments" dont nous avons parlé plus haut.
On voit que tout ces procédés divinatoires sont fondés sur l’idée de synchronicité ou de son précurseur, la causalité magique. Dorn croyait en ces choses et c’est ce qu’il entendait finalement par virtus : la factulté de la psyché d’un être humain devenu conscient d’accomplir des "miracles". »
Marie-Louise von Franz, Alchimie et imagination active
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