16/12/2014
Les propositions les plus démentielles se mêlent aux vérités les plus lumineuses
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« Trois années de guerre ont apporté bien des modifications dans le monde. Mais voici qui est peut-être la plus grande de ces modifications: trois années de guerre nous ont rendus sensibles au monde. Nous sentons le monde. Avant, nous nous contentions de le penser. […]
L’universalité de la pensée s’est concrétisée, ou du moins elle tend à se concrétiser. Nécessairement, quelque chose s’écroule, en nous, et chez les autres. Un climat moral nouveau s’est créé : tout y est mouvant, instable, fluide. Mais les nécessités du moment sont pressantes, et c’est pourquoi ce fluide a tendance à stagner, ce qui n’est pas autre chose qu’une aventure spirituelle tend à devenir un état de choses définitif. La stimulation à penser est prise pour une pensée accomplie, ce qui n’est que velléité est pris pour une volonté claire et concrète. Il en résulte le chaos, la confusion des langues; et les propositions les plus démentielles se mêlent aux vérités les plus lumineuses.
C’est ainsi que nous payons le prix de notre légèreté d’hier, de notre manque de profondeur. Désaccoutumés de l’usage de la pensée, satisfaits de vivre au jour le jour, nous nous trouvons aujourd’hui désarmés contre la bourrasque. Nous avions mécanisé la vie, nous nous étions mécanisés nous-mêmes. Nous nous contentions de peu. La conquête d’un brin de vérité nous remplissait d’autant de joie que si nous avions conquis la vérité tout entière. Nous fuyions les efforts, il nous semblait inutile de formuler des hypothèses lointaines et de leur trouver une solution, ne serait-ce que provisoirement. Nous étions des mystiques qui s’ignoraient. Tantôt nous donnions trop d’importance à la réalité de l’instant, aux événements, tantôt nous ne leur en donnions aucune. Nous vivions dans l’abstraction, soit parce que nous faisions l’essentiel de notre vie d’un événement, de la réalité, soit parce que nous manquions complètement de sens historique et ne savions pas voir que l’avenir plonge ses racines dans le présent et dans le passé, et que, si les hommes et les jugements des hommes peuvent procéder par bonds, doivent procéder par bonds, ce n’est pas le cas de la matière, de la réalité économique et morale.
[…] Une crise spirituelle énorme a été suscitée. Des besoins dont on n’avait jamais entendu parler sont nés chez ceux qui, jusqu’à hier, n’avaient ressenti d’autre besoin que celui de vivre et de se nourrir. Et cela précisément (comme on pouvait, du reste, le prévoir) au moment historique où s’est produite la plus grande destruction de biens que l’histoire ait jamais connue, de ces biens qui sont seuls à pouvoir satisfaire la plus grande partie de ces besoins.
Les nouvelles publications, les nouvelles revues, ne me donnent, ne peuvent me donner, aucune des satisfactions que je cherche. Ce n’est pas, du reste, une raison pour me décourager. Les satisfactions, c’est en moi-même que je dois les chercher, au plus profond de ma conscience, en ce seul endroit où peuvent s’ordonner tous les conflits, tous les troubles suscités par les stimulations extérieures. Ces livres ne sont pas autre chose pour moi que des stimulations, des occasions pour penser, pour creuser en moi-même, pour retrouver en moi-même les raisons profondes de mon existence, de ma participation à la vie du monde. […]
L’erreur, le mal, c’était en nous qu’ils étaient, dans notre amateurisme, dans la légèreté de notre vie ; ils étaient dans les mœurs politiques générales, à la perversion desquelles nous participions inconsciemment. Les formules, les programmes, restaient extérieurs, restaient lettre morte pour trop d’entre nous, nous ne les vivions pas avec intensité et avec ferveur ; ils ne vibraient pas dans chaque acte de notre vie, dans chaque instant de notre pensée. Changer les formules ne veut rien dire. Ce qu’il faut, c’est que nous nous changions nous-mêmes, que change notre méthode d’action. Nous sommes empoisonnés par une éducation réformiste qui a détruit la pensée, qui a enlisé la pensée, le jugement contingent, occasionnel, la pensée éternelle qui se renouvelle continuellement tout en se maintenant inchangée.
Nous sommes des révolutionnaires en action alors que nous sommes des réformistes en pensée : nous agissons bien, et nous raisonnons mal. »
Antonio Gramsci, Pourquoi je hais l’indifférence
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Gégé
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15/12/2014
Notre personnalité sociale est une création de la pensée des autres
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« J’aurais voulu ne pas penser aux heures d’angoisse que je passerais ce soir seul dans ma chambre sans pouvoir m’endormir; je tâchais de me persuader qu’elles n’avaient aucune importance, puisque je les aurais oubliées demain matin, de m’attacher à des idées d’avenir qui auraient dû me conduire comme sur un pont au delà de l’abîme prochain qui m’effrayait. »
« Notre personnalité sociale est une création de la pensée des autres. Même l’acte si simple que nous appelons "voir une personne que nous connaissons" est en partie un acte intellectuel. Nous remplissons l’apparence physique de l’être que nous voyons, de toutes les notions que nous avons sur lui et dans l’aspect total que nous nous représentons... »
« Cette attention des maniaques qui s’efforcent de ne pas penser à autre chose pendant qu’ils ferment une porte, pour pouvoir, quand l’incertitude maladive leur revient, lui opposer victorieusement le souvenir du moment où ils l’ont fermée. »
Marcel Proust, Du côté de chez Swann
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Infidèle physiquement
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« J’ai toujours été infidèle physiquement, et profondément attaché par le cœur. J’ai peu de cœur, mais ce peu est d’acier. »
Paul Morand, Journal Inutile, Tome 1
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Aimer...
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« Être aimé plus que l'on aime est une des croix de la vie. Parce que cela vous contraint soit à feindre un sentiment de retour qu'on éprouve pas, soit à faire souffrir par sa froideur et ses rebuts. De toute façon une contrainte (et un homme comme moi ne peut pas se sentir contraint, sous peine de devenir malfaisant), et de toute façon de la souffrance. Bossuet écrit fortement : "On fait un tort irréparable à la personne qu'on aime trop." C'est presque ce que j'ai écrit moi-même : "Vouloir aimer sans être aimé, c'est faire plus de mal que de bien". La conséquence est dans La Rochefoucault : "Nous sommes plus près d'aimer ceux qui nous haïssent, que ceux qui nous aiment plus que nous ne voulons." Et votre serviteur de conclure : on ne devrait jamais dire à quelqu'un qu'on l'aime, sans lui en demander pardon. »
Henry de Montherlant, Les jeunes filles
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