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31/05/2019

A la cinquantaine...

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30/05/2019

Maraude...

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29/05/2019

Analyse à chaud...

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Analyse à chaud, mais très fine, d'un spécialiste en poésie urbaine contemporaine...

 


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Adversité

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« Il y a d’abord ceux qui sont mes adversaires par sottise ; ce sont ceux qui ne m’ont pas compris et qui m’ont blâmé sans me connaître. Cette foule considérable m’a causé dans ma vie beaucoup d’ennuis, mais cependant il faut leur pardonner ; ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient.

Une seconde classe très-nombreuse se compose ensuite de mes envieux. Ceux-là ne m’accordent pas volontiers la fortune et la position honorable que j’ai su acquérir par mon talent. Ils s’occupent à harceler ma réputation et auraient bien voulu m’annihiler. Si j’avais été malheureux et pauvre, ils auraient cessé.

Puis arrivent, en grand nombre encore, ceux qui sont devenus mes adversaires parce qu’ils n’ont pas réussi eux-mêmes. Il y a parmi eux de vrais talents, mais ils ne peuvent me pardonner l’ombre que je jette sur eux.

En quatrième lieu, je nommerai mes adversaires raisonnés. Je suis un homme, comme tel j’ai les défauts et les faiblesses de l’homme, et mes écrits peuvent les avoir comme moi-même. Mais comme mon développement était pour moi une affaire sérieuse, comme j’ai travaillé sans relâche à faire de moi une plus noble créature, j’ai sans cesse marché en avant, et il est arrivé souvent que l’on m’a blâmé pour un défaut dont je m’étais débarrassé depuis longtemps. Ces bons adversaires ne m’ont pas du tout blessé ; ils tiraient sur moi, quand j’étais déjà éloigné d’eux de plusieurs lieues. Et puis en général un ouvrage fini m’était assez indifférent ; je ne m’en occupais plus et pensais à quelque chose de nouveau.

Une quantité considérable d’adversaires se compose aussi de ceux qui ont une manière de penser autre que la mienne et un point de vue différent. On dit des feuilles d’un arbre que l’on n’en trouverait pas deux absolument semblables ; de même dans un millier d’hommes on n’en trouverait pas deux entre lesquels il y eût harmonie complète pour les pensées et les opinions. Cela posé, il me semble que, si j’ai à m’étonner, c’est, non pas d’avoir tant de contradicteurs, mais au contraire tant d’amis et de partisans. Mon siècle tout entier différait de moi, car l’esprit humain, de mon temps, s’est surtout occupé de lui-même, tandis que mes travaux, à moi, étaient tournés surtout vers la nature extérieure [37] ; j’avais ainsi le désavantage de me trouver entièrement seul. À ce point de vue, Schiller avait sur moi de grands avantages. Aussi, un général plein de bonnes intentions m’a un jour assez clairement fait entendre que je devrais faire comme Schiller. Je me contentai de lui développer tous les mérites qui distinguaient Schiller, mérites que je connaissais à coup sûr mieux que lui ; mais je continuai à marcher tranquillement sur ma route, sans plus m’inquiéter du succès, et je me suis occupé de mes adversaires le moins possible. »

Johann Wolfgang von Goethe à J. P. Eckermann, Mercredi, 14 avril 1824 ; in "Conversations de Goethe avec Eckermann"

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Liberté d'expression...

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28/05/2019

Une grande âme

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« La spéculation philosophique est en général mauvaise pour les Allemands, en ce qu’elle rend souvent leur style abstrait, obscur, lâche et délayé. — Plus ils se donnent tout entiers à certaines écoles, plus ils écrivent mal. Au contraire, les Allemands qui écrivent le mieux sont ceux qui, hommes d’affaires, hommes du monde, ne connaissent que les idées pratiques. C’est ainsi que le style de Schiller a toute sa beauté et toute son énergie dès qu’il ne philosophe plus ; je le voyais encore aujourd’hui en lisant ses lettres si remarquables, dont je m’occupe dans ce moment. De même il y a parmi nos femmes allemandes des génies qui écrivent dans un style tout à fait excellent, et qui même surpassent par là plusieurs de nos écrivains estimés. En général les Anglais écrivent tous bien, ils naissent éloquents, et, étant des gens pratiques, ils cherchent la réalité. Les Français ne démentent pas dans leur style leur caractère général. Ils sont de nature sociable, et, à ce titre, n’oublient jamais le public auquel ils parlent ; ils s’efforcent d’être clairs pour convaincre leur lecteur et agréables pour lui plaire. Le style d’un écrivain est la contre-épreuve de son caractère ; si quelqu’un veut écrire clairement, il faut d’abord qu’il fasse clair dans son esprit, et si quelqu’un veut avoir un style grandiose, il faut d’abord qu’il ait une grande âme. »

Johann Wolfgang von Goethe à J. P. Eckermann, Mercredi, 14 avril 1824 ; in "Conversations de Goethe avec Eckermann"

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Female...

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27/05/2019

J’étais pleinement convaincu que toute révolution est la faute non du peuple, mais du gouvernement

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« Oui, on a raison, je ne pouvais pas être un ami de la Révolution française, parce que j’étais trop touché de ses horreurs, qui, à chaque jour, à chaque heure me révoltaient, tandis qu’on ne pouvait pas encore prévoir ses suites bienfaisantes. Je ne pouvais pas voir avec indifférence que l’on cherchât à reproduire artificiellement en Allemagne les scènes qui, en France, étaient amenées par une nécessité puissante. Mais j’étais aussi peu l’ami d’une souveraineté arbitraire. J’étais pleinement convaincu que toute révolution est la faute non du peuple, mais du gouvernement. Les révolutions seront absolument impossibles, dès que les gouvernements seront constamment équitables, et toujours en éveil, de manière à prévenir les révolutions par des améliorations opportunes ; dès qu’on ne les verra plus se roidir jusqu’à ce que les réformes nécessaires leur soient arrachées par une force jaillissant d’en bas. À cause de ma haine pour les révolutions, on m’appelait un ami du fait existant. C’est là un titre très-ambigu, que l’on aurait pu m’épargner. Si tout ce qui existe était excellent, bon et juste, je l’accepterais très-volontiers. Mais à côté de beaucoup de bonnes choses il en existe beaucoup de mauvaises, d’injustes, d’imparfaites, et un ami du fait existant est souvent un ami de ce qui est vieilli, de ce qui ne vaut rien. Les temps sont dans un progrès éternel ; les choses humaines changent d’aspect tous les cinquante ans, et une disposition qui, en 1800, sera parfaite est déjà peut-être vicieuse en 1850. — Mais il n’y a de bon pour chaque peuple que ce qui est produit par sa propre essence, que ce qui répond à ses propres besoins, sans singerie des autres nations ! Ce qui serait un aliment bienfaisant pour un peuple d’un certain âge sera peut-être un poison pour un autre. Tous les essais pour introduire des nouveautés étrangères sont des folies, si les besoins de changement n’ont pas leurs racines dans les profondeurs mêmes de la nation, et toutes les révolutions de ce genre resteront sans résultats, parce qu’elles se font sans Dieu ; il n’a aucune part à une aussi mauvaise besogne. Si, au contraire, il y a chez un peuple besoin réel d’une grande réforme, Dieu est avec elle, et elle réussit. »

Johann Wolfgang von Goethe à J. P. Eckermann, Dimanche, 4 janvier 1824 ; in "Conversations de Goethe avec Eckermann"

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Les élections

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Je ne puis devoir que ce qui m'est dû...

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26/05/2019

Et Paf !

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Le Démoniaque

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« Dans la poésie, il y a quelque chose de tout à fait démoniaque, et surtout dans cette poésie dont on n’a pas conscience, qui dépasse l’intelligence et la raison, et qui par suite a des effets si merveilleux. Il y a aussi beaucoup de démoniaque dans la musique, car elle est si élevée, qu’elle reste au-dessus de toute intelligence, et elle sait produire des effets qui dominent tout le monde, et dont personne ne peut rendre compte. Aussi le culte religieux ne peut s’en passer ; elle est un des premiers moyens pour exercer sur l’homme des influences merveilleuses.

Le démoniaque se jette aussi volontiers sur les grands individus, surtout quand ils occupent des rangs élevés, comme Frédéric et Pierre le Grand. Il se montrait chez le feu grand-duc à un tel point, que personne ne pouvait lui résister. Sa simple présence exerçait de l’attrait sur les hommes, sans qu’il lui fût nécessaire de se montrer bienveillant et amical. Tout ce que j’ai entrepris sur son conseil m’a réussi ; aussi, lorsque j’étais embarrassé, j’avais l’habitude de lui demander ce qu’il me fallait faire ; il me le disait instinctivement, et je pouvais être sûr d’une heureuse issue. — Il eût été à souhaiter qu’il pût se mettre en possession de mes idées et de mes grands projets, car lorsque l’esprit démoniaque le quittait, resté avec ses seules facultés humaines, il était embarrassé. Dans Byron aussi le démoniaque a été très-énergique, c’est là ce qui explique ses qualités attractives, auxquelles les femmes surtout ne pouvaient résister. »

Johann Wolfgang von Goethe à J. P. Eckermann, Mardi, 8 mars 1831 ; in "Conversations de Goethe avec Eckermann"

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Voter

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Les consommateurs...

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25/05/2019

Dans ma ville...

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C'est vrai qu'ils subissent vraiment beaucoup...

 


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Adieu Papa et Maman...

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On nous dit que nous sommes menacés par Trump et par Poutine : même pas peur...

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Certains, du côté de LREM, utilisent la méthode du chantage. On n'est pas obligé de leur céder.
Par Benoît Rayski

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Qu'on se le dise : l'Europe est menacée par de terribles ennemis. Si on lui en veut ainsi, c'est donc qu'elle doit être importante et dérangeante. De Macron à Bruno Le Maire en passant par Nathalie Loiseau, on sonne le tocsin : Trump et Poutine veulent la mort de l'Europe !

Il s'agit évidemment avec ce discours d'inciter les électeurs à voter pour la liste Renaissance, la seule capable d'éviter que nous soyons asservis par ces féroces ennemis qui viennent dans nos campagnes égorger etc…

Cette posture, qui transforme Trump et Poutine en Hitler et Staline est passablement grotesque. Elle consiste à nous faire croire que l'Union européenne est une vraie et grande puissance susceptible d'inquiéter les Etats-Unis et la Russie.

Jamais mensonge ne fut martelé avec autant d'insistance. En réalité, l'Union européenne n'a que les apparences de la puissance. Et ça fait des dizaines d'années qu'elle est en coma artificiel.

Mais ceux qui se pressent à son chevet pour vérifier l'efficacité de ses branchements se récrierons qu'elle est utile et généreuse. En effet, l'Europe déverse sa manne sur des Etats qui sans elle seraient dans le besoin, sur les agriculteurs, sur quelques étudiants qui profitent d'Erasmus.

On lui doit d'avoir dépensé des milliards pour éponger la dette d'Etats qui sans elle serait en faillite. Et c'est grâce à ses mécanismes que les plus riches – Allemagne, France, Grande-Bretagne (pas pour longtemps) – payent pour les plus pauvres. Des milliards donc. La question est de savoir si un tiroir-caisse a une âme. Depuis quand le principe de subsidiarité et autres mécaniques bruxelloises tiennent-ils lieu d'identité ? Que dirait-on si la France à cause de la générosité de la CAF et de Pôle Emploi…

Aujourd'hui, sur le continent, l'idée de nation et d'appartenance nationale se réveille avec fracas. Il parait que cela s'appelle populisme, un terme ressassé et brandi par Macron pour des raisons purement électoralistes. Il parait également que Trump et Poutine se pourlèchent les babines en voyant l'éruption identitaire sur la scène européenne. Et là on est en train de s'esclaffer !

L'Europe a dominé le monde pendant près de 1000 ans. Aidée en cela par ses réussites industrielles et commerciales, par ses richesses, par ses milliards. Mais, et de loin, tout cela n'était pas suffisant à assurer son triomphe. Elle a rayonné par sa culture et sa civilisation. Son énergie vitale venait de son héritage idéologique, religieux et émotionnel : l'Ancien Testament, le Nouveau Testament et les philosophes grecs. Qu'elle revienne à ces fondamentaux et on votera pour elle ! Et alors seulement, l'identité européenne reléguera les identités nationales, jugées infamantes, au rang de survivances folkloriques.

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SOURCE : Atlantico

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Un grand souverain

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« Pour être populaire, un grand souverain n’a besoin que de sa grandeur même. A-t-il fait de telle sorte que son État soit heureux à l’intérieur, considéré à l’extérieur, il peut alors paraître dans un carrosse officiel avec ses décorations, ou dans un mauvais droschky, enveloppé d’une peau d’ours, le cigare à la bouche ; tout est indifférent ; il a gagné l’affection de son peuple, et on conserve toujours le même respect pour lui. — Si, au contraire, un prince manque de grandeur personnelle et s’il ne sait pas, par ses bienfaits, gagner l’amour des siens, alors il sera obligé de chercher un autre moyen d’union, et il n’y en a pas de meilleur et de plus efficace que la religion, la jouissance et l’usage commun des mêmes pratiques. Paraître tous les dimanches à la messe, regarder de la tribune la paroisse et s’en laisser voir pendant une petite heure, voilà un excellent moyen de popularité que l’on pourrait indiquer à tout jeune souverain et que Napoléon lui-même, malgré toute sa grandeur personnelle, n’a pas dédaigné. »

Johann Wolfgang von Goethe à J. P. Eckermann, vendredi 3 avril 1829 ; in "Conversations de Goethe avec Eckermann"

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« L’idée de "grand remplacement" évoque l’effondrement d’un univers familier que vit une partie de la population »

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La démographe Michèle Tribalat précise sa pensée sur le "grand remplacement"
par Rudy Reichstadt

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En février 2017, Rudy Reichstadt, qui dirige l’observatoire du conspirationnisme, a demandé à la démographe Michèle Tribalat de répondre à quelques questions sur la notion de « grand remplacement ». Seule une petite partie de l’entretien a été publiée dans la note qu’il a rédigée avec Valérie Igounet. Le voici aujourd’hui dans son intégralité.

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Rudy Reichstadt -- Que dirait la démographe que vous êtes à ceux qui sont séduits par la thèse de Renaud Camus selon laquelle nous assisterions à un « Grand remplacement », à « la substitution d’un peuple par un autre » ?

Michèle Tribalat -- La démographe, comme vous dîtes, ne parle pas spécifiquement à une fraction de l’opinion publique. Je ne cherche pas à contrarier les perceptions populaires à tout prix. Je n’ai aucunement l’intention de faire la leçon. Quand je me pose des questions et que je cherche à y répondre, je m’intéresse d’abord aux aspects méthodologiques. On ne peut évaluer la validité d’un résultat à la satisfaction idéologique qu’il procure. Ce qui compte, c’est la manière dont il a été élaboré et non le succès qu’il remporte auprès de tel ou tel segment de l’opinion publique.

Essayer de rééduquer ceux qui pensent mal n’est pas ma vocation. Je vois même cela comme un piège car, lorsqu’on cherche absolument à donner tort aux perceptions communes, on est conduit à s’écarter de la recherche de la vérité des faits. On risque alors de tomber dans des manipulations grossières qui accentuent la méfiance. Lorsqu’on cherche à leur faire la leçon et à les rééduquer, les gens le perçoivent très bien et ils détestent cela. La confiance est un élément fondamental pour que l’information atteigne sa cible. Par ailleurs, je suis d’une incorrigible curiosité et commencer une recherche avec l’idée de contrarier les perceptions communes constitue, à mon avis, le plus mauvais point de départ.

Enfin, les gens n’ont généralement aucun sens statistique, et ça ne vaut pas seulement pour la question migratoire. Ils auront tendance à sauter sur les chiffres qui leur conviennent, d’un côté comme de l’autre. L’idée de faits alternatifs n’a vraiment rien de neuf. Timur Kuran, un économiste américain a écrit un livre très éclairant sur le sujet : Private Thruths, Public Lies, The Social Consequences of Preference Falsification (Harvard University Press, 1995). Des faits ou des arguments substantifs qui entrent en conflit avec nos convictions n’auront de l’importance que si nos opinions relèvent d’un savoir et ne sont pas fondées sur la preuve sociale.

Rudy Reichstadt -- Quelles sont les différences entre le diagnostic posé par Caldwell (celui d’une « grande révolution démographique causée par une immigration étrangère porteuse d’islam dans une Europe vieillissante et sur le déclin ») ou le vôtre, et la thèse de Camus ?

Michèle Tribalat -- Je ne connais pas bien les différentes nuances incluses dans l’idée de grand remplacement avancée par Renaud Camus. Si l’idée de grand remplacement est seulement numérique et vise essentiellement les musulmans qui deviendraient très vite majoritaires en France, nous sommes loin du compte. Mais je ne suis pas sûre que l’expression se rapporte seulement à l’inéluctabilité d’un remplacement numérique par des populations venues d’ailleurs, musulmanes en particulier ; ce qui peut arriver localement. Il me semble que son succès vient de son pouvoir d’évocation de certaines situations vécues. Elle a un sens figuré qui évoque l’effondrement d’un univers familier que vit, ou craint de vivre, une partie de la population française : disparition de commerces, et donc de produits auxquels elle est habituée, habitudes vestimentaires, mais aussi pratiques de civilité, modes de vie,… Que croyez-vous que pensent les villageois de Châteauneuf-sur-Cher qui ont vu arriver il y a une quinzaine d’années cinq familles musulmanes, dont la mosquée est adossée au château et dont les femmes portent le niqab quand il leur arrive de sortir ? Voilà un village dont le maire s’est vu demander une sortie spéciale à l’école pour les femmes musulmanes qui viennent chercher leurs enfants afin qu’elles ne se mêlent pas à la population locale. Le « grand remplacement » peut aussi avoir un certain écho auprès de populations qui vivent en dehors des grands centres économiques, qui voient les emplois et les services publics disparaître dans leur environnement et qui ont l’impression que tout se joue ailleurs.

Il me faut à ce stade préciser que l’idée de remplacement par l’immigration n’est pas étrangère à la démographie. On parle de migrations de remplacement. Je vous rappelle la publication des Nations unies qui avait fait grand bruit en 2000. Elle était intitulée Remplacement Migration : Is it a Solution to Declining and Ageing Population ? Cette étude avait d’ailleurs fait l’objet d’un contresens. Elle a été utilisée pour justifier l’obligation que l’Europe avait de se montrer généreuse en matière d’immigration alors que cette étude invitait plutôt les pays vieillissants à ne pas tout miser sur l’immigration pour résoudre les problèmes posés par l’évolution démographique.

Christopher Caldwell a dressé un panorama de la situation en Europe, car l’arrivée de l’islam n’est pas spécifique à la France. J’ai moi-même essayé d’analyser la situation de la France. Les Européens sont les co-producteurs de ce qui leur arrive, notamment en fermant les yeux et en évitant le cœur du sujet : les transformations des cultures et modes de vie européens auxquelles ont commencé de consentir les Européens. Christopher Caldwell n’évoque pas tant le remplacement démographique inéluctable que suggère l’idée de grand remplacement que la dissymétrie des forces culturelles en présence. Il conclut son livre par ceci : « En de telles circonstances “majorité ” et “minorité” ont peu de sens. Quand une culture peu sûre d’elle, malléable et relativiste rencontre une culture ancrée, confiante et renforcée par des doctrines communes, c’est généralement la première qui change pour s’adapter à la seconde ». Pas besoin de bascule démographique pour que les cultures et les mœurs se transforment irrémédiablement. C’est un peu ce qu’exprime l’idée de grand remplacement dans son sens figuré. Un exemple. Nous avons déjà perdu notre liberté d’expression dès qu’il s’agit d’islam. De deux manières : 1) par l’autocensure générée par la peur due aux menaces de mort, mises à exécution en 2015 à Charlie Hebdo, et la judiciarisation croissante des controverses ; 2) en cherchant à nous accommoder avec des courants de l’islam militant qui refusent de recourir à la violence, qu’il faut ménager, ceux qu’on appelle maintenant les « islamistes modérés » (mais qui recourent sans modération aux tribunaux pour faire taire toute critique) ; ce qui oblige à toutes sortes de contorsions, à fermer les yeux sur ce qui dérange. Si la caricature peut coûter la vie sur un sujet seulement, alors cet art très français est définitivement mort. Son pouvoir de transgression s’éteint car il ne peut alors s’exercer que sur les cibles qui y consentent et refusent l’usage de la violence.

Rudy Reichstadt -- Qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, vous expliquez que « les natifs au carré pourraient devenir minoritaires » d’ici 2060 (en vous basant semble-t-il sur les projections Eurostat). Quel est le degré de fiabilité de projections démographiques sur une durée aussi importante (près d’un demi-siècle) ?

Michèle Tribalat -- Vous reprenez là un morceau de phrase d’un résumé de mon livre sur l’assimilation. Si l’on réintègre ce que vous avez manqué, cela donne ceci : « Dans certains d’entre eux [il s’agit là de quelques pays européens, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie principalement], les natifs au carré pourraient devenir minoritaires avant 40 ans [il s’agit de l’âge], d’ici 2060. » J’y commentais le résultat des projections de populations d’origine étrangère dans les pays de l’UE, adossées au scénario Convergence 2008-2060 d’Eurostat, réalisées par Giampaolo Lanzieri pour Eurostat dans un document intitulé : Fewer, older and multicultural ? Projections of the EU populations by foreign background.

Une incidente. Il faut expliquer ce que j’entends par natifs au carré. C’est l’expression la moins contentieuse que j’ai trouvée pour désigner la population née dans le pays de deux parents qui y sont également nés. Je refuse en effet de parler de population majoritaire comme le font l’Ined ou l’Insee, expression qui ne prend en compte que l’aspect numérique des choses, lequel est tout relatif selon l’espace géographique considéré. Je refuse aussi de la désigner par des privatifs comme vient de le faire encore l’Insee dans une publication récente : « Ni immigrés ni enfants d’immigrés ». La presse s’insurge contre Renaud Camus quand il parle de grand remplacement, mais ne trouve rien à redire à ce type d’appellation qui vide de toute substance ceux qu’on pourrait encore appeler les autochtones. On pourrait très bien arguer que cet usage des privatifs est anxiogène et participe à alimenter l’idée de Renaud Camus.

Mais vous avez raison de vous interroger sur la fiabilité des projections démographiques réalisées par Eurostat. Elles valent ce que valent les hypothèses. Elles décrivent les anticipations démographiques de la Commission européenne. Cette dernière ne croit pas à une remontée de la fécondité susceptible de freiner le déclin démographique – la politique familiale n’est d’ailleurs pas une compétence européenne – et compte entièrement sur l’immigration pour éviter de voir le poids démographique de l’UE s’effondrer. Ainsi, dans les dernières projections Europop 2013 (2013-2080), l’indicateur conjoncturel de fécondité de l’Allemagne remonte péniblement de 1,41 en 2013 à 1,69 enfant par femme en 2080 dans l’hypothèse principale. L’UE a même joué à se faire peur en incluant une hypothèse de fécondité basse qu’elle n’a projetée que jusqu’en 2060 ! Les flux migratoires interviennent sous la forme d’un solde migratoire (entrées-sorties), dont les participants fictifs sont censés avoir les mêmes comportements démographiques que le reste de la population. Il faut ajouter que les projections d’Eurostat sont conditionnées par l’idéologie de la convergence, dont on voit ce qu’elle a produit en matière économique. À très très long terme, toutes les variables démographiques doivent converger d’un même élan, à la hausse ou à la baisse selon la situation de départ. Dans Europop 2013, en l’absence de migrations, la population de l’UE28 perdrait 108 millions d’habitants entre 2014 et 2080. Avec migrations, elle en gagnerait près de 13 millions ; soit un apport démographique total évalué, compte tenu des hypothèses, à 121 millions. C’est, à 9 millions près, l’équivalent de la population de la France et du Royaume-Uni réunis en 2014. L’UE28 accueillerait une immigration nette de près de 74 millions de personnes de 2014 à 2080.

C’est la conjonction d’une démographie interne peu dynamique et des soldes migratoires projetés qui donne une contribution aussi importante de l’immigration. Ainsi, les effets démographiques de l’immigration sont plus marqués dans les pays où la fécondité est faible depuis longtemps, comme en Allemagne qui, en l’absence de migrations sur la période perdrait 38 % de sa population, mais en perdrait quand même 20 % avec migration d’ici 2080. Je n’insiste pas sur les effets de structure.

Ce qui compte ce n’est pas tant la vraisemblance des hypothèses projetées par Eurostat que ce qu’elles disent des anticipations européennes : une dépendance démographique croissante à l’immigration.

Rudy Reichstadt -- Peut-on affirmer que la France connaît, du point de vue démographique, une situation inédite dans son histoire ?

Michèle Tribalat -- La France a connu, beaucoup plus tôt que la plupart de ses voisins – dès le milieu du XIXe siècle -, une immigration étrangère importante, en raison d’un ralentissement démographique précoce. Différentes vagues migratoires vont donc se succéder avec des phases d’accalmie : Années 1920 suivies d’un reflux dans les années 1930 jusqu’à la sortie de la guerre ; Trente Glorieuses suivies d’une accalmie migratoire sur le dernier quart du XXe siècle ; nouvelle vague migratoire avec les années 2000 qui dure encore et d’intensité voisine de celle des Trente Glorieuses. En raison d’une expérience précoce de la transition démographique, la crainte d’un effacement économique, démographique et militaire, notamment par rapport au voisin allemand, a amené la France à considérer avec pragmatisme l’apport étranger en provenance de pays voisins et même à l’encourager, comme elle l’a conduite à adopter une politique familiale visant à favoriser le dynamisme propre de la démographie française. La France se retrouve aujourd’hui, avec l’Irlande, en tête des pays de l’UE par sa fécondité. La chute de l’indicateur conjoncturel de fécondité observé partout en Europe, à des moments différents après le babyboom, a été moins profonde et moins durable en France que chez ses voisins. Même s’il baisse à nouveau depuis 2010 (1,89 enfant par femme en 2016 contre 2,02 en 2010 en France métropolitaine). La France ne se trouve donc pas, d’un point de vue démographique, dans la même position que ses voisins et a moins besoin des migrations de remplacement prônées par l’Union européenne. La position relative de la France en Europe a donc changé. Mais ce qui a changé aussi c’est la provenance des flux migratoires. Il n’y a plus de pays européen qui aurait un trop plein démographique. L’Europe du Sud, comme l’Europe de l’Est ont la fécondité la plus basse de l’UE. Les flux qui ont suivi l’intégration européenne de la Roumanie et de la Pologne se sont dirigés vers les pays qui ont ouvert tout de suite leurs frontières (Royaume-Uni et Suède) et la France ne reçoit que la queue de comète de ce mouvement. Lorsqu’on compare les populations immigrées de l’Allemagne et de la France, celle de l’Allemagne est plus souvent d’origine européenne. En France, l’accroissement de populations originaires de pays n’appartenant pas à l’Europe s’est accompagné du « changement de pied » en matière d’intégration avec un abandon progressif des velléités assimilatrices de la France. Les concentrations ethniques dans les communes de plus 10 000 habitants ont bondi. On peut les mesurer, depuis la fin des années 1960, à partir de la proportion de jeunes d’origine étrangère (parmi les moins de 18 ans). La concentration était voisine de 15 % en moyenne dans ces communes à la fin des années 1960. Elle s’y est considérablement accrue et dépasse 37 % en 2015 dans les communes de 30 000 habitants ou plus. Il s’agit là de faits bien tangibles qui ne passent pas inaperçus.

Rudy Reichstadt -- Dans Face au Front national. Arguments pour une contre-offensive (La Découverte, 1998), vous déconstruisiez le rapport Milloz qui validait les thèses du FN sur le coût de l’immigration. Le FN a même publié une « réplique à Pierre-André Taguieff et à Michèle Tribalat » (L’immigration. Rapport Milloz II, 1999), dans laquelle vous êtes qualifiée, entre autres, de « supplétif de service ». Aujourd’hui, Marine Le Pen n’hésite pas à renvoyer à vos travaux. Quel regard portez-vous sur ce retournement et sur les instrumentalisations politiques de vos interventions ?

Michèle Tribalat -- J’avais eu le rapport Milloz entre les mains et les manipulations statistiques nombreuses apparaissaient évidentes. Ce qui m’a poussé à en faire la critique explicite est le piètre aboutissement de la commission Choussat chargée, par le gouvernement, d’élaborer une critique scientifique des écrits de Pierre Milloz et dont rien n’était sorti. C’était pire que ne rien faire. Ça donnait de la crédibilité au montage statistique de Pierre Milloz. J’ai donc proposé à Pierre-André d’écrire un livre dans lequel je m’occuperais de la partie statistique. Notre livre est sorti en 1998 alors que la charge d’Hervé Le Bras contre moi et l’Ined (qui aurait été une succursale du FN dont j’aurais été un membre actif) battait son plein. Ce n’était pas, de ma part, un contre-feu, le contrat avec La Découverte ayant été signé en mars 1998, alors que mon texte était quasiment achevé. J’ai donc eu droit, moi aussi, à mon prix Lyssenko en 1999. Quant à Marine le Pen, d’après les échos que j’en ai, ce qui lui plait beaucoup, c’est le titre du livre que j’ai publié en 2010 : Les yeux grands fermés. Je ne suis pas responsable des lectures que l’on fait de ce que j’écris. Je veux bien entendre les critiques sur le fond de mes analyses mais, pour le reste (« démographe adulée du FN »), tous les commentaires sur mes intentions et motivations cachées, mes affiliations secrètes, je considère qu’elles sont dégradantes pour ceux qui les profèrent.

Rudy Reichstadt -- Parmi les hypothèses que nous envisageons d’examiner concernant le succès de la thèse de Camus, il y a l’idée selon laquelle l’adhésion à la thèse du Grand remplacement traduirait la détresse d’une France en proie à un sentiment de dépossession, qui « ne se sent plus chez elle dans son propre pays », et qui a l’impression que ses angoisses pour l’avenir ne sont pas prises en charge par la classe politique républicaine classique, d’où sa propension à se tourner vers l’extrême droite. Comment faire pour, à la fois, parler un discours de vérité à cette fraction de la communauté nationale, de manière à la ramener vers le cercle de la raison sans, en même temps, la flatter dans des penchants xénophobes ?

Michèle Tribalat -- Dans ce que vous dîtes, c’est « le discours de vérité » qui est le plus important. Il faut donc privilégier la connaissance des faits d’abord. Jouer avec elle comme on n’a cessé de le faire depuis des décennies a ruiné la confiance nécessaire au fonctionnement démocratique. Il faudrait que cessent les représentations de la réalité de parti pris dont le but principal est de décrédibiliser les perceptions communes. Tous les segments de population réagissent de la même façon et avec internet et les réseaux sociaux cela s’est amplifié. Ils adoubent les analyses qui confortent leurs préjugés, qu’ils soient négatifs ou positifs. Pour aller dans ce sens, je citerai ce commentaire de Jean-François Revel dans La connaissance inutile, publié il y aura bientôt 30 ans mais qui reste d’actualité : « L’objectivité ne consiste pas à opposer des opinions contraires au cours d’un débat. Si les deux opinions reposent sur des informations fausses, quel est l’intérêt du débat ? […] La confrontation des incompétences n’a jamais remplacé la connaissance des faits. Le devoir de la presse est d’acquérir cette connaissance et de la transmettre. Le pluralisme reprend ses droits et retrouve sa nécessité lorsque vient le moment de tirer les enseignements des faits établis […] Malheureusement, dans la pratique, le ‘pluralisme’ s’exerce presque toujours avant ce stade, il trie les informations, il leur barre la route, il les passe sous silence, les nie, les ampute ou les amplifie, voire les invente, de manière à adultérer, dans sa phase embryonnaire le processus de formation de l’opinion. » Le déni de réalité est un poison.

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Retrouvez tous les articles de Michèle Tribalat sur son site

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SOURCE : CAUSEUR

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Voir aussi sur CAUSEUR :

L'intox de France Info sur "Le Grand Remplacement"

et

Alain Finkielkraut : "Je souffre de voir Renaud Camus s’égarer de cette manière"

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24/05/2019

L’embryon

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« Le monde est si grand et si riche, la vie si variée, que jamais les sujets pour des poésies ne manqueront. Mais toutes les poésies doivent être des poésies de circonstance, c’est-à-dire que c’est la réalité qui doit en avoir donné l’occasion et fourni le motif. Un sujet particulier prend un caractère général et poétique, précisément parce qu’il est traité par un poëte. Toutes mes poésies sont des poésies de circonstance ; c’est la vie réelle qui les a fait naître, c’est en elle qu’ils trouvent leur fonds et leur appui. Pour les poésies en l’air, je n’en fais aucun cas.

Que l’on ne dise pas que l’intérêt poétique manque à la vie réelle, car justement on prouve que l’on est poëte lorsqu’on a l’esprit de découvrir un aspect intéressant dans un objet vulgaire. La réalité donne le motif, les points principaux, en un mot l’embryon ; mais c’est l’affaire du poëte de faire sortir de là un ensemble plein de vie et de beauté. Vous connaissez Fürnstein, que l’on appelle le poète de nature. Il a fait un poème sur la culture du houblon ; et il n’y a rien de plus joli. Je lui ai conseillé de faire des chansons d’ouvrier, et surtout des chansons de tisserand, et je suis persuadé qu’il réussira, car il a vécu depuis sa jeunesse parmi des tisserands ; il connaît à fond son sujet, et il sera maître de sa matière. Et c’est justement là l’avantage des petits sujets ; on n’a besoin de choisir et on ne choisira que des matières que l’on connaît et dont on est maître. Mais dans une grande machine poétique, il n’en est pas ainsi ; on ne peut pas reculer ; tout ce qui est compris dans l’ensemble du poëme, tout ce qui fait partie du plan conçu doit être peint, et cela avec une vérité frappante. Or, quand on est jeune, on ne connaît qu’un seul côté des choses, et il faut les connaître tous pour une grande œuvre ; aussi on échoue.

(...)

Surtout je veux vous mettre en garde contre les grandes inventions puisées en vous-même, car alors on cherche à exposer un point de vue des choses, et quand on est jeune, ce point de vue est rarement juste. Il est trop tôt. Et puis le poëte, avec les caractères qu’il invente et les idées qu’il développe, perd une partie de son être, et plus tard, dans les autres productions, il n’a plus la même riche abondance ; il s’est dépouillé lui-même. Et enfin, pour imaginer, pour ordonner, combiner, nouer, que de temps consumé dont personne ne nous sait gré, en supposant que nous arrivions au bout de notre travail ! Au contraire, si l’on n’invente pas son sujet, si on le prend tout donné, tout est bien différent, tout est bien plus facile. Les faits, les caractères existent déjà, le poëte n’a que la vie à répandre partout. De plus, il reste possesseur de ses propres richesses intérieures, car il n’a à fournir que peu de lui-même. Sa dépense de temps et de force est aussi bien moindre, car il n’a que la peine de l’exécution. Je conseille, oui, même des sujets déjà traités. Combien d’Iphigénies n’a-t-on pas faites, et cependant toutes sont différentes ; chacun a vu et disposé les choses différemment, parce que chacun a suivi ses instincts.

Ainsi laissez maintenant de côté toute grande entreprise. Vous travaillez péniblement depuis assez de temps ; il faut que vous connaissiez maintenant ce que la vie renferme de joies, et pour cela le meilleur moyen, c’est de vous occuper de petites poésies. »

Johann Wolfgang von Goethe à J. P. Eckermann, Iéna, jeudi, 18 septembre 1823 ; in "Conversations de Goethe avec Eckermann"

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Maestria

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« Qui ne connaît la clé peut avoir toutes les intuitions possibles, il demeure en marge de la culture. Le style est la maestria de la parole. Et cette maestria est tout. Dans le monde de l’esprit, les vérités platement exprimées ne persistent pas, alors que les erreurs et les paradoxes enveloppés de charme et de doute s’installent dans la quasi éternité des valeurs – on sait que ces dernières ne sont que des paroles auxquelles nous consentons avec un sentiment de respect vague ou précis, selon les circonstances et notre humeur. »

Emil Cioran, De la France

 

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Le désir de faire le bien par la force...

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23/05/2019

Car le style est l'architecture de l'esprit...

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« Un des vices de la France a été la stérilité de la perfection — laquelle ne se manifeste jamais aussi clairement que dans l’écriture. Le souci de bien formuler, de ne pas estropier le mot et sa mélodie, d’enchaîner harmonieusement les idées, voilà une obsession française. Aucune culture n’a été plus préoccupée par le style et dans aucune autre, on n’a écrit avec autant de beauté, à la perfection. Aucun Français n’écrit irrémédiablement mal. Tous écrivent bien, tous voient la forme avant l’idée. Le style est l’expression directe de la culture. Les pensées de Pascal, vous les trouvez dans tout prêche et dans tout livre religieux, mais sa manière de les formuler est unique ; son génie en est indissociable. Car le style est l’architecture de l’esprit. Un penseur est grand dans la mesure où il agence bien ses idées, un poète, ses mots. La France a la clé de cet agencement. C’est pour cela qu’elle a produit une multitude de talents. En Allemagne, il faut être un génie pour s’exprimer impeccablement, et encore ! »

Emil Cioran, De la France

 

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Tokyo... Paris...

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