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23/08/2015

La philosophie est l’apprentissage de la mort. Cette perspective n’apparaît funèbre qu’à ceux qui voient les choses à l’envers.

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« Comment parler aux hommes ? demandait Saint· Exupéry juste avant d’entrer dans le silence éternel. C’est le tourment de tout homme qui écrit, non pour assembler des mots ni même pour répandre des idées, mais pour partager avec ses frères une vérité et un amour plus vivants en lui que lui-même: où sont les paroles qui atteignent l’être dans sa source, comment trouver les mots qui mènent au-delà des mots ?


Et d’abord, qu’est-ce que l’homme? Une chose qui pense et qui aime èt, en même temps, qui va mourir et qui le sait. Peu importe qu’il s’évertue à l’oublier et qu’il se fasse un bandeau de toutes les apparences: l’oeil de l’âme ne s’aveugle pas comme l’oeil du corps, et il le sait tout de même. C’est son unique certitude, la seule promesse qui ne faillira point et le paradoxe d’une vie dont la suprême vérité est dans la mort. Nous mourrons, moi qui parle et vous qui m’écoutez – et toute parole entre nous est vaine qui n’a pas d’écho dans cette ultime enceinte de l’âme où règne déjà la mort immortelle. Seule a un sens, parmi le tapage du monde, la voix solitaire qui sait réveiller dans l’homme le Dieu endormi.


Non pas seulement le Dieu qui dort, mais le Dieu qui rêve, le Dieu qui se cherche à tâtons, parmi les ombres qui l’aveuglent et les fausses lumières qui l’éblouissent.

Quoi qu’il fasse et quoi qu’il désire, qu’il se cramponne au passé ou qu’il coure vers l’avenir, qu’il se cherche ou qu’il se fuie, qu’il se durcisse ou qu’il s’abandonne, dans sa vertu comme dans son péché, dans sa sagesse comme dans sa folie, l’homme n’a qu’un voeu et qu’un but: échapper au filet du temps et de la mort, franchir ses limites, être autre chose qu’un homme. Sa vraie demeure est un au-delà, sa patrie réside en dehors de ses frontières. Mais son malheur veut – et là gît le noeud de cette perversion que nous appelons erreur, péché ou idolâtrie – que, trompé par des apparences et cherchant l’éternel au niveau de ce qui passe, il s’éloigne encore davantage de cette unité perdue, de cette perfection entrevue en songe.


Il faudrait montrer aux hommes de quelle réalité divine leur rêve est le pressentiment et le tombeau. Leur faire sentir que la faim de Dieu nourrit ce qu’ils croient être le plus étranger au divin: leurs démarches quotidiennes, leurs passions terrestres, leur matérialisme même, car la matière n’a de valeur que comme signe de l’esprit. En réalité, tout le monde cherche Dieu puisque tout le monde demande à la terre ce que la terre ne peut pas donner, tout le monde cherche Dieu puisque tout le monde cherche l’impossible. Si la lumière se fait, si le réveil se produit, tous les quiproquos du rêve s’évanouissent et chaque chose reprend sa vraie place dans la clarté retrouvée. Les idoles mêmes cessent d’être des idoles en devenant transparentes: le voile traversé par la lumière n’est plus un voile; la simplicité du regard abolit le dualisme entre le temps et l’éternité.

Si la suprême valeur de l’homme est dans le dépassement de l’humain et dans l’aspiration, formulée ou tacite, vers l’être ineffable qu’un Père de l’Eglise grecque appelle « l’Au-delà de tout », notre siècle ne m’apparaît pas indigne du baiser de l’éternité. Jamais peut-être encore l’homme ne s’était senti aussi mal à l’aise dans ses limites: comme il a désintégré les atomes, il a fait éclater en lui toutes les dimensions de l’humain; il s’est tellement vidé de son équilibre naturel et de ses assurances terrestres qu’il ne peut plus être retenu sur la pente du néant que par le contrepoids de l’absolu. C’est le grand signe de notre temps que la révélation de l’inanité des compromis, des demi-mesures, des vertus utilitaires et ornementales; le dilemme: Dieu ou rien ne se présente plus comme un thème de dissertation philosophique ou d’envolée oratoire: il a pénétré jusqu’au noeud de notre chair et de notre âme, il se pose avec l’urgence d’une manoeuvre de sauvetage à bord d’un navire en perdition.


Cette manoeuvre est si simple qu’elle défie tous les mots. Il suffit d’ouvrir les yeux jusqu’à l’âme et de se laisser pénétrer par l’évidence. Je n’apporte ici aucune recette nouvelle, aucune formule originale dans l’art du salut : pauvre en réalité de tout ce qui manque à l’homme et riche en puissance du bien infini que Dieu offre à tous, je ne m’excepte ni de la commune misère ni de la commune espérance, et je ne me sens aucun privilège pour révéler aux autres le secret qu’ils portent en eux: mon unique ambition est d’inviter ceux qui me liront à faire coïncider leur regard avec cette goutte de lumière éternelle qui est le vestige et le germe de Dieu dans l’homme. Car la mort – le seul avenir exempt de mensonge – nous attend, suivant l’altitude de nos voeux, comme une fiancée ou comme un bourreau, et rien ne subsistera, de tous les mouvements de notre âme, que notre participation à ce qui, n’étant pas engendré par le temps, ne mourra pas avec lui. Chronos ne dévore que ses propres enfants.


Ce souci du bien nu et transcendant m’a peut-être rendu parfois trop sévère pour certaines valeurs temporelles qui répondent à d’indiscutables nécessités, mais que l’idolâtrie des hommes transforme sans cesse en refuges contre l’infini. Je veux parler non seulement des innombrables conformismes moraux et sociaux, mais de toutes les vertus humaines qui ne cachent pas au fond d’elles-mêmes je ne sais quelle amertume d’exil et le germe de leur propre dépassement. Et que dire des idoles qui appartiennent spécialement à notre siècle et qui captent la sève religieuse encore plus près des racines: le conformisme du non-conformisme qui fait de la révolte un esclavage et de l’évasion une prison, le mythe du progrès et du « sens de l’histoire » qui noie l’éternité dans le flot du temps, le mythe du social qui est la négation et l’ersatz de la charité ?


Je me réjouissais tout à l’heure de voir l’homme assez dépouillé de lui-même pour n’avoir plus de recours qu’en Dieu. Mais je me demande à d’autres instants s’il lui reste encore assez de substance humaine pour que le divin puisse s’y greffer. Le viol généralisé des rythmes de la nature et de la vie, l’effacement progressif des différences et des hiérarchies, l’individu transformé en grain de sable et la société en désert; la sagesse remplacée par l’instruction, la pensée par l’idéologie, l’information par la propagande, la gloire par la publicité, les moeurs par les modes, les principes par des recettes, les racines par des tuteurs ; l’oubli du passé stérilisant l’avenir; la disparition de la pudeur et du sentiment du sacré; la machine rejaillissant sur l’âme et la recréant à son image – tous ces phénomènes d’érosion spirituelle alliés à l’orgueil prométhéen de nos conquêtes matérielles ne risquent-ils pas de nous conduire jusqu’à ce degré d’épuisement dans les choses vitales et de suffisance dans l’artifice au-delà duquel la pitié de Dieu assiste, impuissante, aux déchéances de l’homme ?


Mistral, dans un éclair prophétique, parle quelque part des "vessies qui s’enflent et des mamelles qui tarissent". Le mot dit tout. Devant ces multitudes humaines arrachées au sein maternel de la nature et qui, nourries de fumée, ont perdu jusqu’au désir des vraies nourritures, je me retourne avec une nostalgie angoissée vers la santé biologique, les vertus élémentaires, les traditions éprouvées – tout ce qui représente la vie, même sous ses formes les plus inférieures – cette vie que la grâce brise et retourne, mais dont elle a besoin comme le laboureur de la terre qu’il tourmente afin de lui confier la semence. La "dégradation du vivant en mécanique" dont parlait Bergson, nous la voyons s’accomplir sous Notre regard qui manque à la lumière 13 nos yeux avec une ampleur et une accélération qui relèvent de la mécanique plus que de la vie: elle triomphe dans l’élaboration de ce type d’humanité anonyme, fait d’imagination passive et d’intelligence désincarnée, que nous appelons l’homme des foules – ces foules au sein desquelles des individus qui ne ressemblent à rien se ressemblent tous. Chaque époque produit des oeuvres qui sont le reflet de son âme: nous en sommes au stade de la machine à penser. Ne serait-ce pas, pour les psychotechniciens et les spécialistes du "viol des foules", le prototype idéal de l’humanité future ? Or Dieu est la vie – et le vivant se greffe sur le vivant et non sur le mécanique.


Mais comment ouvrir les hommes à cette dimension divine qui, en leur donnant l’infini, les guérit de la démesure ? J’ai souvent ouï dire que les recettes de l’apologétique classique ne répondaient plus ou goût d’aujourd’hui. Faut-il en inventer de nouvelles, plus adaptées à la sensibilité contemporaine et qui soient comme des modulations du "dernier cri" de la mode ? La mode passe si vite qu’on s’essouffle en vain à la suivre. C’est de l’altitude qu’il faut prendre et non de l’avance; ce n’est pas en collant servilement à ce qui passe, mais en s’élevant vers ce qui demeure qu’on répond le plus profondément aux besoins de l’homme moderne qui, sous les oripeaux éphémères de l’actualité, restent les besoins de l’homme éternel. "Le sage, disait Nietszche, ne doit pas faire chorus avec son temps, il ne doit même pas savoir comment on fait chorus."


C’est en grattant la pierre et non en passant une nouvelle couche de peinture sur le vieil enduit qui s’écaille qu’on restaure un édifice. De même, c’est l’homme éternel qu’il faut retrouver et émouvoir dans l’homme moderne. Peu importent les formules – et les mots les plus nus sont ici les mieux entendus – pourvu qu’on l’atteigne au vif de sa blessure et de sa solitude, au point d’articulation de l’espérance et de l’impossible. – Le mot Dieu – ce mot "Notre regard qui manque à la lumière" qui ne dit plus rien parce qu’il dit tout – est comme ces signes sténographiques polyvalents qui s’éclairent par leur contexte, et le contexte ici, c’est l’expérience de la misère de l’homme. Cet homme moderne, avant de lui parler de Dieu, il faut l’amener à prendre conscience du néant et du mensonge de tout ce par quoi il essaye en vain de remplacer Dieu. Lui découvrir, suivant le mot de sainte Thérèse, que son désir est sans remède. Ce désir là doit être pris pour une réalité. Il est plus vrai que tous les objets dont il fait sa proie. Et il suffit qu’il soit reconnu comme tel pour qu’il mène à Dieu. Le diagnostic indique le remède. Dénuder la soif, c’est montrer la source.


Il serait plaisant qu’un philosophe de la transcendance refusât d’être transcendé lui-même. Mon désir est moins d’apporter un enseignement que de susciter un dialogue. Je ne suis pas un de ces "maîtres à penser" dont l’autorité, repoussant toute discussion, impose son joug et ses limites à la pensée des autres. Si j’ambitionnais une maîtrise, ce serait plutôt celle qui consiste à "faire penser". Et pas nécessairement dans le sens où je pense moi-même. Je préfère une contradiction vivante à une approbation morte. "On n’a que peu de reconnaissance pour un maître quand on reste toujours disciple", disait Nietzsche avec cette suprême humilité de l’orgueil terrassé par la vérité inaccessible. Les orthodoxies privées m’inspirent autant de crainte que de pitié : elles trahissent d’abord, en congelant ce qui doit rester une source, la pensée où s’accroche leur servile fidélité. Il m’importe d’être dépassé plutôt que d’être suivi. La vraie influence ne consiste pas à modeler du dehors l’esprit d’autrui à notre image, mais à réveiller en lui l’artiste latent qui sculptera de l’intérieur une statue imprévisible à notre pensée et peut-être étrangère à nos voeux.


On sait, depuis Socrate, que la philosophie est l’apprentissage de la mort. Cette perspective n’apparaît funèbre qu’à ceux qui voient les choses à l’envers. Si la mort mûrissait dans nos âmes comme elle mûrit dans nos corps, nous irions vers elle comme la fleur s’ouvre à la lumière et la vie d’ici-bas, loin d’être assombrie par son approche, baignerait déjà dans un rayonnement transfigurateur. Car les choses du temps sont perméables à l’éternité et Dieu, qui est l’au-delà de tout, est aussi présent à tout. Je ne me lasserai jamais de citer un des mots les plus sauveurs qu’aient jamais prononcés des lèvres humaines: celui de sainte Catherine de Sienne répondant à quelqu’un qui se plaignait d’être écrasé par les tâches temporelles : "C’est nous qui les rendons temporelles, car tout procède de la bonté divine." En fait, le conflit entre la terre et le ciel n’existe qu’au niveau de notre aveuglement. Ce n’est pas la lumière qui manque à notre regard, c’est notre regard qui manque à la lumière. Heureux les coeurs purs, car ils verront Dieu. Et ils le verront "partout" puisqu’il est partout. Les choses du temps se présentent d’abord à nous comme une illusion et une épreuve : l’illusion dissipée, l’épreuve surmontée, elles nous révèlent leur côté éternel, leur sens divin. Le monde retrouve dans l’âme des saints l’unité sacrée de son origine : Dieu y règne, suivant le mot de l’Evangile, "sur la terre comme au ciel". Hors de cette rédemption, l’existence temporelle n’est qu’écoulement absurde et pâture de mort. C’est le sens de la phrase qui conclut et qui résume ce livre : "Tout ce qui n’est pas de l’éternité retrouvée est du temps perdu".

30 mars 1955, Saint-Marcel-d’Ardèche. »

Gustave Thibon, Avant-Propos à Notre regard qui manque à la lumière

 

 

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22/08/2015

Un doux et tiède anéantissement se glissait par tous ses membres

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« Non, décidément, rien de tout cela n’était visible ; la Hollande était un pays tel que les autres et, qui plus est, un pays nullement primitif, nullement bonhomme, car la religion protestante y sévissait, avec ses rigides hypocrisies et ses solennelles raideurs. Ce désenchantement lui revenait ; il consulta de nouveau sa montre: dix minutes le séparaient encore de l’heure du train. Il est grand temps de demander l’addition et de partir, se dit-il. Il se sentait une lourdeur d’estomac et une pesanteur, par tout le corps, extrêmes. Voyons, fit-il, pour se verser du courage, buvons le coup de l’étrier ; et il remplit un verre de brandy, tout en réclamant sa note. Un individu, en habit noir, une serviette sur le bras, une espèce de majordome au crâne pointu et chauve, à la barbe grisonnante et dure, sans moustaches, s’avança, un crayon derrière l’oreille, se posta, une jambe en avant, comme un chanteur, tira de sa poche un calepin, et, sans regarder son papier, les yeux fixés sur le plafond, près d’un lustre, inscrivit et compta la dépense. Voilà, dit-il, en arrachant la feuille de son calepin, et il la remit à des Esseintes qui le considérait curieusement, ainsi qu’un animal rare. Quel surprenant John Bull, pensait-il, en contemplant ce flegmatique personnage à qui sa bouche rasée donnait aussi la vague apparence d’un timonier de la marine américaine.

À ce moment, la porte de la taverne s’ouvrit ; des gens entrèrent apportant avec eux une odeur de chien mouillé à laquelle se mêla une fumée de houille, rabattue par le vent dans la cuisine dont la porte sans loquet claqua; des Esseintes était incapable de remuer les jambes; un doux et tiède anéantissement se glissait par tous ses membres, l’empêchait même d’étendre la main pour allumer un cigare. Il se disait : Allons, voyons, debout, il faut filer ; et d’immédiates objections contrariaient ses ordres. A quoi bon bouger, quand on peut voyager si magnifiquement sur une chaise ? N’était-il pas à Londres dont les senteurs, dont l’atmosphère, dont les habitants, dont les pâtures, dont les ustensiles, l’environnaient ? Que pouvait-il donc espérer, sinon de nouvelles désillusions, comme en Hollande ?

Il n’avait plus que le temps de courir à la gare, et une immense aversion pour le voyage, un impérieux besoin de rester tranquille s’imposaient avec une volonté de plus en plus accusée, de plus en plus tenace. Pensif, il laissa s’écouler les minutes, se coupant ainsi la retraite, se disant: Maintenant il faudrait se précipiter aux guichets, se bousculer aux bagages ; quel ennui ! quelle corvée ça serait ! – Puis, se répétant, une fois de plus : En somme, j’ai éprouvé et j’ai vu ce que je voulais éprouver et voir. Je suis saturé de vie anglaise depuis mon départ ; il faudrait être fou pour aller perdre, par un maladroit déplacement, d’impérissables sensations. Enfin quelle aberration ai-je donc eue pour avoir tenté de renier des idées anciennes, pour avoir condamné les dociles fantasmagories de ma cervelle, pour avoir, ainsi qu’un véritable béjaune, cru à la nécessité, à la curiosité, à l’intérêt d’une excursion ? – Tiens, fit-il, regardant sa montre, mais l’heure est venue de rentrer au logis ; cette fois, il se dressa sur ses jambes, sortit, commanda au cocher de le reconduire à la gare de Sceaux, et il revint avec ses malles, ses paquets, ses valises, ses couvertures, ses parapluies et ses cannes, à Fontenay, ressentant l’éreintement physique et la fatigue morale d’un homme qui rejoint son chez soi, après un long et périlleux voyage. »

Joris-Karl Huysmans, À rebours

 

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Tel un laquais obèse sur sa banquette graisseuse

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« Votre pensée,
qui rêvasse sur votre cervelle ramollie,
tel un laquais obèse sur sa banquette graisseuse,
je m’en vais l’agacer
d’une loque de mon coeur sanguinolent
et me repaître à vous persifler, insolent et caustique.

Mon âme n’a pas pris un seul cheveu blanc,
et il n’y a en elle aucune tendresse sénile !
Enfracassant le monde par le bourdon de ma voix,
je m’avance, beau gosse, mes vingt-deux ans en prime.

Tendres !
Vous couchez l’amour sur les violons.
Les brutaux le flanquent sur des cymbales.
Mais sauriez-vous comme moi vous retourner comme un gant
pour que vous ne soyez plus que des lèvres intégrales ?

Venez prendre des leçons
- salonnière de satin,
fonctionnaire formatée de la ligue angélique,
et celle qui feuillette des lèvres sans émoi aucun,
comme si c’étaient les pages d’un livre de cuisine !

Voulez-vous
que je sois un enragé de la viande,
ou bien, changeant de ton comme les couleurs du ciel -
voulez-vous
que je sois impeccablement tendre,
un nuage en pantalon au lieu d’un homme charnel ?

Ce n’est pas vrai qu’il y ait une Nice florale !
Voilà que je me remets à chanter vos louanges
- vous, hommes, défraîchis comme un hôpital,
et vous, femmes, rebattues comme un proverbe. »

Vladimir Maïakovski, Le Nuage en Pantalon

 

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Comme une coupe je soulève mon crâne

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« En un toast
à vous toutes
qui m’avez plu et me plaisez,
icônes bien gardées au creux de l’âme,
comme une coupe je soulève mon crâne
plein à ras bord de poésie.
De plus en plus je me demande
s’il ne serait pas mieux
que je me mette d’une balle un point final.
Aujourd’hui
à tout hasard
je donne un concert d’adieu
Mémoire !
Rassemble dans ma salle cérébrale
les files infinies des femmes chères.
Verse le rire d’oeil en oeil.
Pare la nuit en noces ancestrales.
Verse la joie de chair en chair.
Je vais jouer de la flûte aujourd’hui
sur ma propre colonne vertébrale. »

Vladimir Maïakovski, La flûte des vertèbres in "À pleine voix, Anthologie poétique 1915-1930"

 

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21/08/2015

Un monde où le Bien et le Mal se combattent

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« Si l’on connaît la place privilégiée que Nietzsche accorde à la musique par rapport aux autres arts, comme émanant directement de la source, de l’instinct vital, on ne s’étonnera pas des violentes critiques que le philosophe allemand proférera à l’égard de Socrate, "l’homme qui ne sait pas chanter". Socrate va privilégier la conscience et la lucidité par rapport à l’instinct. Il est l’homme non mystique ; Nietzsche dira "l’homme théorique". En effet, Socrate, le premier, va se permettre d’envisager les mythes, de les concevoir autrement que dans la pensée traditionnelle. Le mythe, de charnel et complexe, va pivoter vers la simplification et l’abstraction. Plus encore, c’est l’amorce d’une rationalisation, d’une explication. Dans le Phèdre de Platon, un dialogue entre Phèdre et Socrate est très révélateur de l’état d’esprit de ce dernier. Evoquant le mythe dans lequel Orythye est enlevée par Borée, Phèdre interroge : "Mais dis-moi, Socrate, crois-tu que cette aventure mythologique soit réellement arrivée ?". Et Socrate répond : "Mais si j’en doutais, comme les sages, il n’y aurait pas lieu de s’en étonner". Socrate explique avec des arguments rationnels que le souffle de Borée (le vent) a occasionné la chute d’Orythye qui en est morte. Voilà peut-être le premier argument rationnel destiné à se substituer à un élément mythologique. On le voit ici, cette pensée est très moderne et très accessible à notre compréhension. Socrate et Platon vont donc faire évoluer les mythes, et de la connaissance instinctive, on glisse à la connaissance rationnelle. On n’accepte plus le sens mystique du monde qui va être dévoré par la logique.

Les mythes n’en sont pas pour autant abandonnés : ils vont évoluer, à la fois dans la manière dont ils vont être perçus et dans leur forme propre. Il est temps ici de reprendre le mythe d’Héraklès que nous avons laissé dans la première partie de cet exposé, dans toute la force et la puissance ambiguës d’un être mi-divin, mi-humain, avec sa force surhumaine, ses débauches et ses passions démesurées. Après Sophocle qui, dans Les Trachiniennes, en fait un être brutal et sans finesse, Héraklès ne va cesser d’évoluer vers un idéal. La période hellénistique le montrera comme une divinité civilisatrice dont les travaux seront des épreuves d’utilité publique ; il devient un bienfaiteur de l’humanité au service du bien. Les philosophes (cyniques et stoïciens) vont vanter le caractère hautement moral de l’acceptation volontaire des souffrances qui jalonnent sa vie : il accepte librement le sacrifice ; il se dévoue pour l’humanité. Son nom est invoqué dans les situations difficiles (on l’appelle "Alexikakos", le détourneur de maux) et il devient le "héros" par excellence. Très grec mais très populaire, il passera à Rome où, devenu Hercule, il subira la même épuration qu’en Grèce. Cet Hercule idéalisé n’aura pas de mal à survivre partiellement dans le personnage d’un autre demi-dieu, purificateur de la terre et sauveur du genre humain, le Christ.

La rationalisation est le prélude de la moralisation.

Toutefois le mythe purifié se désincarne de plus en plus et chemine vers l’idéalisation, l’abstraction. En s’éloignant du monde, les divinités, dieux et héros, deviennent des idées, des concepts, des absolus. Ce faisant, ils se moralisent et la moralisation nous apparaît comme l’inévitable corollaire de l’absolu. Platon va rejeter le côté humain et refuser ce qu’il appellera "des mensonges de poètes", et les dieux, peu à peu, se tiendront sagement sur l’Olympe, dans une vertu exemplaire invitant à l’imitation autant qu’à l’ennui. En invoquant le monde des idées, Platon a ouvert la porte à un monde où le Bien et le Mal se combattent : le mal est le monde de l’instinct, de l’irrationnel, symbolisé chez Platon par le cheval noir ; le bien est le monde de la volonté, de la tempérance, symbolisé par le cheval blanc ; les 2 chevaux sont conduits par le cocher : la raison. Ce char symbolise l’âme humaine qui, on le voit, hiérarchise ses 2 composantes. L’instinct dès lors ne cessera d’être méprisé, la raison glorifiée. Le mythe en mourra, ce magnifique lien que les hommes avaient tissé pour relier leurs dieux à la condition humaine, au monde sensible ; ce lien est désormais rompu, à jamais sacrifié par quelques hommes fiers d’être moins naïfs, sur l’autel de ce que Heidegger appelle avec bonheur "la pensée calculante". »

Hughes Labrusse, Analyses & Réflexions sur Borgès

 

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Je me balance de vos sentences

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« Je me balance
de vos sentences.
Tant qu’en conscience
je puis dévorer ma pitance,
je n’ai pas besoin d’allégeance
à vos pâles jactances
creuses. Accroître la sapience
je le peux par moi-même. La finance
depuis toujours régit le monde.
Il se fera bien tondre
celui qui à lui-même ne sait pas correspondre.
Et la pédanterie
n’est qu’une vilaine manie :
j’ai dit. »

Robert Walser, Je me balance de vos sentences in Poèmes

 

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Les résistances imprévues qui s’éveillent

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« Depuis la fin de l’interminable période figée de la guerre froide, le monde est entré en mouvement, ce que montrent des changements culturels et géostratégiques immenses. Le monde est entré dans une nouvelle histoire où l’imprévu retrouve ses droits. Ce qui bouge ne peut qu’être favorable à un réveil européen par ébranlement de la puissance suzeraine que sont les Etats-Unis. Mais je ne pense pas que ceux-ci se laisseront facilement déposséder. Comme l’ont confirmé les révélations de Wikileaks, les Américains ont favorisé l’immigration invasion extra-européenne et musulmane en Europe dans le but de nous briser définitivement. En apparence, cela se révèle efficace. En apparence seulement. Les résistances imprévues qui s’éveillent lentement sont les signes de ce qui se passera à l’avenir. Je ne crois pas que les Européens se laisseront écraser dès lors qu’ils prendront conscience du danger, ce qui est encore loin d’être le cas. Les réveils historiques sont toujours très lents, mais une fois commencés, on ne les arrête plus. »

Dominique Venner, Dossier "Le déclin de l'Occident" in Revue "Eléments 139, avril 2011"

 

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20/08/2015

Nous nous sommes contentés de rafistoler les restes

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« Mais les vivants, dans leur folie, l'exil ou la retraite, ne sont pas beaucoup plus que les morts (…) Il aurait fallu reconstruire et nous nous sommes contentés de rafistoler les restes. Bienheureux ceux qui ont tout perdu ! Leurs enfants ont ouvert les yeux dans un monde nettoyé du D.D.T. et à la bombe. Les charniers se sont révélés un bon fumier et nous vivons dans l'abondance avec pour seule crainte qu'elle nous étouffe. La grande peur n'est plus d'avoir faim, mais de trop manger. La grande peur n'est plus de ne pas faire l'amour quand le désir nous prend, mais de trop le faire et d'en être un jour écœuré. »

Michel Déon, Les Poneys sauvages

 

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Des cages

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« Le souci d'aimer ou de dire la vérité vous place tantôt à droite, tantôt à gauche. On reconnaît les hommes malhonnêtes à ce qu'ils sont constamment à gauche ou constamment à droite. Inscrit à un parti, fidèle à ce parti et à ses chefs, vous acceptez implicitement de truquer ou de mentir par omission. La gauche et la droite ne sont plus des notions abstraites, ce sont des cages, des prisons et il se pourrait bien que la plus sectaire des deux soit la gauche, celle-là même qui s'est élevé autrefois avec le plus grand courage contre le sectarisme de la droite appuyée par le clergé et l'armée. »

Michel Déon, Les Poneys sauvages

 

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19/08/2015

La Gauche a gagné...

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L’épreuve

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« La comédie humaine me hérisse. C'est l'épreuve qui révèle le salaud et l'honnête homme. Tel est devenu l'un des principes qui ont guidé ma vie. »

Hélie de Saint Marc, L'aventure et l'espérance

 

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Savoir, tuer et créer

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« "Il n'existe que trois êtres respectables : le prêtre, le guerrier, le poète. Savoir, tuer et créer. Les autres hommes sont taillables et corvéables, faits pour l'écurie, c'est-à-dire pour exercer ce qu'on appelle des professions." (Baudelaire, Mon cœur mis à nu (1864)… il n'y a de grand parmi les hommes que le poète, le prêtre et le soldat. L'homme qui chante, l'homme qui bénit, l'homme qui sacrifie et se sacrifie. »

Richard Millet, La Confession négative

 

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Asservir les nations...

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Socialisme...

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Drugs

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Toujours tout droit au nord...

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Socialism works so well...

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Chiens et chats...

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Le Paradis... L'Enfer...

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Jackpot pour les Russes

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Celui qui nous a placé ici les plaça là-bas

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 « Il serait d’un orgueil insensé de prétendre que les habitants de toutes les parties du monde devraient être des Européens pour vivre heureux ; car serions-nous devenus nous-mêmes ce que nous sommes hors d’Europe ? Celui qui nous a placé ici les plaça là-bas et leur a donné le même droit à jouir de la vie terrestre. Comme la félicité est un état intérieur, elle a son critère et sa définition non en dehors, mais au-dedans de chaque être individuel. »

Johann Gottfried von Herder, Histoire et Cultures

 

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18/08/2015

"Sipo Matador"

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« J’ai compris ce qu’était la volonté de puissance chez Nietzsche en lisant un jour dans un volume des Fragments posthumes cette unique expression: "Sipo Matador". Rien d’autre. Pas de note explicative. Ces deux mots-là. J’entamai donc des recherches pour savoir si, ailleurs dans son oeuvre complète, posthume ou publiée, le philosophe avait utilisé cette formule. On en retrouve en effet une seconde mention dans le paragraphe 258 de "Par-delà le bien et le mal", l’un de ses livres les plus forts en alcool philosophique à même d’enivrer les petites santés. Nietzsche entretient de la Volonté de Puissance et de son fonctionnement "semblable en cela à ces plantes grimpantes de Java - on les nomme ‘Sipo Matador’- qui tendent vers un chêne leur bras avide de soleil et l’enlacent si fort et si longtemps qu’enfin elles se dressent au-dessus de l’arbre mais en s’appuyant sur lui, exhaussant leur cime avec bonheur pour l’éploré à la lumière". De la même manière que j’ai envie, un jour d’aller dans les mers australes pour voir voler l’albatros depuis qu’adolescent j’ai lu le poème de Baudelaire, j’eus envie d’aller à Java pour voir la volonté de puissance nietzschéenne. »

Michel Onfray, Cosmos

 

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Antifasciste

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« "La vie" : je souscris au concept opératoire nietzschéen de volonté de puissance. Mais il a été l’occasion pour Nietzsche d’un immense malentendu pour n’avoir pas été lu comme il aurait fallu, à savoir comme un concept ontologique explicatif de la totalité de ce qui est. Il a en effet été utilisé de façon politique par les fascismes européens, dont le nazisme, pour justifier leurs projets abjects. La volonté de puissance nomme tout ce qui est et contre lequel on ne peut rien faire, sinon savoir, connaître, aimer, vouloir cet état de fait qui nous veut et que l’on ne peut à priori vouloir. Le fascisme voulait ne pas vouloir ce qui nous veut, une entreprise aux antipodes du projet nietzschéen. Le surhomme sait qu’on ne peut rien à ce qui est ; le fasciste croyait pouvoir changer l’ordre de ce qui est. L’ontologie nietzschéenne est radicalement antifasciste. »

Michel Onfray, Cosmos

 

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17/08/2015

Vouloir ce que je voudrais voir se reproduire tout le temps

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« Vouloir ce que je voudrais voir se reproduire tout le temps : voilà ce qui définit une vie philosophique. Certes, il y a d’abord vie philosophique quand il y a coïncidence entre ce que l’on pense, ce que l’on croit, ce que l’on enseigne, ce que l’on professe et ce que l’on vit au quotidien ; mais il y a aussi vie philosophique quand il y a production d’instants vivants, accumulation de ces durées sublimes, juxtaposition de ces accumulations dans le temps, le tout finissant par architecturer une vie construite selon ces principes. Qui voudrait voir se reproduire sans cesse les moments ternes et tristes, sombres et lugubres qui remplissent sa vie de temps morts ? Qui ne voudrait d’une vie faite de ces moments d’un contre-temps hédoniste ? »

Michel Onfray, Cosmos

 

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Un instant sans lien avec l’avant et l’après

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« Cette étrange dilution des temps vrais dans un faux temps nie le passé autant que l’avenir. Ce qui fut, tout comme ce qui sera, n’a pas été et ne sera pas, donc n’est pas. Ce qui est ? Juste un instant sans lien avec l’avant et l’après. Un point incapable de prendre place dans le processus qui jadis faisait une ligne.

(…)

Ce temps dissocié de ses attaches avec le passé et le futur, ce temps non dialectique, ce temps intemporel définit le temps mort. Nous vivons dans le temps mort construit par les machines à virtualiser le réel. Le téléphone abolit les distances, la radio aussi ; la télévision, quant à elle, abolit les distances mais aussi le temps. L’instant du tweet et du texto n s’inscrit dans aucun mouvement. Temps mort présenté comme temps vif, temps décomposé qu’on imagine quintessence du temps postmoderne, temps déracine d’un monde hors sol.

Comment, dés lors, saisir : le temps du vin et le temps des paysans, le temps du géologie et celui du spéléologue, le temps des nomades et celui des sédentaires, le temps des ruraux et celui des urbains, le temps des plantes et celui des pierres, le temps des vivants et celui des morts ? La confusion des temps empêche de partir à la recherche du temps perdu et de jouir du temps retrouvé, elle interdit qu’on connaisse la douceur de la nostalgie et la violence du désir des choses à venir. Cette dilution dommageable transforme en sourds ceux qui ne peuvent plus entendre une symphonie dans sa longue durée, en illettré le lecteur incapable de lire de longs livres, en crétin l’individu qui ne sait plus soutenir son attention et sa concentration au-delà de cinq pages d’un essai, en demeuré celui qu’on a habitué aux temps brefs des pastilles radiophoniques et télévisés. La mort du temps tue ceux qui vivent dans ce temps.

Ce temps mort ne permet donc rien d’autre que la mort. Il n’est pas le temps suspendu du mystique païen ou du sage qui sait parvenir au sublime, à l’extase et au sentiment océanique, mais la présence vide et creuse à l’ici-bas comme s’il s’agissait déjà d’un néant.»

Michel Onfray, Cosmos

 

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