09/10/2007
Il faut absolument parler aux hommes.
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Le choix de ce jour est d'Irina.
Irina :
St Ex et Pagnol : deux auteurs importants dans ma vie parce que liés à mon grand-père, qui m'a élevée, et qui m'a quittée beaucoup trop tôt.
Henri PETIT (19.10.1914 - 09.10.1977)
Henri Petit, mon grand-père, celui qui m’a transmis l’essentiel, dont St-Ex. Aussi amoureux des avions que lui, heureux en vol toujours et tout autant malheureux pour sa génération…
A obtenu son brevet de pilote en mai 1940, sous-lieutenant en 1944, lieutenant en 1945, capitaine en 1949, commandant en 1955, lieutenant colonel en 1961.
Campagnes Militaires : France (1939-1941), en mer (1941), Algérie (1941-1943), Maroc (1943-1944), Tunisie (1944-1945), Allemagne (1945-1946), Algérie (1946-1950), Indochine (1950-1951), Algérie (1956-1958)
Décorations :
-Août 1945 : Croix de guerre 1945 Et. de bronze
-Mai 1946 : Commémorative 39-45 avec "agr.libération"
-Novembre 1950 : Médaille coloniale
-Juillet 1951 : Chevalier de la légion d’honneur
-Octobre 1951 : Croix de guerre Théâtre des opérations extérieures avec palme
-Février 1954 : Médaille commémorative de la Campagne d’Indochine
-Octobre 1956 : Médaille commémorative OSMO
-Février 1957 : Croix du combattant
-Décembre 1961 : Officier de la légion d’honneur
Le texte que je veux vous faire partager cette fois m'est extrêmement cher ; premier écrit de St Ex qui m'ait été révélé à l'âge de 11 ans et qui m'avait déjà beaucoup troublée. Il a pris tout son sens quelques années plus tard et j'en remercie mon grand-père encore aujourd'hui...
Savourez.
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"LETTRE NON ENVOYÉE
DESTINÉE AU GÉNÉRAL X…
(Oudjda, mi-juin 1943)
Cher Général,
Je viens de faire quelques vols sur P 38. C'est une belle machine. J'aurais été heureux de disposer de ce cadeau-là pour mes vingt ans. Je constate avec mélancolie qu'aujourd'hui, à quarante-trois ans, après quelque six mille cinq cents heures de vol sous tous les ciels du monde, je ne puis plus trouver grand plaisir à ces jeux-là. L'avion n'est plus qu'un instrument de déplacement — ici de guerre — et si je me soumets à la vitesse et à l'altitude à un âge patriarcal pour ce métier, c'est bien plus pour ne rien refuser des emmerdements de ma génération, que dans l'espoir de retrouver les satisfactions d'autrefois.
Ceci est peut-être mélancolique — mais peut-être bien ne l'est pas. C'est sans doute quand j'avais vingt ans que je me trompais. En octobre 1940, de retour d’Afrique du Nord, où le groupe 2/33 avait émigré, ma voiture étant remisée, exsangue, dans quelque garage poussiéreux, j'ai découvert la carriole à cheval. Par elle, l'herbe des chemins, les moutons et les oliviers. Ces oliviers avaient un autre rôle que celui de battre la mesure, derrière les vitres, à cent trente kilomètres-heure. Ils se montraient dans leur rythme vrai, qui est de lentement fabriquer des olives. Les moutons n'avaient plus pour fin exclusive, de faire tomber la moyenne. Ils redevenaient vivants. Ils faisaient de vraies crottes et fabriquaient de la vraie laine. Et l'herbe aussi avait un sens, puisqu'ils la broutaient.
Et je me suis senti revivre, dans ce seul coin du monde où la poussière soit parfumée (je suis injuste. Elle l'est en Grèce aussi comme en Provence). Et il m'a semblé que, durant toute ma vie, j'avais été un imbécile. (…)
Tout ça pour vous expliquer que cette existence grégaire, au cœur d'une base américaine, ces repas expédiés debout en dix minutes, ce-va-et-vient entre des monoplaces de deux mille six cents chevaux, et une sorte de bâtisse abstraite où nous sommes entassés à trois par chambre, ce terrible désert humain, en un mot, n'a rien qui me caresse le cœur. Ça aussi, comme les missions sans profit ni espoir de retour de juin 1939, c'est une maladie à passer. Je suis « malade » pour un temps inconnu. Mais je ne me reconnais pas le droit de ne pas subir cette maladie. Voilà tout.
Ainsi je suis profondément triste — et en profondeur. Je suis triste pour ma génération, qui est vidée de toute substance humaine. Qui n'ayant connu que le bar, les mathématiques et la Bugatti, comme forme de vie spirituelle, se trouve aujourd'hui entassée dans une action strictement grégaire, qui n'a plus aucune couleur. On ne sait pas le remarquer. Prenez le phénomène militaire d'il y a cent ans. Considérez combien il intégrait d'efforts, pour qu'il fût répondu à la soif spirituelle, poétique ou simplement humaine de l'homme.
Aujourd'hui que nous sommes plus desséchés que des briques, nous sourions de ces naïvetés. Les costumes, les drapeaux, les chants, la musique, les victoires (il n'est plus de victoires aujourd'hui, rien qui ait la densité poétique d'un Austerlitz. Il n'est plus que des phénomènes de digestion lente ou rapide). Tout lyrisme sonne ridicule. Les hommes refusent d'être réveillés à une vie spirituelle quelconque. Ils font honnêtement une sorte de travail à la chaîne. Comme dit la jeunesse américaine « nous acceptons honnêtement ce job ingrat ». Et la propagande. dans le monde entier, se bat les flancs avec désespoir. Sa maladie n'est point d'absence de talents particuliers, mais de l'interdiction qui lui est faite de s'appuyer, sans paraître pompière, sur les grands mythes rafraîchissants. De la tragédie grecque, l'humanité dans sa décadence, est tombée jusqu’au théâtre de Monsieur Louis Verneuil. (On ne peut guère aller plus bas.) Siècle de la publicité, du système Bedeau, des régimes totalitaires et des armées sans clairons ni drapeaux, ni messes pour les morts. Je hais mon époque de toutes mes forces. L'homme y meurt de soif.
Ah général, il n'y a qu'un problème, un seul, de par le monde. Rendre aux hommes une signification spirituelle. Des inquiétudes spirituelles. Faire pleuvoir sur eux quelque chose qui ressemble à un chant grégorien. Si j'avais la foi, il est bien certain que, passé cette époque de « job nécessaire et ingrat », je ne supporterai plus que Solesme. On ne peut plus vivre de frigidaires, de politique, de belote et de mots croisés, voyez-vous ! On ne peut plus. On ne peut plus vivre sans poésie, couleur, ni amour. Rien qu’à entendre les chants villageois du XVe siècle on mesure la pente descendue. Il ne reste rien que la voix du robot de la propagande (pardonnez-moi).
Deux milliards n'entendent plus que le robot, ne comprennent plus que le robot. Se font robots. Tous les craquements des trente dernières années n’ont que deux sources. Les impasses du système économique du XIXe siècle. Le désespoir spirituel. Pourquoi Mermoz a-t-il suivi son grand dadais de colonel, sinon par soif ? Pourquoi la Russie, pourquoi l’Espagne? Les hommes ont fait l'essai des valeurs cartésiennes : hors les sciences de la nature, ça ne leur a guère réussi. Il n’y a qu'un problème, un seul, redécouvrir qu'il est une vie de l'Esprit, plus haute encore que la vie de l'intelligence. La seule qui satisfasse l'homme. Ça déborde le problème de la vie religieuse, qui n'en est qu'une forme (bien que, peut-être, la vie de l'esprit conduise à l'autre nécessairement). Et la vie de l'Esprit commence là où un Être « vu » est conçu au-dessus des matériaux qui le composent. L'amour de la maison — cet amour inconnaissable aux États-Unis — est déjà de la vie de l'Esprit. Et la fête villageoise. Et le culte des morts. (Je cite ça, car il s'est tué, depuis mon arrivée ici, deux ou trois parachutistes. Mais on les a escamotés : ils avaient fini de servir. Ça, c’est de l'époque, non de l'Amérique l'homme n’a plus de sens.)
Il faut absolument parler aux hommes.
À quoi servira de gagner la guerre, si nous en avons pour cent ans de crises d'épilepsie révolutionnaire ? Quand la question allemande sera enfin réglée, tous les problèmes véritables commenceront à se poser. Il est peu probable que la spéculation sur les stocks américains suffise, au sortir de cette guerre, à distraire, comme en 1919, l'humanité de ses soucis véritables. Faute d'un courant spirituel fort, il poussera, comme champignons, trente-six sectes qui se dévoreront les unes les autres. Le marxisme lui-même, trop vieillot, se décompose en une multitude de néo-marxismes contradictoires. On l'a bien observé en Espagne. A moins qu'un César français ne nous installe dans un camp de concentration néo-socialiste pour l'éternité.
Il faut parler aux hommes, parce qu'ils sont prêts à se rallier à n'importe quoi. Je regrette de m'être, l'autre matin, si mal exprimé auprès du général Giraud. Mon intervention a paru lui déplaire comme une faute de goût ou de tact ou de discipline. Je m'en affecte absolument la faute : il est difficile d'aborder, à bâtons rompus, de tels problèmes. J'ai échoué par hâte. Cependant, le général a été injuste en me marquant si nettement sa désapprobation, car je n'avais pour but que le rayonnement de l'effort et de la forme de pensée qu'il représente. L'automatisme de la hiérarchie militaire émoussait mes arguments. Le général m'eût écouté avec plus de bienveillance si j'avais été plus adroit. Et cependant, ce que j'exprimais partait de mes tripes, et je parlais dans le seul but de lui être utile et, par lui, d'être utile à mon pays. Car il me paraît discutable que les commandants d'unité aient qualité pour substituer leur interprétation à un exposé fondamental. Ils n'ont point le pouvoir d'apaiser, s'ils ne se réfèrent pas à un exposé officiel, le sous-officier qui doute de soi, une action politique qui a eu en permanence le souci des exposés précis et simples, l'ayant tourmenté dans sa probité. son patriotisme et son honneur. Le général G[iraud] est dépositaire de l'honneur de ses soldats.
À ce sujet, j'ignore si le remarquable discours que le général Giraud a prononcé — et que la presse nous apportait ici avant-hier — doit quelque chose de ses thèmes à mon inquiétude. Le passage, concernant la résistance invisible et le sauvetage de l'Afrique du Nord, était exactement ce dont les hommes avaient soif. Les remarques entendues en font foi. Si j'ai ici servi à quelque chose, et si même le général Giraud me tient rigueur de mon intervention, je suis heureux d'avoir rendu service. Il ne s'agit point de moi. De toute façon, le discours était nécessaire : il a été remarquablement réussi. Cher général, mis à part ces dernières lignes concernant une visite qui m’a laissé un vague malaise, je ne sais trop pourquoi je vous fatigue de cette lettre longue, illisible (j'ai le poignet droit cassé, j'ai du mal à me faire lisible), et inutile. Mais je me sens assez sombre, et j'ai besoin d'une amitié.
Ah ! cher général, quelle étrange soirée ce soir. Quel étrange climat. Je vois de ma chambre s'allumer les fenêtres de ces bâtisses sans visage. J'entends les postes radio divers débiter leur musique de mirliton à cette foule désœuvrée, venue d'au-delà des mers, et qui ne connaît même pas la nostalgie. On peut confondre cette acceptation résignée avec l'esprit de sacrifice ou la grandeur morale. Ce serait là une belle erreur. Les liens d'amour, qui nouent l'homme d'aujourd'hui aux Êtres comme aux choses, sont si peu tendres, si peu denses, que l'homme ne sent plus l'absence comme autrefois. C'est le mot terrible de cette histoire juive : « Tu vas donc là-bas ? Comme tu seras loin ! Loin d'où ? » Le « où » qu'ils ont quitté, n'était plus guère qu'un vague faisceau d’habitudes. En cette époque de divorce, on divorce avec la même facilité d'avec les choses. Les frigidaires sont interchangeables. Et la maison aussi, si elle n'est plus qu'un assemblage. Et la femme. Et la religion. Et le parti. On ne peut même plus être infidèle : à quoi serait-on infidèle ? Loin d'où et infidèle à quoi ? Désert de l’homme. Qu’ils sont donc sages et paisibles ces hommes en groupe. Moi je songe aux marins bretons d’autrefois, qui débarquaient à Magellan, à la légion étrangère lâchée sur une ville, à ces nœuds complexes d'appétits violents et de nostalgies intolérables qu'ont toujours constitués les mâles un peu trop sévèrement parqués. Il fallait toujours pour les tenir des gendarmes forts ou des principes forts, ou des fois fortes. Mais aucun de ceux-là ne manquerait de respect à une gardeuse d’oies. L'homme d'aujourd'hui, on le fait tenir tranquille, selon le milieu, avec la belote ou avec le bridge. Nous sommes étonnamment bien châtrés. Ainsi, sommes-nous enfin libres. On nous a coupé les bras et les jambes, puis on nous a laissé libres de marcher.
Moi je hais cette époque, où l'homme devient sous un «totalitarisme universel », bétail doux, poli et tranquille. On nous fait prendre ça pour un progrès moral ! Ce que je hais dans le marxisme, c'est le totalitarisme à quoi il conduit. L'homme y est défini comme producteur et consommateur. Le problème essentiel est celui de distribution. Ainsi dans les fermes modèles. Ce que je hais dans le nazisme, c'est le totalitarisme à quoi il prétend par son essence même. On fait défiler les ouvriers de la Ruhr devant un Van Gogh, un Cézanne et un chromo. Ils votent naturellement pour le chromo. Voilà la vérité du peuple ! On boucle solidement dans un camp de concentration les candidats Cézanne, les candidats Van Gogh, tous les grands non-conformistes, et l'on alimente en chromos un bétail soumis. Mais où vont les États-Unis, et où allions-nous nous aussi, à cette époque de fonctionnariat universel ? L'homme robot, l'homme termite, l'homme oscillant d'un travail à la chaîne, système Bedaux, à la belote. L'homme châtré de tout son pouvoir créateur et qui ne sait même plus, du fond de son village, créer une danse ni une chanson. L'homme que l'on alimente en Culture de confection, en culture standard, comme l'on alimente les bœufs en foin. C'est ça l'homme d'aujourd'hui.
Et moi je pense que — il n’y a pas trois cents ans — on pouvait écrire La Princesse de Clèves ou s'enfermer dans un couvent pour la vie à cause d'un amour perdu, tant était brûlant l'amour. Aujourd'hui, bien sûr, des gens se suicident, mais la souffrance de ceux-là est de l'ordre d'une rage de dents intolérable. Ça n'a point affaire avec l'amour.
Certes, il est une première étape. Je ne puis supporter l'idée de verser des générations d'enfants français dans le ventre du moloch allemand. La substance même est menacée. Mais quand elle sera sauvée, alors se posera le problème fondamental qui est celui de notre temps. Qui est celui du sens de l'homme. Et il n'est point proposé de réponse et j'ai l'impression de marcher vers les temps les plus noirs du monde.
Ça m'est bien égal d'être tué en guerre. De ce que j'ai aimé, que restera-t-il ? Autant que des Êtres, je parle des coutumes, des intonations irremplaçables, d'une certaine lumière spirituelle. Du déjeuner dans la ferme provençale sous les oliviers, mais aussi de Haendel. Les choses, je m'en fous, qui subsisteront. Ce qui vaut, c'est un certain arrangement des choses. La civilisation est un lien invisible, parce qu'elle porte non sur les choses, mais sur les invisibles liens qui les nouent l'une à l'autre, ainsi et non autrement. Nous aurons de parfaits instruments à musique, distribués en grande série, mais où sera le musicien ?
Si je suis tué en guerre, je m'en moque bien, ou si je subis une crise de rage de ces sortes de torpilles volantes, qui n'ont plus rien à voir avec le vol, et font du pilote, parmi ses boutons et ses cadrans, une sorte de chef comptable. (Le vol aussi, c'est un certain ordre de liens.) Mais si je rentre vivant de ce « job nécessaire et ingrat », il ne se posera pour moi qu'un problème : que peut-on, que faut-il dire aux hommes ?
Je sais de moins en moins pourquoi je vous raconte tout ceci. Sans doute pour le dire à quelqu'un, car ce n'est point ce que j'ai le droit de raconter. Il faut favoriser la paix des autres, et ne pas embrouiller les problèmes. Pour l'instant, il est bien que nous nous fassions chefs comptables à bord de nos avions de guerre.
Depuis le temps que j'écris, deux camarades se sont endormis devant moi dans ma chambre. Il va me falloir me coucher aussi, car je suppose que ma lumière les gêne (ça me manque bien, un coin à moi ! ). Ces deux camarades, dans leur genre, sont merveilleux. C'est droit, c'est noble, c'est propre, c'est fidèle. Et je ne sais pourquoi j'éprouve, à les regarder dormir, une sorte de pitié impuissante. Car s'ils ignorent leur propre inquiétude, je la sens bien. Droits, nobles, propres, fidèles, oui. Mais aussi terriblement pauvres. Ils auraient tant besoin d’un dieu.
Cher général, pardonnez-moi, si cette mauvaise lampe électrique que je vais éteindre, vous a aussi empêché de dormir. Et croyez en mon amitié.
Saint-Exupéry."
07:00 Publié dans Citadelle : Saint-Exupéry | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : saint-exupéry, sacrifice, spiritualité, honneur | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Commentaires
Tout d'abord, un commentaire général, votre blog est très beau. De cette beauté farouche qu'on parfois les choses qui sont crées avec passion.
Je suis arrivée chez vous, en passant par un texte de 2006 qui parlait d'amour. Texte qui réflète aussi ma pensée dans ce domaine. Entre l'amour et le couple, il y a confusion.
Ceci dit, la page d'aujourd'hui, parle de St-Exupéry. J'aimerais savoir comment, avec cette vision de l'amour que vous avez, vous interprétez le dialoque du Petit Prince et du Renard. J'ai toujours été agressée (ok le mot est un peu fort) par l'interprétation romantique que les gens en font habituellement.
Jeanne
Écrit par : jeanne | 09/10/2007
"Aujourd'hui que nous sommes plus desséchés que des briques, nous sourions de ces naïvetés. Les costumes, les drapeaux, les chants, la musique, les victoires (il n'est plus de victoires aujourd'hui, rien qui ait la densité poétique d'un Austerlitz. Il n'est plus que des phénomènes de digestion lente ou rapide). Tout lyrisme sonne ridicule. Les hommes refusent d'être réveillés à une vie spirituelle quelconque."
« Il n’y a plus de lyrisme », et bien pire encore, on le haït. Au temps où je croyais encore que ne compte que la fougue et l’embrasement, qu’une âme n’a pas à avoir honte de son chant, j’ai rencontré les peaux mortes du poème contemporain. Quelques très brèves publications m’ont suffi pour comprendre que nous ne partagerions pas le pain de feu, que l’absolu n’était plus digne même d’une antique rengaine et qu’il fallait pour que vibre les cordes de la reconnaissance, prostituer ses plus chers cicatrices, faire allégeance aux embaumeurs. La mélodie était fasciste et le lyrisme une dangereuse fascination aux pouvoirs noirs de la mort, crachaient-ils. Plaisante théologie ! qui mit la plume aux mains des professeurs, aux bannisseurs de cris, aux pires réprouvés de l’enthousiasme. J’ai préféré retrouver mes scintillances, et que mes chères naïvetés me pardonnent d’avoir rougi de leurs délices.
Hommage à Mr Henri Petit, à cette belle vie d’homme ; oh ce visage de droiture, ce sourire de bonté courageuse qui n’appartient qu’à celui qui n’a jamais eu à rougir et qui a fait sa tache. Toujours debout, même après leur mort, on les appelait des hommes.
Puissions nous être digne d’eux.
Écrit par : R. | 09/10/2007
Une mauvaise manipulation a signé "R"
Mais
Je désirais donner mon nom entier. Et ce n'est pas vanité - mais respect.
Écrit par : Restif | 09/10/2007
Merci pour cette dernière phrase Restif qui est ce qu'il faut retenir au minimum : "Puissions nous être dignes d'eux", de ces hommes qui par leurs actes et leurs mots nous ont transmis un patrimoine que nous nous devons de transmettre à notre tour. Que leur vie ait un sens et que nous fassions vivre leurs actes et leurs mots à notre tour. Ils avaient déjà senti que quelque chose ne tournait pas rond dans ce monde, que les hommes, déjà, se perdaient dans l'inconsistant. Guerne, St Ex et plus égoïstement mon grand-père, nous leur devons ce minimum : être dignes d'eux.
Écrit par : irina | 09/10/2007
Je viens de lire cette lettre comme si j'y étais. Déconcertante et actuelle. Les maux du poète. Tellement vrai tout ça !
Écrit par : nina de zio peppino | 10/10/2007
Restif, je prends enfin le temps de répondre un peu aux commentaires sur mon blog, car la fatigue est grande, voyez-vous, à la Logistique FNAC nous sommes en pleine saison, nous préparons un plan de campagne bien éloigné des plans de campagne du grand-père de mon épouse... nous engrangeons la marchandise que la France entière se précipitera pour nous l'acheter dés le mois de décembre. Mais il me faut bien gagner ma triste pitance, n'est-ce pas?, pour me donner encore un peu l'illusion d'être un homme libre juste parce que je gagne mon pain à la sueur de mon front. On se fait une raison. On serre les fesses et le lyrisme dont vous parlez avec tant de vérité, Restif, on se l'imagine, on se l'invente, on le phantasme... pour ne pas devenir fou. On se rêve dans un désert, près d'un feu de camp, entouré par une nuit noire, épaisse, palpable, à couper au couteau, avec un champ infini d'étoiles dessus nos têtes, à savourer juste le battement de notre coeur et le souffle de nos narines. Des choses que le papy d'Irina a du goûter de nombreuses fois, alors qu'il servait son pays, dans ces instants de calme avant les tempêtes sanglantes... quand on prend le temps de méditer le sens du devoir et des valeurs pour lesquelles on se pense prêt à mourir.
Ce texte de Saint-Exupéry est d'une grande force. Il me nourrit encore après toutes ces années et y revenant j'y puise encore une moisson de l'esprit qui me donne du courage et m'intime l'ordre de ne pas baisser les bras. Car si je regarde la voûte au-dessus de moi, je la vois inchangée, comme immobile, majestueuse dans cette clameur silencieuse depuis des siècles et des siècles et je vois l'homme s'agitant, tantôt sur place, tantôt migrateur, cherchant la mesure de son nombril sous les astres luisants. Alors je ferme la porte de ma maison, au fond de mes broussailles protectrices, entouré de mes livres, mes amis à mes côtés ou de passages comme de beaux nomades, je monte le son de la chaîne (L'album "re.ac.tor" de Neil Young... puis plus tard "L'Imprudence" de Bashung... quand ce n'est pas Haendel ou Beethoven) et je me confie aux rites de ma solitude, aux probabilités de mon attente. Attente de quoi ? Je ne sais moi-même. Mais l'alerte intérieure est permanente. Sentinelle sur les hauteurs de la tour de garde. Je songe à "All along the Watchtower" de Bob Dylan alias Robert Zimmerman, qui pourrait très bien figurer dans ma catégorie "Le Salut par les Juifs"... Sentinelle sur les hauteurs, de quoi avoir toujours le Vertige en attendant la mort. Le Vertige, la seule manière lucide d'être au monde.
Et puis Restif... je sors d'une lecture qui m'a déchiré et laissé sans mots, au début, l'oeuvre une fois achevée et mon exemplaire de la Pléiade refermée : "Le Peintre Nolten" d'Eduard Mörike. Que de beauté dans ces quelques 400 pages. De souffrance. Et quelle plume ! Et, histoire de bien arranger mon cas, j'ai aussitôt entamé "Le Épées" de Nimier, afin de garder le cap de l'assurance malgré l'absence de bien grandes certitudes, pauvre de moi. Mais j'arrive encore à rire et à bander, pardonnez-moi ma trivialité.
Quant aux morts et satisfaits de l'être, tous ces descendants de Saint-Just et Robespierre, leurs enfants éteinds qui pensent, à présent, que "le bonheur est une idée neuve dans leur beau village mondial", qui se gargarisent de fêtes creuses, de bouffe dégueulasse et d'opinions communes et nauséeuses, qui voient des fascistes partout et trouvent toute liberté, toute fondation, toute identité douteuses, satisfaits de leur générosité qu'ils croient humaniste, du fond de leur bêtise crasse, nous les révoquons d'un regard, en silence, pour ne pas faire de vagues épuisantes et inutiles. Masque Nietzschéen. Et Patience crépusculaire.
Jeanne,
Apprivoiser ce n'est pas fusionner. Voilà. C'est ce que je pense. Il faut déployer ses ailes et voler d'un vol majestueux, libre et vif et apprivoiser, ici, dans le sens où Saint-Exupéry en parle dans son "Petit Prince", ou tout du moins comme je l'ai compris, c'est prendre la mesure de la sauvagerie de l'autre, le connaître et l'aimer pour ce qu'il est sans le brimer, ni le juger et savoir néanmoins partir. "Le meilleur ami est le plus lointain" disait Nietzsche. Et "quand tu aimes il faut partir" écrivait Cendrars. Pour ce qui est de l'interprétation que les gens peuvent en faire... bah... l'edulcoration est affaire courante. Notre époque ne prend même plus de gants pour cette funeste opération qu'elle applique à tout et n'importe quoi, histoire de se rassurer.
Nina,
"Déconcertante et actuelle" dites-vous ? Oui. Atrocement actuelle, n'est-ce pas ?
Bien à Vous tous.
@)>-->--->---
Écrit par : Nebo | 10/10/2007
Ah Nebo ! heureux, vraiment, de vous revoir. Vous savez, un petit château en Espagne me courre dans l’âme. Si j’avais la mise, je lâcherais tout ; scholies, épépinage de logos, pour ouvrir ( et comme je vous y verrais!) une vraie petite bonne librairie. Qui éditerait, quand ça lui plairait, quelques bouquins et ferait venir parfois quelques écrivains, des rares. Un lieu où soufflerait une âme, une contrée avec sa musiquette, sa mélodie bien à elle. Qui sait ?
Votre texte mériterait quelques tango-syllabes.
Mais on agite les chaînes, ça cliquette… Si vous saviez comme je suis charrette… tant de pages, écrire, annoter, faire la roue pour montrer qu’on connaît sa danse du ventre. En vrai derviche et bien noté.
Bon courage. Vous avez quand même ces as dans votre jeu : Irina, vos enfants et une cervelle que Dieu, le destin ou le logos – à vous le dé - n’a pas créé mauvaise.
Pour l’instant, notre seule manière de marcher en oubliant pas les vivants qui ont su faire leur métier d’homme, c’est encore de vivre en quête de Joie. Et de serrer poings et dents si nécessaire.
Allez,
Le fouet claque ; mon sablier est déjà retourné.
Chaleureusement. Restif.
Écrit par : Restif | 10/10/2007
Restif, je souris car mon château en Espagne à moi serait d'ouvrir un bar à vin littéraire. Je suis Bourguignone... J'aime le bon vin et les livres. Un endroit où je serai reine, chaleureux, de la pierre, une cheminée, du vin de ma terre, quelques bon fromages et des livres tout autour de soi. Des causeries, de bons auteurs, des Restifs et des Nebo, quelques signatures par-ci par-là et mon bonheur serait complet.
Etrangement, j'ai des envies de replis, de fortifications, des envies d'organiser une Résistance car il me semble parfois être en guerre. En guerre contre la bêtise, l'inconsistance, en guerre contre l'homo-festivus et l'évènementiel (paix à vous cher Muray), en guerre contre le conformisme, la doxa et les grandes phrases à la mode.
J'aime cet endroit et j'aime y lire des âmes insurgées comme la vôtre (paix à vous cher Guerne).
Je serre les poings et les dents car c'est souvent nécessaire.
Que Dieu vous garde.
Écrit par : irina | 11/10/2007
Merci de votre visite sur mon site. "prendre la mesure de la sauvagerie de l'autre " je trouve cela très beau...Merci
Écrit par : jeanne | 11/10/2007
A vous Princesse et Chevalier de la Nef des Insurgés
Vite ! ( que du donjon de Morneglose à pas furtifs je me faufile jusqu’à la première meurtrière pour y lancer ce court billet). Dieu quelle gracieuse vision Irina! Un Château Espagne millésime. Grand cru. Heureuse vision et qui n’est pas folie. J’entrevois des sentiers qui pourraient mener à nos paradis, qui ne sont pas absolument incompatibles en ces jours d’Internet… des Paradis exigeants, certes, mais c’est une liberté qui vaut son prix Avant de m’en retourner à mon chevalet d’anatomiste,un p’tit mot sur mon arrière grand père… bourguignon ! Lui, ça guerre, c’était le grande, la 1ère, qu’il fit d’abord poilu commun avant d’être estafette – c'est-à-dire de porter les messages d’une tranchée l’autre. Il avait ses médailles, mais ne les mettait pas, ne parlait pas de ces souvenirs, jamais. Il est mort à plus de 97ans et j’eus le bonheur de le connaître juste assez pour que son visage reste là, dans l’enfance, au chaud dans ma mémoire. Tout ça pour dire qu’on est un peu « pays », ce qui me fait bien plaisir.
Je crois que Dieu me garde et regarde d’un meilleur oeil quand l’estime et la bienveillance me recommandent à lui.
Top pressé pour bien écrire, mais confiant dans mon cœur qui vous aime –qui aime ce que vous me donnez, ce que je perçois de vous – je vous confie à toutes les forces bienfaisances de la joie, des châteaux en Espagne et du courage. Et à Dieu, qui habite tous ces lieux.
Ps « vous »c’est Irina, et c’est aussi Nebo, bien sûr. Je n’écrirais qu’avec un glaçon si j’écoutais ma pudeur ; alors quand un mot survient porté par la sincérité, je refuse de m’amputer l’esprit. De castrer mon âme. Bon, travail !
Écrit par : Restif | 11/10/2007
Il y a des chemins qui doivent se croiser, qu'ils soient virtuels ou charnels. Les rencontres se provoquent tout comme les évènements. Il y a là quelque chose qui me fait penser à la physique quantique, enfin tout du moins au peu que j'y connais. Chaque mouvement d'atome engendre d'autres mouvements, ainsi nos actes, nos mots, nos pensées auront de la même façon une incidence sur ce et ceux qui nous entoure(nt). Une rencontre n'arrive pas par hasard, une lecture non plus ; il y a des interactions indiscutables qui peuvent accoucher du meilleur comme du pire. A nous de décider de ce qu'il sortira de nous.
De belles rencontres engendrent de belles paroles et de beaux actes.
Bien à vous Restif, votre âme est belle et me touche.
Écrit par : irina | 11/10/2007
Ah Irina - Jamais cru au "hasard"...
J’ai été trop touché pour laisser un mot. La gorge un peu serrée… Et puis je me dis : soyons simple. Même avec trop peu de mots, faisons juste un petit signe pour une grande âme.. Je crois que ce sera compris. Compris, que moi aussi, je ressens tout ça. Avec de la joie dans les yeux A vous, au-delà des formules. Restif.
Écrit par : Restif | 12/10/2007
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