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05/06/2011

Une déstructuration quotidienne et incessante de l’esprit affolé

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

« L’automatisme n’est en soi qu’une déviation technique, mais il ouvre sur l’univers entier du délire fonctionnel. Autrement dit, tout le champ des objets fabriqués où joue la complication irrationnelle, l’obsession du détail.
Si nous soumettons les objets qui nous entourent à cette interrogation : qu’est-ce qui est structurel en eux, qu’est-ce qui est astructurel ? qu’est-ce qui est technique en eux, qu’est-ce qui est accessoire, gadget, indice formel, nous nous apercevrons que nous vivons en plein milieu néo-technique, dans une ambiance très largement rhétorique et allégorique.
A ce niveau, l’équilibre technique de l’objet est rompu : trop de fonctions accessoires se développent où l’objet n’obéit plus qu’à la nécessité de fonctionner, à la superstition fonctionnelle : pour n’importe quelle opération, il y a, il doit y avoir un objet possible : s’il n’existe pas, il faut l’inventer. C’est toute la bricole du concours Lépine qui, sans jamais innover et par simple combinatoire de stéréotypes techniques, met au point des objets d’une fonction extraordinairement spécifiée et parfaitement inutile. La fonction visée est si précise qu’elle ne peut être qu’un prétexte : en fait ces objets sont subjectivement fonctionnels, c'est-à-dire obsessionnels. Et la démarche inverse, « esthétique », qui omet la fonction pour exalter la beauté du mécanisme pur, revient au même. Car, pour l’inventeur du concours Lépine, le fait d’arriver à décapsuler des œufs par utilisation de l’énergie solaire, ou tel autre aboutissement dérisoire n’est qu’un alibi à la manipulation et à la contemplation obsessionnelles.
Du bricolage dominical au super gadget à la James Bond se déploie tout le musée de l’accessoire miraculeux pour aboutir au gigantesque effort industriel de production d’objets et de gadgets, de machins quotidiens qui ne le cèdent en rien dans leur spécialisation maniaque à la bonne vieille imagination baroque des bricoleurs. Car que dire des machines à laver la vaisselle par ultrasons qui décollent la crasse sans qu’on y touche, du grille-pain qui permet d’obtenir neuf degrés différents de brunissage et de la cuillère mécanique à agiter les cocktails ? Ce qui était jadis qu’excentricité charmante et névrose individuelle devient, au stade sériel et industriel, une déstructuration quotidienne et incessante de l’esprit affolé ou exalté par les détails. »

Jean Baudrillard, Le système des objets, 1968

07:02 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (3) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Commentaires

Il y a quelques jours, une connaissance qui porte sa belle conscience en bandoulière me demandait avec un peu de suspicion idéologique dans le ton:
- Mais alors, tu te situes où ? T'es à gauche ou à droite ?
Voilà ! On y était. Toujours devoir se positionner et se justifier. Comme je n'avais pas envie de développer sur le sujet, j'ai répondu à l'inquisiteur:
- Certain jour, je me sens comme un anarchiste en quête d'ordre.
Il est resté pantois. ;)
Bon dimanche.

Écrit par : Paglop77 | 05/06/2011

PS: C'est pour cela que j'apprécie le parcours et le discours d'un J.-M. Bourre que vous m'avez fait connaître.

Écrit par : Paglop77 | 05/06/2011

Moi non plus je n'aime pas être mis dans des cases... et puis il faut deux jambes pour danser, une jambe droite et une jambe gauche...

C'est Jean-PAUL Bourre, pas J- M Bourre. ;-)

Écrit par : Nebo | 05/06/2011

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