21/01/2012
Lettre ouverte à Stéphane Hessel et aux indignés de l'indignation
=--=Publié dans la Catégorie "Le Salut par les Juifs"=--=
Stéphane Hessel fait, encore, parler de lui. Il compare, à présent, François Hollande au Général de Gaulle et à Mendès-France. On croit rêver. Gilles-William Goldnadel à effectué quelques mises au point. Cependant, l'été dernier, dans le numéro 31 du "Magazine des Livres" de Juillet/Août, Joseph Bialot avait publié une lettre fleuve au spécialiste en rebellitude, ainsi qu'aux moutons et matons de Panurge qui le suivent comme on suit une idole : pour se rassurer sans rien considérer de la réalité. Joseph Bialot n'est plus tout jeune. Il approche des 90 ans. Juif polonais, résistant, déporté à Auschwitz et survivant de la Shoah, écrivain... il n'a certainement pas de leçons à recevoir des nouveaux chiens de garde et autres moralisateurs qui ont le vent en poupe. Si je ne partage pas toutes ses positions dans l'argumentation qu'il développe à l'encontre de Saint-Hessel (de l'ordre de la nuance et du détail), force est de reconnaître qu'il ne manque ni de piquant ni de persuasion dans le registre qui est le sien. Je vous invite à prendre le temps de lire sa "Lettre ouverte à Stéphane Hessel et aux indignés de l'indignation"... où vous apprendrez que le vieux Stéphane, outre le fait qu'il enfonce des portes ouvertes, n'a, en vérité, rien rédigé de "La Déclaration des Droits de l'Homme" ni vraiment excellé dans la Résistance face aux allemands. Bon à savoir. De plus, Joseph Bialot rappelle quelques évidences concernant Israël qu'on a, un peu trop, tendance à oublier, puisque les temps sont à la vocifération antisémite antisioniste de circonstance et que l'on répète autant de bêtises que nos analystes et journalopes nous rapportent au quotidien.
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Je viens de lire avec beaucoup d’intérêt le libelle de Stéphane Hessel intitulé : "Indignez-vous !"
Bravo ! Qu’une "littérature" d’une telle platitude rencontre pareil écho montre, assez bien, la crise intellectuelle que traverse ce pays. La France a connu des pamphlétaires de génie, de gauche comme Vallès, Zola ou Berl, de droite tels Galtier-Boissière et Bernanos, ou d’extrême-droite comme Béraud ou Daudet. On approuvait ou on détestait leurs idées, mais c’était des idées, pas du vent.
La France n’est pas encore sortie d’une crise économique qui risque d’emporter tous les acquis humains depuis 1945, les problèmes sont innombrables, mais l’essentiel de l’actualité tient dans le triomphe d’un texte incroyable. Les bobos possèdent enfin un dieu, en contre-plaqué mais un dieu quand même. Le culte de Stéphane Hessel vient de naître ! Qu’on se le dise !
Depuis ma jeunesse, pour avoir connu les Führer, Duce, Caudillo, Conducator et autres chefs et Petits Pères des peuples, je déteste les idoles, les icônes et les hagiographies.
Mon séjour à Auschwitz a développé chez moi une répulsion pour tous les bavards, blablateurs, donneurs de leçons et autres penseurs en rond. Au camp, j’ai connu quelques salauds hors normes, mais j’ai aussi eu la chance de rencontrer des individus qui, par leur comportement, ont maintenu une étincelle de dignité dans le monde délirant du nazisme. Le nazisme militant a disparu. Subsiste un nazisme de pensée inconscient dans lequel l’affectif remplace la logique. On ne raisonne plus, on s’apitoie, se compassionne : sur les fumeurs, les alcooliques, sur les vierges attardées et celles qui sont folles, sur les familles recomposées ou celles qui sont en cours de décomposition, sur les filles-mères et les fils- pères, sur ceux qui n’ont pas assez d’argent et ceux qui en possèdent trop, bref, le temps est à l’attendrissement. Agréable position dominante sur tous les autres.
Confortablement installé dans un fauteuil, on souffre pour ceux qui sont atteints de tous les maux engendrés par un progrès sans contrôle dans un univers sans repères. Si chacun détient une évidente vérité universelle, personne ne propose la moindre solution pour en sortir. Les idéologies sont mortes et les religions se réfugient dans le fanatisme pour essayer de durer : Encore une minute, Messieurs, les bourreaux !
On lutte contre la faim dans tous les cafés branchés de Paris et dans les restaurants étoilés du guide Michelin, on pense dans les talk-shows de la télé, on défile et on revendique en tapant sur des tambours, bref la bonne conscience, les bonnes bouffes et le vacarme servent de passeport pour tous les voyages charitables.
C’est là qu’apparaît la nécessité d’un maître à penser pour justifier un immobilisme total.
Eugène Pottier, parolier de l’Internationale, à écrit :
"Il n’est pas de sauveurs suprêmes,
Ni dieu, ni césar, ni tribun."
Belle phrase en vérité. Dommage qu’il ait oublié d’ajouter :
"Ni idoles !"
Hosannah ! L’impossible n’existant plus à notre époque, nous l’avons enfin, notre prince de la bobologie, notre idole : J’ai nommé Herr Stéphane Hessel. J’emploie le terme de Herr pour dire Monsieur puisqu’il se proclame, lui-même, ein Berliner Kind, un enfant berlinois.
Herr S. Hessel vient de publier un opuscule intitulé Indignez-vous ! qui trouve un grand écho dans tous les médias. C’est le texte indispensable pour briller en société, un phare qui illumine le monde, du moins un certain monde, l’annonce d’un univers où le quotidien chantera, bref un nouvel évangile annonçant une planète pleine de rires et de vie, sous réserve, bien entendu, que l’on tienne compte des paroles de l’idole.
Enfin, les pseudo-intellectuels possèdent un "livre" de référence. Heureusement que cette bible bobologique ne fait qu’une vingtaine de pages. Ce n’est pas le poids de l’ouvrage qui le fait tomber des mains. Je crois que c’est la première fois que la pesanteur attire le vide. Je viens de le lire avec la plus grande attention et cette lecture m’a amené à écrire ce texte.
Il est temps de remettre certaines pendules à l’heure. J’entends par pseudo-intellectuels les différents titulaires d’un doctorat, d’une agrégation ou autres peaux d’âne qui sanctionnent des études diverses. Parchemins qui leur confèrent, pensent-ils, le droit de devenir des directeurs de conscience, alors qu’un diplôme n’est que la reconnaissance d’un cursus estudiantin. Il annonce, "urbi et orbi", que son titulaire n’est pas un illettré. Jamais une attestation de fin d’études n’a indiqué que son possesseur était un intellectuel. Pour moi (je peux me tromper, évidemment) un intellectuel (mâle ou femelle) est un individu qui essaye de trouver des réponses à des questions qui n’en possèdent peut-être pas. Les pseudos, au contraire, vous répondent avant même de connaître la question ! Les textes ? Ils connaissent ! Avec Wikipédia, on n’arrête pas le progrès. Tout le monde sait enfin tout sur rien. Et ils citent, étalent leur culture comme la confiture : c’est parfois bon, souvent gluant.
Ces hommes et ces femmes détiennent une vérité absolue qui s’exprime en général dans une pétition. Leur signature, en bas d’un texte qui enfonce les mêmes portes ouvertes que Herr Hessel, leur donne, enfin, une raison d’exister. La preuve ? Leur nom est imprimé dans une page de journal.
Qui est Stéphane Hessel ? Incontestablement un homme cultivé dont la vie a été passionnante. Bardé de respect parce que respectable, décoré parce que décorable, ambassadeur même s’il n’a pas d’ambassade, bref il possède la totalité des qualités qui vous mènent soit à une notoriété méritée soit à un siège dans ce "corps qu’académique l’on nomme" l’Académie française.
Immigré, d’origine allemande, Hessel entre à l’école sans connaître un mot de français. La "communale" des années 1920-1930, héritière directe de Jules Ferry, formait des masses de gamins dont les parents, venus des quatre coins de l’Europe pour réparer les dégâts de la guerre de 14, s’intégraient sans le secours bidon des cours de rattrapage tels qu’on les pratique de nos jours, les fameuses Zep ! Pour l’enfant étranger (et j’en étais un, je sais donc ce que cela voulait dire), c’était marche ou crève. Je peux certifier que si nombre de mes voisins de classe à Belleville sont morts dans les années 1940, ce n’était pas sous le poids de leur scolarité. Le Ministère de l’Instruction publique, comme on disait alors, instruisait et formait des citoyens. L’éducation appartenait aux familles. Aujourd’hui, les parents infantilisés demandent aux professeurs des écoles d’être des pédagogues, des psys, des papas et des mamans. Comment voulez que celui qui était l’instituteur, le maître d’école, s’en sorte ?
Né d’une mère luthérienne, Hessel n’est pas juif. Son père, converti au protestantisme, le reste selon les critères raciaux des nazis.
Intégration réussie, notre héros va faire un parcours hors norme. Aller d’une communale de banlieue jusqu’à Normale Sup’ mérite un coup de chapeau.
Sans ironie, bravo !
Mais, il n’est pas seul dans ce cas et d’anciens élèves de la rue d’Ulm se sont fait un nom autrement qu’en s’agitant ; je pense à Alain Finkielkraut, à Raymond Aron (le prototype de l’intello), à Jean-Paul Sartre, grand résistant en Mai 68 (mais intello malgré tout) alors qu’il a fait jouer, à Paris, Les Mouches en 1943. Si vous l’avez oublié, sachez qu’en ce temps- là, on ne pouvait éditer, monter un film ou un spectacle, jouer, publier des textes qu’avec l’accord de l’occupant.
Intello modèle, pur et sans tache, résistant, Albert Camus publie L’Étranger en 1942, mais va se racheter en se salissant les mains dans la résistance tandis que d’autres se préparaient à écrire "Les mains sales". Je crois que Camus n’a jamais passé l’agrégation. Dans la liste des intellos, je n’oublie pas François Mauriac et ses papiers dans "L’Express".
Sacha Guitry affirmait : "Les hommes mariés n’ont que ce qu’ils méritent !" Notre époque, particulièrement méritante, possède elle aussi les intellos qu’elle a sécrétés. La culture est sauve ! Nous détenons des trésors, avec un petit groupe bien soudé. Je ne citerai personne mais suivez mon regard, vous les connaissez tous. Sans eux, les médias n’existeraient plus. Ils permettent de combler, par le vide, un néant laissé par un siècle où tous les sous-produits, culturels et autres, sont récupérés. Ils feront l’affaire. Je ne citerai aucun nom, n’ayant aucune raison de faire plaisir à certains nombrilistes parisiens.
J’aimerais toutefois préciser un comportement infâme chez les compagnons de route de monsieur Hessel. Signalez-leur, cher ami, que lorsqu’ils demandent le boycott des universités et des universitaires israéliens, ils se comportent comme les amis de Goebbels. Dans les années 1930, le gamin que j’étais n’a jamais oublié le visage de son père lorsqu’un jour, au bord des larmes, il lui a dit : "C’est terrible ! À Berlin, ils brûlent les livres !"
Je reprends le chef d’œuvre de Herr S. Hessel : "Indignez-vous !" C’est un éblouissement d’apprendre que l’engagement politique de l’auteur est dû au programme du C.N.R, le Conseil National de la Résistance. Il semble que la non-réalisation du contenu de ce texte reste un des grands regrets de notre héros. Ce fut effectivement, à la fin de la guerre, un grand rêve pour changer les structures de base d’une société qui avait fait son temps.
Situons ce programme dans les faits à une époque où l’histoire bascule.
À partir de 1940, il y a un avant et un ensuite dans l’histoire du monde. Après une défaite incroyable, après avoir demandé un armistice qui a prolongé la guerre mondiale d’un temps que je ne puis définir, a commencé l’Occupation. C’est une discussion sans fin que d’essayer de savoir ce qui se serait passé si les futurs vichyssois avaient compris que "la France a perdu une bataille mais la France n’a pas perdu la guerre" !
Imaginons donc.
Simple retour en arrière : 1940 !
Ce qu’on appelait alors "l’Empire" comptait plus de cent cinquante millions d’hommes. Les premiers à rejoindre de Gaulle ont été les Calédoniens (me semble-t-il) et l’Afrique Équatoriale.
La flotte française, la plus belle de l’histoire de la Royale, était intacte. Rien n’empêchait Pétain de passer la Méditerranée et de continuer la lutte.
Première conséquence logique : Mers-el-Kébir n’aurait pas eu lieu. La bataille d’Angleterre serait devenue un évènement secondaire. Hitler ne pouvait pas passer la Manche si les Dunkerque, Strasbourg (je cite de mémoire) et autres cuirassés français avaient été là.
Rappelez-vous les millions de tonnes de navires coulés durant la bataille de l’Atlantique. La lutte sous-marine aurait pris une autre tournure. Il est vrai que toute la France aurait été occupée. Et alors… C’était la guerre, un conflit épouvantable avec des conséquences terrifiantes. Combien de pays ont été occupés ? Malgré des pertes terribles, tous ont survécu.
Stop ! Plus d’histoire-fiction. Revenons à l’indignation laïque, gratuite et obligatoire de Stéphane Hessel.
La France de 1945 est inimaginable pour la génération d’aujourd’hui.
Toutes les réformes n’étaient pas possibles en même temps dans un pays ravagé par la guerre. Il faut avoir vu la France en miettes à cette époque. Sans parler du désastre moral (lire : "La trahison des clercs" de Julien Benda), France la douce n’était plus qu’un amas de ruines : les ports détruits, les routes coupées avec les ponts envolés, les voies ferrées en morse… vingt kilomètres de rail et un blanc avant de retrouver un raccordement ferroviaire, le pays n’était qu’un puzzle terrifiant, sans parler des villes incendiées – en dehors d’Oradour, je ne citerai que Vassieux, Saint-Nizier, la Chapelle en Vercors, etc. Je n’oublie pas non plus la montagne de morts provoquée par le repli de la Wehrmacht. Il est évident que le programme du C.N.R était une gigantesque bouffée d’air pur dans ce chaos.
Je tiens à rappeler à Monsieur Hessel qu’une grande partie du programme du C.N.R a été réalisée. Sans le plan Marshall, il serait resté un chiffon de papier.
Je n’ignore pas que la reconstruction de l’Europe, que nous devons aux Américains, leur a servi aussi à reconvertir leur colossale industrie de guerre pour la rendre enfin aux civils. Je sais aussi que la préoccupation première du plan Marshall était un barrage contre l’avance du stalinisme dans notre continent. Il n’empêche que ce projet a permis au C.N.R de passer à l’action avec, entre autres, la création de la Sécu, les retraites, les grands groupes nationaux, EDF/GDF, les Charbonnages de France, etc.
Mais ce qui était vrai en 1945 ne l’est plus en 2011. Nous avons changé d’époque, d’éthique et même, jusqu’à un certain point, de civilisation. Pas plus que Marx ne pouvait concevoir la nouvelle société industrielle née, entre autres, de l’électrification, personne ne pouvait imaginer le prodigieux bond de toutes les techniques, sans oublier la nouvelle révolution créée par l’informatique dont les effets ne sont pas épuisés.
Le passéisme est une des constantes d’Hessel. Le programme du C.N.R aujourd’hui comme panacée... on croit rêver. Continuons notre lecture.
Après le classique vœu pieux concernant les sans-papiers, sans la moindre proposition de solution, Hessel voudrait une société dont nous puissions être fiers. Qui ne le désirerait pas ?
Pour avoir été un immigré en 1930 (j’avais 7 ans), pour avoir connu dans mon entourage la peur de l’expulsion, je comprends ce qu’Hessel raconte. Dans les années d’avant-guerre, la moindre infraction commise par un étranger le ramenait immédiatement à la frontière. Bien qu’enfant, j’ai assisté à pas mal de pleurs et de crises de désespoir.
Dans une longue rubrique que j’intitulerais "La chronique des portes ouvertes", Hessel montre une qualité très répandue, celle qui consiste à débiter des banalités sur un ton sentencieux :
"L’intérêt général doit primer sur l’intérêt particulier !"
"Une véritable démocratie a besoin d’une presse indépendante !"
"Les banques désormais privatisées se montrent d’abord soucieuses de leurs dividendes, et des très hauts salaires de leurs dirigeants !"
Comme c’est ma semaine de bonté, je ne citerai pas toutes les autres portes ouvertes et défoncées que franchit notre idole. Je terminerai sur celle-ci : "Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l’ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l’actuelle dictature internationale des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie."
On pourrait aussi parler d’un début de dictature financière créée par des pays comme, par exemple, la Chine où l’absence de lois de régulation sociale et une pression monétaire, due à sa dynamique progression industrielle, forment une menace plus grande que celle de Wall Street. Vous avez entendu parler du "Petit livre rouge" d’un certain Mao ? La Chine a réussi le miracle d’hériter des pires maux du capitalisme et du communisme. Un beau mariage de déraison.
Je continue d’éplucher la Bible des bobos.
Le tract intitulé "Indignez-vous !" continue à dérouler ses banalités. Je passe rapidement sur le noble désir de l’ami Hessel de voir la France en modèle de démocratie. Elle se doit d’avoir une presse indépendante, dit Hessel. Elle l’est, non ? La preuve ? Sans les subventions de l’État, bon nombre de nos quotidiens n’existeraient plus.
Sur l’école, Monsieur-je-sais-tout approuve le rejet par certains enseignants de la réforme de l’Éducation nationale en 2008. Sais-tu Stéphane – j’ai décidé de te tutoyer en tant qu’ancien déporté – que dans un pays de droit, la référence reste la loi, votée par un Parlement librement élu ? Nous ne vivons pas une période insurrectionnelle. Puisque tu parles de "la liberté incontrôlée du renard dans le poulailler", j’aimerais compléter ta citation. Elle est de Larcordaire qui affirmait que : "Dans une société inégalitaire, c’est la liberté qui opprime et la loi qui protège !" Sans la loi, c’est le bordel intégral, citoyen Stéphane, le sais- tu ? Même les anars en possèdent une : ne pas avoir de lois...
Sur la Résistance, tu écris : "La Résistance propose : une organisation rationnelle de l’économie… etc." Je crois, mon cher Hessel, que la lutte contre le fric n’était pas son but premier. En 1942-1943, ne comptait que l’ambition de survivre. Entre les bombardements, les Gestapos françaises et allemandes, la Milice, les Doriotistes, les adeptes du Francisme de Bucard et autres jobardises kollabos du même genre, s’occuper de problèmes économiques relevait d’un autre univers. Était en jeu un problème de vie au quotidien pour une dignité justement revendiquée dans un pays libre sans police stipendiée et sans occupants. Les maquisards n’étaient pas des indignés mais, dans leur immense majorité, seulement des jeunes hommes avides de vivre. La perspective d’aller travailler chez les nazis, sous les bombes alliées, à plus fait pour le recrutement maquisard que l’indignation ou le patriotisme.
Tu écris : "... tout ce qui est souhaitable est possible !" Non ! La guerre se serait terminée bien plus tôt si mon vœu de voir crever les SS, les Kapos et tout ce qui touchait à l’ordre brun s’était réalisé. Tu te dis hégélien... Je veux te faire part d’un scoop : Hegel est mort, l’histoire n’a aucun sens comme nous l’avons cru, mais correspond à ce que les scientifiques affirment : c’est "le hasard et la nécessité" qui commandent la destinée humaine et ils ne mènent pas fatalement à "un cheminement irrésistible de catastrophe en catastrophe" comme le croyait ton ami Walter Benjamin. À son propos, pourquoi passes-tu sous silence le travail prodigieux accompli, en 1940, par Varian Fry pour sauver les artistes et autres persécutés ? Parce qu’il était américain ? Fry a tout fait pour aider Benjamin lors de son passage en Espagne. Les choses ont, hélas, mal tourné. Fry était un indigné, un vrai !
Tu poses, parfois, une bonne question. "Qui commande, qui décide ?" Et naturellement, tu réponds par un lieu commun : "Je dis aux jeunes : cherchez un peu, vous allez trouver." Applique ta maxime au problème de l’emploi...
Je passe sur ton analyse de la richesse et de la pauvreté. On pourrait remonter à l’Antiquité et se heurter à "l’immense écart qui existe entre les pauvres et les riches", encore que pour toi, en bon tiers-mondain, le problème ne se pose que pour ceux qui gagnent à peine deux dollars par jour. Je ne serai pas méchant et je ne te demanderai pas à combien se monte ta retraite de diplomate.
Arrive le chapitre de ton activité à l’ONU, ce "machin" comme disait le Grand Charles. Là, nous nous rejoignons. Toi, tu travaillais dans cette énorme bâtisse plantée sur l’East river, et moi je la fréquentais en 1970 lors du seul voyage que j’ai fait aux USA. J’y allais régulièrement car c’était un des très rares endroits new-yorkais où je trouvais des Gitanes- filtres, dont je fumais, à l’époque, trois paquets par jour. Ce qui prouve bien que l’ONU est un "machin" utile et que tabac ne tue pas toujours.
Restons à l’ONU. J’aimerais savoir quel a été ton rôle exact dans la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Tu oses écrire : "Je ne saurais oublier, dans son élaboration, le rôle de René Cassin, etc." Comme disait un de mes instits à l’école communale : "Mon petit, tu as un culot qui frise le toupet !" Cassin, le juriste n° 1 de la France libre, a été l’instigateur et l’architecte de ce texte. Tous les travaux d’historiens le confirment. Qu’as-tu fait, toi, dans cette affaire ? Peut-être, après tout, as-tu tapé à la machine ces lignes révolutionnaires ? De toute façon, l’ONU s’est déshonorée en intronisant récemment un membre de la famille Kadhafi à la présidence de la commission des droits de l’homme. Tu as sûrement entendu parler de ce célèbre démocrate, dont les honnêtes fonctionnaires de l’ONU découvrent cinquante ans après qu’il a fait abattre l’avion de l’UTA, celui de Lockerbie, qu’il a kidnappé des infirmières, emprisonné des négociants suisses, tué, torturé, abruti son peuple avec ses délires. Peux-tu m’expliquer le pourquoi de cette nomination ?
Pour en finir avec les fonctionnaires (car ils ne sont que ça !) onusiens, tu t’extasies sur un de leurs avatars : les ONG.
1. Organisation Non Gouvernementale… Tu parles, Stéphane ! Aucune ne peut tenir financièrement sans l’aide d’un gouvernement.
2. Elles prétendent être "agissantes et performantes" selon tes propres termes, alors qu’elles ne représentent qu’elles-mêmes.
3. Instruments inconscients d’un néo-colonialisme anonyme, elles ne servent que de pansements aux blessures du tiers-monde. C’est bien, c’est charitable de développer l’enseignement, d’apporter des soins, etc. dans les coins le plus démunis de la planète, mais cela ne sert à rien si on pratique dans des déserts sans infrastructures techniques, morales, ouvertes à tous.
On en arrive à l’évènement clé de ta brochure : ton indignation à propos de la Palestine.
J’ai eu l’impression, après avoir pris connaissance de cette noble colère, que toute ton indignation ne sert en fait qu’à envelopper ce produit : la Palestine ou plutôt Israël.
Je reprends, dans l’ordre, ce que tu écris.
"Ce conflit est la source même d’une indignation." Qui a dit le contraire, ami ? Enchainer avec l’alibi du juge Goldstone est une malhonnêteté intellectuelle. Ce n’est pas la seule. Ce magistrat vient de faire machine arrière et a reconnu que lorsqu’il a donné son avis sur l’affaire de Gaza, il n’avait pas eu toutes les données de l’affaire. Je viens de lire sur Internet que le 2 avril 2011, il déclare dans une tribune du Washington Post : "Ce que nous savons aujourd’hui, n’a plus rien à voir avec ce que nous savions à l’époque." Il renvoie maintenant les deux boxeurs dans leur coin respectif.
Abordons ton problème, car tu en as un comme nombre de pourfendeurs des Israéliens. Certains (je crois sincèrement que cela ne te concerne pas) camouflent un antisémitisme plus ou moins conscient en s’abritant derrière un mythe : le sionisme. Ils sont antisionistes pas antisémites. Forcément ! La honte d’Auschwitz pèse encore sur certaines épaules sans empêcher certains juifs d’être de ce bord. Le masochisme existe chez tous les peuples. Or, vous semblez tous ignorer que le sionisme n’existe plus. Je ne dis pas une ânerie. Le sionisme a terminé sa course historique. Je crois que certains éclaircissements s’imposent. Quand les Palestiniens en seront conscients et qu’ils comprendront qu’ils ne jetteront pas les juifs à la mer, la paix sera enfin possible. Ni toi ni les soi-disant défenseurs de la Palestine n’avez pas la moindre idée de ce que le sionisme a représenté pour les juifs d’Europe de l’Est. Une colossale espérance, voilà ce qui a été ressenti à l’origine. Je précise que les Palestiniens devraient se méfier d’abord de leurs amis. "Seigneur, gardez-moi de mes amis, mes ennemis je m’en charge !" Vieux diction. Chacun sait que c’est avec ses ennemis que l’on fait la paix… Tu vois, je deviens comme toi et j’enfonce, aussi, une porte ouverte.
En parlant des protecteurs des Palestiniens, je repense à ce que Churchill disait d’André Maurois. Cet écrivain, un peu oublié aujourd’hui, académicien bon teint, avait fait sa carrière sur des romans très anglomanes – Les silences du colonel Bramble, etc. En 1940, Maurois rejoint les États-Unis et adopte une position ambiguë à l’égard des gaullistes. Le vieux dogue anglais dit alors en parlant de l’écrivain : "Nous pensions avoir un ami, nous n’avions qu’un client !"
Palestiniens, faites attention ! Vous risquez de faire la même découverte, vous avez une clientèle innombrable et courrez vers la même déception. Et gare à vous si par malheur on trouve du pétrole du côté de Jéricho !
Ce sont les soi-disant pays frères qui ont causé le plus de morts dans vos rangs. Pour n’en citer qu’un, Septembre noir, ça vous dit quelque chose ? Ce jour-là, on a vu des Palestiniens se réfugier en Israël pour échapper aux tueries fraternelles. Les Syriens massacrent les opposants au gouvernement, le sais-tu ? Où est ton indignation ? Où est la flottille de secours ? Et n’oublie pas, citoyen Hessel, que la Transjordanie (création britannique), devenue la Jordanie, n’est, elle aussi, qu’une partie de la Palestine turque.
Ce n’est pas la Palestine qui intéresse vos amis, c’est la destruction d’Israël. Comment ? Voilà des hommes qui ont traversé vingt siècles d’expulsions, de massacres, d’humiliations, de calomnies, et ils osent réclamer le droit accordé à tous les peuples d’avoir une nation à eux ? Intolérable, mon cher Watson ! Intolérable !
La Palestine... Le mot fait bander tous ceux qui ne connaissent pas l’Histoire. Oh ! de combien d’orgasmes, de jouissances de tous genres ce mot n’est-il pas responsable ? Grâce à des hommes comme toi, Hessel, on a sanctifié un État qui n’est, en gestation, ni meilleur ni plus mauvais qu’un autre. Je me demande ce que le Pape attend pour canoniser ce pays.
Attention, monsieur Hessel, tu commets une immense erreur en pensant que les juifs d’aujourd’hui sont les mêmes que ceux des siècles précédents. En dehors de la Shoah, évènement hors norme, deux autres faits fantastiques ont eu lieu dans l’histoire du judaïsme :
1. Massada, en 73 après J.-C.
2. La révolte du ghetto de Varsovie en avril 1943.
Deux incroyables suicides collectifs. Durant l’insurrection de 1943, les squelettes encore vivants, mal armés mais armés, sont morts sous les applaudissements enthousiastes des Polonais sortant de la messe pascale et qui ont assisté, du haut de la passerelle surmontant la ville en ruines, à la mort des ennemis de leurs ennemis.
Rappelle-toi une conversation, paraît-il authentique, entre Mao (tu sais bien… l’homme au "Petit livre rouge") et Kroutchev (le gars à la godasse).
"Mao : L’impérialisme américain est un tigre de papier !
Kroutchev : C’est vrai, mais le tigre de papier a des crocs atomiques. Ne poussez pas les Israéliens au désespoir. Devenu “le juif des nations”, si Israël doit en arriver là, alors, mon cher ami, comme diraient les croyants de toutes obédiences : “Que Dieu garde !”"
Indignez-vous ! Gaza est le centre du monde. Indignez-vous, c’est un ordre ! Mais fermez les yeux !
Les peuples éthiopiens et érythréens s’étripent joyeusement.
Au Nigéria, les nordistes musulmans tuent les sudistes chrétiens.
Au Soudan, les animistes sont joyeusement massacrés.
En Égypte, on incendie les églises chrétiennes du rite copte.
En Irak, les chrétiens installés depuis deux millénaires dans le pays se font tuer.
Le Rwanda ? Tu connais ? Un truc raté, on n’a pas atteint le million de morts. On s’est arrêté à seulement huit cent mille.
Les Russes assassinent joyeusement les Tchétchènes et leurs voisins sont sur le pied de guerre.
Pakistanais et Indous s’entretuent par épisodes à propos du Cachemire.
Au Tibet, les Chinois intouchables, ce ne sont pas des Sri-lankais ou des Indonésiens, étranglent les Tibétains.
Je passe sur ce qui se passe dans l’Est africain, au Zimbabwe, en Côte d’Ivoire, en Guinée Bissau.
Tout le monde s’en fout. Pas s’il s’agit de Gaza ! C’est le Dantzig du XXIe siècle. Tous les intellos de la rive gauche sont prêts à mourir pour cette ville.
Etc.
Etc.
Etc.
Vieille habitude, le Vatican se tait...
Seul Israël et ses sept millions d’habitants focalisent l’énergie des médias, des politiques, de tous les m’as-tu-vu de la planète. Sept millions… sur sept milliards d’habitants, soit 1 ‰ de la population mondiale.
Incorrigibles, ces juifs... faut toujours qu’ils se mettent en avant !
Si l’Église s’en mêle, on aura un jour férié de plus : la Saint-Palestine. Journée œcuménique bien sûr. En oubliant la pourriture de certains de ses dirigeants. Je ne mets pas dans le même sac le Palestinien qui, en 1948, a été obligé de quitter sa maison sans comprendre ce qui lui arrivait, et certains politicards. Je repense au fondateur de l’OLP, l’ineffable Ahmed Choukeiry, qui combattait vaillamment les Israéliens dans les bordels de Beyrouth et du Caire.
Vient ensuite Arafat. À sa mort, le magazine américain Forbes estimait que sa fortune était la septième ou la neuvième du monde. Je n’ai plus le chiffre exact en tête et je n’ai pas envie de faire des recherches sur ce point, mais je crois que je suis dans le vrai. Pour mémoire, Arafat était un chimiste, au Caire, qui vivait avec un salaire égyptien, évidemment pas au même niveau que celui de madame Bettencourt. Félicitons cet homme de biens, sans oublier les Caisses d’épargne égyptiennes, pour la bonne gestion de ses dépôts. Dis-moi si je me trompe, ami, c’est bien dans les caisses d’épargne qu’Arafat déposait ses modestes avoirs, non ?
Sans la déliquescence de ces hommes, sans l’intérêt et les intérêts que certains tirent de cet effroyable conflit, le problème serait réglé depuis des dizaines d’années. Mais rien ne presse, les Européens, les Américains continuent à payer. À vos poches, citoyens ! Il faut aider un peuple en détresse. Et, en vérité, il est en détresse. Reste à savoir qui est le véritable responsable de ce gâchis.
Revenons à la fin du sionisme.
Né à Paris, il a terminé sa course après la guerre des Six Jours. Il est évident que jamais Eretz Israël ne retrouvera ses limites bibliques, jamais. Pas question d’aller jusqu’à Ur, patrie d’Abraham.
La création et l’existence d’un État juif est contraire à toute logique politique, religieuse, économique, militaire. Pour qu’une telle idée prenne forme, il a fallu les pogroms utilisés comme moyen de gouvernement par les tsars pour en arriver là. Lassés de voir les juifs spoliés, volés, tués, un beau jour, en 1898, un homme (T. Herzel) a dit : "Stop ! Fini de porter la rouelle en France imposée par Saint-Louis ou le chapeau jaune obligatoire en Allemagne, assez des ghettos même s’ils sont vénitiens d’origine, assez de voir les femmes violées, les enfants massacrés." Tu as été déporté, Hessel... N’as-tu jamais entendu parler des SS fracassant le crâne des bébés juifs sur l’encoignure des maisons ? Je ne te demande pas d’attendrissement, mais d’admettre qu’il fallait que cela cesse.
À propos de la rouelle, durant l’Occupation à Paris, lorsque le port de l’étoile jaune fut imposé aux juifs de France, le capitaine Sézille, antisémite notoire, a déclaré pour justifier cette mesure moyenâgeuse : "Si les juifs étaient de couleur bleue, on ne serait pas obligé de leur faire porter un signe distinctif !" Belle justification, comme tu le vois, des théories délirantes des nazis à propos des races.
Aujourd’hui, l’étoile figure sur le drapeau israélien, mais elle est de couleur bleu et l’hymne national s’appelle Hatikvah, l’espérance. Comme les résistants du ghetto de Varsovie qui chantaient : "Ne dis jamais que tu parcours ton dernier chemin..." L’espérance... la projection dans le futur, c’est ça le judaïsme et pas le culte de la carpe farcie ou un ramassis de recettes de cuisine datant de la préhistoire.
Ben Gourion a déclaré un jour : "Ici, en Israël, celui qui ne croit pas aux miracles n’est pas un réaliste."
Israël existe et ce n’est pas un miracle mais la concordance d’évènements historiques qui se sont imbriqués les uns dans les autres. Certains "sionistes" avaient pensé à l’Ouganda pour la création d’un État juif. Mais le Temple n’était pas à Kampala. Jérusalem s’imposait. Le problème du retour à Jérusalem n’était pas politique mais mythique et mystique. Tu es un lettré, Stéphane, tu connais donc le fameux : "Que ma main droite se dessèche si je t’oublie Jérusalem !"
Mieux, la prière de la Pâque se terminait pas cette phrase : "L’an prochain à Jérusalem !" J’ignore si elle fait toujours partie du rituel. Ces mots ont été répétés dans chaque famille pendant près de vingt siècles, 2000 ans, et tu veux que cela ne laisse pas de traces ?
Je suis un Français, juif, athée, non sioniste. Israël n’est pas ma patrie mais je suis membre à part entière du peuple juif, de ses grandeurs, de ses faiblesses et de ses hommes fabuleux dans le domaine de la pensée, en vrac : Moïse, Jésus, Maïmonide, Spinoza, Marx, Freud, Kafka, Einstein et autres… Par modestie, je n’ajouterai pas : "Et moi !" Je ne t’alignerai pas la liste des Nobel obtenus par les youtres, les youdis, et autre amabilités du même style. La page n’y suffirait pas. Je reste un juif, plus exactement attaché au yiddishisme des youpins polonais, cette fantastique culture dont il ne reste que des cendres.
Je n’ai jamais confondu peuple et nation. Je serai solidaire des Israéliens tant qu’ils seront menacés et resterai juif tant qu’il y aura un abruti antisémite dans le monde. Retour au sionisme : Tu n’ignores pas que le commencement du peuplement juif en Palestine contemporaine (car il y a toujours eu des juifs en Terre sainte) a débuté lorsque les effendis turcs ont vendu leurs marécages de Galilée aux premiers sionistes. Pour l’Empire ottoman, la province palestinienne ne présentait aucun intérêt. Dans La Tour d’Ezra d’Arthur Koestler, les pionniers (c’est ainsi qu’on les appelait) chantaient : "Nous refleurirons la Galilée !" Je n’ai fait qu’un voyage en Israël, c’était en 1968, un an après la guerre des Six Jours, et j’ai vu que la Galilée était en fleurs. Des plantations d’eucalyptus contribuaient encore à maintenir les marais à sec. Si les frères de Bagdad, ou d’ailleurs, avaient une autre vision de la vie, ne crois-tu pas que Gaza serait, elle aussi, aujourd’hui, un jardin fleuri ?
Je ne vais pas continuer mon cours d’histoire.
Tu sais fort bien que la crise du Moyen-Orient a été fomentée, après la Seconde Guerre mondiale, par le Royaume-Uni, soucieux de défendre ses routes stratégiques et de conserver les pétroles irakiens et iraniens encore sous sa dépendance. Rappelle-toi que tout a commencé pendant le conflit 14/18, lorsqu’en 1916 (à cette date rien ne dit que l’Allemagne ne sera pas le vainqueur de la tuerie) les accords secrets Sykes-Picot transforment en confettis les pays du sud de l’Empire ottoman. L’année suivante, arrivent la déclaration Balfour et la promesse britannique de créer, en Palestine, un foyer national juif pendant que Laurence essaye de créer un royaume arabe. Bonjour, les dégâts... Là aussi les pétroliers pointent leurs nez. L’"Irak Petroleum", compagnie créée après la Première Guerre mondiale, avait la composition suivante : environ 73 % à la Grande- Bretagne, 22 % à la France, sans oublier les 5 % de monsieur Gulbenkian pour son rôle d’intermédiaire.
L’État d’Israël, dans cette conjoncture, était un os intolérable dans les intérêts british. Tu connais la suite. On est encore en plein dedans. Et tout le monde a intérêt à ce que cela dure, les pétroliers, les marchands d’armes, les lumières au racisme sélectif, les agités des médias, etc. sans parler des saints dirigeants de la Palestine.
Nous en arrivons à tes voyages à Gaza. Je te signale que tout le monde ne rapporte pas exactement la même vision que toi de ce territoire. Il est évident que ce n’est pas un pays de Cocagne mais ce n’est pas non plus le bidonville que tu décris ou plutôt une prison à ciel ouvert.
Stimulus : L’État juif est proclamé.
Réponse : Sous l’impulsion britannique, la Légion arabe, formée, commandée par des Anglais, entre en guerre contre lui avec l’appui de l’Égypte, du Liban, de la Syrie, de l’Irak, sans compter l’Armée de libération arabe.
Diagnostic : En refusant le plan de partage de l’ONU, les Palestiniens sont condamnés à un exode dont les "pays frères" sont responsables. Je pèse mes mots : ce sont les radios arabes des pays voisins qui ont demandé aux Palestiniens de quitter leurs maisons en leur promettant un retour dans les deux semaines suivantes.
Je n’oublie par Deir Yassin et la tuerie dont l’imbécilité de l’Irgoun est la cause. On chiffre le nombre de victimes à environ deux cents personnes. Je ne suis pas comme toi lorsque tu écris à propos de la récente opération "Plomb durci" : "On nous a confirmé [à Gaza] qu’il y avait eu mille quatre cents morts arabes contre seulement cinquante blessés côté israélien." Te rends-tu compte à quel point ce "seulement" est odieux, monsieur l’humaniste ?
Deir Yassin est pire qu’un crime, c’est une faute, pourrais-je dire en plagiant Talleyrand, et je comprends que l’on puisse parler d’un acte terroriste.
Pour moi, le terrorisme n’est pas monolithique et je fais une différence entre l’Irgoun qui se bat pour bâtir une nation et Al-Qaïda dont l’objectif n’est autre que l’imposition de la charia au monde entier. Pourquoi n’as-tu jamais parlé des tours jumelles de New York, mon cher Hessel, pourquoi ?
Retour à Gaza.
J’adore ta description du lieu lorsque tu évoques l’amour des Gazaouis pour "la mer et les plages". C’est beau… on croit entendre Trenet ajouter : "le long des golfes clairs"... Ne manquent plus que des chaises longues pour en faire un club de vacances alors que cette ville vit un drame permanent du fait, avant tout, des fameux pays frères.
Les enfants de Gaza t’attendrissent ? Là, je te comprends. Mon plus grand stress moral auchwitzien vient du jour (en août 1944) où j’ai vu, à Birkenau, les bambins du ghetto de Lodz aller vers les chambres à gaz. De cet instant, j’ai gardé une haine sans nom pour tous ceux qui touchent à un enfant, de quelque façon que ce soit.
Tu parles de trois millions de réfugiés palestiniens. Je ne mettrai pas ton chiffre en doute, je ne possède qu’une seule donnée au sujet des réfugiés, un seul nombre : ils étaient environ sept cent mille lors de ce qu’ils appellent "la catastrophe". Je peux comprendre le terme. Pour eux, c’en était une. Ils n’avaient pas de responsabilités dans les pogroms ou dans la Shoah. Mais l’homme propose et l’Histoire dispose. C’est ici et maintenant qu’il faut reprendre le problème, pas s’attarder en 1948.
Donc, sept cent mille réfugiés qui vont évidemment se reproduire.
Là intervient ta seconde malhonnêteté intellectuelle. Tu ne parles pas des sept cent mille juifs chassés d’Égypte, de Syrie, d’Irak, etc.
Israël a fait l’effort colossal de les intégrer. Qu’ont fait les pays arabes pour les leurs ? Après la débâcle arabe de 1948, Gaza tombe sous la coupe de l’Égypte et Nasser, ce fin politique, va laisser croupir les réfugiés dans la misère avec l’espoir de s’en servir comme d’une monnaie d’échange ou un moyen de pression. Les Syriens, les Libanais, les Jordaniens font de même. Encore aujourd’hui, au Liban par exemple, un Palestinien ne peut pas acquérir la nationalité libanaise et sortir de son camp qu’il s’appelle Sabra, Chatila ou Tel El Zaatar. Je te rappelle que les auteurs du massacre de Sabra et Chatila sont les miliciens chrétiens.
Il suffirait d’un tout petit effort de ta chère ONU pour que les milliards détournés et planqués par les roitelets du Moyen-Orient, et autres profiteurs de la tragédie palestinienne, servent enfin à quelque chose, entre autres à redonner aux réfugiés une raison d’espérer. Mais je crois que c’est trop de demander cela à tes amis.
J’adore ton analyse sur la violence. Vive la non-violence systématisée. J’entends très bien Gandhi, sur l’escalier de Mauthausen ou dans un des tunnels de Dora, dire aux SS : "Oh, vilains ! Ce n’est pas bien ce que vous faites !"
Explique-moi, Stéphane, qui est pour la violence ? Roquettes sur des villes israéliennes... Réponse au canon... Tu crois vraiment que ça peut encore durer longtemps ? Nous n’avons, toi et moi, aucun pouvoir, mais je crois que ton comportement, au nom de la sacro-sainte charité, ajoute de l’huile sur le feu. J’ajoute que j’ai beaucoup aimé ton "... il ne faudrait pas ex-aspérer, il faudrait es-pérer !" Si tu mêles Lacan au conflit palestinien, tu vas faire le bonheur des coupeurs de cheveux en quatre, tu vas exciter Saint-Germain-des-Prés et tu ne résoudras rien mais tu deviendras célèbre chez les branchés, câblés et autres hommes attachés aux apparences, un décor humain pour masquer le néant qui les entoure.
En déportation, nous avons été supérieurs aux éphémères, ces insectes qui vivent une vie complète en une journée. Notre vie entière pouvait se résumer à une minute. Chaque instant vécu pouvait résumer toute la vie de n’importe quel humain.
Tu as été déporté, tu sais donc qu’il existe un point commun entre un affameur et un affamé : la faim. Quel est le point commun entre un oppresseur et un opprimé ? Qui est l’oppresseur ? Celui qui pose les bombes ou celui qui crève lorsqu’elles explosent ?
Je ne parlerai pas de ton dernier chapitre, "Pour une insurrection pacifique".
Tu en connais des révoltes paisibles ? Je suis sûr que tu n’ignores pas la phrase de Mao ou de Lénine (je ne sais plus et n’ai pas envie de chercher) : "La révolution n’est pas un dîner de gala", etc.
J’arrêterai là cette lecture insipide.
J’en arrive à la postface de l’éditeur.
Je ne discuterai pas ton travail dans la Résistance. Tu étais au sommet, au B.C.R.A. Pour ma part j’étais, à Grenoble, à la base, un résistant lambda. Mais je me sens heureux lorsque je sais qu’en faisant un boulot modeste, j’ai contribué, à mon échelle, à emmerder les nazis. Sur les cinq communes françaises Compagnons de la Libération, le Dauphiné en compte deux : Grenoble et Vassieux-en-Vercors. Encore là, tu m’épates. Dans un de tes bouquins, tu dis : "... j’ai donc monté une mission pour moi-même (1)..."
Là, tu m’apprends quelque chose, j’ignorais qu’au B.C.R.A chacun décidait seul de ce qu’il avait à faire.
Autre chose, ton arrestation. Tu écris, toujours dans "Citoyen sans frontières", que le jour de ton arrestation tu avais "... rendez-vous avec douze types à douze coins différents de Paris..." Si je compte deux heures par rencontre (trajets et entretiens), je ne peux que t’exprimer mon admiration : quand dormais-tu ? Je comprends qu’avec pareille résistance physique, tu sois arrivé à ton âge vénérable.
Je passe sur tes interrogatoires. Être nu, devant quatre hommes armés d’une matraque, je sais ce que c’est. Être ficelé au-dessus d’une baignoire remplie d’eau dégueulasse, je connais aussi. Ce qu’on ressent, la tête dans l’eau, les fesses nues face aux tortionnaires qui tapent sur tout ce qui émerge de la flotte n’est pas une chose inconnue pour moi. Je ne parlerai pas de l’étouffement, de la sensation de mort imminente qui monte en toi lorsque tu te noies.
Ta déportation m’intrigue. Tu cites "Les Bienveillantes" comme bouquin de référence. L’auteur n’étant pas un déporté n’a pu faire que de la compilation. Aucun intérêt, il n’a pas de souvenirs...
Mon convoi s’est baladé durant onze jours à travers la France et l’Allemagne. Comme toi, j’ai connu la crasse, la promiscuité, la peur et l’angoisse. Une chose m’intrigue dans tes aventures, et j’aimerais que tu éclaires ma lanterne sur tes évasions en déportation.
Je vais au préalable te raconter une anecdote authentique.
C’était à Marrakech en 1982. J’étais en vacances et j’attendais la navette qui devait ramener un petit groupe, dont j’étais, à l’hôtel. Durant ce séjour, j’avais rencontré un homme extraordinaire : Pierre... un médecin breton, déporté comme résistant à 18 ans. En attendant le bus, il m’a raconté comment un jour, à Saxo (2), il a fait la queue pour être pendu. À la suite d’une évasion, pour décourager d’autres candidats à la belle, les SS avaient décidé de pendre dix pyjamas. Pierre faisait partie du lot. On en pend un, deux... Et, miracle... Fliegeralarm ! Alerte aérienne. Le seul événement craint par les tueurs d’Himmler. Les exécutions s’arrêtent, tout le monde, gardes compris, court se mettre à l’abri.
Liens défaits, Pierre et les autres retrouvent une brève liberté. L’alerte se termine. Que font les SS ? Ils reprennent le nombre de déportés manquant pour arriver à dix et les pendent.
Toi aussi, tu t’es évadé. J’aimerais te féliciter pour ta chance. Ne pas être pendu après une évasion manquée d’un camp nazi est une chose fantastique. Ton éditeur décrit l’échange d’identité avec un mort, échange qui te sauve la vie. Semprun, me semble-t-il, raconte une histoire semblable. Félicitations : il fallait que tu sois un personnage considérable pour que l’organisation clandestine de Buchenwald te protège avec les risques que cela comportait. Tu étais gaulliste, eux appartenaient au Parti communiste clandestin depuis 1939.
Tu es transféré en usine. Nouvelle évasion. Repris, tu atterris à Dora- l’effroyable. Tu es affecté à la compagnie disciplinaire (3) et tu repars dans la nature. Là, tu deviens, pour moi, le Latude de la déportation. Pour ceux qui ne prennent pas leurs infos uniquement sur Médiapart, je précise que Latude est un aventurier du XVIII e siècle qui, pour un complot imaginaire contre la Pompadour, a passé trente-cinq années de sa vie en prison. Enfermé, il s’est évadé successivement de Vincennes, de la Bastille, de Charenton et de Bicêtre (4). Il file de la Bastille en fabriquant une échelle faite des fibres de ses vêtements (qu’il possédait dans une malle) avec des échelons créés dans le bois qu’il prélève sur les bûches de chauffage (5). On peut, paraît-il, la voir au musée Carnavalet à Paris.
J’arrête ici ma polémique avec toi. Tu m’épates vraiment. Tu te bats pour tes idées, bravo ! Mais fais-le en respectant les faits et en ne prenant pas tes désirs pour des réalités. Les Palestiniens ne sont pas tous des anges et les Israéliens pas tous des salauds. Avec ton vécu, tu devrais nuancer. Par pitié, cesse de faire partie de ceux que le génial, infâme et ordurier Céline appelait "les agités du bocal"... Tu vaux certainement mieux que ça. Fais-le, sinon c’est moi qui vais m’indigner.
Je te salue comme le faisaient les déportés : Servous, camarade !
Joseph Bialot, B 9718 à Birkenau,
193 143 à Auschwitz I
PS : Deux erreurs visibles dans tes souvenirs. Pierre Brossolette n’a jamais été le chef du B.C.R.A. (page 27 de ton chef-d’œuvre).
Le coup de main des Britanniques sur Dieppe a eu lieu en 1942 et pas en 1943.
(1) Citoyen sans frontières, Éditions Pluriel, 2008-2010.
(2) Sachsenhausen pour les non-initiés. J’ai repris ce "souvenir" dans un de mes bouquins mais j’ai oublié lequel.
(3) Straffkommando. Kommando disciplinaire SS. Il existe une énorme littérature sur les camps, je n’ai jamais rien lu sur les kommandos punitifs des SS. Je remercie d’avance celui qui m’indiquera un titre sur cet aspect de la déportation que je ne connais pas.
(4) Source : Le Robert encyclopédique des noms propres.
(5) Source : Internet.
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Commentaires
Un texte fort et roboratif, merci Nebo et bravo à Bialot !...
...sauf la partie sur Israël et les Palestiniens, bien trop longue et appuyée, et où, à mes yeux, Bialot se transforme quasiment en le Hessel qu'il brocarde, c'est assez étonnant ! C'est dommage, ça enlève la moitié de la force de son propos. Comme quoi, on est tous bêtes quelque part.
Peut-être est-ce pour ça que ce contre-pamphlet n'a pas eu l'écho qu'il mérite (c'est la 1ère fois que j'en entends parler alors qu'il semble avoir été écrit il y a quelques mois), alors qu'on a urgeamment besoin de paroles de vérité et de fermeté comme ça.
Lionel
Écrit par : Lionel Lumbroso | 21/01/2012
Lee-O, pas d'accord avec toi concernant Israël. Je le trouve parfaitement efficace et pointu, même s'il est partisan.
Positionnement civilisationnel. ^^
Écrit par : Nebo | 22/01/2012
D'accord avec Nebo, et pas d'accord avec Lionel. Joseph Bialot développe beaucoup de point tres instructifs, et il y aurait encore beaucoup a dire sur les faux-amis des palestiens qui sont les principaux fauteurs de trouble au Moyen Orient. Leurs propagandistes ont d'ailleurs largement contribue a stimuler la popularité de " indignez vous" et de Stephane Hessel. Il me semble avoir entendu Stephane Hessel sur RFI en juin 2011 se désolidariser des indignes français... A vérifier. En tout cas ces indignes ont été un véhicule tres important de la désinformation de guerre des dictatures, et du coup, l'œuvre d'Hessel a été utilisee comme faire valoir. Avant que les dictatures fascistes (idéologie totalitaire et raciste: antisémite dite antisionniste) soient en difficulté c'était carrément les porte-voix français de ces fascistes qui utilisaient l'image d'Hessel comme faire valoir, et donc comme véhicule. Pas étonnant que le public ai oublie les disparus des prisons iraniennes depuis 2009, ou que les indignes de Gaza passent au large de Misrata assiégée, bombardée sans repis par les mercenaires de Kadhafi. En prétendant que l'Otan "bombarde les populations civiles"... C'est pitoyable!
Écrit par : Jk | 22/01/2012
Quelle belle leçon ! Et quels crétins que tous ceux qui ont succombé au charme du vieux sénile.
Écrit par : Antoine | 22/01/2012
bravo nebojcic. Enfin quelqu un qui ose bousculer la docta etablie proarabe et propalestinienne de la france .Quant a toi Lionel,qui trouve que la partie sur israel est trop longue,que ne dis tu pas la meme chose du livre de stephane hessel ,indignez vous,qui consacre l essentiel de son torchon a ensencer le hamas.!! Et dire qu il fait partie du comite de soutien de f.hollande qu il aurait conseillé avant son intervention ce jour au bourget(dixit jm ayrault).
Écrit par : isi | 22/01/2012
Tiens, tiens, Isi, c'est sympathique comme on se retrouve dans de plus en plus d'endroits après nous être perdus de vue des années, et je suis content d'avoir indirectement permis la rencontre entre toi et Nebo !
Cela dit, c'est amusant de te voir plaider pour retrouver une stricte égalité de traitement dans mes commentaires entre différents points de vue : on croirait un gauchiste obsédé d'égalité jusqu'à l'absurdité, précisément quelque chose que nous combattons !
Et puis comme d'habitude, je constate qu'en France notamment, on préfère insister sur les points secondaires qui peuvent séparer plutôt que sur les points bien plus majeurs qui peuvent rassembler. Un indice de plus que les possibilités d'action collective sont largement bloquées et que les solutions eventuelles ne pourront sortir que de discours individuels forts.
Lionel
Écrit par : Lionel Lumbroso | 23/01/2012
Stéphane Hessel qu'on surnomme avec des amis son Onctuosité est un des meilleurs idiots utiles des islamistes en France et dans les pays francophones. Heureusement, il y a des contre-feux:
http://www.surlering.com/video/video.php/video/-c-est-l-islam-qui-est-un-probleme-michel-onfray
Écrit par : Paglop77 | 24/01/2012
Quelques contre-feux certes, Paglop, mais encore plus de boutefeux, vraies crapules ou idiots utiles, complices ou abreuvés de désinformation à longueur de media.
Ce vieillard indigne condense toutes ces influences nauséabondes.
Écrit par : kravi | 27/01/2012
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