02/11/2013
Tant qu’il la maîtrise, sa langue est virile et forte, mais quand l’émotion devient passion, le verbe lui échappe et se perd dans un chaos d’images
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« Cette force supérieure asservissant sa volonté se manifeste également dans la langue dramatique de Kleist ; elle est comme le souffle d’un nerveux, tantôt agitée, écumante, débordante, tantôt brève et hachée : un simple cri ou un soupir. Son style va sans cesse d’un extrême à l’autre : parfois merveilleusement plastique dans son laconisme, ramassé, frappé comme une médaille, il passe sous l’effet de l’exaltation à un hyperbolisme sans frein. Kleist a souvent des réussites uniques, resplendissantes de vigueur, pleines de sève, d’autres fois l’émotion à peine éclose se brise avec emphase. Tant qu’il la maîtrise, sa langue est virile et forte, mais quand l’émotion devient passion, le verbe lui échappe et se perd dans un chaos d’images. Jamais Kleist ne domine tout à fait son discours ; cependant il est toujours maître du détail. Ses vers ne coulent pas harmonieusement, ils jaillissent, fusent, giclent dans un bouillonnement de passions ; de même que ses personnages, quand il leur inocule sa fièvre, n’arrivent plus à refréner leur exaltation, lui ne parvient pas à discipliner ses mots : quand Kleist s’abandonne à sa spontanéité, libérant ainsi son moi le plus profond, il est vaincu par sa démesure. Aussi, à part sa Litanie funèbre – véritable incantation –, aucun poème ne lui réussit, parce que l’alternance de barrages et de chutes, qui ne produit que des remous, est incapable de donner au cours du fleuve une allure paisible et régulière. »
Stefan Zweig, Le Combat avec le Démon : Kleist, Hölderlin, Nietzsche
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