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07/11/2013

Parent de l’infini

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

 

« C’est donc là la racine de la mélancolie, si particulière, d’Hölderlin, qui n’était pas, à proprement parler, de la mélancolie ou un trouble pathologique de l’esprit et qui est comme le contrepoint de la force d’exaltation sans exemple que possède l’organisme hölderlinien. Ainsi que l’extase, cette mélancolie jaillit uniquement d’elle-même ; elle non plus n’a pas besoin de l’apport des événements vécus (il ne faut pas exagérer l’importance de l’épisode de Diotima). Sa mélancolie n’est autre que l’état par lequel il réagit à l’extase et elle est nécessairement improductive : si, dans l’extase, il se sent comme aérien et parent de l’infini, ici, dans cet état d’improductivité, il prend conscience de sa monstrueuse situation d’étranger dans l’existence. Et c’est pourquoi je voudrais appeler sa mélancolie un sentiment d’isolement indicible sur cette terre, la tristesse qu’inspire à un ange déchu la pensée du ciel qu’il a perdu et comme une nostalgie gémissante et enfantine de l’invisible patrie. Jamais Hölderlin n’essaie, comme Leopardi, comme Schopenhauer, comme Byron, d’élargir cette mélancolie au-delà de lui-même pour en faire un pessimisme universel. "Je suis ennemi de cet inimitié humaine qu’on appelle misanthropie", dit-il. Jamais sa piété n’ose renier la moindre partie de l’univers sacré, comme étant sans signification : seulement il se sent étranger dans la vie réelle, dans la vie pratique. Il n’a, pour parler aux hommes, d’autre véritable langage que la poésie : dans les discours ordinaires, dans la conversation, il ne peut rien faire comprendre de son être. C’est pourquoi la production poétique devient pour Hölderlin le problème absolu de l’existence, c’est pourquoi la poésie est le seul "asile amical" de celui qui se sent partout étranger sur cette terre : aucun poète n’a entonné avec plus de ferveur le "Veni Creator Spiritus", car Hölderlin sait que jamais la force créatrice ne vient de lui-même, de sa volonté ; c’est seulement d’en haut, que, comme le vol d’un ange, l’esprit peut descendre sur lui. Mais, hors de l’extase, il ne fait qu’errer, comme "frappé de cécité", à travers le monde privé de ses dieux. Pan est mort pour lui lorsque Psyché meurt, et la vie n’est qu’un monceau gris de scories, sans la flamme ardente de "l’esprit épanoui". »

Stefan Zweig, Le Combat avec le Démon : Kleist, Hölderlin, Nietzsche


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