17/03/2014
Sa bonté ne lui fit pas commettre de fautes
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« Aurèle Antonin mourut le 7 mars 161, dans son palais de Lorium, avec le calme d’un sage accompli. Quand il sentit la mort approcher, il régla comme un simple particulier ses affaires de famille, et ordonna de transporter dans la chambre de son fils adoptif, Marc Aurèle, la statue d’or de la Fortune, qui devait toujours se trouver dans l’appartement de l’empereur. Au tribun de service, il donna pour mot d’ordre Aequanimitas ; puis, se retournant, il parut s’endormir.
Tous les ordres de l’état rivalisèrent d’hommages envers sa mémoire. On établit en son honneur des sacerdoces, des jeux, des confréries. Sa piété, sa clémence, sa sainteté, furent l’objet d’unanimes éloges. On remarquait que, pendant tout son règne, il n’avait fait verser ni une goutte de sang romain ni une goutte de sang étranger ! On le comparait à Numa pour la piété, pour la religieuse observance des cérémonies, et aussi pour le bonheur et la sécurité qu’il avait su donner à l’empire.
Antonin aurait eu sans compétiteur la réputation du meilleur des souverains, s’il n’avait désigné pour son héritier un homme comparable à lui par la bonté, la modestie, et qui joignait à ces qualités l’éclat, le talent, le charme qui font vivre une image dans le souvenir de l’humanité. Simple, aimable, plein d’une douce gaieté, Antonin fut philosophe sans le dire, presque sans le savoir.
Marc Aurèle le fut avec un naturel et une sincérité admirables, mais avec réflexion. à quelques égards, Antonin fut le plus grand. Sa bonté ne lui fit pas commettre de fautes ; il ne fut pas tourmenté du mal intérieur qui rongea sans relâche le coeur de son fils adoptif.
Ce mal étrange, cette étude inquiète de soi-même, ce démon du scrupule, cette fièvre de perfection sont les signes d’une nature moins forte que distinguée. Les plus belles pensées sont celles qu’on n’écrit pas ; mais ajoutons que nous ignorerions Antonin, si Marc Aurèle ne nous avait transmis de son père adoptif ce portrait exquis, où il semble s’être appliqué, par humilité, à peindre l’image d’un homme encore meilleur que lui. Antonin est comme un Christ qui n’aurait pas eu d’évangile ; Marc Aurèle est comme un Christ qui aurait lui-même écrit le sien. »
Ernest Renan, Marc Aurèle ou La fin du monde antique
07:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Les commentaires sont fermés.