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23/11/2022

Dieu l'a pris mon enfant

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

=--=Publié dans la Catégorie "Ô Mort... Ô Mort..."=--=

 

 

« — Dieu m'a pris mon enfant.

L'AMI. — Ne dis pas cela !

— Job l'a bien dit : "L'Éternel l'a donné, l'Étemel l'a ôté, que le nom de l'Éternel soit béni ! »

L'AMI. — N'abusons des paroles de personne ! Job voit fondre sur lui des malheurs inexplicables. Comme il sait que tout est dans la main de Dieu, il garde sa confiance, et le bénit, dans les jours mauvais comme dans les beaux jours. En cela il a raison.

Mais, relis les textes ! Disent-ils que Dieu avait décidé de prendre à Job ses biens d'abord, ses enfants ensuite, en dernier lieu sa santé ? Dieu est-il considéré comme l'artisan de ses malheurs ? Non. Il y avait là-dessous une machination de Satan. Job pouvait-il s'en douter ? Évidemment il se trompait.

— Mais n'est-il pas consolant de pouvoir s'associer à sa parole ? Quel autre refuge avons-nous dans les obscurités de la vie ? Quoi qu'il arrive, pouvoir nous en remettre à Dieu absolument, n'est-ce pas le recours suprême du croyant ?

L'AMI.— Certes, oui ! Ici nous sommes d'accord. Il est bon de savoir que tout se ramène à Dieu, en définitive. Mais prenons garde ! C'est dépasser le but et sortir du vrai que de dire avec l'assurance d'un témoin oculaire : Dieu a fait ceci ou cela. Pour parler ainsi en connaissance de cause, il nous faudrait une envergure d'esprit qui nous manque totalement. Peux-tu poser ton pouce sur le Silberhorn et ton index sur le Davalaghiri ?... Ce serait là cependant une moins téméraire entreprise que.de vouloir enfermer dans les limites de ton esprit certains domaines, entre eux contradictoires, de l'action divine.
Crois au Père, crois à son amour ! C'est ce que tu peux faire de plus conforme à la fois à ta raison et à ton coeur. Ne te laisse dire ni insinuer par aucun désordre de ce monde, par aucun malheur, aucune ignominie, aucune douleur affolante, que le Père t'oublie et ne t'aime pas ! Garde fixée sur toi sa face qui rassure et console !

Or, tu changes sa figure, en voyant en lui un ravisseur d'enfants. Son front se durcit. Il devient le despote se jouant de nos affections et de nos vies selon son bon plaisir, et devant qui rien ne vaut, si ce n'est "obéir et se taire".

Ici, je ne sais quel bon instinct nous guide mieux que des paroles tombées au rang de formules. Si ton fils meurt assassiné, tu ne diras pas que Dieu l'a tué. S'il meurt victime de sa témérité, attribueras-tu sa mort à Dieu ? Non. Pourtant au fond de tout, il y a Dieu.

Mais voilà, ton fils est mort de maladie, et couramment nous disons que Dieu l'a ainsi voulu, qu'il a envoyé ce mal.
Est-ce Dieu qui a organisé la vie telle que nous la menons ? Notre hygiène fait-elle partie de sa création ; nos grandes villes, de son plan ? Est-ce que la femme et les enfants croupissant dans les usines malsaines, au fond des troisièmes cours d'un faubourg sans air, souffrent et meurent selon une loi fixée par Dieu ? Certes, Dieu est au fond de ces choses-là aussi, et c'est là notre espérance pour en sortir. De ces cloaques, son esprit nous mènera vers les pures hauteurs. Mais si je pouvais croire le mal et la misère conformes à sa volonté, tout mon entrain pour les attaquer tomberait. Dans une pensée humaine, l'idée que Dieu fait directement tout ce qui arrive, comme nous voyons un homme organiser et produire ses actes, est une idée intolérable, paralysant toute action, transfor- mant la vie religieuse en un bagne. On n'évaluera jamais les angoisses et les tortures infligées au pauvre coeur humain par la religion ainsi comprise. Du fond de quel enfer Job crie-t-il des paroles comme celles-ci : "Et quand il m'exaucerait, si je l'invoque, je ne croirais pas qu'il eût écouté ma voix, lui qui m'assaille comme par une tempête, qui multiplie sans raison mes blessures... Suis-je innocent ? il me déclarera coupable... Il détruit l'innocent comme le coupable... Il se rit des épreuves de l'innocent, la terre est livrée aux mains de l'impie ; il voile la face des juges. Si ce n'est lui, qui est-ce donc ?"
Hélas I que de pauvres créatures souffrantes vivent dans la fournaise asphyxiante de semblables idées !

Cela est tellement horrible qu'en face de certaines formes du mal, la conception dualiste du monde, malgré ses sombres terreurs, me paraît plus consolante, plus assimilable à nos esprits, et surtout moins déconcertante que cette tenta- tive impraticable de manoeuvrer avec la cause première comme avec une grandeur connue et délimitée. On prie avec plus de conviction : "Délivre-nous du mal !" quand on ne s'engage pas dans ces impasses de l'esprit où l'on est contraint de considérer Dieu comme l'auteur responsable du mal.
Il y a des affirmations dont l'assemblage produit un mélange détonant. Elles ne peuvent être enfermées sous le même crâne, sans le faire éclater. L'homme ne peut supporter cette pensée que Dieu est à la fois dans l'innocent qu'on persécute et dans le juge inique qui le condamne. Si c'est Lui le grand semeur de bacilles et berger de microbes, comment pourras-tu l'invoquer contre la maladie et la mort ? J'aimerais mieux, pour ma part, dire : "C'est l'ennemi qui a fait cela". Autrement c'est à en de- venir fou.

— Que dirai-je donc dans mon affliction et que penserai-je pour calmer mon âme ?

L'AMI. — Dis-toi d'abord qu'il est arrivé un malheur, un grand malheur ! Car c'est un malheur que de perdre un enfant aimé : vouloir le nier serait un indigne sophisme. Et puis rappelle-toi cette parole du psaume : "Le malheur peut atteindre le juste, mais l'Eternel le sauve toujours." II n'y a rien de plus ferme pour un coeur meurtri. Invoque Dieu contre les désordres de la nature et contre ses brutalités ! Invoque-le contre la mort, contre toutes les forces de destruction et de découragement ! Crie : A moi Éternel, voilà l'ennemi !

Ne dis pas : Dieu m'a pris mon enfant. Dis plutôt : Mon enfant a succombé à une terrible maladie. Mais ni la maladie, ni la mort ne pourront nous arracher de la main de Dieu, ni détruire notre place dans son plan. Pense ensuite que Dieu veut te fortifier, t'apaiser, te rendre en esprit ce que tu as perdu dans le monde visible.

Ton malheur devra produire du fruit et contribuer au bien. De cette nuit, de la lumière et de la force doivent surgir.
Ensuite pense très simplement et avec une certitude absolue : Le Père fait siennes les misères de ses enfants. Il souffre avec toi ; il est sous ton fardeau. Ainsi tu pourras pleurer ton fils et suivre cette ligne du coeur dont il est toujours néfaste de s'éloigner. Va, pauvre père, Celui qui est le Père, comprend. Ne te violente pas, reste un homme ! Ne crains pas d'offenser Dieu par ta douleur ! Ne fais pas cet horrible tour de force d'arriver à trouver doux ce qui est amer, heureux ce qui est malheureux ! Évite l'inhumain et le monstrueux ! Garde le bon sens avec la foi ! Il nous faut un Dieu faisant vivre, et non un être implacable, froidement cruel qui écrase sans broncher, tue sans sourciller. C'est le Père. On ne te le dira jamais assez, pauvre et douloureuse humanité, car, plus que tes malheurs, tes faux dieux t'exterminent. »

Charles Wagner, L'ami - Dialogues intérieurs

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