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02/02/2023

Maitrise de soi

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

 

« L'AMI. — Un de tes malheurs consiste à t'identifier complètement avec tes impressions du moment.

— N'est-ce pas là plutôt une force et ce que la franchise réclame ?

L'AMI. — Sans doute, c'est une force que de vibrer avec énergie à tout contact et de traduire avec entrain l'impression ressentie. Une des conditions d'une vie saine est là. Ceux-là seuls ont de la chaleur et savent en communiquer, qui ressentent profondément et traduisent avec simplicité et de toute leur âme.

— Alors que me veux-tu ? Lorsque je pleure, je ne dérobe pas mes larmes ; lorsque je ris, je ne cache pas mes dents. J'y vais de tout coeur. Pour dire ma sympathie, je ne mets pas de sourdine, et pour exprimer mon indignation, je ne mets pas de gants. Tu trouves cela mauvais ? Ce jugement mesurprend. N'est-ce pas de toi que j'ai appris la vie droite, la parole sans fard, cette vérité de tout l'être qui nous habitue à vivre et penser au grand jour ? Aurais-je ton approbation, si je ne me donnais pas avec entrain et tel que je suis ; si je m'enveloppais de réserve, de demi-teintes, d'hésitations ? Me serrerais-tu la main,si, quand je la donne, j'avais en même temps l'air de la retirer ?

L'AMI. — Nous sommes d'accord en tout cela. Je ne te demande pas de dissimuler, mais de te gouverner. Si tu es l'esclave de tes impressions, ta franchise même peut fairedumal.il ne fautpas se détacherde ce que l'on ressent, ni faire tout ce qu'on fait, comme ne le faisant pas. Ce serait inhumain, et tout ce qui est inhumain est mauvais. Mais autre chose est de faire corps avec ses impressions, autre chose de s'y livrer. Dans tes rapports avec tes semblables, si tu veux rester juste, domine-toi, sois maître de toi ! Souviens-toi que tu es sujet à te tromper ! Souviens-t'en surtout lorsque tu conçois une opinion défavorable ! N'as-tu pas fait l'expérience que les impressions se suivent sans se rassembler ? Rien n'égale leur mobilité, surtout chez ceux qui les ont vives. A quel résultat prétends-tu aboutir en te livrant tour à tour et sans réserve aux effets contradictoires ressentis, leur donnant à toutes une traduction aussi énergique que possible? Ce sera de l'incohérence, et ce que tu nommes franchise n'aura servi qu'à faire de toi une énigme pour les autres. Il faut se gouverner, réfléchir à soi, ne pas donner tête baissée dans une direction, et cela par franchise autant que par sagesse. Mais j'avouerai que je ne pensais à aucune de ces choses en t'adressant ma critique amicale. Ta réponse seule m'a conduit à ces réflexions. Voici ma préoccupation à ton endroit, pour ce qui concerne la vivacité des impressions. Trop facilement, tu suis certaines sugges- tions sombres des événements ou de la vie humaine. Et devant des faits regrettables et tristes qui te frappent, ta vue se trouble. Une brume noire et froide envahit ton âme. Tout te semble perdu, parce que le soleil s'est dérobé et que les contours familiers des objets se sont altérés. Déconcerté, égaré, tu souffres alors un martyre sans nom. L'épaisseur de tes nuits menace d'étouffer ton espérance. Cela est mauvais : il faut y remédier. Apprends à te dominer, à maintenir tes sentiments à leur rang! Tout ce que Dieu t'a fait voir de lumineux sera-t-il effacé par une heure de ténèbres ? Accorderas-tu à tes impressions un tel crédit, qu'il suffira que l'une d'elles soit bien noire pour détruire tout le reste à tes yeux ? Et ton âme serait-elle semblable à la surface des eaux changeantes où subsiste seulement le sillage du dernier navire ? Aspire à mieux !

— A qui le dis-tu ? Je souffre cruellement de cet empire des dispositions momentanées. Toute réalité nette m'en impose. Son empreinte est telle, sur le fond sensible de mon être, qu'elle prend, pour une heure, toute la place. Or une heure suffit à faire une folie, à s'abandonner au désespoir, à manquer de fermeté dans son devoir. Il y a des jours où je sens le monde crouler sur moi. Comme les messagers de malheur se succédant auprès de Job, des rencontres déconcertantes, des paroles d'égarement, des scènes où triomphent le mal et le désordre, frappent successivement aux portes de mon âme, et bientôt je suis la proie de leurs sinistres Annonces. C'est une maladie. Autant au sein des difficultés pratiques je me suis senti encouragé et soutenu parfois au-dessus de toute attente, autant je me sens faible à réagir contre ces dispositions pessimistes. J'en suis venu à admirer comme des héros tous ceux qui savent garder une âme plus égale.

L'AMI. — Ceux-là ne sont pas toujours des héros, mais simplement des êtres aux nerfs épais. Tu ne saurais te procurer leur cervelle, ni changer la tienne. Mais surveille-toi mieux d'abord ; ensuite appuie-toi sur Dieu ! Sache te souvenir que si tes impressions du moment sont noires, elles n'ont qu'une valeur relative et très limitée ! Ne leur permets pas de voiler le monde ! Ce sont des lambeaux de brouillard qui traînent sur toi. La nuit que tu aperçois n'est qu'une tache dans le jour infini. »

Charles Wagner, L'ami - Dialogues intérieurs

 

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