30/01/2023
Résignation
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« — Que faut-il penser de la résignation ?
L'AMI. — Expliquons-nous ! Si, par ce mot, tu devais entendre la disposition passive, décidée à tout supporter, je te mettrais en garde contre ce vice. Être d'avance décidé à se laisser faire, à accepter tout ce qui plaira aux événements ou ce que décréteront sur nous les volontés des hommes, n'est pas digne de nous. Es-tu un instrumentaux mains d'un autre, une pâte à pétrir selon son caprice ? Non, tu es quelqu'un, et tu dois compter. Même en passant sur toi, les forces supérieures sentiront que tu es là. Il ne leur est pas accordé de t'annihiler. Sois donc ce que tu es, une énergie consciente se sentant tenue d'agir pour le bien ! Garde avec soin le tourment du mieux qui habite en toi ! Ose affirmer ce que tu aimes, ce que tu sais juste ! Ne crains pas de dire ta conviction et, s'il le faut, de la crier. Sache qu'il est des heures où se résigner au silence est une lâcheté ! Lève-toi, insurge-toi, et si la force de compression grandit, que ta résistance grandisse avec elle jusqu'à l'explosion !
On a fait tort à la résignation, en abritant sous ce nom la paresse d'esprit, l'indifférence, l'amour de la paix à tout prix, la perpétuelle capitulation devant les obstacles et la menace. L'humeur passive qui jamais ne résiste a été appelée : bon esprit. Mensonge que tout cela, pour excuser les âmes sans vigueur et rendre faciles toutes les tyrannies ! Arrière Cette résignation qui souvent, ô ironie ! est tout simplement la résignation à la douleur des autres ! Ce qu'il faut crier sur les toits, c'est l'insurrection de l'esprit contre toutes les forces contraires. Jamais ne nous contentons du "statu quo", sous prétexte qu'il est le calme, l'ordre, la convention respectée, car il est, hélas ! un oreiller de mollesse pour les satisfaits et une couronne d'épines pour les opprimés ! La résignation au "statu quo", c'est l'injustice perpétuée, le droit tombé en prescription, l'iniquité sociale érigée en ordre social, les vieilles erreurs consacrées en formules et imposées comme vérités.
Qui donc nous a dit que le christianisme enseignait cette résignation-là ? Il serait bien loin de ressembler à son fondateur. Jésus était un lutteur toujours prêt, un arc toujours tendu, indomptable, animé d'une immense espérance de vaincre, un jour, le mal et de transformer la terre en un royaume de Dieu. Il a comparé son esprit au levain, c'est-à-dire à la chose du monde la plus active et la plus énergique, n'ayant de repos que lorsqu'il a fait lever la pâte. Et cet esprit n'a jamais accepté de compromis avec rien ni personne. Intangible, incorruptible, il n'a pas abaissé son idéal sublime au niveau des égoïsmes et des prétentions d'un monde résigné à sa propre médiocrité. Aucun effort ne lui a semblé trop dur, aucune bataille trop rude, aucune souffrance ne l'a fait reculer.
Depuis qu'il est entré dans l'histoire, il a été de toutes les levées de boucliers pour la lumière, la liberté, la fraternité. Le bien a toujours été accompli par ceux qui ne pouvaient prendre leur parti d'un état de choses offensant leur conscience. Et de ceux-là, il faut en être.
Mais eux seuls aussi connaissent la résignation véritable. Et voici en quoi elle consiste : Elle consiste à accepter les conditions de l'existence, quitte à en tirer le meilleur parti possible. Les révoltés n'acceptent pas la vie, ils la maudissent, la méprisent et passent leur temps en récriminations. Ils perdent la vie, aussi bien que les trop résignés.
La vraie résignation prend la vie telle qu'elle est, comme inévitable point de départ. Mais elle commence aussitôt à la transformer, je compare l'existence, avec ses douleurs et ses difficultés, à un champ à défricher. L'être passif se couche dessus, le révolté s'y promène en maugréant. Nous autres, nous l'acceptons : en attendre un autre serait une illusion vaine ; mais nous y mettons immédiatement la pioche et la charrue.
L'HOMME. — N'y a-t-il pas cependant des choses auxquelles on ne peut rien changer ? La mort de ceux qu'on aime, par exemple.
L'AMI. — Non, ces faits n'existent pas. Même la mort est transformable. Toute calamité, toute douleur, tout deuil est un champ inculte. Ce que vous appelez la fatalité, dans votre esprit enténébré, est un terrain où il s'agit de porter le pic. Notre espérance de vaincre est illimitée. Toute chose dépend de la forme qu'elle prend dans l'esprit. Même la mort peut s'y transformer en vie, et la fatalité peut devenir un élément de libération. Il nous faut labourer.
Vois ce rocher nu, aride. Rien n'y germe.
Demain, grâce aux spores qu'apporte le vent, un lichen presque imperceptible y naîtra. De sa poussière se nourrira une mousse. Elle vivra d'air et de l'eau du ciel, mais le rocher lui cédera des parcelles. Après la mousse, une graminée germera, et les végétations mourront les unes sur les autres, laissant après elles de quoi en faire vivre d'autres. Un jour, sur cette pierre, une forêt surgira. De,leur effort, les plantes auront créé la terre. Voilà ce que l'homme fait de la fatalité. Pas de caillou qui ne finisse par le nourrir !
Résignons-nous donc au champ austère, à la pluie, au vent, mais labourons, labourons tou- jours, labourons tout, et le désert lui-même fleurira ! »
Charles Wagner, L'ami - Dialogues intérieurs
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