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09/03/2024

Oui, le Bien a vraiment tout envahi

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

 

« Mais le plus divertissant encore, le plus savoureux peut-être, c’est lorsque ces champions des Justes Causes se retrouvent ensemble sur les planches, se réunissent pour discuter, mettre en débat leurs convergences, chercher des nuances, des variantes, tituber dans la plus dégoûtante complicité en inventant des dissonances. Regardez-les, écoutez-les, ils sont venus, ils sont tous là, ils appartiennent tous à la même famille, ce sont les espèces de saint Vincent de Paul du grand banditisme caritatif. A quoi bon citer des noms ? Des émissions ? Des programmes ? C’est leur collectif qui est grandiose. C’est cette "Charity connection" tout entière qui a de l’allure. S’ils voulaient qu’on les différencie, il fallait d’abord qu’ils changent de disque. Après tout, en Italie du sud, certains mafiosis très notoires interprètent bien, chaque année, au cours des représentations de la Passion, le rôle de Jésus-Christ soimême… Qu’est ce qu’on fait d’autre aujourd’hui, sur les plateaux de la fin du siècle ? Il n’existe pas de mafia sans famille, ni sans idéalisation de la famille (le danger guette, les traîtres pullulent, la famille seule ne ment pas), et le "retour de la famille" dont on se gargarise dans le journalisme n’est que l’un des symptômes du triomphe, dans tous les domaines imaginables de l’esprit mafieux avec ses traits quintessentiels (protection, clientélisme enragé, culte grotesque de l’ "honneur", vengeance des offenses, loi du silence). La Banque Mondiale des droits de l’homme est leur formidable organisme de blanchiment des capitaux. Une seule déclaration philanthrope vous ouvre des paradis fiscaux encore plus vastes, encore mille fois plus inattaquables que les Îles Caïman ou Panama.

Tout de même, on les admire en vrais artistes d’arriver à se contester, faire semblant de controverser, s’antagoniser à la force du poignet sans paraître fatigués. O "sentimental harassment" qui, lui, ne sera jamais puni par aucune loi ! Oui, le Bien a vraiment tout envahi ; un Bien un peu spécial, évidemment, ce qui complique encore les choses. Une Vertu de mascarade ; ou plutôt, plus justement, ce qui reste de la Vertu quand la virulence du Vice a cessé de l’asticoter. Ce Bien réchauffé, ce Bien en "revival" que j’évoque est un peu à l’ "Être infiniment bon" de la théologie ce qu’un quartier "réhabilité" est à un quartier d’autrefois, construit lentement, rassemblé patiemment, au gré des siècles et des hasards ; ou une cochonnerie d’ "espace arboré" à de bons vieux arbres normaux, poussés n’importe comment, sans rien demander à personne ; ou encore, si on préfère, une liste de best-sellers de maintenant à l’histoire de la littérature.

Davantage la nostalgie du Bien que le Bien réel impossible. Voilà. Une sorte de prix de consolation. Un Bien de consolation, en somme.

Ça ne pouvait plus durer les barbaries ! Ça suffisait les horreurs ! Tout le monde au lit ! En clinique ! Tubes, chimie, visites, télé dans la chambre. Silence on soigne ! L’hôpital ne rigole plus de la charité ; c’est ensemble désormais, main dans la main, qu’ils prennent à cœur notre avenir. Sous anesthésie au besoin. Cure de sommeil. Calmants. Dodo. »

Philippe Muray, "Trémolo Business" in L'Empire du Bien

 

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