15/04/2024
La tolérance, il y a des maisons de retraite pour ça
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« De votre Mal, comme toujours, sortira donc notre Bien. Car nous n’accouchons jamais de rien d’autre. Mais ce Bien est une maison assez large pour qu’après un certain nombre de convulsions supplémentaires encore incalculables vous veniez aussi l’habiter. Pour cela, il ne vous suffira que d’être enfin correctement oecuménisés, syncrétisés, pacifiés, de vous montrer prévisibles et raisonnables comme des Suédois, et de ne plus prêter l’oreille aux trompettes lugubres de votre apocalypse. Dès le 11 septembre, nos plus accommodants prêcheurs se sont bousculés pour rappeler que l’Islam est une religion de paix et de tolérance. Nous savons bien qu’il n’en est rien. Aucune religion vivante n’est une religion de tolérance, et votre Islam, hélas, est encore une religion un peu trop vivante. La tolérance, il y a des maisons de retraite pour ça. Nous ne demandons qu’à vous accueillir dans la nôtre. Les premières réactions du peuple afghan depuis votre débandade nous donnent à cet égard beaucoup d’optimisme pour la suite des événements, et nous en reparlerons : cette musique et ces cerfs-volants qui ressortent de la clandestinité nous paraissent d’excellent augure. C’est un premier pas. Il y en aura d’autres. Un jour, vous connaîtrez le plaisir de participer à nos longs travaux de sensibilisation et de prévention, à nos débats sur l’estime de soi et le respect d’autrui, à nos commissions d’accès à la citoyenneté et à la parité. Un nouvel Islam, alors, sera né, que nous pourrions d’ores et déjà appeler "Islam pluriel", car il aura triomphé de vos mauvais génies.
Pour en revenir à Halloween, à peine avons-nous renoncé, mais avec regret, à pendre des squelettes aux fenêtres et à planter des tombes en carton au milieu des jardins. Dans plusieurs villes américaines, les autorités scolaires rédigèrent une circulaire suggérant que les enfants choisissent des costumes "positifs" pour festoyer. Vérifiez par là, chers djihadistes, combien nous sommes blindés. À toute autre civilisation que la nôtre, ce que nous appelons positivité aurait fait dresser les cheveux sur la tête. Mais nous autres Occidentaux nous sommes donné jusqu’aux moyens de faire taire ceux qui oseraient encore noter que nous vivons dans un film d’épouvante. Et vous nous apportez l’occasion, depuis votre hideux 11 septembre, grâce au film d’horreur que vous nous avez imposé, de les museler catégoriquement en les traitant d’anti-humanistes ; et de les rendre, s’ils osaient encore ouvrir la bouche, complices de ce "vaste camp des nostalgiques d’un ordre communautaire où l’individu ne s’appartient pas" dont vous êtes devenus l’avant-garde infâme, comparée à notre Jardin d’Éden rempli "d’humanistes qui persistent à vouloir accoucher, non sans douleur, d’une société d’individus autonomes, responsables et solidaires".
Ne trouvez-vous pas remarquable, chers djihadistes, que la question de respecter ou non cette fête, quelques jours après vos attentats, ait été si gravement débattue chez nous ? Certes, elle l’a été prioritairement aux États-Unis. Mais cet important problème, sous des formes diverses, a au fond remué toutes les contrées de notre festivo-sphère, que vous identifiez en général au monde des "infidèles" ou à l’Occident "mécréant", et que vous imaginez en proie à un complot "judéo-croisé" alors qu’il s’agit tout simplement de l’île aux enfants. Et, en fin de compte, il a été résolu que l’Amérique "devait continuer à être l’Amérique", ainsi que l’a déclaré le chef de la sécurité intérieure de l’Amérique : ce qui indique aussi que ce pays ne s’imagine pas tous les jours en statue de la Liberté, et ne s’identifie pas seulement aux tours de Manhattan, mais qu’il se fantasme d’abord en sorcière à chapeau pointu en train d’agiter un balai et de danser une danse macabre.
Seule a été déconseillée un peu partout la fameuse coutume du "Trick or treat", qui fait la délectation des enfants lorsque, de nuit et déguisés, ils vont de maison en maison et réclament des bonbons sous menace de mauvaises farces. "Trick or treat" ? Un sort ou une friandise ? A-t-on cherché à supprimer cette pratique parce qu’elle rappelait un peu trop ce que les Afghans vivaient tous les jours au même moment à cause de vos sinistres menées : un tapis de bombes ou des rations alimentaires ; un missile intelligent ou du beurre de cacahuète ; un Tomahawk ou un colis de raisins secs et de pâtes de fruits ; un B52 ou un avion-cargo rempli de plats cuisinés empaquetés dans des sacs jaunes frappés du drapeau américain ; une bombe à fragmentation ou deux mille deux cents calories ? Farces ou attaques ? À vrai dire, la chose est de peu d’importance. Seul compte que notre autorité se déploie désormais de cette façon. C’est la raison pour laquelle notre système si innovant peut être défini comme un despotisme tempéré par la joie. Les plus efficaces de nos bonimenteurs vont répétant que "le monde ne sera plus jamais le même après le 11 septembre", mais c’est pour masquer qu’il n’est plus le même depuis un temps beaucoup plus considérable ; et que tout l’édifice humain repose désormais essentiellement, une fois encore, sur le respect de la joie. L’appel à cette joie en tant que fondement d’un nouveau Contrat social, expression d’une volonté générale et d’une nouvelle vision du monde, peut paraître dérisoire à un regard superficiel ou à une conscience résolument hostile. Il n’en annonce pas moins le nouvel ordre des choses, et une nouvelle conception du monde parfaitement objective. C’est la nôtre, en tout cas, et elle a vocation à devenir celle de tous. Respectez la Gay Pride, aurait aussi bien pu crier notre ministre de la Jeunesse et des Sports le soir du match France-Algérie. Respectez Halloween. Respectez nos loups-garous, nos fantaisies potagères et notre hémoglobine. Respectez les destructions touristiques par lesquelles un univers, peu à peu, se substitue à l’autre. »
Philippe Muray, Chers djihadistes
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