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02/04/2024

Le Spectacle a besoin de l'occulte et l'occulte du Spectacle

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« J’ai lu récemment quelque part l’article d’un imbécile heureux qui se félicitait de ce que, grâce à ces nouveaux systèmes, non seulement achevait de disparaître de l’existence de chacun la vieille distinction entre temps professionnel et vie intime, mais encore sonnait la fin des grandes concentrations urbaines. C’est en effet, et depuis toujours, le rêve des régimes énergiques de bruire les villes afin d’émietter les individus pour qu’ils soient un peu moins dangereux ; mais nul n’avait encore imaginé de les tuer en les rendant simplement joignables à n’importe quel moment de leur vie. Par ailleurs, on peut constater que Hegel avait raison lorsqu’il décrivait l’errance des nomades comme une pure et simple apparence puisque l’espace dans lequel ils évoluent (le désert toujours uniforme) est en somme une abstraction : il a fallu que la planète du troisième millénaire commence ellemême à ressembler à un vaste théâtre désertique, pour que la "communication nomade" lui apporte son semblant consolatoire.

Une conclusion sur la musique ? C’est à Molière que je la demanderai.
"Pourquoi toujours des bergers ?" s’étonne M. Jourdain lorsqu’on entreprend de lui dévoiler les mystères de la musique. Excellente question à laquelle le "maître à danser" répond par des considérations pleines de sous-entendus écologiques :
"Lorsqu’on a des personnes à faire parler en musique, il faut bien que, pour la vraisemblance, on donne dans la bergerie. Le chant a été de tout temps affecté aux bergers ; et il n’est guère naturel, en dialogue, que des princes ou des bourgeois chantent leurs passions."

De la musique, il ne doit pas être trop difficile, maintenant, de glisser à la mystique. Ce tour du Parc de Loisirs resterait gravement incomplet si nous ne nous arrêtions quelques instants, au fil de cette promenade, dans le quartier des Damnés de l’Éther, devant la Grotte aux Sorcelleries. La prolifération actuelle des occultismes les plus variés ne relève d’aucun hasard. Le Spectacle a besoin de recréer un milieu obscurantiste qui lui soit entièrement favorable après la débandade des religions, quelque chose comme une "structure" transcendante, un "tissu" spirituel de remplacement sans lequel il courrait le grand danger de se retrouver anéanti. Il faut bien dire que, pour ma part, je vis dans une sorte d’extase éveillée depuis que naguère j’ai écrit "Le XIXe siècle à travers les âges", et que maintenant je vois mon livre se continuer, s’illustrer tout seul, dans toutes ses dimensions, sans arrêt, et toujours plus brillamment, se confirmer sans cesse, audelà de mes espérances, se grossir chaque jour de nouveaux chapitres sans que j’aie besoin de me fatiguer… Le crétinisme occulto-orientaliste "new age" sauce ère du Verseau venu de Californie n’est que la dernière en date des innombrables variantes de l’éternel spiritisme, le dernier marché juteux de l’abrutissement spiritualoïde, avec caissons insonorisés pour séminaires de relaxation d’où ressortent transfigurés des employés du "tertiaire" qui se répandent en cohortes par toute la terre et vont annoncer l’avènement du Millénium de l’Amour et de la Lumière.

On peut voir aussi des "businessmen" publier leurs réflexions croustillantes sur les "pouvoirs psychiques de l’homme" ; une grande compagnie pétrolière loue les services d’un célèbre tordeur de petites cuillères dans l’espoir de découvrir de nouveaux gisements ; la mégalomanie entrepreneuriale cherche des appuis dans le paranormal, les phénomènes extrasensoriels, la numérologie (attention au numéro de la rue où se trouve votre boîte : vous risqueriez, s’il est mal choisi, d’avoir de sérieux problèmes de trésorerie) ; des managers s’initient aux arts martiaux, au soufisme, au parachute ascensionnel, aux rites des Chevaliers de la Table Ronde, à la spéléologie mystique, au chamanisme télépathique, à la psychokinèse, aux tarots cosmiques, aux néo-cultes dionysiaques, aux croisières subliminales, à la musicothérapie (guérisons à coups de cymbales tibétaines) ; on embauche à partir du groupe sanguin, du thème astral ou de l’étude morphopsychologique. Ce qu’il y a d’intéressant aujourd’hui, c’est que le Business se trouve lui aussi entièrement envahi par la grande escroquerie occultiste. Le nouveau couple du siècle c’est l’Entrepreneur et le Charlatan. Le requin de haute finance et le faisan numérologue. Philippulus le Prophète et Rastapopoulos l’Arnaqueur. Comme je comprends que les Occidentaux s’insurgent, du haut de leur "Laïcité" en lambeaux, contre les obscurantismes des autres ! Comme je comprends que nous nous scandalisions à la pensée des tchadors et des ayatollahs ! Comme il est logique que nous nous alarmions de la montée de l’intégrisme islamique ou de la renaissance de l’irrationalisme en Europe centrale et en URSS, alors qu’ici, en France, une biographie d’Edgar Pœ, par exemple, peut paraître, sans faire rire personne, équipée d’une "carte du ciel" ("signe du Capricorne, ascendant Scorpion, triple influence de Saturne, Uranus et Neptune") ! Dans le cafouillage contemporain, il est d’ores et déjà redevenu presque impossible de distinguer les "croyants" proprement dits (intégristes, fondamentalistes et autres) de la prétendue "société laïque".

De même que les terres anciennement cultivées puis abandonnées ne retournent jamais à la friche originelle mais se couvrent de ronces et deviennent "folles", de même cet univers débarrassé de ses vieilles religions réinvente à toute allure des "spiritualités" de seconde main, des dévotions ubuesques de secours qu’il semble tout à fait interdit de trouver seulement dérisoires. Le télévangélisme n’est déjà plus une part limitée de la réalité, comme on voudrait le croire en se moquant, par exemple, des "télévangélistes" américains ; il a vocation de se révéler, à court terme, le tout du monde. "Croyez, nous ferons le reste !" Le néo-obscurantisme qui s’étale aujourd’hui grâce aux médias est une merveilleuse technique de gouvernement. Il n’y a, en réalité, aucun "retour de la religion", comme le prétendent les maîtres du Show ou leurs esclaves, aucune "réapparition du sacré", aucune "respiritualisation", aucun "renouveau charismatique". Ce qui s’organise, c’est la mise en scène de résidus religieux, sous leurs formes les plus délirantes si possible, par le Spectacle luimême et au profit du Spectacle, dans le but d’entretenir ou de réactiver le noyau dur d’irrationnel, la fiction mystique vraiment consistante, sans quoi aucune communauté, aucun collectivisme, aucune solidarité ne pourraient tenir le coup très longtemps.

Le Spectacle a besoin de l’occulte et l’occulte du Spectacle. La Cordicocratie y gagne le supplément de transcendance qui lui est indispensable pour affirmer que la perfection se trouve en elle. D’où la multiplication des bouffonneries télévisées : exhibitions de "messes noires" sur les plateaux, rites vaudou pitoyables, satanismes de banlieue, débats sur les extraterrestres, interviews de "maîtres spirituels" grotesques et loqueteux… Quelque chose qui pourrait, si on veut, rappeler Rome au commencement de sa fin. Des naumachies tous les jours ! En quatre dimensions, en cinq ! En six ! En dix ! Du pain, des jeux, du sacré ! Clés en main, vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
"L’antique religion romaine, a écrit Jérôme Carcopino, pouvait bien encore prêter le saint prétexte de ses traditions au splendide déploiement des spectacles de l’époque impériale. On n’y faisait plus attention, et on la respectait pour ainsi dire sans le savoir. Là comme ailleurs, les nouvelles croyances l’avaient reléguée à l’arrière-plan, sinon complètement évincée. Si une foi vivante faisait battre les cœurs des spectateurs, c’était celle de l’astrologie grâce à laquelle ils contemplaient avec ravissement : dans l’arène, l’image de la terre ; dans le fossé de l’Euripe qui la délimitait, le symbole des mers ; dans l’obélisque dressé sur la terrasse centrale, ou 'spina', l’emblème du soleil jaillissant au sommet des cieux ; dans les douze portes des remises ou carceres, les constellations du Zodiaque ; dans les sept tours de piste qui composaient chacune des courses, l’errance des sept planètes et la succession des sept jours de la semaine ; dans le cirque lui-même une projection de l’Univers et comme le raccourci de sa destinée."
p> Mais c’est faire bien trop d’honneur à l’Empire cordicole et à ses misérables clowneries pseudo-religieuses que de les comparer à la Rome antique, même décadente. Ce n’est pas Dieu qui n’est pas un artiste, ainsi que le croyait ce pauvre Sartre, c’est le Spectacle.
Comme il n’existe pas pour lui d’autre dieu que lui-même, et comme la puissance d’une religion, quelle qu’elle soit, est d’abord jugée à l’énergie de ceux qui se dressent contre elle, l’existence d’athées, de blasphémateurs, d’incroyants à stigmatiser, lui est terriblement nécessaire.
Les ennemis du culte spectaculaire, hélas, sont en général presque aussi dérisoires que le Spectacle lui-même. De temps en temps, on organise sur eux de grandes enquêtes. On monte des émissions, par exemple, sur une peuplade bizarre, ultraminoritaire et surtout exaspérante : les gens qui n’ont pas de poste de télévision chez eux. On les baptise "téléphobes" parce qu’il est essentiel de ne pas laisser croire qu’il pourrait s’agir de simples indifférents, d’agnostiques paisibles, détachés ; leur non-pratique de la télé ne peut être qu’une névrose, une maladie pernicieuse, le résultat d’une étrange "phobie". On leur demande comment ils font, comment ils peuvent vivre sans images à domicile. Ils répondent que ça va, merci, qu’ils tiennent le coup, qu’ils voient des amis, qu’ils sortent, etc. Mais ils disent cela, en général, avec une fatuité qui prouve à quel point eux-mêmes sont convaincus de l’anomalie de leur position, et persuadés qu’ils ne pourront pas continuer à s’y tenir éternellement.

Ainsi notre monde s’interroge-t-il sur ses propres abstentionnistes à la façon dont la raison instituée, satisfaite et en même temps inquiète d’elle-même, pour se rassurer sur sa légitimité, se penche sur le mystère de la folie.

On pourrait si facilement vivre sans le Spectacle que ce serait épouvantable si un pareil secret de polichinelle venait à être connu de tous. Il convient donc de l’éventer, avant qu’il ne fasse des ravages, et pour le réduire à néant. La plus belle ruse de cet univers, c’est de nous faire croire qu’il existe. »

Philippe Muray, "Les damnés de l'éther" in L'Empire du Bien

 

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The Way of Life...

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01/04/2024

Poisson d'Avril...

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C'est dangereux, le rire, au fond...

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« Le silence est en cours d’expulsion, comme l’incrédulité, comme l’ironie, comme le jeu, comme le plaisir. En Cordicolie, on ne rit pas, ou pas souvent, ou alors pour des raisons qui devraient plutôt faire pleurer. La société des "cadres", des loisirs, des "employés du tertiaire" adonnés à la communication, n’a plus tellement de motifs de se tordre.
D’abord on respecte bien trop de choses pour s’en moquer méchamment. C’est le rite qui est le propre de l’homme moderne, pas du tout le rire, plus du tout. Est-ce qu’on peut faire du bon comique avec des bons sentiments ? De quoi pourrait-on se tenir les côtes sur la Planète Compassion ? Qu’est-ce qui reste encore d’ironisable dans l’Empire égalitaire ? Le rire est autocrate de nature, cruel, perforant, dévastateur. "Il n’est point d’homme qui ne veuille être despote quand il bande", écrivait Sade ; le rire se chauffe la gorge du même bois. Quand tout est plus ou moins sacré, confituré dans les tendresses, quand toutes les causes sont déchirantes, quand tous les malheurs sont concernants, quand toutes les vies sont respectables, quand l’Autre, le Pauvre, l’Étranger, sont des parts touchantes de moi-même, quand rien n’est plus irréparable, même le malheur, même la mort, de quoi pourrait-on se gondoler ?

Ils sont très surveillés, maintenant, les comiques de profession, je ne voudrais pas être à leur place. On vient d’en annoncer une nouvelle vague, toute une fournée de rigolos, une génération quasi neuve de bouffons désopilants. Ils vont voir ce qu’ils vont voir. Je les attends aux tournants. On va leur mesurer le dérapage au plus juste, au millimètre ; examiner leurs allusions ; fouiller dans leurs sous-entendus ; passer la loupe dans leurs silences. On peut leur souhaiter du plaisir. Les Américains, dans certaines de leurs universités, toujours plus conséquents, toujours bien plus logiques que nous, viennent de décréter qu’on méritait l’expulsion, désormais, pour avoir commis le crime de "rire de façon inappropriée"… C’est-à-dire de manière déplacée, non conforme, impertinente ; non consensuelle en quelque sorte ; anti-cordicole pour résumer. Rien de moins, rien de plus, que la définition même du rire. Il fallait bien que ça arrive. Le rire "inapproprié" ! Encore une nouvelle écroulante, un impayable trait d’esprit du génie cordicophile. Je vous laisse médite ! là-dessus. Environnés, bien entendu, de tous "les rires en boîte" qui sortent des émissions de télé…

C’est dangereux, le rire, au fond. C’est la même chose que le silence. C’est encore un peu trop individuel. Ça échappe aux contrôleurs. C’est une zone vague de liberté qu’il vaut mieux surveiller de très près. On ne peut plus laisser aux gens le soin de se divertir tout seuls. Pas davantage qu’on ne peut se payer le luxe de les laisser réfléchir… Rien n’a suscité plus de recherches, au XXe siècle, question cerveau, que les techniques de "lavage". Toutes les polices s’y sont mises, et aussi les sectes à gourous. Mais avec la musique généralisée, plus besoin de complications, on a trouvé le vrai système, la bonne lessiveuse cérébrale, l’armement anti-individu que nul n’osait plus espérer. Je sais bien qu’il ne faut pas dire ces choses, c’est beau la musique, c’est comme la mer, c’est comme le soleil, la poésie, la fraternité, les animaux en liberté. C’est frais, c’est spontané, c’est la vie même. Assez de critiques ! De malveillances ! Il faut apprendre à tout aimer, si on veut survivre un peu, depuis les décibels quadrilleurs d’espace vital des appartements jusqu’aux "mwouaaiiiiinn !" vrillants des sirènes d’alarme partout détraquées en chœur, sans oublier les harmonies dans lesquelles on tente de vous noyer, au téléphone, sous prétexte de vous faire patienter, de vous transférer d’un service à un autre… Assez de réticences ! Pas de nostalgies ! Vive le Titanic quotidien !

Surtout que de nouvelles tortures délectables sont en train de nous pendre au nez. De nouvelles torpilles nous visent. "Les outils de la communication mobile se multiplient !" Réjouissance générale à Cordicopolis. "De nouvelles 'proximités' se précisent !" Tous les esclaves sautent de joie ! "Demain chacun de nous sera joignable, où qu’il se trouve, à tout moment !" Voyez notre catalogue complet, l’Alphapage obligatoire, l’Eurosignal pour toutes les bourses, le Fax, la mallette "Intégrale" Supervisor (micro ordinateur + imprimante + modem + télécopieur + disque dur), le Radio Icom IM 4 Set., les Inmarsat, le téléphone baladeur !… Quand je pense que les relations amoureuses de Flaubert et de Louise Colet ont commencé à se détériorer à cause du "progrès", déjà, des "communications" (l’ouverture de la ligne Paris-Rouen, en 1843, raccourcissant soudain désastreusement les distances) ! Ils ne connaissaient pas leur bonheur !
Etre "loin", où que ce loin soit, n’a plus aucun sens. Rendez-vous tout de suite, vous êtes cernés ! Plus d’excuses pour ne pas être joignables, plus aucun prétexte pour disparaître, plus aucun endroit, plus d’inconnu, plus d’ "ailleurs". Plus d’invisibilité. Plus d’extériorité subtile. Vous êtes dedans ou vous êtes mort ! Présent toujours ! Scouts 2001 ! S’absenter va devenir un exploit, une opération délicate qu’il faudra longuement, très férocement préméditer. On concevra des championnats clandestins de disparition. Ne pas "répondre" sera de l’ordre des sports les plus raffinés, réservés à une élite, une fête pour les mauvais esprits, une infidélité au rituel, un minicrime contre l’espèce, une exaction prodigieuse. Un de ces coups d’éclat mémorables que les générations suivantes se répéteront avec ferveur. Les émissions de recherche des disparus vont bien sûr se multiplier. "Dans l’intérêt des Antilles", ça tombe sous le sens. Avec larmes en boîte, comme les rires, au moment des retrouvailles. »

Philippe Muray, "Les damnés de l'éther" in L'Empire du Bien

 

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L'espérance

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31/03/2024

Zone sans armes !

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La cause...

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Who do you blame ?

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Un vrai voyage de science-fiction

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« C’est aussi la raison pour laquelle notre Pays des Merveilles est devenu le royaume de la musique. Pure effusion, la musique. Ivresse, liberté, innocence... Quoi de plus sympathique que la musique ? Quoi de plus trait d’union consensuel, juste milieu orchestral ? Oui, c’est vraiment ce qu’il nous fallait pour accompagner cette fin du monde. Mais j’avoue que je ne comprends pas pourquoi nos maîtres ont décrété une Fête de la Musique : comme si, à Cordicopolis, ce n’était pas l’aubade tous les jours ! La sérénade obligatoire. Comme si nos villes n’étaient pas toutes devenues, et jusque dans leurs moindres recoins, jusqu’au fond de leurs plus obscurs placards, jusqu’aux mieux défendues des tours d’ivoire, de gigantesques auditoriums, des salles de concert perpétuelles. Ce monde s’écroule en plein festival, avec orchestre et cotillons.
Dans l’au-delà, je me souviendrai encore de ce bruit inusable de fond, de ce vacarme qui n’arrêtait plus jamais, de cette musique prisu persécutrice qui traînait le long de mes fenêtres, montait me chercher à gros bouillons, venait taper contre les murs, rebondissait dans mon bureau, s’effilochait sur les papiers, visait directement aux neurones sans même passer par les tympans. Comme si une seule maison de disques internationale, une seule Multinationale du Son, avait orwelliennement pris possession de la totalité du genre humain.
Une seule boîte à rythmes géante battant elle-même maniaquement comme le cœur intuable et autonome de la nouvelle réalité.

Partout le Big Band systématique, la corvée forcée de mélomanie. Je ne suis pas ennemi de la musique, il ne faudrait pas imaginer. Je me souviens de ce qu’écrivait Nietzsche, que l’existence privée de musique est une erreur et un exil ; mais chaque fois qu’un type, à dix immeubles de moi, pousse dans le rouge son matériel hi-fi pour me faire partager ses goûts, pour me faire participer à sa torpeur, pour me mettre à "l’unisson", chaque fois que des amplis hurlants me visent avec beaucoup plus de précision que des Scuds, je me demande si Nietzsche, à ma place, resterait sur ses positions de 1888.

Une espèce de marée noire musicale beurre aujourd’hui les rives du monde. Tous les jours, des gens qui ne toléreraient pas que vous leur fumiez sous les narines vous soufflent leurs préférences aux oreilles. Les cordicolâtres sont des mélomanes infatigables. Il n’existe plus d’autre musique que la musique à écouter en groupe ; mais ne pas souhaiter l’entendre n’est nullement prévu au programme, ce serait comme de ne pas désirer ceux qui l’offrent à la cantonade. Batteries barbares. Synthés. Larsen tueurs. Compact-disques à guidage terminal. Leurs baffles sont des armes "propres".

C’est bien commode, la musique, pour achever de vous convertir. C’est admirablement conçu pour vous rendre cool, sympa, communautaire, harmonique. Ça efface toutes les ombres et les critiques. Ça noie bien des réticences sous les émois pasteurisés. Ça fait passer bien des forfaits aussi. Le gros général américain dont j’aime mieux ne pas me rappeler le nom s’endormait chaque nuit, dans le désert d’Arabie Saoudite, au son terriblement "new age" de gazouillis d’oiseaux qu’on lui avait enregistrés sur cassette.

Est-ce qu’il existe aujourd’hui quelque chose de plus hallucinatoirement consensuel que la Fête de la Musique, je ne sais plus quel soir du mois de juin ? La Journée du Livre peutêtre ? La "Rage de Lire" ? Les "Ruées vers l’Art" ? Tout ce qui s’efforce de vous faire croire que la culture c’est bien, c'est chouette, et que le cinéma c’est la vie, et que la poésie vous aime, et que le théâtre vous attend, et que la peinture vous concerne…

Traverser la France, en été, avec partout des annonces de festivals, dans les coins les plus pathétiques, sous les soleils les plus plombés, voilà un vrai voyage de science-fiction à travers les horreurs de l’optimisme, une descente dans les Profonds secrets de la grande bouffonnerie cordicole de masse. J’ai vu le genre humain en vacances, pouvait dire Chateaubriand, repensant aux journées de la dévolution. ("Le genre humain en vacances se promène dans la rue, débarrassé de ses pédagogues, rentré pour un moment dans l’état de nature"). Il n’avait rien vu du tout. Notre opérette est bien plus forte. Et la tranchée, aujourd’hui, bien plus radicale encore entre l’Ancien et le Nouveau Régime.
Y a-t-il une vie après la culture ? Après les expos ? Les festivals ? Les livres du mois ? Les ouvrages stars ? Les essais dont tout le monde parle ?
Peut-être. Mais elle se cache bien. »

Philippe Muray, "Les damnés de l'éther" in L'Empire du Bien

 

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Peur

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Servitude

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30/03/2024

Orthodox Christian Theology - About Islam

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Moine, Evêque et grand théologien serbe orthodoxe, disciple de Saint Justin Popović, le défunt Atanasije Jevtić évoque ici en quelques mots la position chrétienne orthodoxe à propos de l'Islam...

 

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Un regard chrétien orthodoxe... sur la fameuse R.A.T. P. (Religion d'Amour, de Tolérance et de Paix)

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Luzerne

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Le Bien a toujours réponse à tout

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« Jamais nous n’avons été moins libres, et pour des raisons dont un Giono, par exemple, commençait déjà à découvrir les mécanismes au début des années 50 :
"A chaque instant il faut se dire : j’ai parlé des gens qui portent des chemises bleues mais les gens qui portent des chemises bleues ont des journaux, des banques, des menteurs à gage et même des tueurs. Attention. Tu parles 'pour le plaisir de dire ce que tu penses' et ils vont te renfoncer ce que tu penses dans ta gorge. Or, c’est ce qu’on écrit avec plaisir qui fait avancer l’esprit."

L’espèce est tout, le particulier n’est plus rien. L’idée qu’une œuvre d’art ou un livre seraient une "propriété privée" (d’abord celle de son auteur, ensuite celle de qui la contemple ou l’achète), et que rien de ce qui s’écrit, rien de ce qui se peint ou se pense, ne regarde aucune collectivité, mais seulement, à chaque fois, "une" personne, "la" personne qui regarde, qui lit, qui comprend (quel que soit le nombre, à la fin, de ces personnes), cette idée même n’est plus envisageable, si elle l’a jamais été. La non-ingérence radicale dans les affaires intérieures d’un livre n’est ni pour demain ni pour après-demain. L’Opinion est la reine du monde, disait Voltaire ; que Sade, dans "La Nouvelle Justine", complétait de cette façon : "N’est-ce pas avouer qu’elle n’a, comme les reines, qu’une puissance de invention, qu’une arbitraire autorité ?" Pour ajouter aussitôt : "Y a-t-il rien de plus méprisable au monde que les préjugés, et rien qui mérite d’être bravé comme l’opinion ?" Sans doute ; mais qui oserait désormais ? S’il n’existe plus d’ "écrivains engagés", comme on le radote, comme on le déplore, c’est qu’ils le sont tous devenus. De force ou pas. Sans le savoir ou non. Et pour pas grand-chose. « La place de Sartre est vide ! » font semblant de s’alarmer ceux qui ne voient au monde que des places. En réalité, à Cordicopolis, il n’y a plus que des Sartre qui se bousculent pour dorer toutes les pilules, de tout petits Sartre, encore plus rudimentaires que l’original, engagés dans les bonnes causes, et si nombreux qu’on ne les voit même plus.

"A-t-on le droit de tout dire ?" "Tout écrire ?" "Est-il possible de tout publier ?" Partisan comme je le suis de la privatisation fanatique, intégrale, des œuvres et des pensées, vous imaginez comme ces questions me réveillent la nuit. Mais enfin, d’autres se les posent. Est-il permis, par exemple, de "présenter sous un jour favorable l’usage des produits stupéfiants" ? En voilà une affaire ! Bien sûr que non ! L’Intérêt Général vous l’interdit ! Le Consensus vous a à l’œil ! Chaque décédé d’overdose serait retenu contre vous ! Seule la recherche du Bien commun vous est encore autorisée. La philanthropie apostolique est la poésie unique de cette fin de siècle, l’Harmonie est son lyrisme. Comme on sait, il n’y a pas de visions plus ressassées, sur les murs et sur les écrans, que celle des déserts (pureté, virginité, innocence originelle) et celle des eaux (niaiserie de l’immanence aquatique). Quand un film marche vraiment à fond ("Bagdad Café", "Le Grand Bleu", "Sexe, mensonge et vidéo"), c’est toujours, d’une manière ou d’une autre, parce qu’il a rendu hommage au pompiérisme de l’esprit de groupe, à l’idéal de Concordance, au collectivisme rose bonbon qui ouvrent le nouveau millénaire.

Le Bien a toujours réponse à tout : à la fin les menteurs sont punis, le Paradis descend en plein désert, les maris infidèles perdent en même temps leur femme, leur maîtresse et leur boulot, c’est bien fait, ça leur apprendra. On s’était trompés sur toute la ligne : le Mal était soluble dans le sirop.
"N’écoutez jamais votre cœur, mon enfant ; c’est le guide le plus faux que nous ayons reçu de la nature."
Rien n’est plus contraire aux nouvelles tendances que cette exhortation de Dolmancé. De même, rien ne paraît plus passé de mode que cette confidence de Flaubert à Louise Colet : "Ne crois pas que la plume ait les mêmes instincts que le cœur." Flaubert, Sade, pauvres cyniques hors de course ! Comme vous faites pitié, désormais ! Comme vos exhibitions naïves de prétendue lucidité font sourire les annonceurs, les distributeurs, les producteurs et les créateurs de consolations imagées ! Plus les diverses techniques, biosciences, technologies et ainsi de suite, ravagent le monde autour de nous et travaillent irréversiblement à rendre toute morale impossible, et plus les discours doivent camoufler cette effrayante réalité avec un enthousiasme redoublé.
Les hommes du Spectacle se livrent sans arrêt à une gigantesque entreprise d’idéalisation hallucinée. Les femmes laides seront plus aimées que les belles : puisqu’ils vous le disent, c’est sûrement vrai… Un PDG riche et blanc tombera fou amoureux d’une femme de ménage pauvre et noire… Les larmes l’amour, la passion, la générosité, les effusions, nous annoncent un Âge d’or imminent. Toutes ces fables caritatives n’ont rien à voir avec la vie concrète ? En effet. Et puis alors ? Il n’y a que l’intention qui compte ; et l’intention vaut l’action ; elle la supplante même largement. Il faut savoir caresser les populations dans le sens du cœur. Tous les coups philanthropes sont permis pour recoloniser la vie. Chaque jour, des milliers de couvertures chauffantes, des tonnes de produits contre les engelures sont déversés par des associations humanitaires dans les contrées les plus torrides. Des montagnes de laxatifs, des Himalayas de potages amincissants, sont répandus généreusement par erreur sur des affamés du bout du monde. Qu’est-ce que ça peut faire ? C’est mieux que rien. L’intention ! L’intention, vous dis-je ! Le grand pactole du Sentiment !

Aucun mot n’est plus efficace, de nos jours, que celui de passion. "La passion a toujours raison !" dit un slogan récent pour je ne sais quoi. La passion fait tout passer, c’est le droit de l’homme le plus imprescriptible. Plus les affaires règnent, plus le business tourne dans son propre vide, avec pour seul et unique projet son extension absolument sans fin, et plus le lyrisme cordicole doit triompher à la surface, habiller la réalité, camoufler les pires trafics, ennuager toutes les intrigues, faire passer l’Ordre Nouveau du monde pour une sorte d’ordre divin. À société postindustrielle, psychisme pastoral obligatoire. Fumée de dollars pour le réel, pipeaux d’Arcadie pour l’imaginaire. Plus immoraux sont les maîtres, et plus ils doivent paraître insoupçonnables, afin que ceux qui les imitent aient à cœur de ne pas faire ce qu’ils font mais de reproduire ce qu’ils simulent. La confiture cordicole est au service du "business" et non en opposition avec lui. "Parler morale n’engage à rien ! Ça pose un homme, ça le dissimule. Tous les fumiers sont prédicants ! Plus ils sont vicelards plus ils causent !" Je ne me lasserai jamais de citer ce passage de "Mea Culpa"… Oui, ce sont toujours les pires saletés qu’on fait passer dans le dos des tirades poétiques. Mais seules comptent les tirades poétiques.

En surface, c’est le Matin de tous les Magiciens. Bien sûr, une visite discrète, une descente à la salle des machines souterraine nous en apprendrait long, sans doute, sur les progrès fantastiques réalisés dans le domaine du guidage et de la surveillance à distance, électroniquement programmée, des Poupées qui s’agitent à l’air libre. Malheureusement, cette région n’est pas ouverte au public ; et ce qui n’est pas public n’existe pas. En surface, donc, c'est la fête. Approchez ! je vous répète ! N’hésitez plus ! Allez ! Sortez vos Portefeuilles ! Les animations ne font que commencer ! Tous les loisirs sont hygiéniques ! Garantis sans goudrons, sans nicotine ! Toutes nos valeurs sont "no smoking" ! Au toboggan géant ! À l’eau ! Au bain sous les bananiers et les eus ! À l’île élastique ! Au Lagon des Fées ! À la cantine polynésienne avec piano-bar sous cocotiers ! La "Virtue World Corporation" va satisfaire vos besoins ! Ne pensez plus ! Vos cœurs s’épanchent ! Oui, la passion a toujours raison. La mystique de la "spontanéité" reste un des sentiments les mieux Partagés par les habitants de Cordicopolis, où l’on croit plus que jamais que l’ "amour" procède toujours d’un élan désintéressé, et où, malgré l’antipathie générale pour les actes de violence, les crimes "passionnels" sont punis avec bien moins de sévérité que ceux qui ont été longtemps préparés.

Tuer pour de l’argent, par intérêt, c’est sordide, c’est inacceptable ; mais tuer sous l’empire de la passion, dans la saute d’humeur d’un moment, dans le feu de l’inspiration, alors oui, c’est défendable. Le législateur est romantique, lui aussi, il trouve au cœur des raisons qu’il ne reconnaît pas au cerveau parce que le cœur est collectiviste par essence, onde solidaire en équilibre, rythme communautaire et joyeux ris ; alors que le cerveau, hélas, nous savons bien, le cerveau malheureusement, le pauvre, est toujours plus ou moins fractionniste, dissident par vocation, vilainement sécessionniste, antipathique de toute façon. Et voilà pourquoi il est également inutile d’aller chercher midi à quatorze heures en prétendant explorer, par exemple, les causes de l’hostilité qui entoure depuis toujours les "intellectuels" : puisqu’elle s’étale là, déjà, dans "la loi", la haine féroce de toute pensée, donc de toute possibilité de critique, de toute velléité négativiste. Irréfutablement là : dans le Code. »

Philippe Muray, "Art pompier" in L'Empire du Bien

 

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Do not fear the conflict...

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29/03/2024

Pour la vanité d'un seul homme

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Humoristes

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Chasser nos derniers "vices privés"...

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« Levez-vous, Sondages désirés ! Grâce à vous, le Un, définitivement, se retrouve jugé par le multiple, l’obscurantisme collectif recouvre à jamais l’individuel. Le pouvoir de l’Opinion publique audimatique supplante haut la main toutes les puissances. L’idéal gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple se réalise à travers la plus pure, la plus efficace, la plus "propre" de toutes les croisades qui aient jamais été livrées aux misérables exceptions. Sous les courbes, sous les chiffrages, sous les indices des statistiques, le doute, l’écart, le jeu, l’ironie s’engloutissent comme des Atlantides. Encore quelques petits efforts et ce sera bien terminé, l’égalisation ultime des mentalités sera accomplie.

On attend le coup de grâce européen ; ça ne saurait trop tarder maintenant. Plus de "bien-être individuel", comme disait jadis Sieburg. L’imminence de l’Europe Unie va être l’occasion ou jamais de chasser nos derniers "vices privés". Il va falloir qu’on se remue si on veut participer au feu de camp. La télé européenne nous tend déjà ses filets. Les technocrates se pourlèchent. Il faut vite se mettre au diapason. Plus de caprices ! Rééduquons-nous ! Dressage ! Plus de fantaisies ! Les Français ont tant de choses à réapprendre ! Des observateurs étrangers parmi les mieux intentionnés n’arrêtent pas de nous le seriner, il faudrait peut-être un peu les écouter, cesser de nous croire si beaux dans nos miroirs, balayer devant notre porte, baliser enfin ce que nous pesons au-dehors, ce que nous valons réellement, ce qu’on dit de nous, de notre insupportable prétention, de notre passé plus lue suspect, de nos artistes invendables, de notre miteuse littérature, de notre présent sans avenir…

Elles sont bien terminées, les arrogances ! Il n’existe pas, en vérité, à Cordicopolis, de plus mauvais élèves que les Français, plus intenables, plus indisciplinés… Dans tous les domaines, de vrais sous-doués… Incapables de conduire correctement, toujours vingt-cinq métros en arrière, et dans le travail de parfaits cochons… Les Japonais d’aujourd’hui, tout à fait comme Sieburg hier, nous décrivent égoïstes, discutailleurs, maladivement xénophobes (ils ne manquent pas d’air), indisciplinés, cyniques… Etalant nos différences au grand jour au lieu de chercher à converger… Nous engueulant sans cesse, et sous n’importe quel prétexte, au milieu de trottoirs couverts de crottes de chiens… "Poussés dès l’école, disent-ils encore, à exprimer leurs opinions personnelles" (si c’était vrai !)… Et puis en retard ! Surtout ! en retard ! Ah ! l’effroyable retard de la France ! Cette lenteur à évoluer ! Cette apathie ! Mais qu’est-ce qu’elle fout depuis des siècles ? "La France est très en retard par rapport à l’Allemagne pour l’insertion des handicapés dans la vie professionnelle"… On entend des choses de ce genre tous les jours dans la bouche des cordicocrates. "La France est très en retard par rapport à la Grande-Bretagne (ou par rapport à l’Irlande, ou par rapport au Bangladesh) en ce qui concerne la place des femmes dans la vie politique"… J’ai même récemment vu une journaliste atterrée qui expliquait que la France était très en retard par rapport à la Hollande en ce qui concernait "l’image des homosexuels dans les médias" ; et que cela provenait certainement, comme d’ailleurs la plupart de nos carences, de notre infernal atavisme catholique (car qui dit catholique dit individualiste, et qui dit individualiste dit résistance au paradis des "lobbies", des communautés, de toutes ces associations et conglomérats qui ont avantageusement remplacé le militantisme d’autrefois désormais trop vulnérable).
La France était donc très en retard en ce qui concernait l’image des homosexuels dans les médias. Dans les médias. Donc dans le monde, puisqu’il n’en existe plus d’autre. Dans le monde. Donc dans les médias. La croyance générale étant que seules les images sont capables de vous conférer encore un semblant d’être, la place des homosexuels n’est pas bonne parce que leur place "dans les images" est jugée insuffisante.

Dans le même ordre d’idées, il n’est pas rare d’entendre les cordicocrates déplorer qu’à l’inverse des Etats-Unis avec leur Viêt-Nam, la France ait consacré si peu de films à sa guerre d’Algérie ; ce qui signifie tout simplement, selon eux, que cette guerre n’existe pas.
"La France est très en retard par rapport aux Etats-Unis en ce qui concerne le traitement cinématographique de son passé colonial."
Le creuser, ce retard de la France par rapport aux ÉtatsUnis, par rapport à l’Allemagne, au Japon, à la Hollande, et dans tous les domaines imaginables, me paraîtrait pourtant, à moi, une perspective intéressante, mais je ne veux pas insister. Glissons. C’est déjà téméraire toutes ces confidences. Aller plus loin serait du suicide. Dire ce qu’on pense est devenu périlleux. Même à titre farouchement "privé". Tout ce qui ne peut pas être exposé publiquement sur un plateau ne devrait même pas être pensé. Dans les télédébats, la formule-clé, pour arrêter en plein vol, pour stopper quiconque pourrait être sur le point de lâcher quelque chose de très vaguement non aligné, de très obscurément non consensuel, de très légèrement non identifié (et toute idée qui ne vient pas du collectif pour y retourner aussitôt appartient à cette catégorie), la formule-clé, donc, est la suivante :
"Ah ! oui, mais ça n’engage que vous, ce que vous dites là !" Vous. C’est-à-dire une seule personne. C’est-à-dire, en somme, personne.
L’Empire du Bien, ça tombe sous le sens, est d’abord "l’Empire du combien".
Le pape ? Combien de divisions ?

Peut-on encore parler en son nom propre ? Donner seulement un avis qui prétend "n’engager que soi-même" ? Le despotisme obscur des cordicoles se bâtit sur l’hypothèse d’une grégarité infinie, définitivement acceptée et définitivement invisible. Toute pensée assez héroïque pour essayer de se faire connaître, sur la scène de Cordicopolis, se retrouve en dette, et a priori, par rapport à la communauté. Cette dernière est en droit de demander des comptes à celui qui entreprend de s’exprimer. Et celui-ci, réciproquement, s’aperçoit dans le même temps qu’il a moins que jamais le droit de "tout dire" puisque planent au-dessus de sa tête, comme d’énormes dirigeables-espions, un Bien commun, une Opinion publique, avec lesquels il est supposé avoir signé, et de toute éternité, un pacte de fer, un contrat de sang. »

Philippe Muray, "Art pompier" in L'Empire du Bien

 

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Encyclopédie

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28/03/2024

Curriculum Vitae

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Propagandastaffel

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20h30

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Boxe et Piano...

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Art Contemporain...

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