02/10/2020
Maurice Barrès revisité
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Tribune de Sarah Vajda : Quel enseignement politique tirer aujourd’hui de Barrès ?
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Peut-on encore comme le fit en 1947, Aragon, en réponse à une enquête d’Etienne Borne, se dire, se proclamer Barrésien ?
La réponse n’est guère aisée. Non seulement Barrès fut un homme à volutes. Jamais en un livre, on ne vit se livrer entier ce mélancolique professeur d’énergie si éloigné du Français d’aujourd’hui, qui, à toute pensée complexe, préfère l’idéologie et à tout élan, le résultat.
Barrès, parlementaire, journaliste, essayiste, romancier, homme de lettres, artiste, mérite pleinement l’épithète qu’il accorda à Rousseau d’extravagant musicien, paru parmi nous – selon Léon Blum – comme un étranger. En ses élans, l’artiste parfois écrivit des choses difficilement audibles par des esprits contemporains, particulièrement le salut aux pogromes de Tolède, qu’emporté par son désir de célébrer le Tage, si beau dans la lumière de l’Orient naissant, il offrit en hommage au Gréco.
Nonobstant ses débordements lyriques et sa sortie de route antidreyfusarde, il serait bon de relire sa rêverie ou son poème politique et d’en retenir non pas la leçon mais le flux, l’esprit et non la lettre. En un mot, la direction.
J’appelle « sortie de route » la décision d’un lettré qui, toute sa vie, s’est voulu du parti d’Antigone – les cimetières sont nos maîtres -de choisir celui de Créon ou du conseiller Aulique Goethe, plutôt une injustice qu’un désordre, au seuil de la ténébreuse Affaire.
Blum, Péguy le médiéviste Joseph Bédier, sans oublier « Polybe », Joseph Reinach et André Spire, tous ardents dreyfusards, ont su lui pardonner sa déplorable erreur, après sa soumission immédiate et inconditionnelle à l’autorité judiciaire, quand un arrêt de la cour de cassation, en 1906, innocenta le martyr de l’île du Diable. Notre temps le peut d’autant plus aisément que bien des dreyfusards entrèrent en collaboration et que bien des antis préférèrent Londres ou Alger à Berlin ou à Vichy. Barrès d’ailleurs en sa sagesse, jugeant l’exiguïté des nationalismes concurrents, avait en ses Cahiers prédit leur trahison :
Ceux qui sont aujourd’hui les patriotes, les hommes fiers, las de vivre une France amoindrie et une vie humiliée, appelleront une annexion, si ce n’est en Lorraine, ou une domination, une intervention de l’étranger qui leur donne enfin la joie de participer à une grande vie collective ; et nous verrons au contraire la résistance à l’étranger personnifiée par la démagogie janséniste.
Barrès, que Metz, sur une plaque de rue éponyme, choisit d’honorer de l’ironique et insuffisante épithète de patriote lorrain, a pourtant, plus que quiconque, gagné, par ses efforts, ses écrits et sa lucidité, le droit d’être écouté, particulièrement en cet instant politique suspendu où, entre Rhin et Oronte, l’actualité bafouille.
Son « entrée » en politique ne procède ni d’une révolte ni d’une volonté mais d’une nécessité toute intérieure. Une nuit d’éblouissement en constitue la scène augurale, un vitae sectabor iter sur le modèle cartésien, advenu, non pas à Ulm dans «la chambre du poêle » mais à Haroué en Lorraine, dans une modeste chambre d’auberge, après un dîner, que son estomac délicat avait mal supporté. Cette nuit-là, le fringant Barrès, l’insolent égotiste, déjà adoubé Prince de la jeunesse, se décida, non sans raison, à faire ses adieux à Venise, sa mélancolie, son goût de mort, surtout au nihilisme contemporain dont Léo Strauss, Nihilisme et politique, dira en 1941 que le national-socialisme allemand n’est que la forme la plus basse et la plus tristement célèbre. A quoi bon, ajoutait le philosophe, vaincre Hitler si nous n’extirpons pas des âmes ce goût de cendres ? Cesser de vouloir le rien, la destruction de tout, voilà ce que signifie cesser d’être nihiliste. Pour Barrès, cette nuit d’Haroué fixa le programme : métamorphoser le Je en Nous. Sur le modèle de Byron, ce chantre d’amours et d’aventures, parti servir les Grecs, jouer sa peau, s’engager.
Barrès, cette nuit entre les nuits, renonce à l’amour d’une Odette, qui n’était pas son genre, aux affres et aux délices de la jalousie et de l’attente, pour enfourcher le cheval de l’Adhésion, de l’Action, du Service à la patrie. Utile ou inutile ? Qu’importe ! Le motif chevaleresque renaît, unique maître de vie. Nous pouvons nous gausser – et je l’ai fait longuement dans la biographie que j’ai naguère consacrée à Barrès – du canasson élu, le Brav’ général Boulanger. Il n’empêche. Le roman de l’énergie nationale, qu’il en tira offrira sa syntaxe vide à un Colonel d’une bien autre envergure, à un moment clef de notre tragédie nationale, qui trouva chez Barrès les premiers mots de ses Mémoires de guerre, ce fameux, trop fameux : Toute ma vie je me suis fais….
La France, une certaine idée… tels furent les derniers mots, tracés dans ses Cahiers, par notre « patriote lorrain », quelques heures avant la crise cardiaque, qui l’allait foudroyer, le 3 décembre 1922, une nuit de Saint Nicolas.
Il existe bien une « doctrine » barrésienne, disséminée entre les lignes et les actes. Cette doctrine a nom Résistance. Résistance à tout ce qui éloigne l’homme de lui -même, impur mélange de bête et d’ange qui, par l’efficace de la culture, s’est forgé un ensemble de valeurs, de dignités, de devoirs et de goûts partageables. On retient le terrible Barrès de Leurs figures, ses excès, sa lutte -ô combien légitime – contre le « cloaque » parlementaire, souillé par les scandales financiers mais on oublie son génie de la conciliation, sa tendresse envers «les fées cartésiennes » de Perrault, sa défense de Robespierre et même de Saint-Just au regard des abus de l’Ancien régime finissant. En un mot, sa passion de l’équilibre.
A l’absurde et au tragique, répondre par la civilité. Refuser un monde où Les barbares veulent nous fondre en série et pour cela, s’accoter aux riches heures d’un passé, tel fut son programme, en tous points semblable à celui du mouvement de la Jeune Angleterre, étrange attelage qui vit des aristocrates terriens, conduits par le non moins singulier Disraeli, attachés à combattre le hideux âge dit de la Révolution industrielle.
A une caste de bourgeois étriqués, aux cœurs de pierre, qu’attendrissait le seul or sonnant et trébuchant, opposer une chevalerie d’un autre temps, à l’assaut de l’avenir. La défense des valeurs qu’on dit abusivement passéisme et dont l’utilitarisme pour les nuls, fait aujourd’hui, plus encore qu’au temps de Barrès, un crime contre la raison, conserve pourtant toute sa validité dans un monde plus que jamais voué au culte du Veau d’or. Les conditions, qui, en Angleterre, ont rendu possibles une droite disraélienne, dont Churchill fut le plus formidable surgeon, n’existaient pas en France – la faute au crime du 21 janvier 1793, qui pour un peuple entier fut une nuit éternelle– la chose demeure dommageable. L’homme ne nourrit aussi de symboles et d’égards : ce sont d’ailleurs ces prétendus hochets, qu’à l’encontre des nations faillites, agitent, à bon droit, leurs anciens dominés.
L’état perpétuel de guerre civile en France barre tout accès à la nécessaire relecture de Barrès, qui, en l’état actuel des choses, demeure une des rares portes de possible sortie du cauchemar. Sa méthode ? Accroître l’âme par l’étude de la beauté, le goût des terres labourées, la sensibilité, que même agnostique, chacun peut porter à la chapelle, écoutant sans fin, la prairie dialoguer avec elle, au lieu de se soumettre à la part congrue concédée à la France dans l’Europe et le monde : ce statut de « dame pipi » et de thénardiers, accueillant les hôtes payants et se rengorgeant, pigeonne en rut, de l’argent arraché à des gogos, qui viennent souiller des terres rendues sacrées par le labeur de Vauban, Turenne, Louvois, les artisans de France, soyeux contre-révolutionnaires ou typographes de l’autre bord : toutes ces mains, ces cerveaux, qui ont rêvé et exécuté ce dont nous sommes si fiers et que nous livrons, sans vergogne, aux boutiquiers – ô pardon aux politiques – qui dans le tourisme, ses abus, ses maltraitances- espèrent redorer un blason perdu. Nous aurons le déshonneur, la guerre et la misère, pour avoir manqué de cette humilité barrésienne de n’être qu’un mot ajouté aux phrases de nos pères. Non pas des mainteneurs, des intendants, des régisseurs ou des pyromanes mais simplement des continuateurs qui, chacun, individuellement, augmentant le patrimoine, en conservant l’esprit, impulse au pays un progrès véritable.
A ces mots, un remède. Fermant le journal du soir, imaginer Barrès, contemplant le désastre scolaire, relire Les Amitiés françaises. La rubrique « islamisme » dûment subie, relire l’Ennemi des lois et Les Déracinés. Tout est là. En l’absence de racines, l’homme meurt. Avant de disparaître tout à fait, il diminue, s’étiole, s’asphyxie, hélas s’habitue, jusqu’à putréfaction. Quant au Rhin aujourd’hui bruxellois pourquoi ne pas relire « l’affreux » Colette Baudoche, palimpseste oublié du tant célébré et admirable Silence de la mer ? L’Allemagne n’est pas l’amie de la France. Elle se préfère, la chose est naturelle, à tout. Considérons-la, et usons d’elle comme d’une gigantesque et merveilleuse pinacothèque, une précieuse bibliothèque et une discothèque phénoménale, lisons Goethe et Schiller, écoutons Beethoven et adorons les Christ de Grünewald, sans désirer remplir les conditions d’un traité à leur main. Ne leur opposons pas Philippe de Champaigne, Watteau, Pascal, La Fontaine, Racine et Corneille… A chacun son génie ! Se nourrir n’exige ni boulimie ni vampirisme, pas d’avantage que l’on devienne obèse. Admiration n’est en rien soumission à L’individu, Frederick Amus ou von Ebrener, importe peu. Venus en occupants, ils ne sauraient devenir nos amants, nos maris. Vérone n’était pas occupée, quand Juliette rencontra Romeo ni le désert soumis à un maître étranger quand Antar aima Abla. La loi d’Antigone, la leçon des cimetières, ce que l’homme doit à ses pères, une même antienne aux fondements de toute culture, toute civilisation. Un temps pour la paix un temps pour la guerre. Demain sera un autre jour. Aimer les étrangères se peut, la preuve Anna ou Oriante, mais le chevalier Guillaume ne prétend pas faire de sa musulmane courageuse la reine de son harem mais l’aimer comme Tristan naguère avait aimé Yseult et Augustin Meaulnes, Yvonne de Galais, en fidélité aux règles de courtoisie et à l’abri de son manteau bleu marial.
Un thé au Sahara. Les Français ont beaucoup à apprendre de la perfide Albion. La droite française serait bien avisée d’élire ce modèle disraélien, qui fut celui de Barrès, grand admirateur du romancier Disraeli. Sybil ou les deux nations, à l’instar de Vivian Grey, servit de matrice au chaudron de la trilogie de l’énergie nationale. Bien entendu l’auteur du Jardin sur l’Oronte n’avait pas – non-angliciste – put lire Tancrède ou la Nouvelle croisade. Ces deux ouvrages mériteraient une sérieuse étude croisée, tant les thèmes en écho s’y rencontrent et s’y mêlent en une construction mentale, qu’on pourrait dire « conservatisme éclairé », enfant à naître des noces de Roman et de Politique, sœur de tout ce qui fut grand et noble, césarisme éclairé, gaullisme social…
Sarah Vajda
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SOURCE : Droite de demain
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La morale de troupeau, la morale de la crainte
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« Ce sont les instincts les plus élevés, les plus forts, quand ils se manifestent avec emportement, qui poussent l’individu en dehors et bien au-dessus de la moyenne et des bas fonds de la conscience du troupeau, — qui font périr la notion d’autonomie dans la communauté, et détruisent chez celle-ci la foi en elle-même, ce que l’on peut appeler son épine dorsale. Voilà pourquoi ce seront ces instincts que l’on flétrira et que l’on calomniera le plus. L’intellectualité supérieure et indépendante, la volonté de solitude, la grande raison apparaissent déjà comme des dangers ; tout ce qui élève l’individu au-dessus du troupeau, tout ce qui fait peur ou prochain s’appelle dès lors "méchant". L’esprit tolérant, modeste, soumis, égalitaire, qui possède des désirs "mesurés" et "médiocres", se fait un renom et parvient à des honneurs moraux. Enfin, dans les conditions très pacifiques, l’occasion se fait de plus en plus rare, de même que la nécessité qui impose au sentiment la sévérité et la dureté ; et, dès lors, la moindre sévérité, même en justice, commence à troubler la conscience. Une noblesse hautaine et sévère, le sentiment de la responsabilité de soi, viennent presque à blesser et provoquent la méfiance. L’ "agneau", mieux encore le "mouton" gagnent en considération. Il y a un point de faiblesse maladive et d’affadissement dans l’histoire de la société, où elle prend parti même pour son ennemi, pour le criminel, et cela sérieusement et honnêtement. Punir lui semble parfois injuste ; il est certain que l’idée de "punition" et "d’obligation de punir" lui fait mal et l’effraye. "Ne suffit-il pas de rendre le criminel incapable de nuire ? Pourquoi punir ? Punir même est terrible !" — Par cette question la morale de troupeau, la morale de la crainte tire sa dernière conséquence. En admettant d’ailleurs qu’on pût supprimer le danger, le motif de craindre, on aurait en même temps supprimé cette morale : elle ne se considérerait plus elle-même comme nécessaire ! — Celui qui examine la conscience de l’Européen d’aujourd’hui trouvera toujours à tirer des mille replis et des mille cachettes morales le même impératif, l’impératif de la terreur du troupeau. "Nous voulons qu’à un moment donné il n’y ait rien à craindre !" À un moment donné ! — la volonté, le chemin qui y mène, s’appelle aujourd’hui dans toute l’Europe "progrès". »
Friedrich Nietzsche, Par-delà le Bien et le Mal
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Un dépôt des générations
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« C’est un esprit et un corps robustes, un gai camarade avec des cheveux roux. Il a de frappant l’ampleur de son front. Certains fronts vastes ne témoignent que d’une hydropisie de la tête ; le sien est harmonieux et plein, puissant dans tout son développement. Ce beau signe d’intelligence, des dents admirables et de larges épaules font de ce jeune Lorrain un bon et honnête garçon qui sera digne, je le jurerais, de son magnifique grand-père.
Celui-là, avec ses soixante-dix ans, c’est un type. Les alliés, en 1815, que suivaient des bandes de loups, et puis l’invasion de 1870, fournissent les thèmes de ses plus fréquentes histoires. Il conte bien, parce que, dans ses récits, on suit les mouvements d’une âme de la frontière. Quand il s’écrie : "La patrie est en danger !" ou bien que, pour caractériser un homme, il prononce : "C’était un vrai guerrier !" ou encore que, pour marquer un instant tragique, il déclare : "J’ai cru que j’allais cracher le sang !" — alors il se lève et, malgré son grand âge, il tourne rapidement autour de la table de famille en tirant ses cheveux blancs à pleines mains, mais le tout d’une fougue si sincère qu’on voudrait courir à lui, saisir ses mains et le remercier en disant : "Vieillard trop rare, nul aujourd’hui ne participe d’un cœur si chaud aux souffrances et aux gloires de la collectivité !"
C’est un enthousiaste, mais un Lorrain et, qui plus est, un homme de la Seille, c’est-à-dire qu’entre tous les Lorrains il possède un merveilleux sens des réalités. Il a pour axiome favori : "Quand on monte dans une barque, il faut savoir où se trouve le poisson."
Oui, c’est un type, un dépôt des générations. Il qualifie, d’après des souvenirs certains, les nobles de l’ancien régime, qu’il a vus revenir après 1815 : "Ce n’était pas qu’ils fussent débauchés : de la débauche, il y en avait même moins qu’aujourd’hui, mais ils étaient trop fiers !" Un jour, quand il avait huit ans, on l’a invité à dîner chez les hobereaux du pays ; et au dessert on a mangé du melon avec du sucre, qui, sous Louis XVIII, était cher. Alors, la demoiselle lui a dit, en lui frottant familièrement la tête : "Eh ! petit, chez toi, tu manges le melon avec du sel !" — "Mâtin ! pensa le grand-père de Rœmerspacher. Je crois qu’elle se moque de moi ! Elle m’a touché l’oreille !…" Et, laissant son assiette, il se sauvait chez lui, refusait pour jamais de retourner au château.
Aujourd’hui, parce qu’il critique les dépenses du gouvernement, on le croit conservateur ; mais, sans qu’il le sache, c’est plutôt un radical. On jugera d’après ce trait. Au temps du "16 Mai", faisant partie du jury, il eut à se prononcer sur le cas d’un journaliste poursuivi pour insultes au maréchal de Mac-Mahon. M. Rœmerspacher blâmait ces injures, parce que le maréchal a été un brave soldat. Mais voici que le procureur dans son réquisitoire soutint cette thèse, que le gouvernement, quel qu’il soit, doit être respecté, par cela seul qu’il est l’autorité. Or, le vieillard, qui sur son banc déjà s’agitait, dans la salle des délibérations, éclata. L’homme possède une conscience ! L’homme peut et doit juger le gouvernement !… Il voulut qu’on fît venir le président et lui déclara :
— Ce journaliste ne vaut pas cher, mais nous l’acquitterons contre monsieur le Procureur et pour protester qu’il y a avant tout notre conscience.
Voilà un homme. J’aime sa figure honnête de vieux jardinier ! Il a gagné sa vie et fait sa fortune dans l’agriculture et aussi en exploitant les marais salants. Ils donnent au pays une flore et par là une physionomie particulière : en automne, les mille petits canaux qui strient la région se couvrent d’une végétation éclatante lilas. Dans ce canton, à l’écart de la vie moderne, cet aïeul habite la petite ville de Nomény. Un de ses fils est mort commandant aux colonies ; un autre sorti de l’École forestière de Nancy occupe une bonne place ; le troisième, qui est le père du jeune Maurice n’a jamais pu habiter dans les villes, il n’y respirait pas : il s’occupe sur les terres. D’accord avec l’aïeul dont l’autorité est souveraine, il voit avec plaisir que son fils sera médecin ; ils savent que le docteur Rœmerspacher, installé à Nomény, sera sans conteste l’homme important du canton.
Pourquoi donc le jeune homme s’acharne-t-il à leur affirmer qu’on ne peut faire, hors de Paris, d’études médicales sérieuses ? »
Maurice Barrès, Les déracinés
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Fantaisie...
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01/10/2020
John Mayall & The Bluesbreakers (avec Gary Moore) - So Many Roads
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Il ne parle pas, si ce n’est pour dire toujours oui au monde qu’il a créé...
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« Mais soudain l’oreille de Zarathoustra s’effraya, car la caverne, qui avait été jusqu’à présent pleine de bruit et de rire, devint soudain d’un silence de mort ; le nez de Zarathoustra cependant sentit une odeur agréable de fumée et d’encens, comme si l’on brûlait des pommes de pin.
"Qu’arrive-t-il ? Que font-ils ?" se demanda Zarathoustra, en s’approchant de l’entrée pour regarder ses convives sans être vu. Mais, merveille des merveilles ! que vit-il alors de ses propres yeux !
"Ils sont tous redevenus pieux, ils prient, ils sont fous !" — dit-il en s’étonnant au delà de toute mesure. Et, en vérité, tous ces hommes supérieurs, les deux rois, le pape hors de service, le sinistre enchanteur, le mendiant volontaire, le voyageur et l’ombre, le vieux devin, le consciencieux de l’esprit et le plus laid des hommes : ils étaient tous prosternés sur leurs genoux, comme les enfants et les vieilles femmes fidèles, ils étaient prosternés en adorant l’âne. Et déjà le plus laid des hommes commençait à gargouiller et à souffler, comme si quelque chose d’inexprimable voulait sortir de lui ; cependant lorsqu’il finit enfin par parler réellement, voici, ce qu’il psalmodiait était une singulière litanie pieuse, en l’honneur de l’âne adoré et encensé. Et voici quelle fut cette litanie :
Amen ! Honneur et gloire et sagesse et reconnaissance et louanges et forces soient à notre Dieu, d’éternité en éternité !
— Et l’âne de braire I-A.
Il porte nos fardeaux, il s’est fait serviteur, il est patient de cœur et ne dit jamais non ; et celui qui aime son Dieu le châtie bien.
— Et l’âne de braire I-A.
Il ne parle pas, si ce n’est pour dire toujours oui au monde qu’il a créé ; ainsi il chante la louange de son monde. C’est sa ruse qui le pousse à ne point parler : ainsi il a rarement tort.
— Et l’âne de braire I-A.
Insignifiant il passe dans le monde. La couleur de son corps, dont il enveloppe sa vertu, est grise. S’il a de l’esprit, il le cache ; mais chacun croit à ses longues oreilles.
— Et l’âne de braire I-A.
Quelle sagesse cachée est cela qu’il ait de longues oreilles et qu’il dise toujours oui, et jamais non ! N’a-t-il pas créé le monde à son image, c’est-à-dire aussi bête que possible ?
— Et l’âne de braire I-A.
Tu suis des chemins droits et des chemins détournés ; ce que les hommes appellent droit ou détourné t’importe peu. Ton royaume est par delà le bien et le mal. C’est ton innocence de ne point savoir ce que c’est que l’innocence.
— Et l’âne de braire I-A.
Vois donc comme tu ne repousses personne loin de toi, ni les mendiants, ni les rois. Tu laisses venir à toi les petits enfants et si les pécheurs veulent te séduire tu leur dis simplement I-A.
— Et l’âne de braire : I-A.
Tu aimes les ânesses et les figues fraîches, tu n’es point difficile pour ta nourriture. Un chardon te chatouille le cœur lorsque tu as faim. C’est là qu’est ta sagesse de Dieu.
— Et l’âne de braire I-A. »
Friedrich Nietzsche, Le Réveil, in Ainsi Parlait Zarathoustra
« Car, pour ce qui concerne toutes les promesses de Dieu, c'est en lui qu'est le oui, c'est pourquoi encore l'Amen par lui est prononcé par nous à la gloire de Dieu. »
Sainte Bible, 2 Corinthiens 1 : 20
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Le Covidisme...
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Sous l'uniforme en drap du lycée
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« Le reste de l’année fut absorbé par la niaise préparation des examens, où ces jeunes gens réussirent. Bacheliers, ils quittèrent définitivement le lycée pour rentrer dans leurs familles. C’était la liberté, mais non un bonheur de leur goût.
Autour d’eux pourtant, il y avait l’été, puis l’automne, si beau dans ces pays de l’Est ! Mais, Gallant de Saint-Phlin excepté, ils ne sentaient pas la nature, ne savaient pas l’utiliser. En leur fermant l’horizon pendant une dizaine d’années, on les avait contraints de ne rien voir qu’en eux.
Si cette éducation leur a supprimé la conscience nationale, c’est-à-dire le sentiment qu’il y a un passé de leur canton natal et le goût de se rattacher à ce passé le plus proche, elle a développé en eux l’énergie. Elle l’a poussée toute en cérébralité et sans leur donner le sens des réalités, mais enfin elle l’a multipliée. De toute cette énergie multipliée, ces provinciaux crient : "À Paris !"
Paris !… Le rendez-vous des hommes, le rond-point de l’humanité ! C’est la patrie de leurs âmes, le lieu marqué pour qu’ils accomplissent leur destinée.
N’empêche qu’ils sont des petits garçons de leur village ; et ce caractère, dissimulé longtemps sous l’uniforme en drap du lycée, et aujourd’hui sous l’uniforme d’âme que leur a fait Bouteiller, pourra bien réapparaître à mesure que la vie usera ce vêtement superficiel.
Rœmerspacher, Sturel, Suret-Lefort, Saint-Phlin, Racadot, Mouchefrin et Renaudin, marqués par un philosophe kantien et gambettiste, sont des éléments significatifs de la France contemporaine, mais plus secrètement, ils valent aussi, au regard de l’historien, comme les produits de milieux historiques, géographiques et domestiques. Ils ont trouvé dans leurs foyers une idée maîtresse, qu’ils prisent moins haut que les idées reçues de l’État au lycée, mais qui tout de même est chevillée encore plus fortement dans leur âme. »
Maurice Barrès, Les déracinés
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Caméras vieux modèles...
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La sortie...
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30/09/2020
Eteignez votre télévision et allumez votre cerveau...
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Il voulait asservir ces volontés, ces intelligences à l’État
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« Que rêvent-ils, ces Lorrains-ci, jeunes gens de toute classe, grossiers et délicats mêlés ? M. Bouteiller est venu, l’ami de Gambetta, démocrate délégué par ceux qui se proposent d’organiser la démocratie, de fortifier et de créer le lien social. Il leur a prêché l’amour de l’humanité ; puis de la collectivité nationale. "L’individu, disait-il, vaut dans la mesure où il se sacrifie à la communauté…" Tel était son accent que leurs yeux se remplissaient de larmes ; mais c’est de voir un tel héros qu’ils s’émouvaient. Conséquence imprévue, trop certaine pourtant : il voulait asservir ces volontés, ces intelligences à l’État ; son contact fut plus fort et plus déterminant que ses paroles. Bouteiller a déposé en ces jeunes recrues des impressions qui contredisent sa doctrine en même temps qu’elles obligent leur intelligence et leur volonté. "Comme il est beau ! pensaient-ils, et qu’il fait bon aimer un maître !… Si nous pouvions l’égaler !… À Paris et tout jeune ! Par son mérite il est digne de commander à la France."
Son image seule, sa domination de César les a groupés et spontanément les forme à sa ressemblance, ces jeunes Césarions. Déliés du sol, de toute société, de leurs familles, d’où sentiraient-ils la convenance d’agir pour l’intérêt général ? ils ne valent que pour être des grands hommes, comme le maître dont l’admiration est leur seul sentiment social.
Après que, sous le titre de devoirs, on leur a révélé les ambitions, aucun de ces jeunes gens ne veut plus demeurer sur sa terre natale, et c’est presque avec un égal dédain qu’ils accueillent ses invitations à choisir un milieu corporatif. Quoi d’assez beau, d’assez neuf pour leur imagination ? Leur métier ne sera qu’un gagne-pain subi maussadement. Ils veulent être des individus.
… Rien de plus fort que le vent du matin qui s’engouffre au manteau du nomade, quand, sa tente pliée, il fuit dans le désert. Quitter les lieux où l’on a vécu, aimé, souffert ! Recommencer une vie nouvelle ! Parfois, c’est délivrance… Mais ceux-ci, au seuil de la vie, déjà leur amour est pour tous les inconnus : pour le pays qu’ils ignorent, pour la société qui leur est fermée, pour le métier étranger aux leurs. Ces trop jeunes destructeurs de soi-même aspirent à se délivrer de leur vraie nature, à se déraciner. »
Maurice Barrès, Les déracinés
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Professeur Raoult : Où en est-on à Marseille ?
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Laurent Obertone : "c'est aux citoyens de se réapproprier leur destin contre l'Etat"
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Téléchargé...
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Du verbalisme administratif
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« Alors cet homme admirable descendit de sa chaire, et, se promenant le long des bancs, commença de dire une façon de bonne aventure à chacun de ces enfants, tremblants de gêne et d’orgueil. C’était exactement le sorcier de jadis, mais d’aspect moderne. Il disposait des mêmes forces, — autorité dans le regard, intonation prophétique, et psychologie pénétrante. — L’âme un peu basse de cet homme, qui leur faisait l’illusion d’un philosophe et qui n’était qu’un administrateur, se trahissait en ceci qu’il les avertissait sur leur emploi et non sur leur être. Il voyait partout des instruments à utiliser, jamais des individus à développer.
(...)
Ses phrases, durant une demi-année, avaient conseillé la soumission aux besoins de la patrie, le culte de la loi, mais son image triomphante dominait ces enfants, les faisait à sa ressemblance et obligeait leur volonté.
(...)
Agitant son chapeau et serrant sa serviette sous le bras, toute la classe debout, il fit à ces enfants une chaude allocution sur sa confiance qu’ils se conduiraient toujours en serviteurs de l’État et en braves Français.
Ah ! oui ! c’étaient bien des Français, ces adolescents excitables ! Il suffit de les voir, avec leurs doigts tachés d’encre, leurs humbles vêtements de travail, leurs mentons à poils mal soignés, tout émus, électrisés par l’éloquence aimée et par la grande autorité du jeune maître :
— Vive la France ! Vive la République ! crient-ils d’une voix unanime.
La France ! la République ! Ah ! comme ils crient !… Il ne sert de rien qu’on prêche l’État, la France, la République. C’est du verbalisme administratif. Mais précisément, un bon administrateur cherche à attacher l’animal au rocher qui lui convient ; il lui propose d’abord une raison suffisante de demeurer dans sa tradition et dans son milieu ; il le met ensuite, s’il y a lieu, dans une telle situation qu’il ait plaisir à s’agréger dans un groupe et que son intérêt propre se soumette à la collectivité. On élève les jeunes Français comme s’ils devaient un jour se passer de la patrie. On craint qu’elle leur soit indispensable. Tout jeunes, on brise leurs attaches locales ; M. Bouteiller n’a pas su dire à ses élèves : "Prenez votre rang dans les séries nationales. Quelques-uns d’entre vous pour être plus sûrs de leur direction, ne veulent-ils pas mettre leurs pas dans les pas de leurs morts ?… Vous, Suret-Lefort et Gallant de Saint-Phlin, faites attention que le Barrois décline ; Bar a cessé d’être une capitale, mais il vous appartient d’en faire une cité où vous jouerez un noble rôle… Avez-vous remarqué, Mouchefrin, comment l’initiative d’un seul homme, M. Lorin, a transformé en magnifique bassin minier la région de Longwy ?… Rœmerspacher, on dit que les Salines de la Seille sont en décadence."
Le Barrois, le pays de la Seille, la région de Longwy, les Vosges, donnent à la Lorraine des caractères particuliers qu’il ne faut pas craindre d’exagérer, loin que cette province se doive effacer. Mais l’université méprise ou ignore les réalités les plus aisément tangibles de la vie française. Ses élèves grandis dans une clôture monacale et dans une vision décharnée des faits officiels et de quelques grands hommes à l’usage du baccalauréat, ne comprennent guère que la race de leur pays existe, que la terre de leur pays est une réalité et que, plus existant, plus réel encore que la terre ou la race, l’esprit de chaque petite patrie est pour ses fils instrument de libération.
Avec un grand tort, Bouteiller a hésité à se passionner de préférence pour les formes de la pensée française. On saurait bien découvrir chez nous quelques éléments des bonnes choses qu’on loue dans le caractère des autres peuples et qui chez eux sont mêlés de poison pour notre tempérament. On met le désordre dans notre pays par des importations de vérités exotiques, quand il n’y a pour nous de vérités utiles que tirées de notre fonds. On va jusqu’à inciter des jeunes gens, par des voies détournées, à sourire de la frivolité française. Non point qu’on leur dise : "Souriez", mais on les accoutume à ne considérer le type français que dans ses expressions médiocres, dont ils se détournent.
Enfin Bouteiller, quand il passait en revue et classifiait les systèmes, ne se plaçait pas au point de vue français, mais chaque fois au milieu du système qu’il commentait. Aussi fit-il de ses élèves des citoyens de l’humanité, des affranchis, des initiés de la raison pure. C’est un état dont quelques hommes par siècle sont dignes. Gœthe fut cela, mais auparavant il s’était très solidement installé Allemand. Quel point d’appui dans leur race Bouteiller leur a-t-il donné ?
En vérité, l’affirmation puérile que la France est une "glorieuse vaincue" ne suffira pas à maintenir un sentiment national auquel on enlève ses assises terriennes et géniales.
Cet excitateur qui prétendait pour le plus grand bien de l’État effacer les caractères individuels, quitte Nancy ayant créé des individus dont il fait seul le centre et le lien. Ces lycéens frémissants dans sa main, on peut les comparer à ces ballons captifs de couleurs éclatantes et variées, que le marchand par un fil léger retient, mais qui aspirent à s’envoler, à s’élever, à se disperser sans but. »
Maurice Barrès, Les déracinés
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