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30/05/2014

Une lobotomie

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« On participait à un colloque international organisé par l’Institut des pêches. L’Alsacien a fait une conférence sur … très étrange ! … sur les poissons qui vivent en bancs - la morue, le hareng - ce qu’il appelle les sociétés sans amour… les morues se reconnaissent comme étant de même espèce, mais ne se reconnaissent pas entre elles ; chaque morue est anonyme pour l’autre. Sa théorie est que chaque morue fonctionne comme la cellule d’un cerveau. Un banc de morue est un énorme cerveau et un coup de chalut revient en fait à une lobotomie - comme on peut en faire sur un cerveau humain sans apparemment altérer l’intelligence. Il poussait très loin son idée, il disait que si on ampute plus de deux tiers du banc, le cerveau ne peut plus fonctionner et les morues survivantes deviennent folles ou idiotes, errent sans défense. Mais un banc intact raisonne et se défend contre l’agression. Il en donnait pour preuve qu’aujourd’hui, pendant le temps autorisé à la campagne de pêche, la morue va se réfugier très loin sous les glaces, ou sous les fonds rocheux impraticables aux chaluts. Ou même dans les eaux territoriales ! Et c’est vrai, c’est très vrai, on s’en rend compte chaque année... »

Pierre Schoendoerffer, Le Crabe Tambour

 

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29/05/2014

On eût juré qu'une gigantesque conjuration travaillait à neutraliser par d'obliques moyens les résistances sur lesquelles les Français pouvaient le plus naturellement compter

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 Voici ce qui s'appelle une charge pleine de rage, de haine et de ressentiment... heureusement qu'il y a le style ! On a du mal à imaginer un Lucien Rebatet jouisseur, joyeux, buveur, solaire... Certes... il ne l'est pas. 

 

« On eût juré qu'une gigantesque conjuration travaillait à neutraliser par d'obliques moyens les résistances sur lesquelles les Français pouvaient le plus naturellement compter. Aucun cas ne semblait être d'une plus dramatique clarté, pour un esprit chrétien, que celui de l'Espagne. Pourtant, nous avions vu des catholiques illustres et même intolérants comme Mauriac et Bernanos devenir les détracteurs les plus acharnés et les plus fielleux de Franco. Ces défenseurs bénits des fusilleurs de Christs et des dynamiteurs de moines étaient habiles à travestir leurs humeurs et leurs perversités intellectuelles en algèbres casuistiques. Leur clientèle était rompue elle aussi à ces exercices. Ajoutez que ces effroyables docteurs, comme pour la condamnation de l'Action Française, parlaient au nom de Dieu, de la foi, des sacrements, de l'Eglise, et brandissaient tous les tonnerres du dogme sur la tête de leurs contradicteurs. Leur religion ne leur fournissait ainsi que des armes déloyales. L'orgueil morbide de ces étranges disciples de Jésus n'admettait pas la moindre retouche à leurs plaidoyers et leurs réquisitoires. On peut invoquer la demi-folie de Bernanos qui dans les pires circonstances demeure du reste digne du nom d'écrivain, avec ses livres embrouillés par les fumées de l’alcool, mais que trouent soudain des pages puissantes, furieuses ou noires. L'autre, l'homme à l'habit vert, le Bourgeois riche, avec sa torve gueule de faux Gréco, ses décoctions de Paul Bourget macérées dans le foutre rance et l'eau bénite, ces oscillations entre l'eucharistie et le bordel à pédérastes qui forment l'unique trame de sa prose aussi bien que de sa conscience, est l'un des plus obscènes coquins qui aient poussé dans les fumiers chrétiens de notre époque. Il est étonnant que l'on n'ait même pas encore su lui intimer le silence.
C'était bien le moindre des châtiments pour un pareil salaud. Lui et ses semblables ont pourri une foule d'esprits, si médiocres et mous que je me demande à vrai dire ce qu’on aurait jamais pu en attendre. Ils insinuèrent chez d’autres le doute. Ils contraignirent leurs adversaires à dépenser une vigueur, un temps et un talent précieux dans des querelles sans issue. Avec leurs paraboles, leurs signes de croix, leurs encres saintes et leur morgue littéraire, ils n’étaient tout vulgairement et bassement que les agents d'une diversion politicienne. »

Lucien Rebatet, Les Décombres

 

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Les intrigues, l’atmosphère empestée, les bravacheries de Vichy, et les moeurs, les illusions, les odeurs réactionnaires de la zone dite libre

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« J’avais quitté Vichy au bout de deux mois, à l’automne précédent, écoeuré par les intrigues de cette cour ridiculement balnéaire, par le gaullisme qu’y affichaient en toute impunité maints hauts personnages, par les inspecteurs des finances et les gens du Comité des Forges aussitôt installés aux postes de commande pour bloquer toute véléité de révolution. Le contraste était encore plus exaspérant maintenant entre les gigantesques évênements de l’Est et les petitesses de cette pseudo-capitale, mes méandres mesquins de son double jeu, son cléricalisme, les bricolages futiles sous les plus graves aspects de ces officiers du S.R, dont j’avais mesuré, en mai 1940, quand je travaillais à leurs côtés, l’indigence intellectuelle et militaire. Bref, le tableau complet de la pire réaction.

(...)

J’estimais qu’un gouvernement français audacieux aurait dû tout mettre en oeuvre pour pouvoir proclamer sa co-belligérance, qu’il eût effacé ainsi, comme les gaullistes le cherchaient vainement de leur côté, l’effroyable humiliation de la déroute, à peine vieille d’un an. Mais il était chimérique d’attendre de ces hypocrites bourgeois une décision aussi virile. Pétain se contentait de rompre les relations diplomatiques avec Moscou, et de déclarer aux volontaires français pour le front russe "qu’ils détenaient une partie de notre honneur". Je consacrai le début de mes vacances dauphinoises à un reportage au vitriol, pour "Je Suis Partout", sur les intrigues, l’atmosphère empestée, les bravacheries de Vichy, et les moeurs, les illusions, les odeurs réactionnaires de la zone dite libre. En gare de Mâcon, où l’on franchissait la ligne de démarcation, une ribambelle de fausses paysannes, en blouses bleues, tabliers plissés, bonnets et sabots, provenant de je ne sais quelle niaiserie foloklorique sur "le retour à la terre", m’avait levé la peau comme le symbole de tous les archaïsmes, poncifs et faux-semblants de l’Etat Français.

(...)

J’exhalais ma rage contre les mirliflores, les agents de banque, les anglomanes, les prélats qui nous avaient frustrés de la révolution nécessaire, volé le pouvoir qui aurait du revenir à nous autres, les plus lucides, les plus ardents, nous qui avions risqué notre liberté et même notre vie pour tenter d’épargner au pays la guerre folle, la guerre perdue dés le premier coup de canon. »

Lucien Rebatet, Mémoires d’un fasciste (Tome II)

 

 

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Le poète servile s’annihile, vidant des problèmes de sens et réduisant tout à la forme

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« La culture occupe de nouveaux terrains : un nouveau souffle d’énergie créatrice dans les lettres, le cinéma, la peinture. Un énorme service rendu aux grands détenteurs du Capital.
Le poète servile s’annihile, vidant des problèmes de sens et réduisant tout à la forme.
Le monde puissant du Capital a pour impudent drapeau un tableau abstrait.
Et ainsi, tandis que d’un côté la culture à haut niveau se fait toujours plus raffinée et destinée à “peu de gens" ce “peu" devient, fictivement, beaucoup : il devient “masse". C’est le triomphe du “digest", du magazine illustré, et, surtout, de la télévision. Le monde, déformé par ces moyens de diffusion, de culture, de propagande, se fait toujours plus irréel : la production en série, y compris des idées, le rend monstrueux. 
Le monde des magazines, du lancement à échelle mondiale des produits même humains, est un monde qui tue.
Pauvre, douce Marylin, petite soeur obéissante, chargée de ta beauté comme d’une fatalité qui réjouit et tue. Peut être as tu pris le juste chemin, tu nous l’as enseigné. Ton blanc, ton or, ton sourire impudique par gentillesse, passif par timidité, par respect des grands qui te voulaient ainsi, toi, restée enfant, sont quelque chose qui nous invite à apaiser la rage dans les pleurs, à tourner le dos à cette réalité damnée, à la fatalité du mal. »

Pier Paolo Pasolini, La Rage

 

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Qu’est-ce que le tourment d’une âme peut avoir affaire avec le communisme ?

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« Dostoïevski était un paysan, Tolstoï un homme de la société grand-citadine. L’un n’a jamais pu s’affranchir intérieurement du paysage, l’autre, en dépit de ses efforts désespérés, ne l’a jamais trouvé.
Tolstoï est la Russie passée, Dostoïevski la Russie future. Tolstoï est lié de toute son âme à l’Occident. Il est le grand avocat du pétrinisme [Pierre le Grand], même quand il le nie. Sa négation est toujours une négation occidentale. La guillotine aussi était fille légitime de Versailles. Sa haine puissante accuse l’Europe dont lui-même ne peut se délivrer. Il la hait en soi, il se hait. Il devient ainsi le père du bolchévisme. Toute l’impuissance de cet esprit et de sa "révolution" de 1917 parle dans ces scènes posthumes : "La lumière luit dans les ténèbres". Cette haine est inconnue de Dostoïevski. Il a embrassé tout l’ensemble tout l’essentiel avec un amour également passionné. "J’ai deux patries : la Russie et l’Europe". Pour lui, tout cela n’avait déjà plus aucune réalité : ni le pétrinisme, ni la révolution. De son avenir, comme d’un lointain immense, son coup d’œil les dépasse. Son âme est apocalyptique, nostalgique, désespérée, mais sûre de cet avenir. "Je vais partir en Europe", dit Ivan Karamazov à son frère Aliocha, "je sais qu’elle n’est qu’un cimetière, mais je sais aussi que c’est un cimetière très cher, le plus cher de tous. De chers morts y sont enterrés, chaque pierre de leur tombe parle d’une vie passée si ardente, d’une foi si passionnée dans les actes qu’ils ont accomplis, dans leur propre vérité dans leur propre lutte et leur propre connaissance, que moi, qui le sais d’avance, je me prosternerai à terre pour embrasser ces pierres et pleurer sur elles".
Tolstoï est de part en part une grande intelligence, "éclairé" et "sociable". Tout ce qu’il voit autour de lui prend la forme tardive, cosmopolite et occidentale d’un problème. Dostoïevski ne sait pas du tout ce qui est un problème. Celui-là est un évènement au sein de la civilisation européenne. Il occupe le milieu entre Pierre le Grand et le bolchévisme. Ce n’est pas une apocalypse, mais une opposition spirituelle. La haine que voue Tolstoï à la propriété est d’ordre économique, sa haine de la société ne sort pas de l’éthique sociale, sa haine de l’Etat est une théorie politique. De là sa forte influence sur l’Occident. Il appartient en quelque manière à la lignée de Marx, d’Ibsen et de Zola. Ses œuvres ne sont pas des évangiles, mais de la littérature spirituelle tardive. Dostoïevski n’appartient à personne, sinon à la lignée des apôtres du christianisme primitif. Ses "Démons" sont accusés de conservatisme par l’intelligence russe. Mais Dostoïevski ne voit pas du tout ces conflits. Pour lui n’existe aucune différence entre la conservation et la révolution : toutes deux sont occidentales. Une âme de cette trempe est indifférente à tout ce qui est social. Les choses de ce monde lui semblent si insignifiantes qu’il n’attache aucune valeur à leur amélioration. Aucune religion authentique ne veut réformer le monde des faits. Dostoïevski, comme tous les Russes primitifs, ne le remarque pas du tout ; ils vivent dans un autre monde, dans un monde métaphysique situé au-delà du premier. Qu’est-ce que le tourment d’une âme peut avoir affaire avec le communisme ?


Une religion parvenue aux problèmes sociaux a déjà cessé d’être une religion. Mais Dostoïevski vit déjà dans la réalité d’une création religieuse imminente et immédiate. Son Aliocha échappe à l’intelligence de toute critique littéraire, même russe ; son Christ, qu’il na pas cessé de vouloir écrire, serait devenu un évangile authentique, comme ceux du premier christianisme, qui sont tous en dehors de toutes formes littéraires antique ou judaïques ; mais Tolstoï est un maître du roman occidental – aucun autre n’atteindra, même de loin, son Anna Karanénine – tout comme il est lui-même, dans sa blouse de paysan, un homme de la société.


Le commencement et la fin se rencontrent ici tous les deux. Dostoïevski est un saint, Tolstoï n’est qu’un révolutionnaire. C’est de lui seul, successeur authentique de Pierre, que sort le bolchévisme : il n’est pas contraire, mais la conséquence dernière du pétrinisme, l’avilissement extrême du métaphysique par le social, donc une simple forme nouvelle de pseudomorphose. Si la fondation de Pétersbourg a été le premier acte de l’Antéchrist, l’autodestruction de la société formée par Pétersbourg en est le second : tel doit être le sentiment intérieur de la paysannerie. Car les Bolchéviques ne sont pas le peuple, ni même une partie du peuple. Ils sont la couche la plus profonde de la "société", étrangers, occidentaux comme elle, mais non reconnus par elle et par conséquent remplis de la haine de l’inférieur. Tout cela est de la grande ville civilisée : politique sociale, progrès, intelligence, toute la littérature russe, d’abord romantique, puis économique, s’enthousiasme pour la liberté et les réformes. Car tous ses "lecteurs" appartiennent à la "société".


Le vrai Russe est un disciple de Dostoïevski, bien qu’il ne lise pas, bien que et parce qu’il ne sait même pas lire. Il est lui-même un fragment de Dostoïevski. Si les Bolchéviques qui voient dans le Christ un camarade, un simple révolutionnaire social, n’avaient pas l’esprit si étroit, ils auraient reconnu en Dostoïevski leur véritable ennemi. Ce qui a donné son poids à la révolution bolchévique, ce n’est pas la haine de l’intelligence. C’est le peuple qui, sans haine, par le seul instinct curatif de la maladie détruisit le monde occidental pétersbourgeois par son rebut pour le lui envoyer ensuite ; c’est le peuple rural qui aspire à sa propre forme vivante, à sa propre religion, à sa propre histoire future. Le christianisme de Tolstoï était un malentendu. Il parlait du Christ et songeait à Marx. Au christianisme de Dostoïevski appartient le prochain millénaire.


C’est la grande différence entre Tolstoï et Dostoïevski. Tolstoï, citadin et occidental, n’a vu en Jésus qu’un moraliste social et, comme tout l’Occident civilisé qui ne peut que distribuer, non renoncer, il a réduit le christianisme primitif au rang d’un mouvement social révolutionnaire, et d’ailleurs par défaut de force métaphysique. Dostoïevski qui était pauvre, et en de certaines heures presque un saint, n’a jamais pensé aux réformes sociales ; – qu’aurait gagné l’âme à un abolissement de la propriété ? »

Oswald Spengler, Le Déclin de l'Occident - Tome II

 

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Non, cette fois je sens que je vais crever

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« Nous rentrons à l’instant de l’enterrement de Céline. Il est mort samedi vers 6h du soir, d’une congestion cérébrale. Depuis le matin, il se sentait encore plus patraque que d’habitude, il avait les nerfs à vif. Il s’est étendu un instant en disant à Lucette :
- Je vais crever.
A quoi Lucette lui répond avec son air serein :
- Tu dis ça tous les jours.
- Non, cette fois je sens que je vais crever.
Peu après, il a perdu connaissance, et en vingt minutes, tout était fini.
Je n’ai appris sa mort qu’hier soir par un coup de téléphone de Robert Poulet. Lucette tenait absolument que cette nouvelle restât aussi secrète que possible, que les meutes de journalistes ne fussent pas alertées. Elle a bien fait. Nous n’étions ce matin qu’une trentaine d’amis (pour la littérature, Roger Nimier, Marcel Aymé, Robert Poulet, Claude Gallimard et moi). Et cet enterrement presque clandestin a été une extraordinaire page célinienne. Le cercueil était posé dans sa chambre à coucher, à côté de la porte de la salle de bain grande ouverte. On voyait le lavabo, les serviettes, et en tournant la tête de l’autre côté, les hardes de Louis-Ferdinand, ses cinq ou six canadiennes élimées, accrochées en tas à un porte-manteau. Lucette aurait voulu une messe (Céline s’en fichait, il aurait voulu la fosse commune), mais le curé du Bas-Meudon a refusé. Il a refusé d’envoyer aussi une religieuse pour faire sa dernière toilette. Nous sommes donc allés directement au cimetière du Vieux-Meudon. Juste à cet instant, il s’est mis à tomber un petit crachin, comme pour une illustration de Mort à crédit. Ce fut vraiment étonnant, car nous étions à peine sortis du cimetière que le soleil reparaissait sur cette banlieue hétéroclite. Nous avons tous jugé qu’il était parfaitement dans l’ordre de ce temps que le plus grand écrivain français d’aujourd’hui fût enterré ainsi, à la sauvette, par une poignée de copains, beaucoup plus pauvrement qu’un concierge. »

Lucien Rebatet, Journal, Cahier XX (INEDIT), L'enterrement de L.F Céline

 

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28/05/2014

Ce qu’il y a d’exaltant : la terrible solitude

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« Manuscrits de guerre, de prisonniers, de combattants. Ils sont tous passés à côté d’expériences indicibles et n’en ont rien tiré. Six mois dans une administration des postes ne les auraient pas moins enseignés. Ils répètent les journaux. Ce qu’ils y ont lu les a bien plus frappés que ce qu’ils ont vu de leurs yeux. »

« Paris. La femme de l’étage au-dessus s’est suicidée en se jetant dans la cour de l’hôtel. Elle avait 31 ans, dit un locataire, c’est assez pour vivre et, si elle a vécu un peu, elle pouvait mourir. »

« Ce qu’il y a d’exaltant : la terrible solitude. Comme remède à la vie en société : la grande ville. C’est désormais le seul désert praticable. »

Albert Camus, Carnets

 

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En désespoir de cause, on a inventé le héros de cinéma

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« L’Occident ne retrace pas sa vie quotidienne. Il se propose sans arrêt de grandes images qui l’enfièvrent. Il est à leur poursuite. Il veut être Manfred ou Faust, Don Juan ou Narcisse. Mais l’approximation reste toujours vaine. C’est toujours la fièvre d’unité qui entraîne tout. En désespoir de cause, on a inventé le héros de cinéma. »

« Ce qu’on peut dire de plus élogieux à l’égard de l’Iliade, c’est que, sachant l’issue du combat, on partage cependant l’angoisse des Achéens pressés dans leurs retranchements par les Troyens. (Même observation pour l’Odyssée ; on sait qu’Ulysse tuera les Prétendants.) Que devait être l’émotion de ceux qui entendaient pour la première fois le récit ! »

Albert Camus, Carnets

 

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Peut-on porter la hantise d’une œuvre au creux d’une vie ronronnante ?

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« Vertige de se perdre et de tout nier, de ne ressembler à rien, de briser à jamais ce qui nous définit, d’offrir au présent la solitude et le néant, de retrouver la plate-forme unique où les destins à tout coup peuvent se recommencer. La tentation est perpétuelle. Faut-il lui obéir ou la rejeter ? Peut-on porter la hantise d’une œuvre au creux d’une vie ronronante, ou faut-il au contraire lui égaler sa vie, obéir à l’éclair ? Beauté, mon pire souci, avec la liberté. »

Albert Camus, Carnets

 

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Fonctionnaire, petit bourgeois et midinette

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« Le Français a gardé l’habitude et les traditions de la révolution. Il ne lui manque que l’estomac : il est devenu fonctionnaire, petit bourgeois et midinette. Le coup de génie est d’en avoir fait un révolutionnaire légal. Il conspire avec l’autorisation officielle. Il refait un monde sans lever le cul de son fauteuil. »

Albert Camus, Carnets

 

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Rester seul dans l’intimité de sa souffrance

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« Vivre avec ses passions c’est aussi vivre avec ses souffrances, — qui en est le contrepoids, le correctif, l’équilibre et le paiement. Lorsqu’un homme a appris — et non pas sur le papier — à rester seul dans l’intimité de sa souffrance, à surmonter son désir de fuir, l’illusion que d’autres peuvent "partager", il lui reste peu de choses à apprendre. »

« Nostalgie de la vie des autres. C’est que, vue de l’extérieur, elle forme un tout. Tandis que la nôtre, vue de l’intérieur, paraît dispersée. Nous courons encore après une illusion d’unité. »

Albert Camus, Carnets

 

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Bisounours land...

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Allô ! Oui... je confirme... notre ministre de l'Intérieur est bel et bien socialiste... ses tweets le confirment pleinement...


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27/05/2014

On l’attend et on ne l’atteint pas

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« Celui qui vit dans l’attente voit venir à lui la vie comme le vide de l’attente et l’attente comme le vide de l’au-delà de la vie. L’instable indistinction de ces deux mouvements est désormais l’espace de l’attente. A chaque pas, on est ici, et pourtant au-delà. Mais comme on atteint cet au-delà sans l’atteindre par la mort, on l’attend et on ne l’atteint pas ; sans savoir que son caractère essentiel est de ne pouvoir être atteint que dans l’attente. »

Maurice Blanchot, L’Attente l’Oubli 

 

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Un certificat d’allégeance à l’idéologie dominante

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« Dans le passé, lorsque s’engager revenait à accepter de vivre dangereusement, l’antiracisme a pu être chose risquée. Ceux qui ont combattu la ségrégation aux Etats-Unis ou l’apartheid en Afrique du Sud en ont su quelque chose. Aujourd’hui, l’antiracisme est non seulement devenu sans risques, mais il est même extrêmement profitable, puisque l’adhésion au discours "antiraciste", désormais relayé dans tous les médias, tous les établissements scolaires, tous les services de l’Etat, tous les rouages du show-business, confère un brevet de respectabilité et constitue un certificat d’allégeance à l’idéologie dominante. »

Alain de Benoist, En finir avec le racisme ?, in "Eléments - numéro 149"

 

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Sauf les machines, tout est absolument laid dans les choses modernes

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« Sauf les machines, tout est absolument laid dans les choses modernes, il n'y a rien à en attendre. Et pourtant, nous devons nous sauver au milieu de ces choses périssables. Chacun de nos objets familiers doit être choisi, il a une puissance de talisman, nous ne pouvons nous sauver qu'en nous entourant d'objets qui portent une valeur de salut. »

Pierre Drieu la Rochelle, Gilles

 

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Une certaine conception de l’homme

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« La civilisation européenne, nous le savons, a un caractère universel. Il serait donc faux de dire qu’elle est l’Europe et rien qu’elle. Il ne s’agit pas non plus de prétendre que l’homme d’Europe est l’Homme. Mais nous croyons que la civilisation européenne est inséparable d'une certaine conception de l’homme. »

Georges Bernanos, La liberté pour quoi faire ?

 

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Pourquoi escompter un avenir de bon commerçant, si je n’ai rien pour le devenir ?

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« La mer, retirée à l’accord du récif, emplit l’air lumineux de son bruit. Il semble être la voix de cette écume blanche qui, éternellement, frange le bleu profond de l’océan sans âge.

Je m’assieds sous le ventre de la barque. Un dégoût profond me vient au souvenir de ce bureau sombre où des employés s’agitent dans les relents de naphtaline et de cuirs verts.

Pourquoi m’astreindre à cette vie, pour moi, équivaut à un bagne ? Pourquoi ne pas céder à l’appel de cet horizon bleu, au gré de cette mousson puissante et de suivre ces petites voiles blanches que je vois chaque jour disparaître vers cette mer Rouge, pleine de mystère ? Pourquoi escompter un avenir de bon commerçant, si je n’ai rien pour le devenir ?

Mon parti est  pris : je vais donner ma démission. »

Henry de Montfreid, Les secrets de la mer Rouge

 

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26/05/2014

Mes sens et ma conscience ne me livrent donc de la réalité qu'une simplification pratique

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« Quel est l'objet de l'art ? Si la réalité venait frapper directement nos sens et notre conscience, si nous pouvions entrer en communication immédiate avec les choses et avec nous-mêmes, je crois bien que l'art serait inutile, ou plutôt que nous serions tous artistes, car notre âme vibrerait alors continuellement à l'unisson de la nature. Nos yeux, aidés de notre mémoire, découperaient dans l'espace et fixeraient dans le temps des tableaux inimitables. Notre regard saisirait au passage, sculptés dans le marbre vivant du corps humain, des fragments de statue aussi beaux que ceux de la statuaire antique. Nous entendrions chanter au fond de nos âmes, comme une musique quelquefois gaie, plus souvent plaintive, toujours originale, la mélodie ininterrompue de notre vie intérieure. Tout cela est autour de nous, tout cela est en nous, et pourtant rien de tout cela n'est perçu par nous distinctement. Entre la nature et nous, que dis-je ? Entre nous et notre propre conscience, un voile s'interpose, voile épais pour le commun des hommes, voile léger, presque transparent, pour l'artiste et le poète. Quelle fée a tissé ce voile ? Fut-ce par malice ou par amitié ? Il fallait vivre, et la vie exige que nous appréhendions les choses dans le rapport qu'elles ont à nos besoins. Vivre consiste à agir. Vivre, c'est n'accepter des objets que l'impression utile pour y répondre par des réactions appropriées : les autres impressions doivent s'obscurcir ou ne nous arriver que confusément. Je regarde et je crois voir, j'écoute et je crois entendre, je m'étudie et je crois lire dans le fond de mon cœur. Mais ce que je vois et ce que j'entends du monde extérieur, c'est simplement ce que mes sens en extraient pour éclairer ma conduite ; ce que je connais de moi-même, c'est ce qui affleure à la surface, ce qui prend part à l'action. Mes sens et ma conscience ne me livrent donc de la réalité qu'une simplification pratique. Dans la vision qu'ils me donnent des choses et de moi-même, les différences inutiles à l'homme sont effacées, les ressemblances utiles à l'homme sont accentuées, des routes me sont tracées à l'avance où mon action s'engagera. »

Henri Bergson, Le Rire

 

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Tirer son plaisir de ce qui serait pour les autres un enfer

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« Le coeur aventureux se reconnaît à ce qu’il tire son plaisir de ce qui serait pour les autres un enfer. Plus on en bave, plus forte est l’ivresse. "Aucune bête au monde" et guère plus d’hommes raisonnables n’iraient crever de soif dans le Tanezrouft, se geler les pieds dans les Alpes ou plonger à quarante mètres sous la mer.
Mais pourquoi font-ils ça ? Pour rien. Par nécessité intérieure. Parce que personne d’autre, avant, ne l’avait fait. Parce qu’il n’est pas possible de faire autrement.
L’aventure n’est le produit ni d’un calcul ni d’une idéologie. Elle est gratuite, inutile, i-nu-ti-le ! Elle se passe de justification. Elle est sa propre justification. »

Dominique Venner, Le Choc de l’Histoire

 

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Les défauts que je vous recommande...

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« Les défauts que je vous recommande sont la frivolité, la discrétion, la pudeur, la débauche et un peu de vieillesse sans excès... »

Roger Nimier, Le Grand d'Espagne

 

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Le peuple parisien bomba les muscles

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« Je me suis demandé si j'étais simplement un milicien ou un résistant camouflé en milicien. Ou encore un fasciste qui jouait à la résistance sous un uniforme bleu marine. Je n'ai pas dépassé ce troisième stade d'hypothèses car il est reconnu que, plus loin, on tombe dans une grande fatigue intellectuelle. »

« À la belle saison, les armées alliées ont débarqué sur le sol normand, l'épée de l'Archange dans une main, une paire de menottes dans l'autre.
Le peuple parisien qui avait héroïquement couvert les pissotières de croix de Lorraine à la craie pendant quatre ans, le peuple parisien bomba les muscles et songea qu'il aurait bientôt notre peau. Mais enfin, on avait eu la sienne. »

Roger Nimier, Les épées

 

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Sans doute ai-je insulté mon pays plus qu’un autre. Plus qu’un autre, il m’a déçu.

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« Ça commence par un petit garçon plutôt blond qui laisse aller ses sentiments. Le visage de Marlène Dietrich, plein de sperme, s’étale devant lui. Sur le magazine grand ouvert, le long des jambes de l’actrice, des filets nacrés s’entrelacent comme la hongroise d’argent sur le calot d’un hussard. »

« Devant mes yeux dansaient les images des dernières années de la France. Je venais d’avoir vingt ans, ça c’est une vérité. Cet âge ment sans arrêt. Sans doute ai-je insulté mon pays plus qu’un autre. Plus qu’un autre, il m’a déçu. »

Roger Nimier, Les épées

 

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25/05/2014

Cette vie est le monde renversé ; elle est cruelle et insupportable...

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« Ma façon d'envisager la vie est complètement absurde. Un esprit méchant, je suppose, a mis sur mon nez une paire de lunettes dont un verre grossi démesurément et dont l'autre rapetisse dans les mêmes proportions. »

« Que va-t-il arriver ? Que réserve l'avenir ? Je l'ignore, je n'ai aucun pressentiment. Quand, d'un point fixe, une araignée se précipite et s'abandonne aux conséquences, elle voit toujours devant elle un espace vide où, malgré ses bonds, elle ne peut se poser. Ainsi de moi ; devant moi, toujours un espace vide ; ce qui me pousse en avant, c'est une conséquence située derrière moi. Cette vie est le monde renversé ; elle est cruelle et insupportable. »

Søren Kierkegaard, Ou bien... ou bien

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J'ai grand faim

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« La patience indispensable pour vivre me fait défaut. Je ne puis voir l'herbe pousser et, dès lors, je n'ai pas la moindre envie d'y jeter les yeux. Mes vues sont fugitives comme celles d'un "fahrender Scholastiker" [étudiant ambulant] qui se précipite à toute allure à travers la vie. Dieu, dit-on, rassasie l'estomac avant les yeux, mais je ne m'en aperçois pas : mes yeux sont rassasiés et las de tout, et cependant, j'ai grand faim. »

Søren Kierkegaard, Ou bien... ou bien

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Les pensées des hommes sont ténues et fragiles comme des dentelles

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« Laissons les autres se lamenter sur ces temps mauvais ; je me plains de leur misère, car ils sont dénués de passion. Les pensées des hommes sont ténues et fragiles comme des dentelles ; ils sont eux-mêmes pitoyables comme des dentellières. Les pensées de leur cœur sont trop misérables pour être coupables. Ce serait peut-être un péché pour un ver de terre d'en nourrir de pareilles, mais tel n'est pas le cas pour des hommes créés à l'image de Dieu. Ils sont tièdes et modérés dans leurs plaisirs, endormis dans leurs passions ; elles accomplissent leurs devoirs, ces âmes mercenaires, mais elles se permettent pourtant comme les Juifs de rogner un peu la monnaie ; elles pensent que si Dieu tient en ordre ses registres, on peut quand même tricher un peu et s'en tirer. Fi, les vilaines gens ! Aussi bien mon âme revient-elle toujours à l'Ancien Testament et à Shakespeare. Ici, du moins, on sent que ce sont des hommes qui parlent ; ici, on sait haïr, on sait aimer, tuer son ennemi, maudire sa descendance à perpétuité ; ici, on sait pécher. »

Søren Kierkegaard, Ou bien... ou bien

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