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03/05/2014

Ceci n'est plus une femme...

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Une énergie surabondante

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« Le principe de l’épée semblait consister en une alliance de la mort, non point avec le pessimisme mais avec une énergie surabondante, fleur de la perfection physique, et avec la volonté de combattre. »

« Comme il m’était apparu clairement que le corps lui-même - ostensiblement prisonnier du temps d’instant en instant dans sa croissance et son déclin - pouvait être recouvré, il n’était donc pas curieux que me vînt l’idée que le temps lui-même était recouvrable. »

« La solennité, la dignité du corps naissent uniquement de l’élément de mort qui s’y dissimule. »

« Un lent travail de création du muscle, par lequel la force crée la forme et la forme la force (...) comment la forme belle et adaptée l’emportait sur une forme laide et imprécise. »

Yukio Mishima, Le Soleil et l’acier

 

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02/05/2014

Ceci n'est plus une femme...

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Les yeux d’une aveugle qui tâtonnerait dans le paradis...

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« Il y avait surtout les yeux, des yeux immenses, illimités, dont personne n’avait jamais pu faire le tour. Bleus, sans doute, comme il convenait, mais d’un bleu occulte, extra-terrestre, que la convoitise, au télescope d’écailles, avait absurdement réputés gris clair. Or, c’était toute une palette de ciels inconnus, même en Occident, et jusque sous les pattes glacées de l’Ourse polaire où, du moins, ne sévit pas l’ignoble intensité d’azur perruquier des ciels d’Orient.
Suivant les divers états de son âme, les yeux de l’incroyable fille, partant, quelquefois, d’une sorte de bleu consterné d’iris lactescent, éclataient, une minute, du cobalt pur des illusions généreuses, s’injectaient passionnément d’écarlate, de rouge de cuivre, de points d’or, passaient ensuite au réséda de l’espérance, pour s’atténuer aussitôt dans une résignation de gris lavande, et s’éteindre enfin, tout de bon, dans l’ardoise de la sécurité.
Mais le plus touchant, c’était, aux heures de l’extase sans frémissement, de l’inagitation absolue familière aux contemplatifs, un crépuscule de lune diamanté de pleurs, inexprimable et divin, qui se levait tout à coup, au fond de ces yeux étrangers, et dont nulle chimie de peinturier n’eût été capable de fixer la plus lointaine impression. Un double gouffre pâle et translucide, une insurrection de clartés dans les profondeurs par-dessous les ondes, moirées d’oubli, d’un recueillement inaccessible !…
Un aliéniste, un profanateur de sépultures, une brute humaine quelconque qui, prenant de force à deux mains la tête de Véronique, en de certains instants, aurait ainsi voulu la contraindre à le regarder, eût été stupéfait, jusqu’à l’effroi, de l’inattention infinie de ce paysage simultané de ciel et de mer qu’il aurait découvert en place de regard, et il en eût emporté l’obsession dans son âme épaisse. — Ce sont, disait Marchenoir, les yeux d’une aveugle qui tâtonnerait dans le paradis...
Il avait fallu ces yeux inouïs, faits comme des lacs, et qui paraissaient s’agrandir chaque jour, pour excuser l’absence paradoxale, à peu près complète, du front, admirablement évasé du côté des tempes, mais inondé, presque jusqu’aux sourcils, par le débordement de la chevelure. Autrefois, du temps de la Ventouse, cette toison sublime, qui aurait pu, semblait-il, défrayer cinquante couchers de soleil, surplombait immédiatement les yeux, de sa lourde masse, et c’était à rendre fou furieux de voir le conflit de ces éléments. Un incendie sur le Pacifique !... »

Léon Bloy, Le désespéré

 

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Aujourd’hui, une âme coupée en deux est un phénomène quotidien

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« On ne saurait attendre d’hommes oppressés dans leur travail quotidien par l’étroitesse d’une occupation très spécialisée assez peu supportable, et que l’ennui accable, qu’à l’instant où la pression et l’ennui cessent, après le travail, ils puissent aisément retrouver leur "forme humaine", redevenir eux-mêmes (pour autant qu’ils aient encore un "soi"), ou même seulement le "vouloir". Le moment où la dure pression à laquelle ils sont soumis se relâche ressemble plutôt à une explosion, et comme ces êtres libérés si soudainement de leur travail ne connaissent rien d’autre que l’aliénation, ils se jettent, lorsqu’ils ne sont pas tout simplement épuisés, sur des milliers de choses différentes, sur n’importe quoi qui puisse relancer le cours du temps après le calme plat de l’ennui et les transporter dans un autre rythme : ils se jettent donc sur la rapide succession de scènes que leur propose la télévision.
Rien ne satisfait aussi complètement cette faim si compréhensible d’omniprésence et de changement rapide que la radio et la télévision. Elles favorisent en même temps le désir et son exténuation : tension et relâchement, rythme et inactivité, dépendance et détente - elles servent tout cela simultanément. Elles nous dispensent même d’avoir à courir après les distractions puisque désormais ce sont elles qui courent après nous. Bref, il est impossible de résister à une tentation pareille. Il n’est donc pas étonnant que cette fièvre de s’évader dans deux ou cent noces en même temps, qui tourmentaient les poètes […] soit désormais notre façon habituelle de nous distraire, la plus innocente qui soit (du moins en apparence). C’est l’état de tous ceux qui, assis ici, sont en réalité là-bas, de ceux qui sont tellement habitués à être partout à la fois, c’est à dire nulle part, qu’ils n’habitent plus dans un lieu, encore moins dans une maison, mais seulement dans leur inhabitable localisation temporelle qui change à chaque instant : dans le "maintenant".
Mais notre description de la "dispersion" de nos contemporains n’est pas encore achevée. Elle culmine dans un état que l’on ne peut qualifier que de "schizophrénie artificiellement produite". Et cette schizophrénie n’est pas un effet secondaire des appareils de distraction, mais un résultat volontaire, exigé par leurs utilisateurs eux-mêmes -- quoique, bien entendu, ils ne l’exigent pas sous ce nom.
Par le mot "schizophrénie", nous désignons cet état du moi où celui-ci est divisé en deux ou plusieurs êtres partiels, ou du moins en deux ou plusieurs fonctions partielles, êtres ou fonctions non seulement incoordonnées et incoordonnables, mais que le moi n’envisage en outre nullement de coordonner -- chose qu’il refuse même catégoriquement.
Dans la deuxième de ses "Méditations", Descartes remarquait qu’il était impossible de “concevoir la moitié d’aucune âme”. Aujourd’hui, une âme coupée en deux est un phénomène quotidien. C’est même le trait le plus caractéristique de l’homme contemporain, tout au moins dans ses loisirs, que son penchant à se livrer à "deux ou plusieurs occupations disparates en même temps".
L’homme qui prend un bain de soleil, par exemple, fait bronzer son dos pendant que ses yeux parcourent un magazine, que ses oreilles suivent un match et que ses mâchoires mastiquent un chewing-gum. Cette figure d’homme orchestre passif et de paresseux hyperactif est un phénomène quotidien et international. Le fait qu’elle aille de soi et qu’on l’accepte comme normale ne la rend pourtant pas inintéressante. Elle mérite au contraire quelques éclaircissements.
SI l’on demandait à cet homme qui prend un bain de soleil en quoi consiste “proprement” son occupation, il serait bien en peine de répondre. Car cette question sur quelque chose qui lui serait “propre” repose déjà sur un présupposé erroné, à savoir qu’il serait encore le sujet de cette occupation et de cette détente. Si l’on peut encore ici parler de “sujet”, au singulier ou au pluriel, c’est seulement à propos de ses organes : ses yeux qui s’attardent sur leurs images, ses oreilles qui écoutent leur match, sa mâchoire qui mastique son chewing-gum ; bref son identité est tellement destructurée que si l’on partait à la recherche de “lui-même”, on partirait à la recherche d’un objet qui n’existe pas. "Il n’est pas seulement dispersé (comme précédemment) en une multiplicité d’endroits du monde, mais en une pluralité de fonctions séparées."
On a déjà répondu à la question de savoir ce qui pousse l’homme à cette activité désordonnée, ce qui rend ses fonctions isolées si indépendantes (ou si autonomes en apparence). Répétons-le cependant : c’est l‘ "horreur du vide", l’angoisse de l’indépendance et de la liberté, ou plus exactement l’angoisse qu’engendre l’espace de liberté résultant du loisir, le vide auquel l’exposent les loisirs qu’il doit organiser lui-même et le temps libre qu’il a lui-même la charge de remplir. Son travail l’a si définitivement habitué à être occupé, c’est à dire à ne pas être indépendant, qu’on moment où le travail prend fin, il est incapable de s’occuper lui-même : car il ne trouve plus en lui-même le "soi" qui pourrait se charger de cette activité. "Tout loisir a aujourd’hui un air de parenté avec le désœuvrement".

[…]

S’agissant de loisirs, l’occupation ne peut pourtant pas consister en un travail ; c’est donc nécessairement en comestibles que l’on approvisionne les organes. Chaque organe, chaque fonction, se livre ainsi à sa consommation, selon son bon plaisir.

[…]

Ce mot “faim” est le mot clé. Tout organe croit souffrir de faim dans ces instants où, au lieu d’être approvisionné, il est exposé au vide et donc "libre". "Pour lui, toute non consommation momentanée constitue déjà une détresse" ; le meilleur exemple est celui du gros fumeur. Pour lui, c’est horrible à dire, la liberté (synonyme de "temps libre", d‘ "inactivité", de "non consommation") "est identique à la détresse". C’est ce qui explique également la demande de produits de consommation pouvant être consommés de façon continue sans risquer le moins du monde de rassasier le consommateur. Si je parle de “risque” c’est parce que le rassasiement limiterait le temps de jouissance et remettrait dialectiquement le consommateur en situation de non consommation, et donc de détresse : d’où le chewing-gum que l’on mastique sans fin et la radio qui est toujours allumée. »

Günther Anders, L’Obsolescence de l’Homme

 

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La voix profonde...

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« Il apparaît que la fonction littéraire ne peut être précisée que pour chaque époque ; dans la nôtre, le besoin d’évasion, le goût d’idéaliser, le talent de décrire, de peindre et d’informer, se sont effacés devant l’exigence de remâcher et de méditer les problèmes fondamentaux du sens de la vie. On conçoit alors que le mot "littéraire" ne puisse être défini par le rôle et la fonction de l’activité qu’il désigne, puisque cette fonction change incessamment. Elle n’est jamais que l’accent que prend l’homme lorsque, dans son effort pour s’exprimer... il grave des signes conventionnels et intelligibles qui transcrivent intellectuellement sa voix profonde. »

René Marill Albérès, Bilan littéraire du XXe siècle

 

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La Guerre

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« La vie est une lutte ; la guerre est la fonction la plus ordinaire de l’être vivant. On réserve ordinairement ce nom de guerre à la lutte entre nations voisines et rivales ; mais il y a aussi les guerres civiles et les guerres latentes qui, divisant les habitants d’une même nation, créent entre eux des haines individuelles sous lesquelles la nation succomberait fatalement, si la menace d’un envahissement étranger ne réunissait de temps en temps, en un faisceau unique, toutes ces activités antagonistes.

Une fois les nations constituées, avec leur patrimoine géographique limité, des rivalités, des jalousies s’élèvent naturellement entre les nations voisines comme elles naissent entre individus voisins. Il y a des haines collectives à côté des haines individuelles, et cela résulte de la nature même du phénomène vital. Imbus des idées métaphysiques qui, nous le verrons bientôt, découlent fatalement, en vertu de la loi d’habitude, de l’existence prolongée d’associations humaines ou animales, quelques doux rêveurs ont souhaité la fraternité universelle, et, devant l’écroulement de leur rêve, ils ont accusé la nature humaine; ils ont eu tort : c’est la vie même qu’il fallait accuser; il est regrettable que la vie, quand elle se prolonge dans des sociétés constituées, fasse naître forcément, dans les mentalités des êtres vivants, des notions sentimentales incompatibles avec la prolongation de la vie; nous étudierons tout à l’heure la genèse de ces notions qui mènent le monde.

L’histoire nous apprend que les nations, qu’elles fussent limitées à un canton ou qu’elles couvrissent un vaste territoire, ont été très fréquemment en guerre avec les nations voisines. Les périodes de paix sont des périodes anormales, pendant lesquelles les voisins se mesurent des yeux, chacun d’eux attendant un affaiblissement de l’autre pour l’attaquer. Quand deux peuples voisins ne se battent pas, cela prouve, non pas qu’ils s’aiment, mais bien qu’aucun ne sent assez fort pour être sûr de triompher dans la lutte. Il se peut cependant que deux peuples voisins vivent en paix quoique d’inégale force, parce qu’ils redoutent l’un et l’autre un ennemi commun contre lequel ils contractent une alliance; et cela dure jusqu’au moment où, n’ayant plus peur de ce troisième larron, parce qu’il est occupé ailleurs, les deux alliés de jadis se battent entre eux; et le plus grand mange le plus petit.

Les philosophes, amis de la paix universelle, déplorent cette ardeur belliqueuse qui pousse les peuples l’un contre l’autre ; ils rêvent d’une fédération du monde, oubliant que la vie est une lutte; ils se basent, pour concevoir ces chimériques espérances, sur les sentiments de fraternité qui sont répandus parmi les meilleurs des hommes. Mais ils ne se souviennent pas, dans leur généreuse utopie, de l’origine même de ces sentiments de fraternité. C’est la guerre seule qui les a fait naître; c’est l’union contre l’ennemi commun qui a transformé en associés provisoires des individus que leur intérêt divise; c’est l’ennemi commun de la famille qui a fait naître la fraternité entre frères; c’est l’ennemi commun de la nation qui a fait naître la fraternité entre concitoyens. Nous verrons, au chapitre suivant, par quel phénomène biologique nécessaire cette fraternité provisoire a pris le caractère d’une notion absolue "persistant après la disparition de la cause qui l’avait fait naître". Bien plus, cette fraternité dont l’origine se conçoit sans peine entre frères ou entre concitoyens, on l’a étendue fatalement, du moment qu’elle a pris un caractère absolu, de manière à l’appliquer à l’humanité tout entière, ce qui, comme je l’ai fait remarquer plus haut, ne rime plus à rien. Si vous prenez tous les hommes ensemble, à partir du moment où, ayant conquis le monde sur les autres espèces animales, ils se sont multipliés suffisamment pour commencer à se sentir à l’étroit sur le patrimoine limité de notre planète, vous ne pourrez plus trouver en eux que des concurrents, et non des associés; n’ayant pas d’ennemi commun en dehors d’eux, ils sont forcés de se battre entre eux, et les plus forts mangent les plus petits.

Et cependant, le sentiment de fraternité existe ; nous avons même l’habitude de considérer que ceux qui l’ont au plus haut point sont les meilleurs d’entre nous.

Puisqu’il existe, nous devons en tenir compte.

Quand un sentiment a pris un caractère absolu, son domaine ne saurait plus se limiter; la fraternité a franchi les limites de l’espèce et s’est étendue aux animaux domestiques. On se révolte de la brutalité des charretiers qui manquent d’humanité envers leurs chevaux. Chez les âmes bien sensibles, le sentiment de fraternité s’étendra sans doute jusqu’aux animaux sauvages et même jusqu’aux pires ennemis du genre humain tout entier. Et quand on en sera là, les nécessités de la vie détermineront un mouvement de réaction qui nous rejettera dans la barbarie ! »

Félix Le Dantec, L'Égoïsme, seule base de toute société

 

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Le capitalisme moderne est, autant que le marxisme, une subversion

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« Ce caractère de subversion apparaît aussi bien dans le marxisme que dans le capitalisme moderne, malgré leur antagonisme apparent. Et la pire absurdité consiste à prétendre représenter aujourd’hui une "Droite" politique sans sortir du cercle sombre qu’a tracé la démonie de l’économie et à l’intérieur duquel se meuvent le marxisme et le capitalisme, ainsi que toute une série de degrés intermédiaires.

Celui qui se déclare l’adversaire des forces de gauche ne devrait pas l’oublier. Il est parfaitement évident que le capitalisme moderne est, autant que le marxisme, une subversion. Identique est leur vision matérialiste de la vie ; identiques, qualitativement, leurs idéaux ; identiques leurs prémisses, solidaires d’un monde qui a pour centre la technique, la science, la production et le "rendement". Tant que l’on ne parlera que de classes économiques, de profits, de salaires et de production, tant que l’on pensera que le véritable progrès humain dépend d’un système particulier de distribution de la richesse et des biens et que, dans l’ensemble, il a un rapport quelconque avec la richesse ou l’indigence, on n’aura même pas effleuré l’essentiel, imaginât-on des théories nouvelles, au-delà du marxisme et du capitalisme ou représentant des formes intermédiaires entre l’un et l’autre.

Il faudrait au contraire partir de la négation radicale du principe marxiste qui résume l’ensemble des subversions en question : "L’économie est notre destin". Affirmons-le de la façon la plus nette, l’économie et les intérêts économiques liés à la satisfaction des besoins matériels et de leurs prolongements plus ou moins artificiels, n’ont eu, n’ont, et n’auront jamais qu’une fonction mineure dans une humanité normale ; au-dessus de ce plan règne un ordre supérieur de valeurs politiques, spirituelles, héroïques, ordre qui ne conçoit et n’admet pas de classes purement économiques, qui ne connaît ni "prolétaires" ni "capitalistes", et en fonction duquel doivent exclusivement se définir les raisons pour lesquelles il vaut vraiment la peine de vivre et de mourir, en fonction duquel doit s’établir une hiérarchie véritable de dignités, et, au sommet, planer une fonction supérieure de commandement, d’imperium. »

Julius Evola, Les hommes au milieu des ruines

 

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01/05/2014

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L’opium, la drogue des drogues, c’est comme la foi, comme l’expérience spirituelle, c’est incommunicable…

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« L’opium ne convient plus aux drogués de notre temps ; il rend lucide, il prédispose à l’ascèse ; il demande du temps, le contraire de ce que recherchent dans les stupéfiants les déracinés de cette fin de siècle : une protection contre leur angoisse et surtout contre la solitude.
 L’opium à fumer allait être relégué au rang des curiosités par deux découvertes : la morphine et l’héroïne.
 La morphine, qui se trouve à un taux élevé dans l’opium, de 7 à 11 % selon la provenance, fut isolée en 1813 par un chimiste allemand sous le nom de "magistère d’opium". Cette extraction ne présente pas de difficultés. Une providence pour les trafiquants ! Il suffit de dissoudre de l’opium brut, de le mêler au chloroforme, de le précipiter à l’ammoniaque pour obtenir un dépôt cristallin, la morphine rose qui titre à 60 %. Raffinée, elle donnera la morphine pure, le chlorhydrate de morphine, une poudre blanche, fine, inodore.  Pendant la guerre de 1870, les chirurgiens allemands utilisèrent la morphine en doses massives pour soigner les blessés, surtout les amputés. Ils furent suivis par leurs confrères français.
 Les premiers drogués à la morphine seront ces anciens combattants qui continuaient à souffrir d’un bras, d’une jambe qui leur manquait, une obsession qu’effaçait le médicament auquel on prêtait alors toutes les qualités. On oubliait ses inconvénients. La mode s’en mêla. Entre 1875 et 1900, les femmes du meilleur monde se réunissaient dans des clubs pour se piquer, au cours de "morphine-parties". Les joailliers vendaient des nécessaires à morphine seringues dorées dans des étuis d’or ou d’argent. Cela dura jusqu’à ce qu’une autre mode la remplace, celle de la cocaïne puis de l’héroïne.
 La morphine est brutale, l’accoutumance rapide, les effets sont désastreux sur l’organisme. Le fonctionnement des glandes à sécrétion interne est perturbé, les centres nerveux et respiratoires sont dérangés, la nervosité devient excessive, la peau se dessèche et se crevasse. Pour les femmes, elle s’accompagne généralement de stérilité.
 Une injection de morphine – quatre centigrammes – équivaut à trente-deux pipes chinoises ou seize pipes européennes. Quatre ou cinq injections sont de règle pour le morphinomane, l’équivalent de cent pipes d’opium.  En 1898, on crut avoir découvert le remède miracle quand un autre chimiste allemand isola un corps nouveau par acétylisation de la morphine, l’héroïne, qui tire son nom de l’allemand Heroïsch, "énergique" ; le remède énergique qui guérissait instantanément les morphinomanes.
 Effectivement, ceux-ci l’abandonnent pour cette nouvelle drogue aux effets plus toxiques, plus prolongés, à l’accoutumance encore plus rapide.
 Bientôt l’héroïne régna sur le monde. Elle continue de nos jours et son trafic rapporte des milliards de dollars à ces gangs internationaux comme la Maffia ou la "French Connection". Certaines ambassades communistes faisant passer l’héroïne par la valise diplomatique transformèrent le produit de sa vente en placards de publicité à la gloire de leurs "géniaux" dictateurs ! Et toute la presse française bénéficia de cette manne… Même le Monde.

 Pour résumer, disons grossièrement qu’un gramme d’opium fumé a un certain effet – le même ingéré, cet effet est multiplié par huit, s’il est injecté par quinze. Sous la forme de morphine par cinquante, d’héroïne par cent.
 L’héroïne déclenche des impulsions violentes qui conviennent à une jeunesse désemparée à la recherche du coup de poing. Prisée ou dissoute dans l’eau puis injectée, elle crée un état de besoin, accompagné d’angoisses respiratoires si violentes que le drogué ne peut les supporter. Pour échapper à cet enfer, il fera n’importe quoi. Il tuera, il volera. L’héroïne vendue par les trafiquants, heureusement mêlée à du lactose, ne contient que de 5 à 10 % de drogue pure, elle coûte cependant des fortunes et crée un terrible état de dépendance.
 J’ai vu au Vietnam l’armée de la toute-puissante Amérique, enfourcher "le cheval blanc", le "White Horse", nom que les G.I.’s donnaient à l’héroïne, et sombrer dans une apathie désastreuse.
 A Khé-San, des positions étaient tenues par des soldats tellement "camés" qu’ils tiraient sur les ombres, aboyaient à la lune mais ne voyaient pas arriver les Vietcongs qui les grenadaient dans leurs trous.
 Une drogue aux effets désastreux, le "Brown sugar", le sucre brun, mélange de caféine et d’héroïne, mise au point en Extrême-Orient et grossièrement raffinée, devait causer encore plus de ravages.
 Ainsi que l’expliqua Chou en-Lai au journaliste égyptien Hekmal, les Chinois, en inondant d’héroïne le Sud-Vietnam et en intoxiquant les G.I’s, prenaient leur revanche sur les Blancs qui leur avaient imposé l’opium. Mais ne vont-ils pas le regretter aujourd’hui quand ces mêmes Blancs sont devenus leurs alliés et les Vietnamiens, passés au service des Soviétiques leurs ennemis ? L’histoire court si vite qu’il est impossible de prévoir ses aléas.

 L’opium ne fait connaître aucun paradis artificiel, son approche est difficile (en dehors de toutes les interdictions légales). Il déçoit toujours la première fois. Mais il apaise, supprime la fatigue, donne à l’écoulement du temps son rythme, aux êtres et aux choses leur vraie mesure.
 Le drame du vrai fumeur, celui qui fume chaque jour une vingtaine de pipes est le manque, le nghien.
 L’opiomane a besoin de sa ration de fumée à heure fixe et s’il repousse ne serait-ce que de quelques minutes le moment où il a l’habitude de s’allonger sur son bat-flanc, il connaîtra bâillements, migraines, transpirations et courbatures.
 S’il cesse complètement de fumer le nghien s’aggravera insomnies, larmoiements, diarrhées, grande lassitude, nervosité, irritation, qui disparaîtront au bout de quelques jours pour peu qu’il s’aide d’aspirine et de tranquillisants.
 Le sage saura se désintoxiquer en diminuant progressivement sa ration, en prenant des gouttes mélangées à de l’alcool ou à une décoction de plantes comme la célèbre tisane chinoise des cent fleurs. Et le nghien restera supportable.
 Mais le fumeur gardera le reste de sa vie la nostalgie de la drogue et de ses rites.
 Lorsqu’un jour l’occasion se présentera, qu’il pourra retrouver le bat-flanc, le plateau, la pipe et surtout la lumière dorée de la lampe, il connaîtra dès les premières bouffées les sensations, encore renforcées, et la chute n’en sera que plus délicieuse.  Et il s’apercevra qu’il aura vécu deux mois ou dix ans dans l’attente de ce moment.
 Le vrai nghien vient de l’esprit, d’où le danger. Nguyen Tê Duc écrit : "Pour jouir (de l’opium) continuellement et sans excès, il convient que le fumeur soit raisonnable… qu’il ne dépasse jamais, par curiosité, la limite maximale de la première satiété et même de la simple satisfaction ; il faut qu’il ait appris à fumer en Asie et chez les Asiatiques ; il faut qu’il choisisse un opium loyal et franc et de provenance connue… il faut qu’il ne fume jamais à jeun ni plusieurs fois par jour… il faut qu’il ne se laisse jamais aller à fumer du dross. Il faut tant de choses en réalité pour être sage en fumant que l’on conçoit bien vite que la meilleure manière d’être sage est de ne point fumer."
Les médecins ayant une certaine connaissance de la drogue admettent qu’un opiomane peut atteindre un âge élevé, en menant une activité sociale ou professionnelle normale, à condition qu’elle n’exige de lui ni présence régulière, ni effort physique trop grand et surtout qu’il n’en abuse pas.

 On a dit que l’opium rendait impuissant. Sur ce sujet les avis sont très partagés.
"Comme toutes les autres actions, plus même que les autres actions, l’action amoureuse et tous les hors-d’oeuvre plus ou moins délicats qui la précèdent répugnent à l’adepte de la drogue. En pensée, en parole et en acte, il n’est personne plus chaste qu’un fumeur satisfait." (Nguyen Tê Duc.)
"Bref, il n’existe pas de maîtresse plus exigeante que la drogue qui pousse la jalousie jusqu’à émasculer le fumeur." (Jean Cocteau)
 Pour être plus précis, il semblerait que l’opium, pris à petites doses, prolonge l’érection chez l’homme, lui permet dans le plaisir une recherche plus savante, mais que l’abus ou l’habitude le désintéresse de ce genre de divertissement. Le contraire se produirait chez la femme. Encore est-ce affaire de tempérament.
"Le soir de la victoire du prince Eugène contre l’armée du sultan Mustapha II, près de la ville de Laevens, des détrousseurs de cadavres envahirent le champ de bataille. Les Turcs dépouillés de leurs vêtements parurent tous atteints de priapisme, érection post mortem que Sachs attribue à l’opium dont ces Turcs prenaient de fortes doses avant le combat pour se donner du courage." (Ephémérides des curieux d’Allemagne, de Sachs.)
"Les Chinois usent pour s’encourager à l’acte vénérien du suc du pavot qui leur donne une ardeur si curieuse dans le combat amoureux que les concubines ne peuvent soutenir leurs embrassements et sont obligées de quitter la partie." (Histoire des drogues)

 Quant aux femmes Méo, leur point de vue à ce sujet est bien connu. Jamais une jeune fille n’épousera un opiomane pour deux raisons : il ne travaille pas au ray [parcelle de terre à cultiver] et il ne vaut rien au lit.
"L’opium dont on a parlé, dont on parle, est une drogue très mal connue, autant dire pas connue du tout. Pour en dire quelque chose, il faut le connaître et pour en écrire il faut un certain talent, tant il est nuancé, cet opium. Il faut aussi avoir le courage d’être honnête. Tous ceux qui parmi les écrivains (trois ou quatre exceptés) en ont parlé ont truqué quand ils le connaissaient pour ne pas être soupçonnés de le connaître. Les autres ont inventé. Peut-être aussi certains n’ont-ils pas voulu trahir le mystère de leur initiation. De toute manière, on n’explique jamais rien. L’opium, la drogue des drogues, c’est comme la foi, comme l’expérience spirituelle, c’est incommunicable… Comme ils sont bêtes, comme ils sont impuissants ceux qui accusent l’opium d’abrutir le monde sous prétexte que le fumeur ne fait rien d’autre que fumer. Fichez-lui donc la paix au fumeur. Ce n’est pas un asocial ou un antisocial, c’est vous qui l’êtes en l’empêchant de fumer…"
Les Hmong pensaient comme Max Olivier-Lacamp. Comment pouvaient-ils comprendre que le ya-ying, la bonne drogue, qui guérissait la maladie, la tristesse, qui faisait oublier la vieillesse à l’heure où les filles, la guerre et la chasse sont interdites, qui rendait douce même la mort, soit soudain devenue entre les mains des trafiquants et des chimistes une arme perfide dans l’arsenal de la guerre totale ?
 Aussi n’allons-nous pas faire procès aux Méo de cultiver, de préparer, d’user et de vendre l’opium (jamais de le raffiner pour le transformer en héroïne), et justifier ainsi leur disparition comme le font les communistes, grands bradeurs d’idéologie, cet opium du peuple. Dans les zones qu’ils contrôlent, ils poussent à la culture du pavot, et n’hésitent pas à le transformer en héroïne, afin de se procurer des devises pour acheter des armes, des complicités et détruire par ce poison les peuples qu’ils espèrent conquérir. »

Jean Lartéguy, La fabuleuse aventure du peuple de l'opium

 

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30/04/2014

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Il songeait au mensonge social

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« Frantz souriait intérieurement. Il songeait au mensonge social qui sous-tend les idées d’égalité et de justice, et qu’il suffisait simplement que le réel se manifeste pour en faire sauter tous les verrous. Où était la vérité, en cette circonstance et partout, et toujours, sinon dans les rapports de forces, les pulsions brutes de la vie ? Comment être dupe de ce qui, à ce point, crevait les yeux ? Frantz, pour son malheur, était le contraire d’un naïf, et n’avait jamais pu se leurrer. Mais tous ces gens autour de lui, était-il possible qu’ils ne se rendent, eux-aussi, à l’évidence ? Qu’ils éliminent de leur pensée, afin de ne pas le reconnaître et, partant, ne pas s’en troubler, cet axiome de dissension et de violence enfoui inexpugnable au plus profond des créatures ? Loin de chercher à en ignorer les preuves aveuglantes, Frantz était porté à y voir le dévoilement brusque de ce que l’homme possède en lui d’essentiel , d’irréductible, d’inévitable : la dictée d’un instinct nécessaire poussé à l’extrême de sa nature et de ses ressources. Le sursaut d’un dieu renié, un retour à l’origine. Surtout y devinait-il la plénitude de ce qui est, la plénitude du véridique, son autorité sans partage. Ce lieu où tricher, masquer, feindre n’a plus cours. Et où, quelque chose du destin, une résonance du mythique, un vertige passent, laissant comme un sillage, un reflet de mystère et de drames sacrés, et sans doute de grandeur, jusque par-delà la vie, jusqu’au risque de mort. L’absolu qui se tient lové, serpent étincelant parmi les marbres, sous l’apport fragile des civilisations, et qui proclame, oui, l’identité de l’être en tant qu’animal divin. »

Jacques Sommer, Le meurtre

 

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Dieu n’est qu’Amour

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« Tout est dans le "NE QUE". Dieu est-il Tout-Puissant ? Non, Dieu n’est qu’Amour, ne venez pas me dire qu’il est Tout-Puissant. Dieu est-il, Infini ? Non, Dieu n’est qu’Amour, ne me parlez pas d’autre chose. Dieu est-il Sage ? Non. A toutes les questions que vous me poserez, je vous dirai : non et non, Dieu n’est qu’amour.
Dire que Dieu est Tout-Puissant, c’est poser comme toile de fond une puissance qui peut s’exercer par la domination, par la destruction. Il y a des êtres qui sont puissants pour détruire […]. Beaucoup de chrétiens posent la toute-puissance comme fond de tableau puis ajoutent, après coup : Dieu est Amour, Dieu nous aime. C’est faux ! La toute-puissance de Dieu est la toute puissance de l’amour, c’est l’amour qui est tout puissant !
On dit parfois : Dieu peut tout ! Non, Dieu ne peut pas tout, Dieu ne peut que ce que peut l’Amour. Car il n’est qu’Amour. Et toutes les fois que nous sortons de la sphère de l’amour nous nous trompons sur Dieu et nous sommes en train de fabriquer je ne sais quel Jupiter.
J’espère que vous saisissez la différence fondamentale qu’il y a entre un tout-puissant qui vous aimerait et un amour tout-puissant. Un amour tout-puissant, non seulement n’est pas capable de détruire quoi que ce soit mais il est capable d’aller jusqu’à la mort. J’aime un certain nombre de personnes, mais mon amour n’est pas tout-puissant, je sais très bien que je ne suis pas capable de tout donner pour ceux que j’aime, c’est-à-dire de mourir pour eux.
En Dieu, il n’y pas d’autre puissance que la puissance de l’amour et Jésus nous dit (c’est lui qui nous révèle qui est Dieu) : "Il n’y pas de plus grand amour que de mourir pour ceux qu’on aime" (Jean, 15 : 13). Il nous révèle la toute-puissance de l’amour en consentant à mourir pour nous. Lorsque Jésus a été saisi par les soldats, ligoté, garrotté au Jardin des Oliviers, il nous dit lui-même qu’il aurait pu faire appel à des légions d’anges pour l’arracher aux mains des soldats. Il s’est bien gardé de le faire car il nous aurait alors révélé un faux Dieu, il nous aurait révélé un tout-puissant au lieu de nous révéler le vrai Dieu, celui qui va jusqu’à mourir pour ceux qu’il aime. La mort du Christ nous révèle ce qu’est la toute-puissance de Dieu. Ce n’est pas une puissance d’écrasement, de domination, ce n’est pas une puissance arbitraire telle que nous dirions : qu’est ce qu’il mijote là-Haut, dans son éternité ? Non, il n’est qu’amour mais cet amour est tout-puissant.
Je réintègre les attributs de Dieu (toute-puissance, sagesse, beauté…) mais ce sont les attributs de l’amour. D’où la formule que je vous propose : "L’amour n’est pas un attribut de Dieu parmi ses autres attributs mais les attributs de Dieu sont les attributs de l’amour."
L’amour est : Tout-Puissant, Sage, Beau, Infini…
Qu’est ce qu’un amour qui est tout puissant ? C’est un amour qui va jusqu’au bout de l’amour. La toute-puissance de l’amour est la mort : aller jusqu’au bout de l’amour c’est mourir pour ceux qu’on aime. Et c’est aussi leur pardonner. S’il y en a parmi vous qui ont l’expérience si douloureuse de la brouille à l’intérieur d’une famille ou d’un cercle d’amis, vous savez à quel point il est difficile de pardonner vraiment. Il faut que l’amour soit rudement puissant pour pardonner, ce qui s’appelle réellement pardonner. Il faut de la puissance d’aimer !
Qu’est ce qu’un amour qui est infini ? C’est un amour qui n’a pas de limites. Moi, je me heurte à des limites dans mon humain, dans mes amitiés humaines. L’Infini de Dieu n’est pas un infini dans l’espace, un océan sans fond et sans rivage, c’est un amour qui n’a pas de limites ! »

François Varillon, Joie de croire, Joie de vivre

 

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La cloche, en argot, c’est le ciel...

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« La cloche, en argot, c’est le ciel. Sont clochards tous ceux qui n’ont que le ciel pour toit. Paris compte quelque vingt-cinq mille individus dans ce cas. On ne saura jamais, et pour cause, l’effectif exact de cette légion de pouilleux, vivant en marge d’une société dite organisée. On vient ; on s’en va ; on meurt dans le plus strict anonymat dans le monde de la guenille. Les loques sont une sorte d’uniforme qui, semblables à tous les autres uniformes, ôtent toute personnalité à qui les endosse.
Il ne faut pas croire à une prédisposition quelconque pour se retrouver, un triste soir, sans argent et sans domicile, complètement « de la zone » comme on dit. N’importe qui peut devenir clochard du jour au lendemain. Dans mon voyage au bout de la misère, j’ai connu un prêtre, un professeur, un avocat, un comptable, un notaire... Rien ne les distingue plus des haillonneux, des mal rasés qu’ils retrouvent dans les terrains vagues, sur les quais ou aux abords des asiles de nuit.
Comment sont-ils arrivés là ? Les circonstances sont parfois si inattendues qu’il serait vain de les énumérer toutes. Le jeu, la boisson, la paresse, les déboires conjugaux amènent bien souvent une nouvelle recrue à l’armée des "couche-dehors"... »

Robert Giraud, Le peuple des berges

 

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Qui peut faire échec au système mondial ? Certainement pas le système de l’antimondialisation, qui n’a pour objectif que de freiner la dérégulation...

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« Tout ce qui fait événement aujourd’hui, le fait contre cette universalité abstraite – y compris l’antagonisme de l’islam aux valeurs occidentales (c’est parce qu’il en est la contestation la plus véhémente qu’il est aujourd’hui l’ennemi numéro un). Qui peut faire échec au système mondial ? Certainement pas le système de l’antimondialisation, qui n’a pour objectif que de freiner la dérégulation. Ce qui peut faire échec au système, ce ne sont pas des alternatives positives, mais des singularités. Or celles-ci ne sont ni positives ni négatives. Elles ne sont pas une alternative, elles sont d’un autre ordre. Elles font échec à toute pensée unique et dominante, mais elles ne sont pas une contre-pensée unique – elles inventent leur jeu et leurs propres règles du jeu. Il ne s’agit donc pas d’un "choc de civilisations", mais d’un affrontement, presque anthropologique, entre une culture universelle indifférenciée et tout ce qui, dans quelque domaine que ce soit, garde quelque chose d’une altérité irréductible. »

Jean Baudrillard, La violence de la mondialisation in "Le Monde diplomatique, novembre 2002"

 

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Nous revenons toujours, après les crises, si fortes soient-elles et quelle que soit la situation nouvelle, à l’état d’équilibre pour lequel nous sommes faits

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« Ma vie reprend son cours et son équilibre, comme après un cyclone, la mer calme ses ondes. Nous revenons toujours, après les crises, si fortes soient-elles et quelle que soit la situation nouvelle, à l’état d’équilibre pour lequel nous sommes faits.
Tel restera toute sa vie gai, mélancolique, inquiet ou satisfait, selon que la nature lui aura donné un caractère correspondant à ces états, et sa fortune adverse ou favorable n’y pourra rien changer.
Mon lot est l’inquiétude. J’ignore la joie pure car, toujours, elle me semble devoir être achetée par quelque douloureuse épreuve, comme si mon destin était de souffrir.
Cette tournure d’esprit ne fait pas de moi un homme malheureux; je n’en souffre point : c’est ma manière d’être, voilà tout, hors de laquelle je ne saurais vivre.
J’ai toujours éprouvé une pitié profonde pour ceux qui s’épanouissent dans la joie présente, comme si elle devait être un état définitif. Je vois toujours le petit agneau né d’hier gambader sous l’oeil paternel du boucher... »

Henri de Montfreid, Le lépreux

 

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Varsovie : Etat Civil

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Et pour attendre la fin du monde, voici une musique qui s'impose d'elle-même... Le groupe Varsovie. Référence littéraire et cinématographique d'initiés. Oubliez Noir Désir.

 

Et cassez pas les couilles... achetez l'album... Merde ! 

 

"Tu traînes ton exactitude
A contre-courant des nuances
Que l'évidence écrit parfois
Un dernier verre
Et tu prends forme
A faire sonner les dissonances
Au moment même où dans tes veines
C'est le flou qui parle pour toi
Et si quelqu'un calque ses pas
Sur les tiens
Et que ces pas sont dans ta tête
Tu rejoins ton système solaire
Et revois l'ordre des planètes
L'instant d'après si loin d'ici
Tu te fous bien de savoir si
La route est longue
Avant de revoir la lumière

Tu réduis ton incertitude
A remonter les contresens
Que l'indulgence a planté là
D'un geste absent
Tu t'examines
A réorchestrer le silence
Au moment même où sur tes lèvres
C'est le feu qui couvre ta voix
Et si tu dois prendre le large
A l'anglaise
Et que la marge est assez nette
Tu redéfinis les frontières
Et t'exerces à la reconquête
Puis tu vacilles éperdument
Tu te fous de savoir comment
T'en foutre encore
Sans avoir à quitter la terre

Là tu te passes de commentaires
Sois tu prends feu
Sois tu prends fin
Tu connais l'art et la manière
Ça a l'air de rien"

 


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29/04/2014

Dites un seul mot, et je saute dans le vide

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« Il est dangereux pour nous de marcher l’un à côté de l’autre ; j’ai senti plusieurs fois des envies irrépressibles de vous battre, de vous défigurer, de vous tordre le cou. Vous pensez que je n’oserai pas ? Vous finirez par me rendre malade. C’est du scandale, peut-être, que j’aurai peur ? Ou de votre colère ? Je vous aime sans espoir, et je sais qu’après ça, je vous aimerai mille fois plus. Si je vous tue un jour, il faudra bien que je me tue moi-même ; eh bien, je resterai le plus longtemps possible sans me tuer, pour ressentir cette douleur monstrueuse d’être sans vous. Vous savez le plus incroyable ? Chaque jour je vous aime de plus en plus, et c’est pourtant presque impossible…(...) Vous vous souvenez, il y a deux jours, sur le Schlangenberg, je vous ai murmuré, quand vous m’avez défié : dites un seul mot, et je saute dans le vide. Si vous l’aviez dit ce mot, j’aurai sauté tout de suite. »

Fiodor Dostoïevski, Le Joueur

 

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Un empoisonnement de notre propre fantaisie par elle-même

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« Oui, il peut arriver que l’idée la plus délirante, l’idée la plus impossible, à première vue se cristallise si fort dans notre tête qu’on finisse par la prendre pour quelque chose de réalisable… Bien plus : si cette idée se fond avec un désir très puissant, un désir passionné, il peut même arriver qu’on la prenne pour quelque chose de fatal, d’indispensable, de prédestiné, quelque chose qui, déjà, ne peut pas ne pas être, qui est forcé de survenir ! Peut-être y a-t-il là quelque chose, comme une espèce de combinaison de pressentiments, une sorte d’invraisemblable effort de volonté, comme un empoisonnement de notre propre fantaisie par elle-même ou autre chose encore, je n’en sais rien. »

Fiodor Dostoïevski, Le Joueur

 

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On ne peut pas se refuser à la destinée historique

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« Cette guerre était dans la nature des choses, comme dit Maurras, affirmait Sandy avec des gestes d’orateur. On ne peut pas se refuser à la destinée historique. Ou alors, on est rejeté, disqualifié par l’Histoire. Le sang versé n’a aucune importance. Ce qui compte, c’est ce qui sortira de ce sang, l’Europe du XXème siècle, purgée de tous ses archaïsmes, revigorée par les peuples jeunes qui vont gagner leur indépendance ! Nous avons de la chance, nous vivons à un moment magnifique du monde. »

Lucien Rebatet, Les Épis Mûrs

 

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L’amour chasse la peur, mais réciproquement la peur chasse l’amour...

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« L’amour chasse la peur, mais réciproquement la peur chasse l’amour. Et non seulement l’amour. La peur chasse aussi l’intelligence , chasse la bonté, chasse toute idée de beauté et de vérité. Ce qui reste, c’est le désespoir muet ou laborieusement blagueur de quelqu’un qui a conscience de la Présence hideuse dans l’angle de la pièce et qui sait que la porte est fermée à clef, qu’il n’ y a pas de fenêtres. Et voici que la chose s’abat sur lui. il sent une main sur sa manche, subodore une haleine puante, tandis que l’assistant du bourreau se penche presque amoureusement vers lui. "C’est ton tour frère. Aie donc l’amabilité de venir par ici." Et en un instant sa terreur silencieuse est transmuée en une folie aussi violente qu’elle est futile. Il n’ y a plus là un homme parmi ses semblables, il n’ y a plus un être raisonnable, parlant d’une voix articulée à d’autres êtres raisonnables ; il n’ y a plus qu’un animal lacéré, hurlant et se débattant dans le piège. Car, en fin de compte, la peur chasse même l’humanité de l’homme. Et la peur, mes bons amis, la peur est la base et le fondement de la vie moderne. La peur de la technologie tant prônée, qui, si elle élève notre niveau de vie, accroît la probabilité de mort violente. La peur de la science, qui enlève d’une main plus encore qu’elle ne donne avec telle profusion de l’autre. La peur des institutions dont le caractère mortel est démontrable et pour lesquelles dans notre loyalisme suicidaire, nous sommes prêts à tuer et à mourir. La peur des Grands Hommes que, par acclamation populaire, nous avons élevés à un pouvoir qu’ils utilisent, inévitablement, pour nous assassiner et nous réduire en esclavage. La peur de la Guerre dont nous ne voulons pas et que nous faisons cependant tout notre possible pour déclencher. »

Aldous Huxley, Temps Futurs

 

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La foule des hommes de demain

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« Je doute du progrès, quand je vois peu à peu disparaître sur terre tout ce qui est charmant. Mais ces progrès ne me sont pas destinés : ils intéressent la foule des hommes de demain qui, sûrement, ne seront pas fait comme moi. »

Jacques Chardonne, Claire

 

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L’amour qui me cuit

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« L’amour que je sens, l’amour qui me cuit,
Ce n’est pas l’amour chaste et platonique,
Sorbet à la neige avec un biscuit ;
C’est l’amour de chair, c’est un plat tonique.

Ce n’est pas l’amour des blondins pâlots
Dont le rêve flotte au ciel des estampes.
C’est l’amour qui rit parmi des sanglots
Et frappe à coups drus l’enclume des tempes.

C’est l’amour brûlant comme un feu grégeois.
C’est l’amour féroce et l’amour solide.
Surtout ce n’est pas l’amour des bourgeois.
Amour de bourgeois, jardin d’invalide.

Ce n’est pas non plus l’amour de roman,
Faux, prétentieux, avec une glose
De si, de pourquoi, de mais, de comment.
C’est l’amour tout simple et pas autre chose.

C’est l’amour vivant. C’est l’amour humain.
Je serai sincère et tu seras folle,
Mon coeur sur ton coeur, ma main dans ta main.
Et cela vaut mieux que leur faribole !

C’est l’amour puissant. C’est l’amour vermeil.
Je serai le flot, tu seras la dune.
Tu seras la terre, et moi le soleil.
Et cela vaut mieux que leur clair de lune ! »

Jean Richepin, Déclaration in "Les Caresses"

 

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28/04/2014

On est saisi par le spectacle des spectateurs bien plus que par ce qu’il y a à voir ou à entendre

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« Expos, musées, manifestations : on est saisi par le spectacle des spectateurs bien plus que par ce qu’il y a à voir ou à entendre. Ce qui rend presque impossible la jouissance des lieux et des oeuvres, car le non-sens innombrable de la masse s’y oppose - autrement plus significatif, mais de quoi ?

 
(…) 

L’expo, on n’y va pas tellement pour y aller que pour y être allé. Certaines contrées lointaines, on les visite moins pour les voir que pour les avoir vues. Bien des choses, on ne les fait que pour les avoir faites. Et nombre d’entreprises visent moins à atteindre leur but qu’à se débarrasser de leur fin. We dit it ! »

Jean Baudrillard, Cool Memories IV

 

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De temps en temps, cependant, un certain malaise les envahit, les pénètre ; ils sont comme saisis d'une inquiétude vague...

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« De temps en temps, cependant, un certain malaise les envahit [les français] , les pénètre ; ils sont comme saisis d'une inquiétude vague, regardent autour d'eux, effarés. Ils voient tout d'un coup, avec terreur, quels fantoches ils ont placés aux postes dangereux, pour les défendre ; et ils distinguent, dans l'ombre, la cohue des eunuques qui aspirent à leur succéder. Ils flairent le danger. "Qui pourrait-on mettre à leur place ?" demandent-ils, anxieusement. Ils cherchent ; ne trouvent point. Une nouvelle idole, peut-être ? Et ils parlent d'élever une statue à Metz, près de celle de Strasbourg, à l'ombre de l'obélisque. Mais une idole ne suffit pas.
"Qui pourrait-on mettre à leur place ?" continuent à demander les Français. Qui ? Mais vos intérêts ? Votre volonté ?
Ils n'y pensent pas. Ils n'en ont plus. "Nous avons besoin d'un sauveur." C'est un sauveur qu'il leur faut.
Oui, en vérité, il leur en faut un. Eh bien ! Ils l'auront ! »

Georges Darien, La Belle France

 

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