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19/10/2012

Du sang, oh, il y en avait dans cette nuit de vengeance

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« Il était 4 heures du matin lorsque les chars alliés forcèrent la porte du camp. Les SS s'étaient réfugiés dans les miradors et se barricadaient. De tous les "lags" ce fut une ruée vers les tanks. Bientôt ceux-ci furent entourés d'une foule compacte aux cheveux courts et qui bégayait d'admiration. Les hommes en kaki nous contemplaient. "American, American, American..."

Nos yeux morts regardaient leurs yeux d'un autre univers. Et subitement ce fut une explosion d'enthousiasme. Nous bondîmes sur eux, avec des baisers, des cris, des sanglots et des rires. Des chocolats, des cigarettes, des rations K sortirent de toutes leurs vestes. On mangea comme des brutes et on se retourna contre nos bourreaux. Ah, quelle chasse ! J'avais une barre de fer dans les mains et tout ce qui était gris je le fracassais. Les SS mettaient les bras contre leur figure, la barre volait et cassait l'homme qui s'abattait en petits soubresauts craintifs.

Les "Lags" on y mettait le feu, on déversait de l'essence à seaux et avec des pelles et des fourches, 220 gammés connurent la mort. Ils couraient comme des lapins en furie, on leur sautait à la gorge et dessous le menton s'enfonçait l'acier. Il y en eut qui furent sabrés depuis le ventre jusqu'au coeur. Les Russes coupaient des oreilles et des bras. Un feldwebel eut les deux jambes arrachées et perdit son sang en quelques minutes avec des hurlements de bête hallucinée. Sa femme fut attachée, jupes au vent à quatre piquets fichés au sol et tour à tour une légion de damnés en pantalons ouverts vint prendre sa jouissance. Au début, la gueuse cria. A la fin, elle remuait encore faiblement la poitrine, ses seins étaient lacérés de griffes et ses cuisses où les deux jarretelles pendaient lamentablement étaient recouvertes de glu.

Un petit boche qui nous enlevait les ongles un par un fut ligoté à un poteau. Une corde fut mise à sa tête et huit hommes tirèrent sur cette corde jusqu'au moment où le crâne se détacha du tronc.

Du sang, oh, il y en avait dans cette nuit de vengeance. On cassait des reins, des os, on broyait des muscles dans une atmosphère d'extermination. Le gardien qui me fit fouetter pour une tentative de révolte, cent détenus lui donnèrent des coups furieux et un chien le dépeça. Je revois encore son visage craquer dans la gueule de la bête. »

« Oui, j'ai tué avec rage, avec haine, avec foi, avec une lucidité terrible. J'ai tué parce que j'avais mal, dans mes yeux, dans mon crâne, dans mes oreilles, dans ma poitrine, et dans mon ventre et dans mon âme. J'ai tué pendant deux semaines avec toute ma violence et tout mon mépris pour recouvrer le droit de vivre.

Et cependant, moi et mes camarades n'étions rien, n'étions que des loques et des squelettes nauséabonds et ridicules, n'étions que du vent, des ombres, des plaies et des pleurs, n'étions que la peau sur l'os et la bure rayée sur la peau. Et le miracle fut de tenir, de tenir durement, sans pitié, seize jours pleins et furieux.

Nous avons eu des dégoûts, des apitoiements, des gestes horribles ; nous avons brûlé des maisons, pillé des villages, brûlé des fermes, écartelé des êtres. Nous avons rendu une justice effroyable et primitive, nous avons ri du sang. Nous avons fait naître la peur, les humiliations, la détresse, la révolte et la mort et la prière ; nous avons chanté devant les cadavres, chanté devant les filles nues et les adolescents pâles ; nous avons creusé des trous dans la douleur allemande. Nous avons renversé des "Gretchen" blondes et rousses, et jeunes et belles, nous les avons prises sauvagement et sans faiblesses en fouillant dans leur chair avec la ferveur des justiciers. Nous avons méprisé la loi des hommes, foulé les sentiments ; nous avons accompli notre travail. »

Jean Bradley, "Jours francs"

Vous pouvez télécharger l'intégralité de "Jours Francs" (avec sa Préface de Joseph Kessel) en fichier PDF, ICI

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18/10/2012

Voilà le drapeau de l’Europe

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« (…) A Janpol, sur le Dniestr, en Ukraine, au mois de juillet 1941, il m’était arrivé de voir dans la poussière de la route, au beau milieu du village, un tapis en peau humaine. C’était un homme écrasé par les chenilles d’un char. Des bandes de juifs en caftan noir, armés de bêches et de pioches ramassaient ça et là les morts abandonnés par les Russes dans le village. [Quelques-uns] arrivèrent et se mirent à décoller de la poussière ce profil d’homme mort. Ils soulevèrent tout doucement avec la pointe de leur bêche les bords de ce dessin, comme on soulève les bords d’un tapis. (…) La scène était atroce, légère, délicate, lointaine. Les juifs parlaient entre eux et leurs voix me parvenaient douces et éteintes. Quand le tapis de peau humaine fut complètement détaché de la poussière, un de ces juifs piqua la pointe de sa bêche, du côté de la tête, et se mit en route avec ce  drapeau. Il marchait la tête haute (…) [avec] cette peau humaine qui pendait et se balançait dans le vent comme un véritable étendard. Et je dis à Lino Pellegrini qui était assis près de moi : ”Voilà le drapeau de l’Europe, voilà notre drapeau. (…) Un drapeau de peau humaine. Notre véritable patrie est notre peau.” »

Curzio Malaparte, La Peau

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17/10/2012

Les sucettes marrons

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« Au bas de la rue, la municipalité de Paris avait implanté deux de ces modestes sucettes marron qui indiquent les lieux historiques. Qui a inventé la sucette pour l'histoire ? On aimerait le connaître, l'inventeur de la sucette marron ! Qu'il se dénonce ! Deux sucettes marron, rue de Belleville, indiquent l'une, le bal Desnoyez, l'autre, le bistrot du bagnard Maxime Lisbonne. Qu'est-ce que c'était, le bal Desnoyez ? Qui était Maxime Lisbonne ? Allez voir. Les sucettes marron vous le diront. De toute façon, il n'y a plus rien derrière elles. C'était la vie d'avant. La sucette marron désigne invariablement ce qui est mort une bonne fois pour toutes. La sucette marron, ou : Paris cimetière. La sucette marron est l'ultime signal de la vie d'avant. D'avant quoi ? D'avant rien. D'avant la sucette marron. Quand on installe des sucettes marron pour signaler la vie, c'est qu'il n'y a plus de vie. Passez muscade ! »

François Taillandier, Il n'y a personne dans les tombes – La Grande Intrigue III

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16/10/2012

L'électeur, cet animal irrationnel, inorganique, hallucinant

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« Une chose m’étonne prodigieusement — j’oserai dire qu’elle me stupéfie — c’est qu’à l’heure scientifique où j’écris, après les innombrables expériences, après les scandales journaliers, il puisse exister encore dans notre chère France (comme ils disent à la Commission du budget) un électeur, un seul électeur, cet animal irrationnel, inorganique, hallucinant, qui consente à se déranger de ses affaires, de ses rêves ou de ses plaisirs, pour voter en faveur de quelqu’un ou de quelque chose. Quand on réfléchit un seul instant, ce surprenant phénomène n’est-il pas fait pour dérouter les philosophies les plus subtiles et confondre la raison ?

Où est-il le Balzac qui nous donnera la physiologie de l’électeur moderne ? et le Charcot qui nous expliquera l’anatomie et les mentalités de cet incurable dément ? Nous l’attendons.

(…)

Et s’il existe, en un endroit ignoré, un honnête homme capable de te gouverner et de t’aimer, ne le regrette pas. Il serait trop jaloux de sa dignité pour se mêler à la lutte fangeuse des partis, trop fier pour tenir de toi un mandat que tu n’accordes jamais qu’à l’audace cynique, à l’insulte et au mensonge.

Je te l’ai dit, bonhomme, rentre chez toi et fais la grève. »

Octave Mirbeau, 1888, La grève des électeurs, Le Figaro

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15/10/2012

Tendu vers la pureté, dépouillé de tout esprit de calcul

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« Il est de bon ton à présent de brocarder ce passé-là. C'était une foi de charbonnier, intransigeante, tatillonne, qui n'empêchait bien sûr ni l'hypocrisie ni les autodafés. Mais il me semble que toute société secrète son conformisme. La foi de ma jeunesse a été remplacée par la loi du marché, qui tente aujourd'hui d'imposer sa férule. Des vies entières sont ainsi dominées par le calcul économique, la concurrence et les réflexes financiers. Le progrès me paraît douteux. J'ai du mal à rejeter d'un bloc le monde d'hier dans les ténèbres et à placer celui d'aujourd'hui dans la lumière. La vérité d'un jour nous aveugle. Les règles que les sociétés s'imposent à elles-mêmes changent avec l'écorce du monde en perpétuelle évolution, sans modifier la difficulté de la condition humaine. La liberté intérieure est un idéal à conquérir, qui ne dépend pas de la société environnante, mais de soi. La vraie liberté était possible hier comme elle est possible aujourd'hui.La religion envahissante encourageait chez les enfants que nous étions la peur et le mensonge mais aussi la valeur de l'engagement. J'ai rencontré à cette époque beaucoup d'hommes et de femmes tendus vers la pureté, dépouillés de tout esprit de calcul. »

Hélie de Saint-Marc, Les champs de braise

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14/10/2012

Lorsqu'un homme désire entreprendre quelque chose, il doit s'y engager jusqu'au bout

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« Lorsqu'un homme désire entreprendre quelque chose, il doit s'y engager jusqu'au bout, mais il doit avoir la pleine responsabilité de ce qu'il fait. Peu importe ce qu'il fait, il doit en tout premier lieu savoir pourquoi il le fait, et ensuite il lui faut accomplir ce que cela suppose sans jamais avoir le moindre doute, le moindre remords. (...) Considère mon cas personnel, je n'éprouve ni doute ni remords. Tout ce que j'accomplis, je le décide et j'en prends l'entière responsabilité. La plus simple des choses que j'entreprends ... peut parfaitement signifier ma mort. Ma mort me traque. Par conséquent, je n'ai ni le temps du doute ni celui du remords. Si je dois mourir ... alors que je meure. Toi, à l'opposé, tu as l'impression d'être immortel, et les décisions d'un immortel peuvent s'annuler, être regrettées, faire l'objet du doute. Mon ami, dans un monde où la mort est un chasseur il n'y a de temps ni pour regret ni pour doute. Il y a seulement le temps de décider. »

Carlos Castaneda, Le voyage à Ixtlan

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13/10/2012

Les illusions

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« Olivier a perdu ses illusions, c'est une chose excellente, c'est comme les dents de lait ; ensuite il en vient d'autres, des illusions de grandes personnes, l'ambition, l'amour, etc. Il ne croit plus que son père ait jamais ressemblé à un héros, ni que sa mère soit une sainte. Suprême infortune, il ne pense pas que M. Le Barsac soit une canaille. Les ordres chevaleresques et religieux : un jour il faut partir, s'arracher de ce monde comme d'une peau répugnante. »

Roger Nimier, Les enfants tristes

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12/10/2012

Quand on veut parcourir son chemin jusqu'au bout

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« La plupart des hommes ... ne permettent jamais à leur propre monde intérieur de s'exprimer. Sans doute, on peut être heureux ainsi, mais lorsqu'on a appris autre chose, on n'a plus le choix de prendre le chemin de la foule. ... Le chemin de la foule est facile, le nôtre est difficile. (...) Celui qui ne veut que sa destinée n'a plus ni modèle, ni idéal, ni rien de cher et de consolant autour de lui et ce serait ce chemin-là qu'il faudrait prendre. Des hommes comme vous et moi sont bien solitaires, mais ils possèdent la compensation secrète d'être autres, de se rebeller, de vouloir l'impossible. À cela aussi il faut renoncer quand on veut parcourir son chemin jusqu'au bout. Il faut arriver à ne vouloir être ni un révolutionnaire, ni un exemple, ni un martyr. C'est inconcevable. »

Herman Hesse, Demian

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11/10/2012

Le Feu

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« L'histoire se ramène à un mot d'une syllabe de Jean Cocteau. Il avait montré à un journaliste les souvenirs émouvants ou prestigieux qui entouraient sa vie quotidienne. Et le visiteur lui pose la question traditionnelle :

 - Si la maison brûlait, et si vous ne pouviez emporter qu'une seule chose, laquelle choisiriez-vous ?

 Réponse de Cocteau :

 - Le feu ! »

Michel Tournier, Le vent paraclet

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10/10/2012

Le Vote

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« L'individu se trouve de toutes parts entouré par un gouvernement auquel il ne saurait résister ; un gouvernement qui, sous peine de châtiments graves, l'oblige à donner son argent et ses services, et à renoncer à exercer quantité de droits qui lui sont naturels. Il voit, en outre, que c'est grâce au vote que d'autres hommes exercent sur lui cette tyrannie. Il voit encore que, si seulement il est disposé à utiliser lui-même le vote, il a une chance de se délivrer quelque peu de la tyrannie des autres en les soumettant à la sienne propre. Bref, il se trouve, sans l'avoir voulu, dans une situation telle que s'il utilise le vote, il sera peut-être un maître ; s'il ne l'utilise pas, il sera, nécessairement un esclave. »

Lysander Spooner, Outrage à chefs d'Etat

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09/10/2012

Clémentine était raide comme un cadavre gelé

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« Les chambres à coucher communes, lorsqu’elles sont sans lumière, mettent un homme dans la situation d’un acteur qui doit jouer devant un parterre invisible le rôle avantageux, mais un peu usé tout de même, d’un héros évoquant un lion rugissant.

Or, depuis des années, l’obscur auditoire de Léon n’avait laissé échapper devant cet exercice ni le plus léger applaudissement, ni le moindre signe de désapprobation, et l’on peut dire qu’il y avait là de quoi ébranler les nerfs les plus solides. Le matin, au petit déjeuner qu’une respectable tradition leur faisait prendre en commun, Clémentine était raide comme un cadavre gelé et Léon sensible à en trembler.

Leur fille Gerda elle-même s’en apercevait à chaque fois et se figura dès lors la vie conjugale, avec horreur et un amer dégoût, comme une bataille de chats dans l’obscurité de la nuit. »

Robert Musil, L’homme sans qualité 

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08/10/2012

Etant anarque, je suis résolu à ne me laisser captiver par rien, à ne rien prendre au sérieux

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« Etant anarque, je suis résolu à ne me laisser captiver par rien, à ne rien prendre au sérieux, en dernière analyse... non, certes, à la manière des nihilistes, mais plutôt en enfant perdu qui, dans le no man's land d'entre les lignes des marées, ouvre l'oeil et l'oreille.
Aussi ne puis-je non plus m'engager dans la direction du retour. C'est l'ultime refuge du conservateur, après qu'il a perdu tout espoir en politique et en religion. Mille ans sont alors, pour lui, la plus petite unité monétaire ; il parie sur les cycles cosmiques. Un jour viendra où le Paraclet connaîtra son épiphanie, où l'Empereur magiquement endormi sortira de la montagne. 
Mais en attendant, le devenir, le temps sont toujours là. L'être dans le temps se répête, et contraint les Dieux mêmes à assumer ses corvées - aussi ne peut-il y avoir de retour éternel ; c'est un paradoxe -, il n'y a pas de retour éternel. Le retour de l'éternel vaut bien mieux ; il ne peut se produire qu'une seule fois- et voilà le temps renversé dans la poussière.
(...) L'idée de l'éternel retour est une inspiration de poisson qui veut bondir hors de la poêle à frire. Il retombe sur la plaque de la cuisinière. »

Ernst Jünger, Eumeswil

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07/10/2012

L’impératif de sélection

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« A l’intérieur de chaque classe, de chaque groupe, se détachent certains individus en qui les qualités propres à leur classe ou groupe apparaissent de manière éclatante. Une nation pourrait satisfaire ses nécessités historiques si elle s’en tenait à un seul type d’excellence. Il lui faut, à côté des savants et artistes éminents, le militaire exemplaire, l’industriel parfait, l’ouvrier modèle et même l’homme du monde génial. (…) Un impératif devra donc désormais gouverner les esprits et orienter les volontés, l’impératif de sélection. »

José Ortega Y Gasset, La révolte des masses

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Les Européens étaient européens avant d’être allemands, anglais, espagnols, français ou italiens

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« La tâche des différents pays européens est désormais de dépasser le nationalisme, devenu une sorte de provincialisme. Pour Ortega Y Gasset, l’unité fondamentale de l’Europe précède dans le temps la naissance des nations et toutes les formes de nationalisme. La nation est l’invention la plus significative de l’Europe, mais il ne faut pas oublier que toutes les nations sont nées à l’intérieur d’une culture commune préexistante. Les Européens étaient européens avant d’être allemands, anglais, espagnols, français ou italiens. Même aujourd’hui, l’Européen moyen peut attribuer la majorité de ses concepts à des sources européennes plus que nationales. A l’heure où le nationalisme n’offre plus d’espérance pour l’avenir, l’européisme prend encore plus d’importance.  »

Arnaud Imatz, Introduction à "La révolte des masses" de José Ortega Y Gasset

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06/10/2012

"Le plaisir peut s'appuyer sur l'illusion, mais le bonheur repose sur la réalité"

=--=Publié dans la Catégorie "Humeurs Littéraires..."=--=

 


James Dean et Marlon Brando s'embrassant par les joies de Photoshop

La technologie ouvre des perspectives infinies.
Je prévois, bientôt, de nouveaux films avec James Dean et Marlon Brando et avec Marilyn aussi. Ils auront un jeu des plus naturels. Il y aura des scènes de nus hollywoodiens... et ils auront pour partenaire Johnny Depp ou Brad Pitt.

Je suis persuadé qu'on finira, un jour, le film inachevé de Marilyn, "Something's Got to Give"... et entre les vraies scènes avec elle qui avaient été tournées, et celles avec son "double holographique" on y verra que du feu. Ce sera le point de départ d'un nouveau type de recyclage cinématographique. Il y aura, bien entendu, des ayants droits, le juridique s'invitera auprès des familles qui donneront, ou pas, leurs accords pour l'utilisation abusive, ou non, des stars défuntes.

Les logiciels informatiques progressent à une telle allure !!!!

Bien entendu, de petits malins s'amuseront à détourner tout ça et à fabriquer des films pornographiques redoutables, on y verra Montgomery Clift fistfucker John Wayne, ça énervera les conservateurs républicains pudibonds ! On va bien rigoler ! Et Rocco Siffredi se tapera une Raquel Walch jeune et très entreprenante... le monde que l'on nous prépare va être magnigique et très fun !

D'ailleurs, dans un autre genre, plutôt musical, la famille Hendrix travaille activement sur la création d'un hologramme de Jimi : de futurs concerts en perspective. Authentique !

« Le plaisir peut s'appuyer sur l'illusion, mais le bonheur repose sur la réalité » disait Sébastien-Roch Nicolas de Chamfort...

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Pour Goebbels, le bolchevisme était "sain dans son principe" et pour Hitler entre nazisme et bolchevisme il y avait plus de points communs que de divergences...

=--=Publié dans la Catégorie "PARENTHÈSE"=--=

 

Georges Kaplan : Benoît Malbranque, vous publiez Le Socialisme en Chemise Brune, un « essai sur les dimensions socialistes du national-socialisme hitlérien ». Bénéficiez-vous d’une protection policière ?

Benoît Malbranque : Vous pensez que je devrais ? (Rires). Non, d’ailleurs le livre relève de l’analyse historique et pas de l’essai polémique. Son objet n’est pas de dire que le socialisme est une forme de nazisme. Ce serait prendre les choses à l’envers. Mon objectif est d’apporter des réponses à une question en apparence assez banale, à savoir : Pourquoi Hitler intitula-t-il son mouvement National-Socialisme (Nationalsozialismus).

La plupart des historiens n’ont pas voulu prendre l’idéologie nazie au sérieux et ont prétendu, sans même le prouver, que le nazisme n’avait rien à voir avec le socialisme. Pourtant, Hitler se disait lui-même socialiste, Joseph Goebbels qualifiait son idéologie de « socialisme national », l’ancien numéro deux du parti, Gregor Strasser, disait travailler à une « révolution socialiste », et dans ses mémoires, Adolf Eichmann expliqua même que sa « sensibilité politique était à gauche ». Ce sont des éléments troublants, et cela pose question.

GK : Mais en quoi, précisément, les Nazis étaient-ils socialistes ?

BM : Cela tient d’abord à l’histoire du mouvement. Quand il entra en politique, Hitler rejoignit le Parti Ouvrier Allemand, un groupuscule qui inquiétait l’armée par ses tendances communistes et révolutionnaires. Le programme politique de ce parti fut repris à l’identique quand, sous l’impulsion d’Hitler, il changea de nom pour devenir le Parti National-Socialiste des Travailleurs Allemands.

Le NSDAP se présentait comme un parti socialiste, opposé au capitalisme, à la haute finance, aux spéculateurs et aux grands patrons. Il promettait des nationalisations, l’interdiction du prêt à intérêt, l’éducation gratuite, et la mise en place d’un véritable État-Providence. Les Nazis critiquaient les sociaux démocrates au pouvoir en disant que leur soi-disant « socialisme » avait abouti à un capitalisme encore plus prédateur et esclavagiste.

GK : Oui mais ça ce sont les promesses qui n’engagent que ceux qui les écoutent – c’est un peu comme quand le PS se dit socialiste : les nazis n’ont pas nationalisé toute l’industrie allemande que je sache ?

BM : Pour Hitler, ces questions étaient inessentielles. Le régime de propriété n’importait pas. La conservation de la propriété privée n’empêchait pas l’intervention massive de l’État dans l’économie.

Et celle-ci fut effectivement massive. L’État indiquait ce qu’il fallait produire, en quelle quantité, et à quel prix. Il imposait aussi les sources d’approvisionnement et les circonstances de vente. Dès 1933, les industriels et commerçants récalcitrants furent envoyés à Dachau. L’inflation réglementaire toucha aussi le marché du travail. L’économie allemande était devenue dépendante du pouvoir centralisé de l’État nazi, qui la dirigeait par des plans quadriennaux. C’est ce que les nazis appelaient la Zwangswirtschaft, l’économie dirigée.

Enfin, Les plans de relance massifs tant promis furent mis en place par le régime. Les politiques sociales incluaient des aides aux plus démunis, des allocations par dizaine, et des réductions d’impôts pour les plus pauvres et la classe moyenne. Surtout, les Nazis ont institué un système d’État-Providence que de nombreux historiens ont comparé au Welfare State inspiré par William Beveridge.

Dans Mein Kampf, Hitler avait longuement salué la nécessité d’un mouvement syndical puissant et influent. Pour en finir avec l’exploitation capitaliste, il créa ainsi un syndicat géant, le Front du Travail, et ce dès 1933. Les douze années du Troisième Reich le prouvent : le socialisme d’Hitler n’était pas un argument électoral. Comme disent les anglais, he meant it.

GK : Pourtant, ils n’entretenaient pas précisément de bonnes relations avec les partis de la gauche marxiste : au-delà de la propriété des moyens de production, ils devaient bien avoir quelques désaccords, non ?

BM : Les relations entre Nazis et communistes étaient ambigües. Les Nazis étaient antibolchéviques parce qu’ils observaient que c’était un désastre et que les dirigeants russes étaient presque tous juifs. Mais en même temps ils reconnaissaient qu’au fond leur idéologie politique était juste. Goebbels disait que le bolchevisme était « sain dans son principe » et Hitler expliquera qu’entre nazisme et bolchevisme il y avait plus de points communs que de divergences.

Dans les deux partis ont reconnaissait de profondes similarités dans les programmes politiques. De fait, les années 1920 furent marquées par des allers-retours massifs d’électeurs entre le parti nazi et le parti communiste. Les différences concernaient principalement l’internationalisme, encore que Staline développa en URSS un « socialisme dans un seul pays ».

N’oublions pas non plus que les plus grands adversaires des marxistes étaient les sociaux démocrates. La lutte entre les différents partis du courant socialiste a toujours été très vive. Les antibolcheviques les plus acharnés d’Europe étaient les communistes Karl Kautsky et Rosa Luxembourg, et les socialistes comme Léon Blum.

Les communistes, les Nazis et les sociaux démocrates se combattaient les uns les autres parce qu’ils étaient concurrents. Les tentatives de rapprochement des uns vers les autres n’aboutirent jamais, au grand dam des Nazis. Goebbels travailla ardemment pour collaborer avec les leaders communistes et les socialistes. Dans une lettre ouverte destinée à récupérer l’électorat marxiste, il les appela même « mes amis de la gauche ».

GK : On a souvent souligné le soutien que les milieux d’affaires ont apporté aux Nazis ; ce n’est pas très cohérent avec un parti qui se réclame du socialisme…

BM : C’est une très vieille rengaine. Ce sont les soviétiques qui ont accusé en premier les Nazis d’être les agents du Grand Capital, et cette thèse a été utilisée abondamment par les historiens de l’Allemagne de l’Est. Aujourd’hui, elle est entièrement rejetée par l’historiographie du nazisme. On peut toujours citer les quelques cas individuels comme Fritz Thyssen, c’est vrai. Mais dans son ensemble, le Grand Capital resta loin d’Hitler, et appela même longtemps à lui barrer la route. Les grands industriels soutenaient en masse les partis de la droite conservatrice. Surtout depuis les travaux de l’historien américain Turner, les historiens du nazisme se sont détachés nettement de ce vieux mythe très utilisé dans les années de la Guerre froide.

GK : Vous faites un lien direct entre les politiques économiques hitlériennes et la nécessité de construire le Lebensraum, l’espace vital allemand : en quoi est-ce lié et n’y avait-il pas d’autres raisons ?

BM : Le racisme d’Hitler ne permet pas à lui seul d’expliquer correctement l’expansionnisme militaire et la construction du Lebensraum. J’ai donc essayé de déceler d’autres causes complémentaires plus significatives.

D’abord, l’ « espace vital » était un objectif de politique économique. Les Nazis essayèrent de développer l’autarcie économique par un protectionnisme massif, pour « échapper » au commerce international. C’est ce qu’expliquait déjà le philosophe socialiste Fichte, qui parlait d’ « État commercial fermé ». Il fallait étendre les frontières du Reich jusqu’à ce qu’il permette ce que Keynes appelait l’ « autosuffisance nationale ».

Entre l’expansion militaire et les politiques économiques, le lien est assez direct. La politique économique d’Hitler fut d’abord une réponse à la crise des années 1930. Le régime national-socialiste mit en place plusieurs plans de relance massifs, une politique de grands travaux issue des principes keynésiens. En parallèle, l’Allemagne se coupa du monde par un protectionnisme agressif. L’échec de ces deux politiques se traduisit par des déficits abyssaux.

À partir de 1938, Hitler expliqua que la guerre était inévitable parce que les finances du Reich étaient dans une situation trop catastrophique. L’expansion militaire fut une réponse rapidement trouvée, surtout qu’elle faisait échos aux considérations raciales du mouvement. Elle permettrait de maintenir en vie l’État national-socialiste. L’Allemagne ferait aussi un pas vers l’autarcie en constituant son « espace vital ».

Au-delà des considérations purement économiques, il est vrai également que les succès militaires pouvaient permettre de faire oublier la détérioration sensible du niveau de vie des Allemands.

GK : On a souvent tendance à réduire le nazisme à l’antisémitisme ; vous soutenez que la haine pathologique des Nazis pour les juifs trouve aussi ses racines dans leurs convictions socialistes… N’est-ce pas un peu tiré par les cheveux ?

BM : D’abord, on a toujours tort de réduire le nazisme à l’antisémitisme, bien que ce raccourci soit toujours fondé sur des sentiments très nobles de compassion vis-à-vis de l’horreur que constitue la Shoah. C’est humain, c’est compréhensible, mais cela revient à falsifier l’histoire. De nombreux Nazis ont affirmé qu’ils n’étaient pas antisémites. C’est le cas de Göring, de Ribbentrop, d’Hans Frank, de von Papen, et de bien d’autres. On l’oublie souvent.

Je suis parti d’une observation : les socialistes du XIXe siècle ont été les plus grands promoteurs de l’antisémitisme, et ce de l’aveu même des historiens. Nous trouvons de l’antisémitisme chez Marx, Proudhon, Fourrier, Leroux, Toussenel : les noms se pressent. Même Jean Jaurès tomba dans ce piège. Furieux contre cette tendance, Auguste Bebel, le grand leader des socialistes allemands, qualifiera l’antisémitisme de « socialisme des imbéciles ».

Là encore, c’est un constat qui pose question. Pour ces socialistes, le Juif était le représentant ultime du grand capitalisme et de la haute finance. Chez Hitler aussi, l’antisémitisme fut lié à l’anticapitalisme. Selon lui, ils dominaient les grandes entreprises, les grandes banques, et la presse. Le capitalisme était leur « création géniale » comme il le dira une fois, l’arme avec laquelle ils asservissaient le peuple allemand.

GK : Autre idée très répandue : Hitler était-il fou ?

BM : Nous aimerions tous que ce soit le cas. Les choses seraient tellement plus simples. Malheureusement, Hitler fut loin d’être un malade décérébré. Il était cultivé, maniéré, et souvent charmant. Selon les dires de son entourage, il lisait toujours au moins un livre par soir. Les témoignages dont nous disposons montrent qu’en plus d’un talent d’orateur, Hitler possédait une intelligence certaine. Ses biographes se refusent désormais à parler de folie. Hitler était un homme rationnel prisonnier dans une idéologie politique destructrice.

Les Nazis, d’une manière générale, n’étaient pas fous non plus. Le docteur Gilbert, psychologue lors du procès de Nuremberg, fit passer aux dignitaires nazis un test de QI. Ils eurent presque tous largement au-dessus de la moyenne. Selon le témoignage de Goldensohn, le psychiatre du procès, les Nazis étaient tout sauf des malades mentaux.

GK : La question qui tue : le Front National est-il national-socialiste ?

BM : Lisez le livre, et vous verrez par vous-même. Mais répondre à ce genre de questions n’est pas mon rôle. La comparaison entre le nazisme et une formation politique d’aujourd’hui, de gauche ou de droite, n’a pas sa place dans un livre d’histoire. Pour de telles questions, c’est au lecteur de se forger sa propre opinion.

Le principal problème que je soulève dans l’épilogue du livre est surtout la tendance générale de notre époque, et non le positionnement politique de telle ou telle formation politique. Mais vous avez raison, l’étude de l’histoire amène à se poser ces questions dérangeantes.

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SOURCE : ICI

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Le socialisme en chemise brune de Benoît Malbranque est téléchargeable gratuitement ici ou sur le blog éponyme.

 

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Ne plus être coupables et ne pas faire l'effort de nous purifier

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« Surtout, ne croyez pas vos amis, quand ils vous demanderont d'être sincère avec eux. Ils espèrent seulement que vous les entretiendrez dans la bonne idée qu'ils ont d'eux-mêmes, en les fournissant d'une certitude supplémentaire qu'ils puiseront dans votre promesse de sincérité. Comment la sincérité serait-elle une condition de l'amitié ? Le goût de la vérité à tout prix est une passion qui n'épargne rien et à quoi rien ne résiste. C'est un vice, un confort parfois, ou un égoïsme.
[...] Le plus souvent [...] nous nous confessons à ceux qui nous ressemblent et qui partagent nos faiblesses. Nous ne désirons donc pas nous corriger, ni être améliorés : il faudrait d'abord que nous fussions jugés défaillants. Nous souhaitons seulement être plaints et encouragés dans notre voie. En somme, nous voudrions, en même temps, ne plus être coupables et ne pas faire l'effort de nous purifier. »

Albert Camus, La chute

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05/10/2012

Vivre pleinement

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« Toujours la mégalomanie qui me possède, le désir d’une grande destinée, comme si la vérité était là, et non dans l’être… L’essentiel n’est pas dans l’accumulation de choses faites et des réussites mais dans la capacité de vivre pleinement le quotidien. »

Henry Bauchau, Les années difficiles

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Heureux entre les endroits

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« Je fais partie de ces êtres qui au fond ne supportent pas un endroit sur terre et ne sont heureux qu’entre les endroits d’où ils partent et vers lesquels ils se dirigent. »

Thomas Bernhard, Le neveu de Wittgenstein

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04/10/2012

Les hommes et les femmes considérés comme tels sont devenus des sortes de lignes parallèles

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« En simplifiant, on peut dire que la famille est une espèce d'organisme politique en miniature, où la volonté du mari représente celle de l'ensemble. La femme peut influer sur la volonté du mari, et celle-ci est censée être déterminée par l'amour de la femme et des enfants. De nos jours, tout ce système a purement et simplement volé en éclats. En fait, il n'existe plus et on ne considère pas qu'il serait bon qu'il revive. Mais rien de solide n'a pris sa place. Ni les hommes ni les femmes n'ont la moindre idée de ce vers quoi ils vont ou, plus exactement, ils ont toutes les raisons de redouter le pire. Il y a désormais deux volontés égales sans aucun principe médiateur pour les unir. De plus, aucune des deux volontés n'est sûre d'elle. C'est ici qu'intervient "l'ordre des priorités", particulièrement chez les femmes, qui n'ont pas encore décidé si elles doivent donner la priorité à leur carrière ou à leurs enfants. On n'enseigne plus aux enfants à penser que le mariage et la responsabilité devraient être leur objectif premier dans l'avenir, et l'incertitude qui découle de ce manque d'enseignement est puissamment renforcée par la considération des statistiques des divorces : en en prenant connaissance, on peut estimer qu'en mettant tous ses oeufs psychologiques dans le même panier, celui du mariage, on court un sacré risque. La situation actuelle est donc caractérisée par un conflit sentimental entre les buts et les volontés. Les individus -les hommes et les femmes considérés comme tels- sont devenus des sortes de lignes parallèles et il faudrait l'imagination d'un Lobatchevski pour espérer qu'ils se rencontrent. »

Allan Bloom, L'âme désarmée

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Le miracle et l'horreur de l'amour

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« Le miracle de l'amour, c'est de resserrer le monde autour d'un être qui vous enchante. L'horreur de l'amour, c'est de resserrer le monde autour d'un être qui vous enchaîne. »

Pascal Bruckner, Les voleurs de beauté

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03/10/2012

Dérives

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« Pendant cette singulière maladie qui ravage les races à bout de sang, de soudaines accalmies succèdent aux crises ; sans qu’il pût s’expliquer pourquoi, des Esseintes se réveilla tout valide, un beau matin ; plus de toux déracinante, plus de coins enfoncés à coup de maillet dans la nuque, mais une sensation ineffable de bien-être, une légèreté de cervelle dont les pensées s’éclaircissaient et, d’opaques et glauques, devenaient fluides et irisées, de même que des bulles de savon de nuances tendres.

Cet état dura quelques jours, puis subitement, une après-midi, les hallucinations de l’odorat se montrèrent.

Sa chambre embauma la frangipane ; il vérifia si un flacon ne traînait pas, débouché ; il n’y avait point de flacon dans la pièce ; il passa dans son cabinet de travail, dans la salle à manger : l’odeur persista.

Il sonna son domestique : — Vous ne sentez rien, dit-il ? L’autre renifla une prise d’air et déclara ne respirer aucune fleur : le doute ne pouvait exister ; la névrose revenait, une fois de plus, sous l’apparence d’une nouvelle illusion des sens.

Fatigué par la ténacité de cet imaginaire arôme, il résolut de se plonger dans des parfums véritables, espérant que cette homéopathie nasale le guérirait ou du moins qu’elle retarderait la poursuite de l’importune frangipane.

Il se rendit dans son cabinet de toilette. Là, près d’un ancien baptistère qui lui servait de cuvette, sous une longue glace en fer forgé, emprisonnant ainsi que d’une margelle argentée de lune, l’eau verte et comme morte du miroir, des bouteilles de toute grandeur, de toute forme, s’étageaient sur des rayons d’ivoire.

Il les plaça sur une table et les divisa en deux séries : celle des parfums simples, c’est-à-dire des extraits ou des esprits, et celle des parfums composés, désignée sous le terme générique de bouquets.

Il s’enfonça dans un fauteuil et se recueillit. »

Joris-Karl Huysmans, À rebours

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02/10/2012

Là où ça sent la merde ça sent l'être

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« Là où ça sent la merde ça sent l'être. »

« Tout vrai sentiment est en réalité intraduisible. L’exprimer, c’est le trahir. Mais le traduire, c’est le dissimuler. L’expression vraie cache ce qu’elle manifeste. Elle oppose l’esprit au vide réel de la nature…. Tout sentiment puissant provoque en nous l’idée du vide. Et le langage clair qui empêche ce vide, empêche aussi la poésie d’apparaître dans la pensée. C’est pourquoi une image, une allégorie, une figure qui masque ce qu’elle voudrait révéler ont plus de signification pour l’esprit que les clartés apportées par l’analyse de la parole. »

Antonin Artaud, Le Théâtre et son double

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01/10/2012

Provincialisme...

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« Le provincialisme réside dans l’incapacité (ou le refus) d’envisager sa culture dans le grand contexte. Il y a quelques années, un journal parisien fit une enquête auprès de trente personnalités appartenant à une sorte d’establishment intellectuel du moment, journalistes, historiens, sociologues, éditeurs et quelques écrivains. Chacun devait citer, par ordre d’importance, les dix livres les plus remarquables de toute l’histoire de France ; de ces trente listes de dix livres fut ensuite tiré un palmarès de cent livres (…) et le résultat donne une image assez juste de ce qu’une élite intellectuelle française considère aujourd’hui comme important dans la littérature de son pays. De cette compétition, "Les Misérables" de Victor Hugo sont sortis vainqueurs. Un écrivain étranger sera surpris. N’ayant jamais considéré ce livre important pour lui ni pour l’histoire de la littérature, il comprendra que la littérature française qu’il adore n’est pas celle qu’on adore en France. En onzième place, "Les Mémoires de guerre" de De Gaulle. Accorder au livre d’un homme d’Etat, d’un militaire, une telle valeur, cela pourrait difficilement arriver hors de France. Pourtant, ce n’est pas cela qui est déconcertant, mais le fait que les plus grands chefs-d’oeuvre n’arrivent qu’après. Rabelais n’est cité qu’en quatorzième place ! (…) Et le XXème siècle ? (…) Comme si l’immense influence de la France sur l’art moderne n’avait jamais eu lieu ! (…) Plus étonnant encore : l’absence de Beckett et Ionesco. Combien de dramaturges du siècle dernier ont eu leur force ? Un ? Deux ? Pas plus. (…) L’indifférence envers la valeur esthétique repousse fatalement toute la culture dans le provincialisme. »

Milan Kundera, Le Rideau

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30/09/2012

Me sachant condamné à l'horrible solitude

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« Quant à moi, maintenant, j'ai fermé mon âme. Je ne dis plus à personne ce que je crois, ce que je pense et ce que j'aime. Me sachant condamné à l'horrible solitude, je regarde les choses, sans jamais émettre mon avis. Que m'importent les opinions, les querelles, les plaisirs, les croyances ! Ne pouvant rien partager avec personne, je me suis désintéressé de tout. Ma pensée, invisible, demeure inexplorée. J'ai des phrases banales pour répondre aux interrogations de chaque jour, et un sourire qui dit oui, quand je ne veux même pas prendre la peine de parler. »

Guy de Maupassant, Le Horla et autres nouvelles fantastiques

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