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04/02/2014

La proie d’un kaléidoscope infernal

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« Michel devenait la proie d’un kaléidoscope infernal. Le flot du rapide l’emportait, charrié avec une multitude incalculable d’images, de perceptions, de pensées débandées, qui s’entrechoquaient, se croisaient dans un éclair, au gré des plus imprévisibles caprices, pour composer d’autres pensées, d’autres images défaites avant même qu’il eût pu les nommer. Il cherchait éperdument quelque point stable où s’accrocher. Cet afflux monstrueux devenait aussi terrifiant que le néant des nuits les plus sinistres. Chaque effort pour l’arrêter, pour le définir, y déversait de nouveaux éléments, ajoutait à ce chaos roulant.  »

Lucien Rebatet, Les deux étendards

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03/02/2014

Je suis hanté par cette vie

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« Je ne me délivrerai pas, je suis hanté par cette vie. Je ne l’étreindrai jamais, je ne l’épouserai jamais. Je ne peux plus m’échapper des sordides tableaux que je forme. »

 

« Parfois quand je songe – je pense à eux sans cesse - aux chimères si fragiles, aux quiproquos si spécieux sur lesquels leur vie et leur avenir reposent, j’ai le sentiment insaisissable qu’une fêlure se produira un jour. Quand, comment, pourquoi, je l’ignore, je ne peux même rien imaginer. Et voilà pourtant ma seule perspective ! Je serais donc inconsciemment comme le chat qui épie pendant des jours, pendant des mois, l’instant où l’oiseau qui vole hors de toute atteinte tombera du ciel entre ses griffes. Quelles chances a-t-il que l’oiseau tombe ? S’il guette avec cette patience, c’est qu’il ne sait pas que les oiseaux ont des ailes. Je sais que leurs ailes, à eux, ne les portent qu’à travers de fallacieuses nuées. Mais je sais qu’ils ont des ailes. »

Lucien Rebatet, Les deux étendards

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Mon amour ne peut être qu’une plaie que je m’acharnerai à envenimer

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« Je me suis voué au malheur. Je me suis jeté à la poursuite d’une image, je veux la retenir, je ne le pourrai jamais. Cette image se glace, elle va devenir une idée, et je le saurai, et ce sera encore la pire de mes souffrances. Je souffre d’aimer Anne-Marie. Je souffrirais mille fois plus si cet amour s’en allait de moi. Je ne peux plus oublier, je ne veux pas oublier. Tout apaisement de ce mal me fait horreur. Un seul geste pour éloigner Anne-Marie de Régis ? Jamais je ne le ferai, ce serait la perdre pour toujours. Et cependant, je suis hanté par ce geste, je me maudirai si je ne l’accomplis pas. Mon amour ne peut être qu’une plaie que je m’acharnerai à envenimer. Et c’est pourtant cela que je préfère. Ah ! Cela est-il tenable sans que l’on en crève ? Si j’étais sur la pente d’un suicide obligatoire ? Chez ceux de mon espèce, la tête tue souvent. On le sait… Oui, voilà bien la conclusion la plus plausible : une lettre pour Anne-Marie, qui lui apprendrait tout, en même temps que ma mort. Mais quoi, tout ? Cette lettre, je ne pourrais en écrire aujourd’hui une seule feuille. Dans un mois j’en serai bien plus incapable encore. Alors, rien qu’une ligne : "Je vous aime, je me tue…" Juste de quoi avoir l’air absurde… Ah ! Quelle misère ! Et cet œil de l’analyste, abasourdi par le premier choc, mais qui chaque soir se réveille plus tôt, cet œil qui m’examine impitoyablement, qui ne se fermera pas une seconde ! Et pour rien, pour rien ! Pas même une page lisible accouchée par tous ces maux. Mon journal est imbécile, d’une platitude écœurante. Non jamais ces phrases éculées ne renfermeront l’aventure pour personne, même pas pour moi. Elle ne pourrait revivre que dans une œuvre belle. Comme j’en suis incapable ! Et je me suis dit artiste ! J’ai là entre les mains une matière sans prix, et je ne peux rien en fixer. Impossible ! On ne crée pas dans une telle douleur. Je perds pour jamais ce que j’ai éprouvé de plus bouleversant, de plus sublime de toute mon existence. Le reste, à quoi bon en parler ? Comment pourrais-je me satisfaire désormais de cette pitoyable littérature, y user des heures et des jours ? Pourquoi cette tromperie plutôt que n’importe quelle autre, que n’importe quel métier de crétin ? Une tempête mugit en moi. Je ne saurais l’écrire, je suis moi-même la tempête. C’est donc dit, je suis un des nouveaux infirmes que ce siècle fabrique. Nous avons perdu toute naïveté, appris à lire au fond de nous, appris à descendre au fond des abîmes d’où sourd la vie. Pourquoi ? Pour être encore plus cruellement témoins de notre impuissance. Anne-Marie m’aura révélé à moi-même pour me montrer la chimère de mon amour et celle de mon art.. Impossible d’être heureux, impossible de faire au moins quelque beauté avec mon malheur ! Mais n’est-ce point encore une tentation, une voie sournoise qu’a pris le démon de l’oubli pour m’éloigner d’elle ? Ah ! Je ne sais plus, je sombre, je suis dépassé, vaincu… Tout me ramène au néant… Il n’y a plus de sens à rien. Rien ne vaut plus la peine… Qu’est-ce que c’est, mais qu’est-ce que cette machine à néant qui fonctionne dans ma tête ? Où sont mes mots pour dire ça ? Je perds mes mots. Où est-ce que je vais ? Je tombe, je tombe. Je me vide. »

Lucien Rebatet, Les deux étendards

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02/02/2014

Parce que je ne vaux rien...

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Les sentiments les plus rares sont aussi les plus fugitifs

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« Quel remède trouver à cette fatalité humaine ? Les sentiments les plus rares, les seuls dignes qu’on bâtisse sur eux toute une vie, les seuls dignes d’être enchâssés au fond de nous pour l’éternité sont aussi les plus fugitifs, ceux qui ont le plus abominablement à pâtir de l’ordure quotidienne. Il faudrait prendre les miens dévotement, délicatement, les enfermer dans un lieu délicieux, ténébreux et solitaire, et rester dans leur contemplation jusqu’à la mort. »

Lucien Rebatet, Les deux étendards

 

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Il est aisé de se dire citoyen du monde, quand on n’est citoyen de nulle part

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« J’ignore ce que pourrait être l’amour de la France, si l’on n’aimait pas les Français. C’est à la vie de ce peuple, à ce qu’il fut, à ce qu’il peut être encore, à son génie, que je tiens. On le presse de toutes parts ; on l’attaque, on le nie. Français d’hier ou de la veille, soudain transplantés du Nord et de l’Orient dans les faubourgs de Paris, ils n’ont pas conscience du mal qu’ils font au pays qui les accueille. Ils y campent encore et se donnent le droit de juger impudemment ce qu’il faut garder ou non de l’œuvre de vingt siècles : ils n’y sont pour rien, que pour l’avantage qu’ils en retirent ; et ils se permettent pourtant d’en avoir un avis. Qu’ils en aient un, soit ; mais qu’ils l’expriment, non ; et s’ils veulent le faire prévaloir par la violence, ils passent la mesure. Ils ne sont pas du peuple, et ils parlent pour lui. A peine sont-ils de la plèbe, cette lie confuse que tous les flots du hasard, des migrations, de la misère poussent dans les immenses capitales. Il faut du temps à la plèbe, pour devenir peuple : il faut bien des ans, sinon des siècles, pour faire un citoyen. Il est aisé de se dire citoyen du monde, quand on n’est citoyen de nulle part. Un peuple n’est pas une racaille qui ne vit, misérable, que pour ne pas mourir de faim, et dont toute l’âme est dans le ventre. Une nation est un esprit. On le reçoit de la terre et du ciel, en naissant ; on ne l’échange pas contre un autre, comme un billet de banque. »

André Suarès, Plèbe et peuple

 

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Ils n’aiment point la liberté

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« Une expérience journalière fait reconnaître que les Français vont instinctivement au pouvoir : ils n’aiment point la liberté ; l’égalité seule est leur idole. Or l’égalité et le despotisme ont des liaisons secrètes. Sous ces deux rapports, Napoléon avait sa source au coeur des Français, militairement inclinés vers la puissance, démocratiquement amoureux du niveau. Monté au trône, il y fit assoir le peuple avec lui ; roi prolétaire, il humilia les rois et les nobles dans ses antichambres ; il nivela les rangs, non en les abaissant, mais en les élevant : le niveau descendant aurait charmé davantage l’envie plébéienne, le niveau ascendant a plus flatté son orgueil. »

François-René de Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe

 

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31/01/2014

Toujours prêts à préférer la servitude qu’ils méprisent

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« Ils trouvent la liberté belle, ils l’aiment, mais ils sont toujours prêts à lui préférer la servitude qu’ils méprisent, exactement comme ils trompent leur femme avec des gourgandines. Le vice de la servitude va aussi profond dans l’homme que celui de la luxure, et peut-être que les deux ne font qu’un. Peut-être sont-ils une expression différente et conjointe de ce principe de désespoir qui porte l’homme à se dégrader, à s’avilir, comme pour se venger de lui-même, se venger de son âme immortelle. »

Georges Bernanos, La France contre les robots

 

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Vieux pays fatigués

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« Badiou se rend-il compte à quel point le pathos de la rébellion à laquelle il s’abandonne est daté ? Aujourd’hui le monde de l’art est plein de "professionnels du subversif et du dérangeant". La rébellion est devenue un "positionnement rentable", comme l’a fait remarquer Guillaume Allary à propos d’un fait divers : "Brian Molko, chanteur rock, vient de porter plainte contre un hebdomadaire pour avoir publié une photo de lui en train de promener son bébé en poussette ; Motif. Atteinte de son image de marginal…" Il demande réparation parce qu’on a pas dit du mal de lui. Un artiste présenté comme sulfureux, androgyne et provocateur, bref comme un rebelle, reconnaît que ce portrait n’est qu’une construction médiatique et, qu’en plus, c’est son fond de commerce.

Badiou affirme, non sans quelque naïveté, combattre pour un "universalisme politique, une politique faite par les gens qui sont ici, sans égard à leur provenance". En réalité, dans leurs engagements, "les gens qui sont ici" tiennent le plus grand compte de leur provenance. Badiou ferait bien d’interroger sur ce point les Pakistanais, les Kurdes, les Turcs. Il s’apercevra que leurs intérêts et leurs passions politiques sont très différents de ceux qui motivent les Chinois ou les Portugais, pour ne rien dire des Français, auxquels Badiou s’intéresse peu.

Supposons que toutes les communautés religieuses, nations et groupes divers s’appliquent vertueusement à développer le même (ce qu’ils ont en commun). Le résultat sera un métissage généralisé estompant ou même abolissant toutes les identités. C’est le paradis de l’indifférenciation prêché par la propagande libérale. Même les musulmans "modérés" n’en veulent pas. Il faut dire que leur "modération" religieuse a pour contre partie le nationalisme le plus chauvin, comme chez le premier ministre turc Erdogan qui déclarait fin 2008, en s’adressant à ses compatriotes installés en Allemagne, que "l’assimilation est un crime contre l’humanité" ! Il voudrait qu’une frontière étanche sépare les populations d’origine turque des autochtones allemands.

Son amour éperdu pour tout ce qui n’est pas français conduit Badiou à des accents d’un lyrisme quasi raciste : "la masse des ouvriers étrangers et de leurs enfants témoignent, dans nos vieux pays fatigués, de la jeunesse du monde ; qu’ils nous apprennent au moins à devenir étrangers à nous-mêmes, assez pour ne plus être captifs de cette longue histoire occidentale et blanche qui s’achève et dont nous n’avons plus rien à attendre que la stérilité et la guerre."

Cela se passe de commentaires, mais j’en ferai quand même deux. Il y a moins de guerres et plus de créativité intellectuelle en Europe qu’en Afrique. Les immigrés savent ce qu’ils font quand ils affluent depuis un demi siècle, parfois au péril de leur vie, dans "de vieux pays fatigués" au lieu de rester dans de jeunes pays dynamiques. »

Kostas Mavrakis, De quoi Alain Badiou est-il le nom ?

 

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Des villes moyennes sans le moindre intérêt stratégique

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« A partir de 1943, l’aviation alliée entreprend la destruction systématique des villes moyennes sans le moindre intérêt stratégique qui entraîneront la mort de plus de 600 000 personnes (fourchette basse). L’histoire a retenu l’atroce destruction de Dresde en février 1945 : plus de 130 000 morts, femmes enfants, vieillards. Pas plus de justification pour Ulm, Bonn, Wurtzbourg, Hildesheim, Nuremberg, cités médiévales, joyaux artistiques du patrimoine européen. Toutes ces villes avec Hambourg et Cologne, disparaissent dans des typhons de feu au milieu d’atroces souffrances. »

Jörg Friedrichr, L’incendie

 

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30/01/2014

Christianisme

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« Le triomphe du christianisme fut l’anéantissement de la vie civile pour mille ans. L’islamisme ne fit qu’appliquer le même principe. La mosquée, comme la synagogue et l’église, est le centre de toute vie. Le Moyen Age, règne du christianisme, de l’islamisme et du bouddhisme, est bien l’ère de la théocratie. Le coup de génie de la Renaissance a été de revenir au droit romain, qui est essentiellement le droit laïc, de revenir à la philosophie, à la science, à l’art vrai, à la raison, en dehors de toute révélation.

Ainsi, à mesure que l’Empire baisse, le christianisme s’élève. Durant le IIIème siècle, le christianisme suce comme un vampire la société antique, soutire toutes ses forces et amène cet énervement général contre lequel luttent vainement les empereurs patriotes. Le christianisme n’a pas besoin d’attaquer de vive force, il n’a qu’à se refermer dans ses églises. Il se venge en ne servant pas l’Etat, car il détient presque à lui seul, des principes sans lesquels l’Etat ne saurait prospérer. La cité et l’Etat ne s’accommoderont plus tard avec le christianisme qu’en faisant subir à celui-ci les plus profondes modifications.

Le chrétien des origines est embarrassé, incapable quant aux affaires du monde ; l’Evangile forme des fidèles, non des citoyens. Il en fut de même pour l’islamisme et le bouddhisme. L’avènement de ces grandes religions universelles mit fin à la vieille idée de patrie ; on ne fut plus Romain, Athénien ; on fut chrétien, musulman, bouddhiste ; Les hommes, désormais, vont être rangés d’après leur culte, non d’après leur patrie, ils se diviseront sur des hérésies, non sur des questions de nationalité.

Voila ce que vit parfaitement Marc Aurèle, et ce qui le rendit si peu favorable au christianisme. L’Eglise lui parut un état dans l’état. "Le camp de la piété", ce nouveau "système de patrie fondée sur le Logos divin", n’a rien à voir avec le camp romain, lequel ne prétend nullement former des sujets pour le ciel. L’Eglise, en effet, s’avoue une société complète, bien supérieure à la société civile ; le pasteur vaut mieux que le magistrat. L’Eglise est la patrie du chrétien, comme la synagogue est la patrie du juif ; le chrétien et le juif vivent dans le pays où ils se trouvent comme des étrangers. A peine, même, le chrétien a-t-il un père et une mère. Il ne doit rien à l’empire et l’empire lui doit tout.

Le plus important des devoirs civiques, le service militaire, les chrétiens ne pouvaient le remplir. Ce service impliquait, outre la nécessité de verser le sang, qui paraissait criminelle aux exaltés, des actes que les consciences timorées trouvaient idolâtriques. Il y eut sans doute plusieurs soldats chrétiens au IIème siècle ; mais bien vite l’incompatibilité des deux professions se révélait, et le soldat quittait le ceinturon ou devenait martyr. L’antipathie était absolue ; en se faisant chrétien, on quittait l’armée. "On ne sert pas deux maîtres", était le principe sans cesse répété. La représentation d’une épée ou d’un arc sur une bague était défendue. "C’est assez combattre pour l’empereur que de prier pour lui." Le grand affaiblissement qui se remarque dans l’armée romaine à la fin du IIème siècle, et qui éclate surtout au IIIème siècle, a sa cause dans le christianisme. Celse aperçut ici le vrai avec une merveilleuse sagacité. Le courage militaire qui, selon le Germain, ouvre seul le Walhalla, n’est point par lui-même une vertu aux yeux du chrétien. S’il est employé pour une bonne cause, à la bonne heure ; sinon, il n’est que barbarie. Certes, un homme très brave à la guerre peut être un homme de médiocre moralité ; mais une société de parfaits serait si faible !

Pour avoir été trop conséquent, l’Orient chrétien a perdu toute valeur militaire. L’islam en a profité, et a donné au monde le triste spectacle de cet éternel chrétien d’Orient, partout le même malgré la différence des races, toujours battu, toujours massacré, incapable de regarder en face un homme de guerre, offrant perpétuellement son cou au sabre, victime peu intéressante car elle ne se révolte pas et ne sait pas tenir une arme, même quand on la lui met dans les mains. »

Ernest Renan, Histoire des origines du christianisme

 

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Achèvement

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« Le christianisme a engendré tout ce qu’il pouvait engendrer, y compris, au travers du processus de sécularisation, les formes sociales et idéologiques qui ont pu contester son autorité sur les bases de sa propre inspiration. L’erreur serait donc d’interpréter la sécularisation comme une soustraction progressive de la sphère publique à l’emprise de la religion chrétienne. La sécularisation correspond bien à une émancipation vis-à-vis de l’Eglise, mais par le biais d’une transposition dans la sphère profane des thèmes caractéristiques de cette religion : "justice" au sens biblique du terme, pouvoir politique conçu sur le modèle du pouvoir divin, attente "eschatologique" d’ "un avenir radieux", etc. René Rémond, dans son dernier livre reconnaît lui-même que "la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 constitue une version sécularisée des principes que le christianisme a contribué à introduire ou à légitimer". Le fait générateur des sociétés modernes, ce n’est donc pas tant l’abandon de la perspective chrétienne que sa transposition profane – hérétique bien entendu du point de vue chrétien traditionnel – sous forme de toute une série de "grands récits" idéologiques où le "bonheur" a remplacé le salut, et l’avenir s’est substitué à l’au-delà. Pour le dire en d’autres termes, la sécularisation, c’est le passage de la croyance religieuse à la croyance politique, sans quitter le domaine de la croyance. On pourrait dire, de ce point de vue, que l’Eglise n’a plus été en mesure d’imposer ses vues au moment où la modernité s’achevait, non parce qu’elle avait échoué à transmettre ses valeurs , mais, au contraire, parce qu’elle avait réussi à les diffuser partout, dans un monde qui pouvait dès lors s’y référer sans elle, et même contre elle.

Il ne faut pas s’attendre aujourd’hui à une disparition du christianisme, mais à son "achèvement". "Achèvement" signifie à la fois la fin (la phase finale) et le stade le plus achevé (la complétude). C’est en ce sens que l’on peut dire du christianisme qu’il "a fait son temps" au double sens de l’expression. Cela signifie d’une part que la foi chrétienne a aujourd’hui achevé son cycle historique, mais également que si le christianisme est appelé à s’ "achever", c’est d’abord qu’il a réussi. Marcel Gauchet, qui a bien analysé ce phénomène, a très justement décrit le christianisme comme "la religion de la sortie de la religion" – c’est-à-dire comme une religion qui portait en elle les germes de sa propre négativité, et donc de sa propre dissolution. »

Alain de Benoist, in Terre et Peuple, septembre 2001

 

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Une sale invention Capitaliste...

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29/01/2014

Ceci n'est plus une femme...

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La doctrine chrétienne impliquait une révolution sociale

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« La doctrine chrétienne impliquait une révolution sociale. Elle affirmait en effet, pour la première fois, non que l’âme existe, mais que tous en possèdent une identique en naissant. Les hommes de la culture antique, qui ne naissaient dans une religion que parce qu’ils naissaient dans une patrie, avaient plutôt tendance à penser qu’en adoptant un comportement empreint de rigueur et de maîtrise de soi, il pouvait arriver qu’on se forgeât une âme, mais qu’un tel sort était évidemment réservé aux meilleurs. L’idée que tous les hommes pussent indifféremment en être gratifiés, par le seul fait de leur existence, leur était choquante. Le christianisme soutenait au contraire que tout un chacun naissait avec une âme, ce qui revenait à dire que les hommes naissaient égaux devant Dieu.

D’autre part, dans son refus du monde, le christianisme se présentait comme l’héritier d’une vieille tradition biblique de détestation des puissants, d’exaltation systématique des "humbles et des pauvres", dont les prophètes et les psalmistes avaient annoncé le triomphe et la revanche sur les civilisations "iniques et orgueilleuses".

(…)

"Voici l’idéal social du prophétisme juif, écrit Gérard Walter : une sorte de nivellement général qui fera disparaître toutes les distinctions de classe et qui aboutira à la création d’une société uniforme, d’où seront bannis tous les privilèges, quels qu’ils soient . Ce sentiment égalitaire, poussé jusqu’à la dernière limite, va de pair avec celui de l’animosité irréductible à l’égard des riches et des puissants, qui ne seront pas admis dans le royaume futur."

Dés lors, on comprend mieux que le christianisme soit d’abord apparu aux anciens comme une sorte de religion d’esclaves, véhiculant une sorte de "contre culture", ne recueillant de succès qu’auprès des insatisfaits, des déclassés, des envieux, des révolutionnaires avant la lettre : esclaves, artisans, foulons, cardeurs, savetiers, femmes isolées, etc. Celse décrit les premières communautés chrétiennes comme "un ramassis de gens ignorants et de femmes crédules, recrutés dans la lie du peuple."

Nulle idée n’est alors plus odieuse aux chrétiens que l’idée de patrie : comment pourrait-on servir à la fois la terre des pères et le Père des cieux ? Ce n’est pas de la naissance, ni de l’appartenance à la cité, ni de l’ancienneté de la lignée, que dépend le salut, mais de la seule conformité aux dogmes. Dés lors, il n’y a plus à distinguer que les croyants des incroyants, les autres frontières doivent disparaître. Hermas, qui jouit à Rome d’une grande autorité, condamne les convertis à être partout en exil : "Vous, les serviteurs de Dieu, vous habitez sur une terre étrangère. Votre cité est loin de cette cité."

Ces dispositions d’esprit expliquent la réaction Romaine. Celse, patriote préoccupé par le salut de l’Etat, qui pressent l’affaiblissement de l’imperium et la baisse du sentiment civique qui pourrait résulter du triomphe de l’égalitarisme chrétien, commence son "Discours vrai" par ces mots : "Il est une nouvelle race d’hommes nés d’hier, sans patrie ni traditions antiques, ligués contre toutes les institutions religieuse et civiles, poursuivis par la justice, généralement notés d’infamie, et qui se font gloire de l’exécration commune, ce sont les chrétiens. Ce sont des factieux prétendant faire bande à part et se séparer de la société commune."

Le principe impérial est à cette époque l’outil d’une conception du monde qui se réalise sous la forme d’un vaste projet. Grâce à lui, la pax romana règne dans un monde ordonné. (…) Mais, pour les chrétiens, l’Etat païen est œuvre de Satan. L’empire, suprême symbole d’une force orgueilleuse, n’est qu’arrogante dérision. Toute l’harmonieuse société romaine est déclarée coupable ; sa résistance aux exigences monothéistes, ses traditions, son mode de vie, sont autant d’offense aux lois du socialisme céleste. Coupable, elle doit être châtiée, c’est-à-dire détruite. »

Alain de Benoist, Les idées à l’endroit

 

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Le Guerrier...

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« Le guerrier est grand non parce qu'il tue, mais parce qu'il meurt. Ou parce qu'il sait qu'il va mourir. Et y consent. Et que ce n'est pas si simple que cela, d'accepter de mourir. »

Charles Péguy

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Hostile à toute école et à tout savoir

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« Sait-on qu’il y a deux querelles scolaires et que la plus célèbre –séparant l’école publique de l’école privée- n’est ni la plus vraie ni la plus acharnée ? Sait-on qu’une autre querelle, traversant l’école publique elle-même, y oppose les amis du savoir à ceux qui, sous couvert de gestion, de pédagogie ou de dévouement, en réalité les haïssent ? Sait-on qu’il n’y a depuis 1945, qu’une seule et même Réforme et que les gouvernements, qu’ils se réclament de la droite ou de la gauche, ont tous la même politique : mettre en place cette Réforme unique et tentaculaire ? Sait-on que cette dernière est radicalement hostile à toute école et à tout savoir ? »

Jean-Claude Milner, De l’école

 

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28/01/2014

Ceci n'est plus une femme...

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20:04 Publié dans Gender... | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Le socialisme est comme la morphine...

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Principe de Noah

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« La décomposition des solidarités locales traditionnelles ne menace pas seulement les bases anthropologiques de la résistance morale et culturelle au capitalisme. En sapant également les fondements relationnels de la "confiance" (tels qu’ils prennent habituellement leur source dans la triple obligation de donner, recevoir et rendre) la logique libérale contribue tout autant à détruire ses propres "murs porteurs", c’est-à-dire l’échange marchand et le contrat juridique. Dés que l’on se place sur le plan du simple calcul (et l’égoïste – ou l’économiste – n’en connaît pas d’autre) rien ne m’oblige plus, en effet, à tenir ma parole ou à respecter mes engagements (par exemple sur la qualité de la marchandise promise ou sur le fait que je ne me doperai pas), si j’ai acquis la certitude que nul ne s’en apercevra. A partir d’un certain seuil de désarticulation historique de l’ "esprit du don" (matrice anthropologique de toute confiance réelle) c’est donc la défiance et le soupçon qui doivent logiquement prendre le relais.

Dans ce nouveau cadre psychologique et culturel, le cynisme tend alors à devenir la stratégie humaine la plus rationnelle ; et "pas vu, pas pris", la maxime la plus sûre du libéralisme triomphant (comme le sport en administre la preuve quotidienne à mesure qu’il se professionnalise et qu’il est médiatisé). Comme souvent, c’est le sympathique Yannick Noah qui a su formuler, avec sa rigueur philosophique habituelle, les nouveaux aspects de cette question morale. Son fils, Joakim, ayant récemment commis, selon les mots de Yannick lui-même, "une petite boulette" (alcool et drogue au volant d’un véhicule sans permis avec, en prime, excès de vitesse), notre héros national a aussitôt tenu à lui rappeler publiquement que l’essentiel, en l’occurrence, aurait été "de ne pas se faire pécho" ; ajoutant au passage, que "ça fait vingt ans que je fais le con et je suis encore populaire parce que les gens pensent que je suis un mec bien. Alors Joakim peut faire la même chose." En hommage à cette belle leçon de pédagogie paternelle, je propose donc d’appeler "principe de Noah" la loi qui tend à gouverner une partie croissante des échanges économiques contemporains (on sait par exemple que la contrefaçon est effectivement devenue l’une des industries les plus florissantes du capitalisme moderne). »

Jean-Claude Michéa, La double pensée

 

 

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Se retrouver à pleurer dans un coin de la chambre

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« Quand un homme réunit deux femmes, il n'est pas inhabituel que l'une des deux, se sentant négligée à tort ou à raison, se retrouve à pleurer dans un coin de la chambre. D'après la façon dont se déroulaient les choses jusqu'ici, il semblait bien que la personne qui se retrouverait à pleurer dans son coin serait lui. »

Philip Roth, Le rabaissement

 

 

 

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Un arbitre robuste dont la tâche n'est pas de participer au jeu...

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On connaît la description par Jacques Attali de cette magnifique hyperclasse promise à la domination du nouveau monde sans frontières...

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« On connaît la description par Jacques Attali de cette magnifique hyperclasse promise à la domination du nouveau monde sans frontières : "Ils ne posséderont ni entreprises ni terres, ni charges. Riches d’un actif nomade, ils l’utiliseront de façon nomade, pour eux-mêmes, mobilisant promptement du capital et des compétences en des ensembles changeants, pour des finalités éphémères dans lesquelles l’Etat n’aura pas de rôle. Ils n’aspireront pas à diriger les affaires publiques (la célébrité politique sera pour eux une malédiction). Ils aimeront créer, jouir, bouger. Connectés, informés, en réseau, ils ne se préoccuperont pas de léguer fortune ou pouvoir à leurs rares enfants : seulement une éducation. Riches de surcroît, ils vivront luxueusement en nomades de luxe, souvent sans payer ce qu’ils consomment. Ils porteront le meilleur et le pire d’une société volatile, insouciante égoïste et hédoniste, partagés entre le rêve et la violence. L’hyperclasse regroupera plusieurs dizaines de millions d’individus. Ils seront attachés à la liberté, aux droits des citoyens, à l’économie de marché, au libéralisme, à l’esprit démocratique. Ils voteront, créeront des associations de consommateurs, cultiveront et développeront une conscience aiguë des enjeux planétaires ; à terme ils s’intéresseront plus à la condition humaine qu’à l’avenir de leur propre progéniture." (…)

Il serait donc bienvenu de reprendre sous une forme adaptée à notre époque, la vieille maxime d’August Bebel : "Quand l’ennemi de classe accepte de me médiatiser, je me demande toujours quelle bourde j’ai encore bien pu commettre." Si TF1 ou Canal Plus décident de vous envoyer trois journalistes chaque fois que votre association réunit 300 personnes, il est effectivement temps de vous interroger sur ce que vous êtes réellement en train de dire ou de faire –surtout si quelques unes des stars les plus glauques du show-biz ont jugé excellent pour leur image de parader à vos cotés. Ou quand, par exemple, Jean-pierre Foucault accepte de poser l’une de ses inimitables questions (en l’occurrence "Quel est le mot interdit au Scrabble : Zee, Zoé, Zou ou Zic ?") afin que TF1 puisse contribuer à hauteur de 72 000 euros au financement du Réseau éducation sans frontières (Qui veut gagner des millions, jeudi 3 juillet 2008). Il est sûr qu’il va falloir maintenant beaucoup de subtilité dialectique aux têtes pensantes du Réseau pour expliquer à leurs ouailles le sens d’un si beau geste, de la part de la principale chaîne de propagande d’un Etat qu’elles jugent officiellement raciste et policier. »

Jean-Claude Michéa, La double pensée

 

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27/01/2014

Ceci n'est plus une femme...

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Même quand on travaille dans les meilleures conditions possibles, on peut très bien abdiquer tous ses droits d’être humain

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« Le spectacle le plus pitoyable, c’est celui de toutes ces voitures garées devant les usines et les aciéries. L’automobile représente à mes yeux le symbole même du faux-semblant et de l’illusion. Elles sont là, par milliers et par milliers, dans une telle profusion que personne, semble-t-il, n’est trop pauvre pour en posséder une. D’Europe, d’Asie, d’Afrique, les masses ouvrières tournent des regards envieux vers ce paradis où le prolétaire se rend à son travail en automobile. Quel pays merveilleux ce doit être, se disent-ils ! (Du moins nous plaisons nous à penser que c’est cela qu’ils se disent !) Mais ils ne demandent jamais de quel prix se paie ce privilège. Ils ne savent pas que quand l’ouvrier américain descend de son étincelant chariot métallique, il se donne corps et âme au travail le plus abêtissant que puisse accomplir un homme. Ils ne se rendent pas compte que même quand on travaille dans les meilleures conditions possibles, on peut très bien abdiquer tous ses droits d’être humain. Ils ne savent pas que (en américain) les meilleures conditions possibles cela signifie les plus gros bénéfices pour le patron, la plus totale servitude pour le travailleur, la pire tromperie pour le public en général. Ils voient une magnifique voiture brillante de tous ses chromes et qui ronronne comme un chat ; ils voient d’interminables routes macadamisées si lisses et si impeccables que le conducteur a du mal à ne pas s’endormir ; ils voient des cinémas qui ont des airs de palaces, des grands magasins aux mannequins vêtus comme des princesses. Ils voient la peinture et le chromé, les babioles, les ustensiles de toute sorte, le luxe ; ils ne voient pas l’amertume des cœurs, le scepticisme, le cynisme, le vide, la stérilité, l’absolu désespoir qui ronge l’ouvrier américain. Et d’ailleurs, ils ne veulent pas voir tout cela : ils sont assez malheureux eux-mêmes. Ce qu’ils veulent, c’est en sortir ! Ils veulent le confort, l’agrément, le luxe qui portent en eux les germes de la mort. Et ils marchent sur nos traces, aveuglément, sans réfléchir. »

Henry Miller, Le cauchemar climatisé

 

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