20/01/2014
Libre
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« On pense que l’esclave est celui qui agit par commandement et l’homme libre celui qui agit selon son bon plaisir. Cela cependant n’est pas absolument vrai, car en réalité être captif de son plaisir et incapable de rien voir ni faire qui nous soit vraiment utile, c’est le pire esclavage, et la liberté n’est qu’à celui qui de son entier consentement vit sous la seule conduite de la Raison. Quant à l’action par commandement, c’est-à-dire l’obéissance, elle ôte bien en quelque manière la liberté, elle ne fait cependant pas sur le champ un esclavage, c’est la raison déterminante de l’action qui le fait. Si la fin de l’action n’est pas l’utilité de l’agent lui-même, mais de celui qui la commande, alors l’agent est un esclave, inutile à lui-même ; contraire, dans un état et sous un commandement en lesquels la loi suprême est le salut de tout le peuple, non de celui qui commande, celui qui obéit en tout au souverain ne doit pas être un esclave inutile à lui-même, mais un sujet. Ainsi cet état est le plus libre, dont les lois sont fondées en droites Raisons, car dans cet état chacun, dès qu’il le veut, peut être libre, c’est-à-dire vivre de son entier consentement sous la conduite de la Raison. »
Spinoza, Traité théologio-politique
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Les gens vraiment forts savent toujours qu’ils ne le sont pas assez.
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La vie est une fulgurance temporelle. Une flèche décrochée vers une cible improbable. Nous sommes les passagers du radeau de la méduse, les vagues n’auront pas raison de nous. Mais où accosterons-nous, je suis incapable de le dire.
Jean-René Huguenin à la date du mardi 25 février 1958, dans son Journal, écrit :
« 1° Me dépouiller de mon artifice.
2° M’interdire de ronronner.
3° Ne jamais m’aimer tel que je suis.
4° Ne pas utiliser les restes.
Hier soir, une terrible bouffée de mépris pour moi m’a longtemps empêché de dormir. Des choses que j’ai écrites, ici même — et avec quelle complaisance ! —, sur ma grandeur d’âme, mon courage, la beauté de mon cœur, me sont apparues comme des monstruosités.
Depuis quelques jours je suis soulevé, emporté en avant malgré moi par je ne sais quelle exigence. Le mot de Valéry : "Ne se fixer que des buts impossibles" !
On se tue à se regarder.
Aimer sa souffrance — pas ses larmes.
Les gens vraiment forts savent toujours qu’ils ne le sont pas assez.
Peut-être même faut-il faire machine arrière. Avec le peu de temps que j’ai, tout est compromis.
Ah, bon élève, bon élève ! Que n’ai-je tué plus tôt le bon élève en moi !
Tout rebâtir sur l’amour du monde. Tout rebâtir sur la vanité du monde.
C’en est fini des principes ! Il n’y a plus de principes, il n’y a plus de morale, il n’y a plus de sagesse. Ajouter en enlevant.
Un certain sens de l’honneur — celui que j’ai, je crois — n’est pas — Dieu merci ! — moral.
Je n’ai de morale que contre moi.
Il y a du bourgeois en moi. Je me suis resté imbécilement fidèle, comme si je m’étais épousé.
De croire que je croyais en Dieu m’a fait plus de mal que le blasphème.
C’est un gouffre où je me jette, je sais bien. Qu’arrivera-t-il ? C’est le moment ou jamais de montrer que je n’ai pas peur de la mort, de n’importe quelle mort.
Je crois en Dieu, mais pas comme je croyais. »
Il a 24 ans. Il brûle.
Le lundi 29 septembre de la même année :
« 80 % de oui à de Gaulle. 80 % de oui à l’honneur, à la grandeur, à la force. Même si de Gaulle est un grand âne prétentieux, 80 % de Français ont répondu oui à ce qu’il a su magnifiquement symboliser : la tradition d’une France héroïque et généreuse. 80 % de Français ont dit non à Faye et aux Éditions du Seuil, à Bresson et à Vadim, aux intellectuels de gauche et à l’impuissance, à l’ennui, à l’indécision, à la mauvaise conscience. Ce qu’on attend de la politique on l’attend aussi du roman : de grandes aventures, de la passion, le goût de vivre. Je suis sûr, je suis passionnément sûr que je parle le langage de demain. »
Et à 20 ans, le vendredi 26 octobre 1956 :
« Révolution en Pologne, insurrection en Hongrie ! La Syrie, la Jordanie, le Liban, le Maroc unis dans la haine de la France, alors qu’à Budapest on chante La Marseillaise !
Ah, Français, il y a là de quoi vous faire flamber le sang ! Amollis, endormis dans l’indifférence, il est temps de vous réveiller, de brûler. Un peuple, comme un homme, a besoin d’être haï et de haïr. La haine du monde arabe doit nous relever, nous dresser, nous brûler. C’est le moment ou jamais d’être fort. Il faut profiter de la haine des autres. Le monde, en ce moment, bouillonne. Que les cœurs, que le sang jaillissent ! Les grands coupables sont ceux qui manquent une occasion de combattre. »
À la date du mardi 2 décembre 1958 :
« Vu hier après-midi Ph. Sollers. Nous avons parlé de choses tellement importantes et intimes (« passion-détachement ») que tout à coup, d’un accord tacite, nous nous sommes arrêtés, à la fois humiliés, heureux et effrayés d’une telle ressemblance. Mais sa passion se contemple trop elle-même. Elle n’est pas assez incarnée, héroïque. La mienne repose sur le sacrifice, la sienne sur le plaisir — il a le sacrifice en horreur. Il lui manque quelque chose, un poids, du tragique, un rêve, son intelligence éclaire tout, elle ne respecte pas ces grands repaires d’ombre où notre mystère se tapit, il explique trop ; il n’inquiète pas. Il est lisse et lumineux, et on a l’impression que son bonheur ne cache pas de blessures, c’est un bonheur propre et sans charme, dur comme un bonheur d’enfant. J’aime mieux les êtres qui saignent. J’aime les forts au regard tremblant — tremblant d’amour...
— Quand je pense que j’ai à peu près complètement perdu quatre mois de ma vie, le tiers de toute une année, peut-être le centième de mon existence, j’ai le vertige.
— Que je suis devenu lourd et lent à m’émouvoir ! Oh, retrouver la grâce de m’émerveiller d’un rien ! Comment ai-je pu à ce point me trahir, oublier ma passion de la noblesse, me vulgariser, c’est-à-dire me mettre à la portée de tous — car tout le mal vient de là, pas de bonheur qui ne soit singulier, pas de joie sans refus monstrueux.
Je suis plus que jamais persuadé d’une chose : on ne peut pas à la fois aimer et être faible. « Nulle grandeur qui n’inspire la terreur, dit Nietzsche. Qu’on ne s’y laisse pas tromper ! »
— « Se constituer par toute espèce d’ascétisme une réserve de puissance et la certitude de sa force » ( N.) »
Tiens ! "N." !
Mais le lundi 16 février 1959, à propos de Philippe Sollers :
« Il manque à Sollers le sens du tragique, le goût du vatout, des grandes folies, du désespoir. C’est déjà un homme de lettres. Je cherche en vain des êtres brûlants. Coudol est décidément impossible. Tous mesurés, conscients. Il n’y a plus de fous. C’est étrange avec quelle facilité les autres excitent mon mépris, parfois ma haine même. Ah, mon Dieu, faites-moi connaître des imprudents ! »
Et ces sentences, le lundi 2 mars 1959 :
« on peut demander de l’amour, de la pitié ; mais on ne saurait demander le respect : ou on le force, ou on ne le mérite pas. La volonté, ce n’est pas se contraindre, mais s’obéir. Il n’y a pas un instant de notre vie où nous ne sachions ce que nous devons faire. »
Et ça, à la date du mercredi 1er février 1961 :
« Si j’ai raté, depuis novembre, tant d’occasions de me "reprendre", si mes réveils, mes contre-attaques ont chaque fois avorté en peu de jours, c’est que je me contentais de modifier mes attitudes. Jamais je n’ai aussi vivement senti la nécessité de remettre en question non pas mon caractère, ma personnalité, mais ce qui les détermine : ma conception du monde. Il s’agit de réinventer Dieu.
— Seuls les hommes de volonté résisteront à la civilisation moderne.
— Créer les conditions d’un nouvel héroïsme. Attaquer, par tous les moyens possibles, la civilisation bourgeoise. Restaurer la Douleur.
— C’est Dieu, ce Dieu auquel je crois : le Dieu des forts, le Dieu des héros, qui m’envoie ce livre de Massis sur Maurras et son temps. Devant tant de passion, de force et de foi, la médiocrité de notre époque, la tiédeur de ma vie me terrassent de honte. Ah, il est vraiment temps de "faire face", selon le mot du cher Bernanos.
— Il suffit de croire à l’existence de l’âme pour être, dans le monde moderne, un héros.
— Assez de concessions ! Guerre sans merci aux tièdes, aux esthètes du Nouveau Roman, aux prêtres de gauche, aux bourgeois, aux « jeunes gens du monde », à tous les médiocres, les arrangeurs, les négociateurs de compromis entre la Science et l’Art, la matière et l’esprit, Karl Marx et Dieu, l’argent et l’âme !
Ce que je désire ? Simplement construire un monde qui me convienne. »
Le mardi 19 septembre 1961 :
« En fin de compte, il est plus beau de supporter ses passions que d’essayer de les rejeter. Il faut s’exposer le plus possible. S’exposer le plus possible et, douloureux, angoissé, menacé, s’offrir encore à d’autres menaces, à d’autres blessures, avec une curiosité superbe. »
Journal – Jean-René Huguenin
La jeunesse écarlate. Je l’imagine très bien, nocturne face à ses livres, face à sa page, les muscles tendus, l’inquiétude tenace. Les tempes auréolées par le feu de la fièvre. Possédé par la nécessité de dire. Confronté à son manque de discipline, car c’est un âge où l’on ne devrait pas être sérieux. Il y a dans ce qu’il écrit l’appel d’une Force, une injonction intraitable qui le confronte à sa plaie. Il se brûle les poumons de nicotine et il fronce les sourcils, comme sur cette photo trop rare, avant d’affirmer, par son écriture transportée, ce qui incombe, ce qui tombe sous le sens par son aigu scalpel.
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19/01/2014
Denis Tillinac : Eloge du Réac
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
Eloge du Réac
L 'autre jour, je croisais Régis Debray, qui est mon voisin de palier, devant les boîtes aux lettres de notre immeuble. Il prenait son courrier. Comme d'habitude, j'ai glissé les prospectus qui engorgeaient ma boîte aux lettres dans celles d'à-côté et j'ai laissé les lettres.
« Tu ne les prends pas? », m'a demandé Régis. « Non, lui ai-je répondu benoîtement, ce sont des factures, donc des emmerdements, ma femme s'en occupera ». Après avoir éclaté de rire, il a hoché la tête. De la morosité attristait son regard. « Tu as de la chance. Un réac peut dire ça, et le faire. Nous, on n'a même pas le droit de le penser ». Par « nous », il entendait les modernes, les branchés ; bref, les gens convenables. Moi, je suis catalogué réac depuis belle lurette. Donc, pas convenable. Qu'est-ce qu'un réac au juste ? Le contraire d'un branché et d'un moderne. L'hérétique de la théologie préchée implicitement par les bulletins paroissiaux que sont devenus la plupart des quotidiens et des hebdos français. Un réac est un dissident de l'ordre moral qui bouquine sans culpabilité au coin du feu tandis que son épouse apprête un fricot dans la cuisine. Après quoi, il déserte le logis conjugal pour aller voir un match avec des copains sans se soucier de la vaisselle. Si l'anatomie d'une minette lui paraît avenante, un réac en dresse le constat à haute voix. C'est du machisme et c'est mal vu, mais ça n'a pas d'importance, un réac est méjugé par définition, et s'en fiche. On le confond à tort avec un boeuf ou un droitier, parce qu'il ose dire comme Chevènement que l'ordre républicain est bafoué dans certaines banlieues et qu'il serait urgent d'y remédier. Ou bien il affirme, comme Régis Debray justement, que trente années de pédagogie soixante-huitarde ont fabriqué en série des semi- analphabètes privés de repères et de morale. Le même Régis Debray a aussi peu de goût que moi pour la plupart des « créations » contemporaines, mais il n'a pas le droit d'avouer le classicisme de ses goûts: un flic intérieur, commis par la langue de bois officielle, le surveille de près. Le seul fait d'avoir émis des réserves sur les offensives américaines contre l'Irak et la Serbie lui a valu la réprobation unanime du haut clergé de la pensée unique. En qualité de réac, je puis affirmer que les Américains, en ces deux occurrences, se sont fourvoyés, et nos autorités avec. Pire: je prétends qu'au Kosovo, sous le faux règne de la KFOR, ce sont surtout les Serbes qu'il faut plaindre. En écrivant cela, je crois voir les modernes bigots pincer le bec: le bon parti des bien- pensants, c'est l'UCK.
En vacances, un réac a le droit de glander, de draguer, de jouer au foot où de se faire des apéros à perte de temps. Un branché se croit tenu de donner dans le « culturel », il se tape une kyrielle de festivals, concerts, visites guidées, etc. Un réac intello est dispensé de colloques, de pétitions et de manifs. Le reste à l'avenant. Un réac jouit de tant de privilèges que j'ai de la compassion pour les spectateurs innombrables du puritanisme « politiquement correct ». Le plus précieux de ces privilèges, c'est tout simplement la liberté. Y compris celle de vivre ses ambivalences à coeur ouvert. Prolo ou bobo, le branché est corseté dans un uniforme mental; sa pensée, sa sensibilité sont formatées par les normes au demeurant variables de la modernité. Variables mais strictes. La fluidité sied au réac. Par exemple, je suis plutôt conservateur sur le registre de la culture, permissif en matière de moeurs (sauf pour la drogue) mais aussi hostile au capitalisme mondialisé que Bové et Laguiller réunis. Evidemment, toute insoumission a un prix. Un écrivain réac est mal barré s'il rêve d'avoir le Goncourt ou d'entrer à l'Académie. Grâce au ciel, il y a des rêves plus chatoyants dans la besace de mon imagination.
Denis TILLINAC, Ce qui reste des jours
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Matrice
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« Nous allons mettre l’Homme à la place de Dieu, et régner en maîtres sur le Royaume de la Terre » — voici ce que dit en gros, je cite de mémoire, un des personnages des Possédés, de Dostoïevski. C’est souvent ainsi qu’on a traduit la pensée de Nietzsche, ce qui a conduit bon nombre d’exégètes nécessiteux à oser la qualifier de « nihiliste ». Elle l’aurait certes été si elle avait suivi l’imperturbable et stupide logique sur laquelle des projets tels que ceux des personnages des Possédés sont érigés, mais Nietzsche savait que de telles perspectives conduisent au suicide, quand elles ne sont pas instaurées par lui, ou son désir, ce que nous conte précisément Dostoïevski dans son roman. Nietzsche pensait avec justesse que seul un surmontement de l’homme lui-même pourrait compenser avec efficience la mort de Dieu, crime dont l’homme se rendit coupable avec le christianisme, événement qui ne devint visible, accessible à la conscience historique des peuples qu’avec le rationalisme positiviste des XVIIIe et XIXe siècles. Désormais privé de Dieu, l’Homme, après avoir épuisé tous les substituts disponibles, continue la farce : il s’institue lui-même Totalité, prend la place de l’Ancien Dieu, et tel un esclave parfaitement consentant, continue son œuvre culpabilisatrice. Pour Nietzsche, les tentatives « totalitaires » et pseudo-politiques de type nihilistes ou anarchistes n’étaient au final que les ultimes avatars des mêmes perspectives morales, des mêmes évaluations qui avaient présidé à l’instauration d’un Dieu mort sur la croix pour racheter les fautes de l’humanité. Car, comme Deleuze le pointe avec lucidité dans son opuscule sur le philosophe, ce qui compte en effet, c’est la manière dont le drame se poursuit dans l’inconscient. Là où s’agite le théâtre de nos désirs, et de nos métaphysiques. Désormais sans Dieu, l’homme accède à sa liberté et à sa puissance, mais incapable d’en faire un acte positif et réellement libre, un acte artistique et fondateur, il voit cette même liberté et cette même puissance se dissoudre dans l’évaluation négative et « révolutionnaire » de l’homme total, jusqu’à la tyrannie et l’impuissance, la tyrannie de l’impuissance. Car Nietzsche connaissait tout le potentiel autodestructeur d’un tel rapprochement : les deux termes, humanité et totalité, s’annulent instantanément et plus sûrement encore que matière et antimatière. L’Homme n’est tout simplement pas prêt pour cette mutation. Il est une matrice, dans l’attente de la douloureuse et libératoire Séparation qui la conduira au-delà d’elle-même. »
Maurice G. Dantec, Le Théâtre des Opérations, Journal Métaphysique et Polémique - 1999
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18/01/2014
Pierre Boutang & George Steiner : "Antigone" et "Le Sacrifice d'Abraham"
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Pierre Boutang et George Steiner ont partagé une grande passion intellectuelle, une amitié autour de disputes philosophiques constantes, au-delà de leurs différences évidentes. Nous avons là, probablement, les deux derniers représentants d'une amitié possible par-delà de profonds désaccords. Des aliens dans la France d'aujourd'hui qui exige une "pensée politiquement correcte" de la part de ses citoyens, mais aussi de la part de ses intellectuels.
Faites-vous violence, armez-vous un instant de discipline et savourez ces dialogues. Voyez le respect dans le débat, la force de l'éloquence chez l'un et chez l'autre, l'intelligence des arguments, la noblesse de la confrontation ! Que les plus vieux se souviennent que des échanges de ce niveau furent possibles, jadis, à la télévision, que les plus jeunes l'apprennent, et que tous réalisent l'étendu du désastre.
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A pig in a cage on antibiotics
=--=Publié dans la Catégorie "PARENTHÈSE"=--=
« Choose life. Choose a job. Choose a career. Choose a family. Choose a fucking big television, Choose washing machines, cars, compact disc players, and electrical tin can openers. Choose good health, low cholesterol and dental insurance. Choose fixed-interest mortgage repayments. Choose a starter home. Choose your friends. Choose leisure wear and matching luggage. Choose a three piece suit on hire purchase in a range of fucking fabrics. Choose DIY and wondering who the fuck you are on a Sunday morning. Choose sitting on that couch watching mind-numbing spirit-crushing game shows, stuffing fucking junk food into your mouth. Choose rotting away at the end of it all, pissing your last in a miserable home, nothing more than an embarrassment to the selfish, fucked-up brats you have spawned to replace yourself. Choose your future. Choose life... But why would I want to do a thing like that? I chose not to choose life : I chose something else. And the reasons ? There are no reasons. Who needs reasons when you've got heroin ? »
« Choisis la vie. Choisis un boulot. Choisis une carrière. Choisis une famille. Choisis une putain de grosse télé, choisis des machines à laver, des bagnoles, des platines laser, des ouvre-boîtes électroniques. Choisis une bonne santé, un faible taux de cholestérol et une bonne mutuelle pour tes dents. Choisis les prêts à taux fixe. Choisis un petit pavillon. Choisis tes amis. Choisis un survet’ et le sac qui va avec. Choisis un canapé avec les deux fauteuils, le tout à crédit avec un choix de tissu de merde. Choisis le bricolage le dimanche matin en te demandant, putain !, qui tu es. Choisis de t’affaler sur ce putain de canapé, en te lobotomisant aux jeux télé débiles et en te bourrant de junk food. Choisis de pourrir à l’hospice et de finir en te pissant dessus dans la misère en réalisant que tu fais honte aux enfants niqués de la tête que t'as pondus pour qu’ils te remplacent. Choisis ton avenir. Choisis la vie. Pourquoi je ferais une chose pareille ? J’ai choisis de ne pas choisir la vie. J’ai choisi autre chose. Les raisons ? Y’a pas de raison. On n’a pas besoin de raisons quand on a l’héroïne. »
« Now I've justified this to myself in all sorts of ways. It wasn't a big deal, just a minor betrayal. Or we'd outgrown each other, you know, that sort of thing. But let's face it, I ripped them off - my so called mates. But Begbie, I couldn't give a shite about him. And Sick Boy, well, he'd have done the same to me, if he'd only thought of it first. And Spud, well okay, I felt sorry for Spud - he never hurt anybody. So why did I do it? I could offer a million answers - all false. The truth is that I'm a bad person. But, that's gonna change - I'm going to change. This is the last of that sort of thing. Now I'm cleaning up and I'm moving on, going straight and choosing life. I'm looking forward to it already. I'm gonna be just like you. The job, the family, the fucking big television. The washing machine, the car, the compact disc and electric tin opener, good health, low cholesterol, dental insurance, mortgage, starter home, leisure wear, luggage, three piece suite, DIY, game shows, junk food, children, walks in the park, nine to five, good at golf, washing the car, choice of sweaters, family Christmas, indexed pension, tax exemption, clearing gutters, getting by, looking ahead, the day you die. »
« more productive
comfortable
not drinking too much
regular exercise at the gym (3 days a week)
getting on better with your associate employee contemporaries
at ease
eating well (no more microwave dinners and saturated fats)
a patient better driver
a safer car (baby smiling in back seat)
sleeping well (no bad dreams)
no paranoia
careful to all animals (never washing spiders down the plughole)
keep in contact with old friends (enjoy a drink now and then)
will frequently check credit at (moral) bank (hole in wall)
favours for favours
fond but not in love
charity standing orders
on sundays ring road supermarket
(no killing moths or putting boiling water on the ants)
car wash (also on sundays)
no longer afraid of the dark
or midday shadows
nothing so ridiculously teenage and desperate
nothing so childish
at a better pace
slower and more calculated
no chance of escape
now self-employed
concerned (but powerless)
an empowered and informed member of society (pragmatism not idealism)
will not cry in public
less chance of illness
tires that grip in the wet (shot of baby strapped in back seat)
a good memory
still cries at a good film
still kisses with saliva
no longer empty and frantic
like a cat
tied to a stick
that's driven into
frozen winter shit (the ability to laugh at weakness)
calm
fitter, healthier and more productive
a pig
in a cage
on antibiotics »
01:40 Publié dans Parenthèse | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
17/01/2014
La passivité intellectuelle, la confusion et l'amnésie collective
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« Une critique pertinente de la conception dominante de l'éducation éclairée — de l'analyse dominante du processus de "modernisation" — doit ainsi se développer autour de deux axes. Le premier consiste à mettre en évidence la persistance de ces formes de particularisme supposées désuètes — liens familiaux, religion, conscience ethnique, nationalisme noir — qui n'ont pas seulement fait preuve de leur résistance au melting pot, mais continuent d'apporter aux gens des ressources psychologiques et spirituelles indispensables à une citoyenneté démocratique, ainsi qu'une façon de voir les choses véritablement cosmopolite, par opposition au point de vue déraciné, désorienté, si souvent synonyme, aujourd'hui, d'émancipation intellectuelle. Le second axe doit permettre d'expliquer pour quelles raisons la culture de masse, uniformisée, des sociétés modernes n'engendre en aucun cas une mentalité éclairée et indépendante, mais, au contraire, la passivité intellectuelle, la confusion et l'amnésie collective. »
Christopher Lasch, Culture de masse ou culture populaire
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Sous Contrôle...
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Rosa Parks...
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A quels enfants allons-nous laisser le monde ?
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« Comme certaines représentations dans les rêves sont le produit d’un compromis entre la perception d’une réalité physique qui tend à interrompre le sommeil et le désir de continuer à dormir, l’idée d’une civilisation à défendre, aussi environnée de périls qu’on veuille bien l’admettre, est encore rassurante : c’est le genre de calmant que vendent mensuellement les démocrates du Monde diplomatique, par exemple. Parmi les choses que les gens n’ont pas envie d’entendre, qu’ils ne veulent pas voir alors même qu’elles s’étalent sous leurs yeux, il y a celles-ci : que tous ces perfectionnements techniques, qui leur ont si bien simplifié la vie qu’il n’en reste presque plus rien de vivant, agencent quelque chose qui n’est déjà plus une civilisation ; que la barbarie jaillit comme de source de cette vie simplifiée, mécanisée, sans esprit ; et que parmi tous les résultats terrifiants de cette expérience de déshumanisation à laquelle ils se sont prêtés de si bon gré, le plus terrifiant est encore leur progéniture, parce que c’est celui qui en somme ratifie tous les autres. C’est pourquoi, quand le citoyen-écologiste prétend poser la question la plus dérangeante en demandant : "Quel monde allons-nous laisser à nos enfants ?", il évite de poser cette autre question, réellement inquiétante : "A quels enfants allons-nous laisser le monde ?" »
Jaime Semprun, L’abîme se repeuple
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16/01/2014
Solidarité à la Madoff
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Au milieu des orages de son âme
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« Cette façon de s’arrêter court, au milieu des orages de son âme, pour faire des additions, c’était toute sa vie. Dans le métro, les gens la regardaient : la tristesse se voit sur vous comme un vêtement. Elle se sentait pleine de pitié, toute bonté et faiblesse et abandon ; elle offrit sa place – réflexe inconscient, car elle ne voyait rien – à un vieillard resté debout. Elle changea de métro dans un état d’égarement, horrifiée par ces dédales, ces courses vers un portillon automatique qui se referme sous un bétail, comme si vous étiez un troupeau de porcs qui sériaient des machines, dans une usine d’Amérique ; et elle crut s’évanouir en descendant de la voiture : la fatigue sans nom, la tension d’esprit, la nuit blanche, et elle n’avait pas déjeuné : il lui semblait qu’elle n’était soutenue que par la force des battements de son cœur. Ses paupières étaient douloureuses. Toute son inquiétude, et son trouble, semblaient s’être concentrés dans cette douleur des globes des yeux. Au comptoir d’un bistrot, elle se fit servir un café, malgré sa peur d’être prise pour une grue. Des ouvriers étaient massés contre le comptoir. Elle dut rester derrière eux, allongeant le bras, entre deux hommes, pour saisir son verre. Mais il fallait cela : elle s’imaginait que, sans ce café, elle n’eût pu rester debout. Soudain, un des ouvriers lui sourit, et ce sourire fit tomber sa peine. Cela ne dura qu’un instant : dehors, sa peine se regonfla. »
Henry de Montherlant, Les jeunes filles
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Une idée soviétique...
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15/01/2014
L’esprit humain regorge de passions ; il en a à revendre
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« L’esprit humain regorge de passions ; il en a à revendre (…) ; mais ce malheureux esprit, dont la dépravation naturelle est aussi grande que son aptitude soudaine, quasi paradoxale, à la charité et aux vertus les plus ardues, est fécond en paradoxes qui lui permettent d’employer pour le mal le trop-plein de cette passion débordante. Il ne croit jamais se vendre en bloc. Il oublie, dons son infatuation, qu’il joue à plus fin et plus fort que lui, et que l’Esprit du Mal, même quand on ne lui livre qu’un cheveu, ne tarde pas à emporter la tête. »
Charles Baudelaire, Les Paradis Artificiels
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Idées Obligatoires...
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Il faut évidemment se demander tout d'abord ce que c'est que le citoyen...
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« Il faut évidemment se demander tout d'abord ce que c'est que le citoyen, puisque les citoyens, en certain nombre, sont les éléments mêmes de l'État. Ainsi, recherchons en premier lieu à qui appartient le nom de citoyen et ce qu'il veut dire, question souvent controversée et sur laquelle les avis sont loin d'être unanimes, tel étant citoyen pour la démocratie, qui cesse souvent de l'être pour un État oligarchique. Nous écarterons de la discussion les citoyens qui ne le sont qu'en vertu d'un titre accidentel, comme ceux qu'on fait par un décret. On n'est pas citoyen par le fait seul du domicile ; car le domicile appartient encore aux étrangers domiciliés et aux esclaves. On ne l'est pas non plus par le seul droit d'ester en justice comme demandeur et comme défendeur ; car ce droit peut être conféré par un simple traité de commerce. Le domicile et l'action juridique peuvent donc appartenir à des gens qui ne sont pas citoyens. Tout au plus, dans quelques États, limite-t-on la jouissance pour les domiciliés on leur impose, par exemple, de se choisir une caution ; et c'est une restriction au droit qu'on leur accorde.
Les enfants qui n'ont pas encore atteint l'âge de l'inscription civique, et les vieillards qui en ont été rayés sont dans une position presque analogue : les uns et les autres sont bien certainement citoyens ; mais on ne peut leur donner ce titre d'une manière absolue, et l'on doit ajouter pour ceux-là qu'ils sont des citoyens incomplets ; pour ceux-ci, qu'ils sont des citoyens émérites. Qu'on adopte, si l'on veut, toute autre expression, les mots importent peu ; on comprend sans peine quelle est ma pensée. Ce que je cherche, c'est l'idée absolue du citoyen, dégagée de toutes les imperfections que nous venons de signaler. A l'égard des citoyens notés d'infamie et des exilés, mêmes difficultés et même solution.
Le trait éminemment distinctif du vrai citoyen, c'est la jouissance des fonctions de juge et de magistrat. D'ailleurs les magistratures peuvent être tantôt temporaires, de façon à n'être jamais remplies deux fois par le même individu, ou bien limitées, suivant toute autre combinaison ; tantôt générales et sans limites, comme celles de juge et de membre de l'assemblée publique.
On niera peut-être que ce soient là de véritables magistratures et qu'elles confèrent quelque pouvoir aux individus qui en jouissent ; mais il nous paraîtrait assez plaisant de n'accorder aucun pouvoir à ceux-là même qui possèdent la souveraineté. Du reste, j'attache à ceci peu d'importance ; c'est encore une question de mots. La langue n'a point de terme unique pour rendre l'idée de juge et de membre de l'assemblée publique ; j'adopte, afin de préciser cette idée, les mots de magistrature générale, et j'appelle citoyens tous ceux qui en jouissent. Cette définition du citoyen s'applique mieux que toute autre à ceux que l'on qualifie ordinairement de ce nom. »
Aristote, Politique
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Quand on crie de cette manière : "Liberté !"
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« J’entends parler de nouveau de liberté. A grands cris. C’est mauvais signe. Quand on crie de cette manière : "Liberté !" en général, ce que l’on souhaite, c’est l’inverse. »
Reinaldo Arenas, Traître, in Adiós a Mamá
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14/01/2014
Cette alluvion énigmatique blutée par les siècles qu’il sait de naissance être la littérature
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« Et voici qu’il se prend à considérer avec un vague sentiment de malaise cette alluvion énigmatique blutée par les siècles qu’il sait de naissance être la littérature, et qui repose sur ses étagères en petits blocs duveteux de poussière, couleur de limon séché, par où ils signifient qu’ils nous ont été apportés par un déluge (car elle coule ferme, la littérature) et qu’ils sont là parce qu’entre tous ils fertilisent. Mais est-ce si sûr ? Combien encore là-dedans qui portent la vie, qui la donnent ? La mort ne fait pas grâce pour toujours. Il y a des volumes qui sont tièdes encore sous les doigts comme une chair recrue d’amour, comme si le sang battait sous la peau fine, et aussi chaque nuit, dans le silence des grandes bibliothèques, il y a un livre glorieux dont vacille dans le noir et s’éteint pour toujours la petite lumière, mais sans qu’on le sache encore, comme nous parvient après des siècles la nouvelle de l’extinction d’une étoile. »
Julien Gracq, La Littérature à l’estomac
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Quand nous nous sommes une fois "fait une idée" d’un écrivain...
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« Quand nous nous sommes une fois "fait une idée" d’un écrivain (et tout l’effort de notre critique écrite et parlée vise à ce qu’une telle sclérose intervienne très vite), nous devenons paresseux à en changer – nous marchons en terrain sûr et nous lisons de confiance, d’un œil dressé d’avance à ramener les hauts et les bas, les accidents singuliers de ce qui s’imprime, à la moyenne d’une "production" sur laquelle nous savons à quoi nous en tenir. »
Julien Gracq, La Littérature à l’estomac
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Il n’est pas assez coiffé du genre humain
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« Quiconque a passé son enfance chez les chrétiens, plus tard, chaque fois qu’il sera lâche, il y a de grandes chances pour que ce christianisme remonte en lui ; jusqu’au jour où, de toute la puissance de son âge mur, il aura éliminé définitivement le poison. Costals ne hait pas le christianisme. Pour qu’il haïsse cette croyance, il faudrait qu’elle eût contaminé un être qu’il aime. Or, tous ceux qu’il aime en sont indemnes. Quant à la haïr d’être la religion des "ennemis du genre humain" (Tacite), il n’est pas assez coiffé du genre humain pour cela. Le christianisme, il le méprise, sans plus. »
Henry de Montherlant, Les lépreuses
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Symbol of Hope and Freedom...
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13/01/2014
Ceux qui tendent des pièges au grand nombre
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« Ce sont des destructeurs ceux qui tendent des pièges au grand nombre et qui appellent cela un État : ils suspendent au-dessus d’eux un glaive et cent appétits. »
Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra
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Le fruit de votre travail...
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Marginalité sociale intégrée
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
Intéressante analyse de Michéa, sauf que ça n'est pas le Capitalisme ni le Libéralisme qui sont les responsables de cette sinistre situation, mais bel et bien une idéologie souterraine gauchiste qui s'appuierait sur n'importe quel système porteur afin de faire aboutir ses idées "progressistes", quitte à utiliser des éléments du libéralisme et du capitalisme pour toucher aux buts qui sont les siennes.
« À la question posée, il convient donc de répondre clairement que si la Caillera est, visiblement, très peu disposée à s'intégrer à la société, c'est dans la mesure exacte où elle est déjà parfaitement intégrée au système qui détruit cette société. C'est évidemment à ce titre qu'elle ne manque pas de fasciner les intellectuels et les cinéastes de la classe dominante, dont la mauvaise conscience constitutive les dispose toujours à espérer qu'il existe une façon romantique d'extorquer la plus-value. Une telle fascination intellectuelle pour la "fièvre généreuse du délinquant" (Foucault) serait, cependant, difficile à légitimer sans le concours bienveillant de la sociologie d'Etat. Cette étrange sociologie, en effet, afin de conférer aux pratiques, légales et illégales, du système qui l'emploie cette couleur "rebelle" qui les rend à la fois politiquement correctes et économiquement rentables, recourt à deux procédés principaux qui, quand on y réfléchit, sont assez peu compatibles.
Tout d'abord, elle s'efforce d'inscrire ce qu'Orwell nommait "le crime moderne" dans la continuité des délits et des crimes d'autrefois. Or ce sont là deux univers très différents. Le bandit d'honneur des sociétés traditionnelles (le cas des pirates est plus complexe) puisait sa force et sa légitimité historique dans son appartenance à une communauté locale déterminée ; et, en général, il s'en prenait d'abord à l'État et aux divers possédants. Le délinquant moderne, au contraire, revendique avec cohérence la froide logique de l'économie pour "dépouiller" et achever de détruire les communautés et les quartiers dont il est issu. Définir sa pratique comme "rebelle", ou encore comme une "révolte morale" (Harlem Désir) voire, pour les plus imaginatifs, comme "un réveil, un appel, une réinvention de l'histoire" (Félix Guattari), revient, par conséquent, à parer du prestige de Robin des Bois les exactions commises par les hommes du Sheriff de Nottingham. Cette activité peu honorable définit, en somme, assez bien le champ d'opérations de la sociologie politiquement correcte.
Quant au second procédé, il consiste à présenter l'apparition du paradigme délinquant moderne - et notamment son rapport très spécifique à la violence et au plaisir qu'elle procure - comme l'effet mécanique de la misère et du chômage et donc, à ce titre, comme une réponse légitime des exclus à leur situation. Or s'il est évident que la misère et le chômage ne peuvent qu'accélérer en retour la généralisation du modèle délinquant moderne, aucun observateur sérieux - ou simplement honnête - ne peut ignorer que ce modèle a d'abord été célébré dans l'ordre culturel, en même temps qu'il trouvait ses bases pratiques dans la prospérité économique des "trente Glorieuses". En France, par exemple, toutes les statistiques établissent que le décollage des pratiques délinquantes modernes (de même que la constitution des mythologies de la drogue) a lieu vers 1970, tandis qu'en Allemagne, au Danemark et aux Pays-Bas il est perceptible dès 1964-1965. Expliquer le développement de la délinquance moderne (développement qui, dans un premier temps - on s'en souvient - avait été tenu par la sociologie officielle pour un pur "fantasme" des classes populaires) comme un effet conjoncturel du chômage est évidemment une procédure gagnante pour le système capitaliste. D'une part, elle conduit à présenter la "reprise économique" - c'est-à-dire l'aide accrue de l'État aux grandes firmes - comme la clé principale du problème ; de l'autre, elle dispense d'interroger ce qui, dans la logique même du capitalisme de consommation, et la culture libérale-libertaire qui lui correspond, détermine les conditions symboliques et imaginaires d'un nouveau rapport des sujets à la Loi. »
Jean-Claude Michéa, L'enseignement de l'ignorance
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Le centre de la personne vivante
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« L’amour ne sélectionne pas de caractères, il adopte la personne tout entière par une élection massive et indivise. L’amour ne veut rien savoir sur ce qu’il aime ; ce qu’il aime c’est le centre de la personne vivante, parce que cette personne est pour lui une fin en soi, ipséité incomparable, mystère unique au monde. J’imagine un amant qui aurait vécu toute sa vie auprès d’une femme, qui l’aurait aimée passionnément, et ne lui aurait jamais rien demandé et mourrait sans rien savoir d’elle. Peut-être parce qu’il savait depuis le commencement tout ce qu’il y avait à savoir. »
Vladimir Jankélévitch et Béatrice Berlowitz, Quelque part dans l’inachevé
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