Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

22/04/2015

Le monde n’est pas fait pour les anges

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Tu ne sais rien du monde, tu n’en veux rien savoir, c’est tellement plus simple ! Ta mère prétendait déjà marcher à travers les chemins boueux avec la petite pantoufle de Cendrillon. Oui, il fallait que tu l’apprisses un jour ou l’autre, le monde n’est pas fait pour les anges. Je suis un catholique irréprochable, j’ai consacré une partie de ma vie à l’histoire de l’Eglise et je dis : le monde n’est pas fait pour les anges. J’ajoute même : tant pis pour les anges qui s’y hasardent sans précaution ! »

Georges_Bernanos, La Joie

 

16:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Le massacre joyeux des crétins, des traîtres, des routines, des conventions...

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Drieu la Rochelle disait que l’Action Française avait créé le mouvement littéraire le plus important d’Europe, avec celui de la Nouvelle Revue Française, pendant le premier tiers du XXe siècle. L’Action Française a groupé en effet autour de Charles Maurras, quelques-uns des meilleurs écrivains de notre temps et, tout d’abord, Léon Daudet (1868- 1er juillet 1942). A vrai dire, Léon Daudet a un peu trop ébloui ses contemporains par ses dons jupitériens de polémiste, par le massacre joyeux des crétins, des traîtres, des routines, des conventions et des dessus de pendule auquel il se livrait chaque matin. Léon Daudet, qui avait été élevé dans l’entourage de son père, Alphonse, par la IIIe République naissante, devint promptement un homme populaire dont les faits et gestes se trouvaient guettés avec une égale avidité par ses amis et ses adversaires. L’éclat de sa vie publique a un peu nui à sa réputation d’écrivain. Il est vrai que son évasion de la Santé a été un moment savoureux dans l’histoire de la IIIe République. Mais Léon Daudet député, Léon Daudet duelliste, Léon Daudet exilé, Léon Daudet grand orateur et grand politique n’est pas l’homme qui nous retient ici. Au delà du vivant déchaîné, il faut voir l’écrivain dont on n’a pas toujours compris la valeur...
La part la plus inégale dans son œuvre est celle du romancier. Il ne faudrait pas cependant la condamner trop vite à l’oubli (...) Mais Léon Daudet critique littéraire n’a pas son pareil. Il se trouve également à l’aise parmi les vivants et parmi les ombres. (...) Avec cela libre, indépendant, ne cherchant jamais à contraindre, toujours prêt à saluer le talent chez ses pires ennemis, dépourvu de tout esprit de parti, mettant son autorité au service du beau avec une générosité inépuisable, Léon Daudet est le premier critique littéraire de son temps. Que dire du mémorialiste ? Il est de la lignée du cardinal de Retz et de Saint Simon. En quatre mots saisissants, d’une cocasserie inimitable, il peint un homme au physique et au moral, lui rendant son souffle, son allure, les plis et la couleur de ses vêtements, ses tics, ses manies et jusqu’au son de sa voix. La série des Souvenirs Littéraires, les deux volumes de Paris Vécu, ouvrages mouvementés, passionnés, pathétiques, pleins d’intelligence, de culture et d’une gigantesque drôlerie, gardent la chaleur de toute une époque, avec ses lumières et ses parfums, ses jours et ses nuits, ses personnages ridicules, falots ou grandioses, et les rues de Paris, le ciel de Paris, tout ce qui fait le plaisir et la douleur de vivre. Chaque mot devient la sensation même. »

Kléber Haedens, Une histoire de la littérature française

 

14:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

L'absence de ce qu'on aime

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« L'attente d'un retour ardemment désiré
Donne à tous les instants une longueur extrême ;
Et l'absence de ce qu'on aime,
Quelque peu qu'elle dure, a toujours trop duré »

Molière, Amphitryon, Acte II, Sc 2

 

12:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Nous, nous ne sommes rien...

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Une jeune fille de douze ans, interpellée par les conversions religieuses de ses copines de classe, qui se découvrent musulmanes, et prennent le voile, interroge sa mère : "Et nous, nous sommes quoi ?". La réponse est simple : "Nous, nous ne sommes rien". C'est la mère, cadre supérieure d'une entreprise bancaire, encore effarée de cet aveu et du vide soudain qu'il creuse, qui rapporte l'histoire au cours d'un séminaire. Elle précise : "Je lui ai dit : 'nous ne sommes rien' pour bien lui faire comprendre que nous étions laïcs, que nous ne dépendions de rien ni de personne, qu'elle était libre." Sans doute. Nous ne sommes rien, libres de faire de nous ce que nous voulons, indéterminés. C'est plus que "l'ère du vide" annoncée par Gilles Lipovetsky, plus que le temps du mépris ou celui du désespoir ; l'incapacité de définir, de désigner et de nommer, qui est aussi l'impossibilité de faire société, et le désarmement de toute stratégie – les tactiques de survie seules peuvent trouver leur place dans un univers indéfini.

J'ai retrouvé d'un coup l'interrogation de toutes celles, et de tous ceux qui, de Madagascar au Montana, et des Philippines à l'Ethiopie, m'ont posé question pour savoir ce que je suis. Tous imaginent que l'ont peut être évangéliste, musulman, copte, bouddhiste, adepte de Zarathoustra, du grand lézard ou du Dieu-Crocodile, mais pas "rien". »

Hervé Juvin, La grande séparation

 

07:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

21/04/2015

La vacuité de l'âme

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Ce n'est pas seulement la vacuité des choses et des êtres qui blesse l'âme, quand elle est en proie à l'ennui ; c'est aussi la vacuité de quelque chose d'autre, qui n'est ni les choses ni les êtres, c'est la vacuité de l'âme elle-même qui ressent ce vide, qui s'éprouve elle-même comme du vide, et qui, s'y retrouvant, se dégoûte elle-même et se répudie. »

Fernando Pessoa, Le livre de l'intranquilité

 

16:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Conversations...

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Les conversations qui ne parlent pas de religion ou d’art sont si basses et si vaines ! »

Joris-Karl Huysmans, Là-Bas

 

14:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Un langage inaccessible

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« La poésie est un langage à part, où le mystère égale le rythme, et d’autant plus inaccessible d’une langue à une autre que, dans un même pays, elle n’est compréhensible qu’à une élite. Si elle sort de celle-ci, c’est par des qualités vulgaires, ou un snobisme. »

Léon Daudet, Journal "L’Action Française" - 17 février 1939

 

12:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Une vérité provisoire

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« La démocratie : une vérité provisoire qui ne dure pas une minute de plus que la majorité qui l’a faite. »

Georges Bernanos, La grande peur des bien-pensants

 

10:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

La puissance grandissante de la pensée à voie unique

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Un signe caractéristique, à première vue tout à fait extérieur, de la puissance grandissante de la pensée à voie unique, c’est – on le remarque partout – l’accroissement du nombre de ces désignations qui consistent à abréger les mots ou à accoler des initiales. Sans doute aucun de ceux qui sont ici présents n’a-t-il encore jamais considéré sérieusement ce qui est déjà accompli lorsqu’au lieu de dire Faculté, vous dites simplement Fac. Fac, c’est comme Ciné. Il est vrai que le cinématographe demeure différent des hautes écoles scientifiques. Cependant la désignation Fac n’est ni fortuite ni inoffensive. Peut-être même est-il dans l’ordre que vous entriez et sortiez de la "Fac" et que vous empruntiez vos livres à la "B.U." La question demeure seulement de savoir quel ordre s’annonce dans la contagion de cette façon de parler ? Peut-être est-ce un ordre dans lequel nous sommes entraînés et auquel nous sommes abandonnés par Cela qui se retire devant nous ? »

Martin Heidegger, Qu’appelle-t-on penser ?

 

07:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Des réceptacles du merveilleux

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Il avait pour principe de traiter les hommes qui nous approchaient comme autant de rares trouvailles découvertes au fil d’un long voyage. Il aimait aussi nommer les hommes les optimates, signifiant par là que tous autant qu’ils sont, ils forment l’aristocratie naturelle de ce monde et que chacun d’eux peut nous apporter l’excellent. Il les concevait comme des réceptacles du merveilleux, et, créatures suprêmes, il leur accordait des droits princiers. Et réellement, je voyais tous ceux qui l’approchaient s’épanouir comme des plantes qui s’éveillent du sommeil hivernal, non point qu’ils devinssent meilleurs, mais parce qu’ils devenaient d’avantage eux mêmes. »

Ernst Jünger, Sur les falaises de marbres

 

05:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Rester libre

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Lorsqu’on pense aux moyens chaque fois plus puissants dont dispose le système, un esprit ne peut évidemment rester libre qu’au prix d’un effort continuel. »

Georges Bernanos, La France contre les robots

 

00:36 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

20/04/2015

L’illusion égalitaire des démagogues

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« L’illusion égalitaire des démagogues est encore plus dangereuse que la brutalité des traîneurs de sabre... Pour l’anarque, constatation théorique, puisqu’il les évite les uns comme les autres. Qu’on vous opprime : on peut se redresser, à condition de n’y avoir pas perdu la vie. La victime de l’égalisation est ruinée, physiquement et moralement. »

Ernst Jünger, Eumeswil

 

16:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Le Chevalier, la Mort et le Diable

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« "Le Chevalier, la Mort et le Diable"... Admirable estampe gravée par Dürer en 1513. L’artiste génial, qui exécuta par ailleurs sur commande tant d’œuvres édifiantes, fait preuve ici d’une liberté confondante et audacieusement provocatrice… En ce temps-là, il ne faisait pas bon ironiser sur la Mort et le Diable, terreur des braves gens et des autres, entretenue par ceux qui en tiraient profit. Mais lui, le solitaire Chevalier de Dürer, ironique sourire aux lèvres, il continue de chevaucher, indifférent et calme. Au Diable, il n’accorde pas un regard. Pourtant, cet épouvantail est réputé redoutable. Terreur de l’époque, comme le rappellent tant de Danses macabres et de rachats d’Indulgences, le Diable est en embuscade pour se saisir trépassés et les jeter dans les brasiers de l’Enfer. Le Chevalier s’en moque et dédaigne ce spectre que Dürer a voulu ridicule. La Mort, elle, le Chevalier la connaît. Il sait bien qu’elle est au bout du chemin. Et alors ? Que peut-elle sur lui, malgré son sablier brandi pour rappeler l’écoulement inexorable de la vie ? Éternisé par l’estampe, le Chevalier vivra à tout jamais dans notre imaginaire au-delà du temps. Solitaire, au pas ferme de son destrier, l’épée au côté, le plus célèbre insoumis de l’art occidental chevauche vers son destin parmi les bois et nos pensées vers son destin, sans peur ni imploration. Incarnation d’une figure éternelle en cette partie du monde appelée Europe.

L’image du stoïque chevalier m’a souvent accompagné dans mes révoltes. Il est vrai que je suis un cœur rebelle et que je n’ai pas cessé de m’insurger contre la laideur envahissante, contre la bassesse promue en vertu et contre les mensonges élevés au rang de vérités. Je n’ai pas cessé de m’insurger contre ceux qui, sous nos yeux, ont voulu la mort de l’Europe, notre civilisation millénaire, sans laquelle je ne serais rien. »

Dominique Venner, Un samouraï d’Occident, Le Brévaire des insoumis

 

12:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Un arpent de géographie fécondé par les larmes de l'Histoire

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« - Ici, c'est un haut lieu, vois-tu.
- Qu'est-ce qu'un haut lieu ? lui dis-je.
- Un haut lieu, dit-il, c'est un arpent de géographie fécondé par les larmes de l'Histoire, un morceau de territoire sacralisé par une geste, maudit par une tragédie, un terrain qui, par-delà les siècles, continue d'irradier l'écho des souffrances tues ou des gloires passées. C'est un paysage béni par les larmes et le sang. Tu te tiens devant et, soudain, tu éprouves une présence, un surgissement, la manifestation d'un je-ne-sais-quoi. C'est l'écho de l'Histoire, le rayonnement fossile d'un événement qui sourd du sol, comme une onde. Ici, il y a eu une telle intensité de tragédie en un si court épisode de temps que la géographie ne s'en est pas remise. Les arbres ont repoussé, mais la Terre, elle, continue à souffrir. Quand elle boit trop de sang, elle devient un haut lieu. Alors il faut la regarder en silence car les fantômes la hantent. »

Sylvain Tesson, Bérézina

 

07:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Savoir...

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« À tous il est permis — dans certaines limites — de parler ; à quelques-uns il est réservé de savoir. »

Julien Gracq, Le Rivage des Syrtes

 

05:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

18/04/2015

Lorsque vous pensez à la France

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Mesdames et messieurs, lorsque vous pensez à la France, si vous ne l’avez jamais vue, ne pensez pas d’abord à ses bibliothèques et à ses musées, mais à ses belles routes pleines d’ombre, à ses fleuves tranquilles, à ses villages fleuris, à ses vieilles églises rurales, six ou sept fois centenaires, à ses villes illustres, toutes ruisselantes d’histoire, mais d’un accueil simple et discret, à nos vieux palais construits si près du sol, en un si parfait accord avec l’horizon qu’un Américain, habitué aux gratte-ciel de son pays, risquerait de passer auprès d’eux sans les voir. Et lorsque vous pensez à notre littérature, pensez-y aussi comme à une espèce de paysage presque semblable à celui que je viens de décrire, aussi familier, aussi accessible à tous, car nos plus grandes œuvres sont aussi les plus proches de l’expérience et du cœur des hommes, de leurs joies et de leurs peines. »

Georges Bernanos, Le Chemin de la Croix-des-Âmes

 

17:33 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (1) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Muette, farouche, dans l'immobilité

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« ...à certaines heures d'un été trop lourd, la nature, au lieu de s'ouvrir et de s'étendre sous la caresse brillante, semble au contraire se replier sur elle-même, muette, farouche, dans l'immobilité, la résignation stupide d'une proie qui a senti se refermer dans son flanc, au point vital, la pince des mâchoires du vainqueur.

Et c'était bien, en effet, à la morsure, à des milliards et des milliards de petites morsures assidues, à un énorme grignotement que faisait penser la pluie raide tombée d'un ciel morne, l'averse des dards chauffés à blanc, l'innombrable succion de l'astre. »

Georges Bernanos, La Joie

 

17:25 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Carnets de jour - Philippe Sollers et Pascal Sevran

=--=Publié dans la Catégorie "PARENTHÈSE"=--=

 

et

 

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

 

 

 

14:20 Publié dans Lectures, Parenthèse | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

11/04/2015

Alain Finkielkraut : "Ma France"

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

École, laïcité, identité, mais aussi Sarkozy, Le Pen, Hollande... Pour "Le Point", le philosophe Alain Finkielkraut porte le fer sur les lâchetés d'aujourd'hui.

 

 

Propos recueillis par JÉRÔME BÉGLÉ, ANNA CABANA, SÉBASTIEN LE FOL ET THOMAS MAHLER

 

« Le Point : "Nous manquons désormais d'ennemi héréditaire pour sacraliser la terre que nous habitons. Sans danger assignable, pas de patrie, pas de conscience nationale, mais un monde atomisé, une société éparpillée en une infinité d'îlots individuels", écriviez-vous dès 1980 dans "Le juif imaginaire". Pensez-vous que l'attaque contre "Charlie Hebdo" et, plus généralement, la menace djihadiste peuvent aujourd'hui revigorer cette conscience nationale ? Qu'avez-vous pensé de la réaction des Français après ces attaques ?

Alain Finkielkraut : Au fanatisme et à la haine meurtrière, les Français ont réagi par un sursaut de fierté culturelle. "Nous sommes le pays de Montaigne et de Voltaire et nous entendons le rester", tel était, par-delà les différences d'opinion et de sensibilité, le message unitaire des manifestations. Mais très vite l'unité a volé en éclats. Dès le 12 janvier, et jusqu'au sommet de l'Etat, certains défenseurs de la République se sont mués en procureurs. Selon le schéma traditionnel de la critique de la domination, les assassins sont devenus les victimes d'un apartheid ethnique, culturel et territorial. Et c'est en vain que Charb a dit : "J'ai moins peur des intégristes religieux que des laïques qui se taisent" – la laïcité doit désormais répondre du délit d'islamophobie. Nous sommes même invités, pour rétablir la cohésion sociale, à une "relaxation des exigences républicaines".

Le Point : Que reste-t-il de l'"esprit Charlie" ?

Alain Finkielkraut : Le 11 janvier, c'était l'affirmation que la France – esprit Charlie inclus – n'est pas négociable. Des voix s'élèvent depuis lors pour dire, au contraire, que la France doit être renégociée et redéfinie à partir de ce qu'elle est aujourd'hui. L'enfant d'immigrés que je suis ne se reconnaît pas dans cette exigence.

Le Point : La France est, selon vous, menacée par la crise de la transmission à l'école et par l'immigration, qui auraient entraîné une "crise du vivre-ensemble". Mais le vrai problème n'est-il pas aujourd'hui économique ?

Alain Finkielkraut : Le vrai problème, ce n'est pas l'économie : c'est l'économisme. Asservis à la raison calculante, nous ne voulons plus rien savoir de la différence ni a fortiori du choc des cultures. Certes, nous célébrons la diversité, mais elle se réduit pour nous à la table mondiale : sushis, pizzas, couscous, tacos et canard laqué. Pour le reste, nous faisons de l'arithmétique, et l'Union européenne croit pouvoir compenser par une "immigration de remplacement" la baisse de fécondité dans les pays du Vieux Continent. Les choses tournent mal, et nous persistons à croire que la crise sera résolue par l'inversion de la courbe du chômage. L'économisme est un somnambulisme. Mais gare à ceux qui veulent réveiller les somnambules. Ils peuvent bien se réclamer de Lévi-Strauss, c'est à Maurras qu'on les assimile.

Le Point : La France n'a-t-elle pas toujours été un pays d'immigration ? Quelle différence par exemple entre les immigrants musulmans d'aujourd'hui et les juifs réfugiés d'Europe orientale du début du XXe siècle, ces "Polaks" que vous avez décrits dans "Le juif imaginaire" ?

Alain Finkielkraut : La France n'a pas toujours été un pays d'immigration. Les afflux importants de population étrangère ont commencé dans le dernier tiers du XIXe siècle. Les historiens contemporains alignent le passé sur le présent en confondant volontairement les migrations intérieures (des Bretons à Paris ou des Corses sur le continent) avec l'immigration proprement dite. Ces historiens ne font plus d'histoire. Ils font, avec la mauvaise foi des bonnes intentions, de l'idéologie. Pour ce qui est des "Polaks", comme vous dites, ils sont arrivés en France remplis d'amour pour "une nation à laquelle on peut s'attacher par le coeur et par l'esprit autant que par les racines", comme l'a dit le "Litvak" Emmanuel Levinas. Et même après la guerre, alors que le destin juif avait fondu sur eux et que Vichy les avait trahis, il ne leur serait jamais venu à l'idée de s'émouvoir qu'il y ait encore des "Français de souche" ou de répudier l'assimilation de la culture française, au nom du droit à la différence. Mon père a été déporté de France, il en est resté marqué, mais j'ai eu la chance insigne de ne pas être élevé dans le ressentiment.

Le Point : Trente ans après sa création, diriez-vous que SOS Racisme a été utile ou contre-productif à la lutte contre le racisme ?

Alain Finkielkraut : Tout a été dit en 1990 par Jean Baudrillard : SOS Racisme – SOS baleines. Ambiguïté : dans un cas, c'est pour dénoncer le racisme, dans l'autre, c'est pour sauver les baleines. Et si, dans le premier cas, c'était aussi un appel subliminal à sauver le racisme ? Pourquoi sauver le racisme ? Parce qu'on aime mieux jouer à se faire peur en ranimant le bon vieil ennemi que faire face à un présent sans précédent. Il faut se méfier des traîtrises du langage. La langue de bois dit en général le contraire de ce qu'elle pense. Elle dit ce qu'elle pense en secret, par une sorte d'humour involontaire. Et le sigle SOS en fait intégralement partie, conclut Baudrillard.

Le Point : Depuis "La défaite de la pensée", vous fustigez "l'idéologie dominante" du "politiquement correct". Or ce "politiquement correct" semble aujourd'hui bien minoritaire. Qui, excepté quelques associations antiracistes et deux ou trois chanteurs, défend encore la "bien-pensance" ? Eric Zemmour a lui-même reconnu que ses idées sont devenues majoritaires dans le pays...

Alain Finkielkraut : Vous vous trompez : tout le showbiz fredonne sans répit la même rengaine bien-pensante, et votre revue des troupes oublie Le Monde, L'Obs, Télérama, Mediapart, Les Inrocks, le magazine Transfuge, ainsi que, de Laurent Mucchielli à Luc Boltanski, l'armée mexicaine des chercheurs en sciences sociales. Malgré ce grand déploiement, le politiquement correct est peut-être moins dominateur qu'il ne l'espérait. Mais ce n'est pas la domination qui le définit, c'est la dénonciation et même la criminalisation de ceux qui refusent d'invoquer, pour penser le présent, les heures-les-plus-sombres-de-notre-histoire, d'utiliser à tout bout de champ l'adjectif "nauséabond" et d'entonner, une nouvelle fois, l'inusable refrain du "ventre encore fécond d'où est sortie la bête immonde". S'il faut en croire les listes noires qui sont les nouveaux marronniers de la presse antifasciste, ces réfractaires se comptent sur les doigts d'une main.

Le Point : Vous continuez à témoigner votre amitié à l'écrivain Renaud Camus, alors qu'il est devenu le théoricien du "Grand Remplacement" après avoir comptabilisé dans son Journal le nombre de "collaborateurs juifs" d'une émission sur France Culture pour en fustiger la "surreprésentation"... Comprenez-vous que cela puisse choquer ?

Alain Finkielkraut : Le politiquement correct est donc bien vivant, puisque me voici sommé de m'expliquer sur mes fréquentations. De quoi Finkielkraut est-il le nom ? "De Renaud Camus", avait déjà répondu, avec la sagacité qu'on lui connaît, Jean Birnbaum dans Le Monde des livres. Renaud Camus, première étape de la reductio ad hitlerum. Je suis sur une pente glissante, il ne tient qu'à moi de revenir en terrain plat. Eh bien, je m'y refuse. Lisez "Du sens" [de Renaud Camus], et vous verrez que l'accusation d'antisémitisme ne tient pas. Si vous voulez une description exacte et belle du monde tel qu'il va, lisez aussi, toutes affaires cessantes, "Les Inhéritiers" ou "La civilisation des prénoms", livres publiés Chez l'auteur. Mais peu importe la beauté, peu importe l'exactitude, peu importe la littérature même, Renaud Camus a, en 2012, appelé à voter Marine Le Pen. Ce crime est inexpiable et fait de lui un écrivain au-dessous du médiocre. Bien que consterné par ce choix électoral, je lui garde mon admiration et j'observe que ceux-là mêmes qui ne lui pardonnent pas de parler de "Grand Remplacement" écoutent bouche bée ces propos de Leonora Miano, Prix Femina 2013, sur un plateau de télévision : "Vous avez peur d'être culturellement minoritaires. Mais ça va se passer. Ça va se passer. Ça s'appelle une mutation. L'Europe va muter. Elle a déjà muté. Il ne faut pas avoir peur. Cette transformation est peut-être effrayante pour certains, mais ils ne seront plus là pour en voir l'aboutissement."

Le Point : N'êtes-vous pas, comme le suggérait Marc Weitzmann dans "Le Point", devenu malgré vous l'allié du Front national et d'une partie de l'extrême droite, qui s'est soudain découvert une passion pour Israël ?

Alain Finkielkraut : Je n'ai rien à voir avec le parti "y-a-qu'à-iste" et poutinien de Marine Le Pen et je combats, comme les antifascistes patentés, la haine de l'Autre et l'esprit de clocher. Mais il ne faut pas se tromper d'époque : ce sont les habitants du village global aujourd'hui qui sont fermés à la différence. Le sentiment d'appartenance et l'identité nationale ne sont pas conformes à leur manière hors-sol d'être et de communiquer, ils les rejettent donc avec horreur. L'étranger, à l'ère numérique, c'est l'autochtone. Il n'y a pas de place sur la planète virtuelle pour les culs-terreux.

Le Point : Vous avez été élu à l'Académie française au fauteuil de l'écrivain Félicien Marceau. Comment le fils de déporté que vous êtes compte-t-il faire l'éloge de cet écrivain, excellent au demeurant, mais qui a été condamné par contumace à quinze ans de travaux forcés pour avoir travaillé à la radio belge pendant les premiers mois de l'occupation allemande ?

Alain Finkielkraut : Personne ne me demande de faire l'éloge de l'attitude de Félicien Marceau pendant la guerre. Mais je ne chercherai pas non plus à être plus résistant que le général de Gaulle, qui, au vu de son dossier, lui a accordé sans hésiter la nationalité française en 1959. De toute façon, ce ne sont pas les procès qu'il intente dans le confort de l'après-coup qui témoignent du courage et de la lucidité d'un homme.

Le Point : Comment avez-vous personnellement vécu cette campagne assez mouvementée ? "C'est le FN qui entre à l'Académie", aurait déclaré un Immortel...

Alain Finkielkraut : Un autre académicien, qui ne me connaît pas, a même dit que j'étais "un être absolument immonde" dans un magazine tout excité de publier cette révélation. Mais cela n'a gâché ni ma joie ni mon étonnement de voir mon nom si difficile à prononcer faire son entrée dans cette compagnie si ancienne. Et Hélène Carrère d'Encausse m'a assuré que j'étais maintenant l'élu de tous. J'ai la naïveté de la croire.

Le Point : On sait que vous n'êtes plus de gauche car, selon vous, "la gauche a trahi sa promesse républicaine". Faut-il comprendre que vous êtes de droite ?

Alain Finkielkraut : A la différence des hommes de 1789 qui voulaient casser l'Histoire en deux et bâtir un monde intégralement neuf, les fondateurs de l'école républicaine se sont pensés comme des héritiers. Ils n'ont pas voulu rompre avec le passé, mais allier la liberté et la fidélité. Aujourd'hui, la gauche met les héritiers en garde à vue pour délit d'initié. Et, soucieuse d'en finir avec l'élitisme, elle fait disparaître le grec et le latin, c'est-à-dire les humanités, de l'enseignement secondaire. La gauche, autrement dit, a pris l'exact contrepied de Marc Bloch, qui écrivait à la veille de la Libération : "Nous demandons un enseignement secondaire très largement ouvert, son rôle est de former des élites, sans acception d'origine ou de fortune. Du moment donc qu'il doit cesser d'être (ou de redevenir) un enseignement de classe, une sélection s'imposera."
Ce langage républicain heurte désormais le sentiment démocratique. A l'heure du combat contre les discriminations, une tout autre conception de l'ouverture prévaut, celle du baccalauréat pour tous et du présentéisme triomphant. Mais l'héritage que la gauche abandonne au nom de l'égalité, la droite s'en débarrasse au nom de l'utilité. Il y a longtemps que je ne crains plus les foudres de la gauche divine. Si j'étais de droite, je le dirais sans hésiter. Seulement voilà : mon parti n'existe pas.

Le Point : "J'ai beaucoup de considération pour Alain Finkielkraut, et je suis bien souvent d'accord avec lui", nous a récemment confié Alain Juppé. Etes-vous juppéiste ?

Alain Finkielkraut : Quand j'ai un accès d'immodestie, je me récite cette phrase du philosophe colombien Nicola Gomez Davila : "L'intellectuel n'oppose pas à l'homme d'Etat l'intégrité de l'esprit mais le radicalisme de l'inexpérience." J'évite ainsi de le prendre de haut avec les responsables politiques. Tiraillés par des impératifs contradictoires, ils doivent rendre des arbitrages difficiles. Et, comme le fossé ne cesse de se creuser entre temps médiatique et temps politique, ils suscitent inévitablement l'impatience et la frustration. Dans cette classe politique soumise de surcroît à la douche glacée du ricanement permanent, Alain Juppé se distingue par son élégance et sa hauteur de vue. Mais je crois que, sur la question du "vivre-ensemble", il succombe à l'angélisme qui est, en règle générale, le péché mignon des intellectuels. Ce n'est pas en niant ou en minimisant, comme il le fait, le phénomène de séparatisme culturel qui se développe dans notre pays qu'adviendra le règne de "l'identité heureuse".

Le Point : Nicolas Sarkozy ne serait-il pas plus proche de votre vision de l'"identité malheureuse" ?

Alain Finkielkraut : L'ancien président de la République est un pragmatique. Son problème, ce n'est pas l'angélisme, c'est la versatilité. Il voulait introduire la diversité dans la Constitution, il est maintenant partisan de l'assimilation. Il prônait une laïcité ouverte, et voici qu'il veut interdire les repas de substitution à l'école. Ces sincérités successives donnent le tournis.

Le Point : Etes-vous d'accord avec lui sur le sujet des cantines ?

Alain Finkielkraut : Maintenant que la plupart des cantines sont en self-service, il est très facile d'éviter aux enfants musulmans d'avoir à manger du porc. Ce qui doit être formellement défendu, en revanche, c'est l'introduction de repas halal ou casher dans les écoles de la République.

Le Point : François Fillon a demandé à vous rencontrer. Le courant est-il bien passé entre vous ?

Alain Finkielkraut : Je n'ai aucun titre à distribuer des bons et des mauvais points. Je dirai simplement que François Fillon me semble prendre le problème du choc des civilisations très au sérieux. Mais ce qu'il partage avec tous les leaders de la droite, c'est un très étrange tropisme poutinien, au moment même où le président russe redécouvre les charmes de l'Empire et adopte une vision complotiste de l'Histoire.

Le Point : Ce culte poutinien ne trahit-il pas une nostalgie française pour l'homme à poigne ?

Alain Finkielkraut : L'actuel président français peine à habiter sa fonction. Poutine est donc d'autant plus admiré par nos bonapartistes qu'il leur apparaît comme l'anti-Hollande.

Le Point : Ce problème d'incarnation suffit-il à expliquer l'échec de François Hollande ?

Alain Finkielkraut : Les socialistes n'étaient pas préparés à l'exercice du pouvoir. L'antisarkozysme leur a tenu lieu de programme de gouvernement. Ils paient cher aujourd'hui cette facilité inaugurale. Et puis, il y a la question de la langue.

Le Point : La langue ?

Alain Finkielkraut : Difficile d'incarner la nation quand on pratique systématiquement le redoublement du sujet. "La France, elle a des atouts." Cette syntaxe sied aux enfants, pas au chef de l'Etat.

Le Point : Vous êtes cruel ! Feriez-vous les mêmes reproches au Premier ministre, Manuel Valls ?

Alain Finkielkraut : Comme l'écrit Jean-Louis Bourlanges, en choisissant la voie d'un libéralisme tempéré pour relancer l'emploi et la croissance, Manuel Valls a pris le risque de la discorde à gauche. Puis, à la veille des élections, il a voulu refaire l'unité sous le drapeau de l'antifascisme. Mais le Front national n'est plus un parti fasciste, ni même maurrassien. C'est pour son programme explicite qu'il doit être critiqué, non pour les arrière-pensées qu'on lui suppose.

Le Point : A vos yeux, quelle est la plus grosse faute des socialistes ? Leur conversion libérale, comme le pense Régis Debray ? Ou bien leur gauchisme culturel ?

Alain Finkielkraut : Leur faute majeure, à mes yeux, c'est la politique éducative. L'antiélitisme en matière scolaire provoque des dégâts irréparables.

Le Point : Ne seriez-vous pas un indécrottable conservateur ?

Alain Finkielkraut : Ne me résignant pas à l'ordre établi, c'est-à-dire à ce que le destin de chacun soit fixé par sa naissance, je me définirai plutôt comme progressiste. Mais l'entrée fracassante dans une société post-nationale et post-littéraire constitue-t-elle un progrès ? La transformation de l'art d'enseigner en liste de recettes pour "tenir sa classe" est-elle un progrès ? La défiance généralisée est-elle un progrès ? Doit-on se réjouir de voir les Petites Poucettes du troisième millénaire délaisser la fréquentation des textes pour la pratique frénétique du texto ? La France d'après est-elle vraiment plus civilisée que la France d'avant ? On n'a pas le droit aujourd'hui de poser ces questions cruciales, car "avant", c'était avant la diversité. Toute nostalgie, dès lors, est raciste et relève des tribunaux.

Le Point : Jeune, à défaut d'éducation religieuse, vous expliquez avoir hérité de vos parents une passion pour le sionisme. "J'aimais Israël pour ses tomates dans le désert, pour les pelouses et le socialisme, pour ses kibboutz, pour ses ministres en chemisette." Comment voyez-vous l'Israël d'aujourd'hui, qui vient de réélire un Benyamin Netanyahou dont la seule promesse de campagne a été la politique sécuritaire ?

Alain Finkielkraut : Aimer Israël, ce n'est pas idolâtrer ce pays, c'est se faire du souci pour lui. Et ne soyons pas angéliques : face à toutes les formes de l'islamisme radical, les Israéliens ont raison d'être inquiets. Ils habitent une petite nation, c'est-à-dire, selon la définition de Kundera, "une nation dont l'existence est sans cesse en question". Mais l'existence de l'Etat juif est aussi menacée par la perspective d'un état binational. Voilà pourquoi il faut reprendre au plus vite les négociations avec l'Autorité palestinienne.

Le Point : Comment reprocher aux enfants de l'immigration maghrébine de brandir des drapeaux algériens après les victoires de leur pays d'origine durant la Coupe du monde de football de 2014, alors que vous-même avez ce lien particulier avec Israël ?

Alain Finkielkraut : "C'est un pauvre coeur que celui auquel il est interdit de renfermer plus d'une tendresse", écrit Marc Bloch dans "L'étrange défaite". Mais, pour certains enfants de l'immigration maghrébine, les matchs de football sont l'occasion de montrer qu'ils réservent toute leur tendresse à leur pays d'origine, soit en sifflant "La Marseillaise" et l'équipe de France, soit en remplaçant le drapeau français par le drapeau algérien sur le fronton des mairies, comme à Provins par exemple, après la qualification de l'Algérie pour les huitièmes de finale de la dernière Coupe du monde.

Le Point : On vous a souvent reproché d'évoquer des lieux que vous n'avez pas visités ou des oeuvres que vous n'avez pas vues. Comment peut-on par exemple parler du conflit israélo-palestinien sans avoir visité les Territoires palestiniens ? Comment condamner les technologies numériques sans posséder d'ordinateur ou de smartphone ? Comment déplorer l'incivisme des jeunes de banlieue sans se promener dans ces périphéries urbaines ?

Alain Finkielkraut : Qui vous a dit que je ne suis jamais allé dans les Territoires palestiniens ? Il y a deux ans, sous la conduite d'un militant de Shalom Archav, j'ai traversé la Cisjordanie. J'ai vu les implantations qui surplombaient Ramallah ou Hébron. Et cela m'a renforcé dans l'idée qu'il n'y avait pas d'alternative à la solution, si risquée soit-elle, de deux Etats pour deux peuples. Vous me reprochez, en outre, de critiquer les nouvelles technologies sans rien y connaître. Mais c'est sans doute parce que je n'ai pas de portable et que je sais à peine me servir d'un ordinateur que les ravages de l'instantanéité et de la connexion perpétuelle m'apparaissent avec une clarté aussi aveuglante. Pour étudier les Dogons, il vaut mieux ne pas être dogon. J'essaie de poser le même regard ethnographique sur ceux qui incarnent, non le passé, mais l'un des avenirs de l'espèce humaine : les accros de l'écran tactile. Quant aux banlieues, on n'apprend pas que ce sont des territoires perdus de la République en s'y promenant mais en lisant, par exemple, les témoignages de ceux qui y enseignent. Avez-vous remarqué que les experts s'appuient constamment sur les enquêtes de "terrain" pour déposséder les gens de leur expérience et pour les persuader que tout se passe dans leur tête ?

Le Point :Vous déplorez que l'Europe soit entrée dans "l'âge post-identitaire". Mais cette Europe qui a aboli les frontières n'a-t-elle pas garanti une paix de plus d'un demi-siècle ?

Alain Finkielkraut : Vous inversez l'ordre des choses. Ce n'est pas l'Europe qui a garanti la paix, c'est l'immense fatigue post-hitlérienne de la guerre qui a permis la construction européenne. Je n'ai rien contre cette construction, je voudrais seulement rappeler que l'Europe est aussi une civilisation. Il nous incombe de faire l'Europe en évitant que, par la même occasion, elle ne se défasse. Et n'oublions pas l'avertissement de Raymond Aron : "Renier la nation moderne, c'est rejeter le transfert à la politique de la revendication éternelle d'égalité."

Le Point : Pourquoi parlez-vous si peu aujourd'hui de l'Europe ? Mais où est donc passé le créateur de la revue "Le Messager européen" ? L'horizon national serait-il devenu indépassable pour vous ?

Alain Finkielkraut : J'ai fondé cette revue en 1990 pour faire entendre la voix de ceux qui, vivant sous le joug russe, défendaient l'identité européenne. Moi qui ne voyais dans l'Europe qu'une bureaucratie à la fois lointaine et invasive, j'ai découvert, grâce à ces écrivains tchèques, hongrois ou polonais, que la culture, depuis l'aube des Temps modernes, était au fondement de la civilisation européenne à laquelle j'ai la chance d'appartenir. Mais, si la culture s'éclipse et qu'il ne reste que la bureaucratie, alors il faudra définir avec Kundera l'Européen comme "celui qui a la nostalgie de l'Europe".

Le Point : Vous commentez volontiers l'actualité sur les plateaux de télévision ou dans les journaux, ce qui déclenche souvent des polémiques. Vous avez nourri votre dernier essai, "L'identité malheureuse", d'articles de presse. N'y a-t-il pas un risque, pour un penseur, de se laisser gagner par l'éphémère ?

Alain Finkielkraut : J'ai l'impression que ce sont des articles de presse qui ont nourri votre lecture de "L'identité malheureuse". Car, pour penser son temps, ce livre dialogue avec Pascal, avec Hobbes, avec Hume, avec Kant, avec Péguy, avec Lévi-Strauss et avec Rabbi Haïm de Volozine. Tout en mesurant le risque de me laisser gagner par l'éphémère, je pense, avec Michel Foucault, que la tâche maintenant assignée à la philosophie est de rompre avec les analogies paresseuses et de "diagnostiquer le présent" en montrant en quoi il diffère du passé ancien ou récent.

Le Point : Votre ami Milan Kundera, dans "L'art du roman", s'en prenait aux "agélastes", c'est-à-dire ces personnes qui ne savent pas rire. Or vous-même avez l'image médiatique d'un Droopy pessimiste. Seriez-vous un agélaste ?

Alain Finkielkraut :Ne vous y trompez pas : l'esprit de sérieux fait maintenant des blagues. Les agélastes sont devenus humoristes. Ils sanctionnent par le rire tous ceux qui pensent en dehors des clous. Je me console en explorant, après Philippe Muray, l'immense territoire du risible laissé en déshérence par le gloussement unique. Ainsi cette réforme des collèges qui conduit, interdisciplinarité oblige, un professeur de français et un professeur de gymnastique à mettre leurs compétences en commun pour demander aux élèves de réaliser ensemble une vidéo sur le thème "comment persuader vos camarades de jouer au handball".

Le Point : Le mécontemporain que vous êtes ne trouve-t-il rien à sauver dans la France d'aujourd'hui ?

Alain Finkielkraut : Au contraire. A l'ère des flux, le verbe "sauver" doit impérativement prendre la place du verbe "changer" dans notre vocabulaire politique : sauver les paysages, sauver les livres, sauver la langue, sauver les vaches, les poules et les cochons, en mettant fin à l'élevage en batterie et aux gigantesques fermes-usines, bref, sauver les meubles et ce qui reste de la civilisation française.

Le Point : Etes-vous heureux ? Optimiste ? Pessimiste ?

Alain Finkielkraut : Les pessimistes croient que la catastrophe est à venir. Je ne partage pas leur optimisme. La catastrophe est en cours. A part ça, je suis très heureux. »

--------------------------

SOURCE : Le Point

--------------------------

 

00:53 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

10/04/2015

Cette vie intérieure que nous méprisons...

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« La plupart des hommes ne supportent ni l'immobilité ni l'attente. Ils ne savent point s'arrêter. Ils vivent mobilisés : mobilisés pour l'action, pour le remuement, pour le plaisir, pour l'honneur. Et pourtant c'est seulement dans les instants où il suspend son geste ou sa parole ou sa marche en avant, que l'homme se sent porté à prendre conscience de soi. Ce sont les moments d'arrêt, les points d'arrêt, les stations, les stationnements qui favorisent le plus en lui l'attention à la vie, qui lui apprennent le plus. (...) Cette vie intérieure que nous méprisons, c’est pourtant par elle, c’est en sauvegardant au fond de soi un refuge, si humble soit-il, que l’homme peut arriver à se superposer à sa tâche, à son activité sociale, à lui-même. C’est en se distinguant qu’il se pose, et qu’il acquiert le droit de compter. Ce qu’il donne, il faut d’abord qu’il le fasse, qu’il le crée de sa substance, pour qu’il ne risque pas de donner ce qu’il s’est contenté de prendre ailleurs. C’est à cette condition qu’il sera réellement agissant et vivant. »

Paul Gadenne, Une grandeur impossible

 

14:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Dans l’ombre sacrée de l’araucaria

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Voici que j’ai passé devant l’araucaria. C’est au premier étage, devant la porte d’un appartement qui est sans doute encore plus parfaitement irréprochable et astiqué que les autres, car le palier rayonne d’un nettoyage surhumain ; c’est un petit temple de l’ordre. Sur un parquet où l’on craint de mettre le pied, on voit deux jolies sellettes ; chacune supporte un grand cache-pot ; dans l’un une azalée, dans l’autre un araucaria. Celui-ci est de taille assez élevée, arbre-enfant droit et bien portant, d’une perfection absolue, et même la dernière extrémité de la dernière branche respire le grand lavage. De temps en temps, quand je sais qu’on ne m’observe pas, je fais de ce palier un temple ; je m’assieds sur une marche au-dessus de l’araucaria, je me repose un peu et, les mains jointes, je contemple pieusement ce petit jardin de l’ordre, dont la méticulosité attendrissante et le ridicule solitaire, je ne sais pourquoi, m’empoignent l’âme. Je devine derrière ce palier, dans l’ombre sacrée de l’araucaria, un appartement plein d’acajou brillant, de bonne conduite, de santé, de levers matinaux, de devoirs accomplis, de fêtes de famille modérément joyeuses, de sorties endimanchées à l’église et de couchers de bonne heure. »

Hermann Hesse, Le Loup des steppes

 

07:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

09/04/2015

S’agenouiller pour la prière

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Le fait de s’agenouiller pour la prière du soir indique, toute question de dogme mise à part, que l’on s’humilie devant la puissance suprême qui rend l’univers intelligible. Cette attitude vaut infiniment mieux, pour la connaissance de l’erreur, qu’une attitude inverse d’orgueil et de confiance en soi. »

Léon Daudet, La France en alarme

 

16:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Au train de T.G.V. où vont les choses...

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Pour bien comprendre toute cette affaire, comme toujours, il faut la replacer dans son contexte. 1947. Une paye ! Plus de cinquante ans. Au train de T.G.V. où vont les choses çà devient presque aussi lointain de moeurs, us, coutumes et mentalités que Louis quatorzième ou Fanfan la Tulipe 1er. Certes, à grands coups de procès, on nous ramène plus souvent l’époque de l’Occupation. Les médias à la rescousse. Ca donne une idée plutôt simpliste avec les bons et les méchants, les héros et les traîtres. »

Alphonse Boudard, L’étrange Monsieur Joseph

 

14:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

La Porte étroite...

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« De quel métal suis-je donc moi-même pour juger ainsi les autres ? Serais-je seulement fichu de décrire mon fameux étalon de beauté et de vérité ? Ma métaphysique ? Ces étincelles chipées aux lampes des poètes, dont la brûlure m’a fait frissonner, dont l’éclat m’a ébloui un instant ? Quelles raisons profondes as-tu su te donner à toi-même, petit homme, entre tes nuits de quatorze ans où le dernier éveillé, dans l’affreux dortoir de Saint-Chély, tu priais Dieu de te garder jusqu’à la mort ta foi, – quelle foi ! cette frousse de gamin – et le jour de tes dix- sept ans, où dans la même heure tu as quitté le collège et l’Église apostolique et romaine ? Fais donc le bilan sincère de ces immenses études dont tu as brassé voluptueusement les programmes, et vois jusqu’à quel point tu as su les conduire. De Ruysbroeck à Picasso ! Un fier panorama. Qu’en connais-tu ? Est-il seulement un coin qui soit à toi dans ce fabuleux empire ? Qu’as-tu gagné sinon de t’être perdu toi- même, empêtré dans cette forêt vierge de formes et de systèmes ? Si le bourgeois est d’abord le pourceau qui tue son âme et qui vivra l’éternité comme une larve de chenille, parce qu’il est trop stupide ou trop lâche pour en soutenir la pensée, toi qui t’es dit muni de si glorieux flambeaux, qui les as laissés un par un s’éteindre, n’as-tu pas dans la porcherie une place de choix ? Tu méprises les dogmes, les théologies, les morales, toute cette tuyauterie où un Régis emprisonne la vie universelle. À toi, sans moules ni règles, cette vie n’échappe-t-elle pas bi- en plus encore ? Qu’en as-tu donc étreint ? Ces informes griffonnages, qui lorsque tu les remues te font vomir d’ennui ?... Et s’il fallait passer par ces tuyaux, par ces conduits étouffants pour atteindre les vérités permises à nos têtes humaines ? La Porte étroite... N’est-ce point là son sens pour des êtres bâtis à ma façon ? Ces vieilles paraboles sont vastes comme la nature ; du plus sommaire au plus chantourné, chacun y trouve la leçon à sa taille. M’en étais-je seulement avisé jusqu’ici ? Régis s’est peut-être horriblement fourvoyé. Du moins s’est- il embarqué, tandis que je suis resté à la lisière de l’inconnu. Si tout est leurre ou anéantissement, sauf cette flamme incertaine au fond de nous, qu’importe que ce soit pour ou dans telle catégorie qu’agissent les hommes ? Il n’y a de prix que dans l’état qu’ils ont su donner à cette flamme, que dans l’énergie qu’ils ont pu produire. Dès lors, de Régis et de toi, quel est l’être viril, et quel est le faible ? Tu t’es dit libre et léger, évadé du christianisme. Tu n’en as pas le droit, tu n’y as jamais pénétré. »

Lucien Rebatet, Les deux étendards

 

12:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Les liens organiques

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« La présence des groupes identitaires pose de toute évidence un problème aux démocraties libérales contemporaines. Souvent, ces groupes apparaissent comme la résurgence d’une forme d’être-ensemble, la forme communautaire, à laquelle la modernité pensait avoir mis fin. La modernité s’était attaquée aux liens organiques en les présentant comme autant de limitations dont l’homme devait s’affranchir pour conquérir sa liberté. Or, on constate aujourd’hui que beaucoup d’hommes adhèrent spontanément à des formes communautaires sans pour autant vouloir renoncer à leur liberté. L’idéologie dominante n’en est pas moins méfiante, et souvent résolument hostile, envers ces groupes, alors qu’elle admet sans grande difficulté les groupes d’intérêt. Elle perçoit ces derniers comme de nature pacifique et les premiers comme de nature conflictuelle, tout simplement parce que les intérêts sont toujours négociables, tandis que les valeurs ne le sont pas (oubliant du même coup que le fait pour individu de s’identifier de manière préférentielle à d’autres individus crée de ce seul fait une différence dans la façon dont il perçoit son propre intérêt). C’est pourquoi elles mettent systématiquement l’accent sur les défauts, parfois bien réels, des communautés et en présentent volontiers une image quasi pathologique.
Les demandes identitaires sont ainsi fréquemment traitées comme un phénomène "réactionnaire", une aspiration "irrationnelle" à revenir au "passé", à retourner à un "stade" qu’on croyait définitivement dépassé, ou encore comme autant de tentatives de s’exonérer de la "loi commune" en cherchant à créer un "Etat dans l’Etat". L’exigence de reconnaissance est à la fois présentée comme un combat d’arrière-garde, un symptôme d’arriération politique, sociale et morale, et comme une menace pour l’unité de la société politique. »

Alain de Benoist, Nous et les Autres

 

10:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook