17/06/2015
Tu as déjà vu une éclipse ?
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« Il souffrait de mélancolie. Tu sais ce que c'est la mélancolie ? Tu as déjà vu une éclipse ? Et bien c'est ça : la lune qui se glisse devant le cœur, et le cœur qui ne donne plus sa lumière. La nuit en plein jour. La mélancolie c'est doux et noir. Il en a guéri à moitié : le noir est parti, le doux est resté.
Tu sais, la pâtisserie et l'amour, c'est pareil - une question de fraîcheur et que tous les ingrédients, même les plus amers, tournent au délice. »
Christian Bobin, La folle allure
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Le feu couve en attendant le jet d'essence
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« L.A. brûle, et dans tant d'autres villes, le feu couve en attendant le jet d'essence qui arrosera les braises, et nous écoutons des politiciens qui alimentent notre haine et notre étroitesse d'esprit, qui nous disent qu'il s'agit simplement de revenir aux vraies valeurs, alors qu'eux sont assis dans leurs propriétés de bord de mer à écouter les vagues pour ne pas avoir à entendre le cri des noyés »
Dennis Lehane, Un dernier verre avant la guerre
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C’est pour faire œuvre d’homme que je m’éveille
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« – Au petit jour, lorsqu’il t’en coûte de te réveiller, aie cette pensée à ta disposition : c’est pour faire œuvre d’homme que je m’éveille. Serai-je donc encore de méchante humeur, si je vais faire ce pour quoi je suis né, et ce en vue de quoi j’ai été mis dans ce monde ? Ou bien, ai-je été formé pour rester couché et me tenir au chaud sous mes couvertures ?
- Mais c’est plus agréable !
- Es-tu donc né pour te donner de l’agrément ? Et, somme toute, es-tu fait pour la passivité ou pour l’activité ? Ne vois-tu pas que les arbustes, les moineaux, les fourmis, les araignées, les abeilles remplissent leur tâche respective et contribuent pour leur part à l’ordre du monde ? Et toi, après cela, tu ne veux pas faire ce qui convient à l’homme ? Tu ne cours point à la tâche qui est confirme à la nature ?
- Mais il faut aussi se reposer.
- Il le faut, j’en conviens. La nature cependant a mis des bornes à ce besoin, comme elle en a mis au manger et au boire. Mais toi pourtant, ne dépasses-tu pas ces bornes, et ne vas-tu pas au-delà du nécessaire ? Des tes actions, il n’en est plus ainsi, mais tu restes en deçà du possible ? C’est qu’en effet, tu ne t’aimes point toi-même, puisque tu aimerais alors, et ta nature et sa volonté. Les autres, qui aiment leur métier, s’épuisent aux travaux qu’il exige, oubliant bains et repas. Toi, estimes-tu moins ta nature que le ciseleur la ciselure, le danseur la danse, l’avare l’argent, et le vaniteux la gloriole ? Ceux-ci, lorsqu’ils sont en goût pour ce qui les intéresse, ne veulent ni manger ni dormir avant d’avoir avancé l’ouvrage pour auquel ils s’adonnent. Pour toi, les actions les plus utiles au bien commun te paraissent-elles d’un moindre prix, et dignes d’un moindre zèle ? »
Marc Aurèle, Pensées pour moi-même – Livre V – I
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Le maintien d’un rapport invariant
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« La seule chose qui puisse faire de la légitimité pure, idée absolument dépourvue de force, quelque chose de souverain, c’est la pensée : cela a toujours été, cela sera toujours. C’est pourquoi une réforme doit toujours apparaître, soit comme retour à un passé qu’on avait laissé dégrader, soit comme adaptation d’une institution à des conditions nouvelles, adaptation ayant pour objet non pas un changement, mais au contraire le maintien d’un rapport invariant, comme si l’on a le rapport 12/4 et que 4 devienne 5, le vrai conservateur n’est pas celui qui veut 12/5, mais celui qui de 12 fait 15. »
Simone Weil, La pesanteur et la grâce
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Les caractères originaux des peuples, s’effaçant de jour en jour, deviennent en même raison plus difficiles à saisir
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« Les anciens voyageaient peu, lisaient peu, faisaient peu de livres ; et pourtant on voit, dans ceux qui nous restent d’eux, qu’ils s’observaient mieux les uns les autres que nous n’observons nos contemporains. Sans remonter aux écrits d’Homère, le seul poète qui nous transporte dans les pays qu’il décrit, on ne peut refuser à Hérodote l’honneur d’avoir peint les mœurs dans son histoire, quoiqu’elle soit plus en narrations qu’en réflexions, mieux que ne font tous nos historiens en chargeant leurs livres de portraits et de caractères. Tacite a mieux décrit les Germains de son temps qu’aucun écrivain n’a décrit les Allemands d’aujourd’hui. Incontestablement ceux qui sont versés dans l’histoire ancienne connaissent mieux les Grecs, les Carthaginois, les Romains, les Gaulois, les Perses, qu’aucun peuple de nos jours ne connaît ses voisins.
Il faut avouer aussi que les caractères originaux des peuples, s’effaçant de jour en jour, deviennent en même raison plus difficiles à saisir. À mesure que les races se mêlent, et que les peuples se confondent, on voit peu à peu disparaître ces différences nationales qui frappaient jadis au premier coup d’œil. Autrefois chaque nation restait plus renfermée en elle-même ; il y avait moins de communications, moins de voyages, moins d’intérêts communs ou contraires, moins de liaisons politiques et civiles de peuple à peuple, point tant de ces tracasseries royales appelées négociations, point d’ambassadeurs ordinaires ou résidant continuellement ; les grandes navigations étaient rares ; il y avait peu de commerce éloigné ; et le peu qu’il y en avait était fait ou par le prince même, qui s’y servait d’étrangers, ou par des gens méprisés, qui ne donnaient le ton à personne et ne rapprochaient point les nations. Il y a cent fois plus de liaisons maintenant entre l’Europe et l’Asie qu’il n’y en avait jadis entre la Gaule et l’Espagne : l’Europe seule était plus éparse que la terre entière ne l’est aujourd’hui.
Ajoutez à cela que les anciens peuples, se regardant la plupart comme autochtones ou originaires de leur propre pays, l’occupaient depuis assez longtemps pour avoir perdu la mémoire des siècles reculés où leurs ancêtres s’y étaient établis, et pour avoir laissé le temps au climat de faire sur eux des impressions durables : au lieu que, parmi nous, après les invasions des Romains, les récentes émigrations des barbares ont tout mêlé, tout confondu. Les Français d’aujourd’hui ne sont plus ces grands corps blonds et blancs d’autrefois ; les Grecs ne sont plus ces beaux hommes faits pour servir de modèles à l’art ; la figure des Romains eux-mêmes a changé de caractère, ainsi que leur naturel ; les Persans, originaires de Tartarie, perdent chaque jour de leur laideur primitive par le mélange du sang circassien ; les Européens ne sont plus Gaulois, Germains, Ibériens, Allobroges ; ils ne sont tous que des Scythes diversement dégénérés quant à la figure, et encore plus quant aux mœurs.
Voilà pourquoi les antiques distinctions des races, les qualités de l’air et du terroir marquaient plus fortement de peuple à peuple les tempéraments, les figures, les mœurs, les caractères, que tout cela ne peut se marquer de nos jours, où l’inconstance européenne ne laisse à nulle cause naturelle le temps de faire ses impressions, et où les forêts abattues, les marais desséchés, la terre plus uniformément, quoique plus mal cultivée, ne laisse plus, même au physique, la même différence de terre à terre et de pays à pays. »
Jean-Jacques Rousseau, Emile, livre V
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15/06/2015
L'adjudant Bonnin a sauté sur une mine
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« L'adjudant Bonnin a sauté sur une mine, dans les lacets du col de Kem, sur la route d'Hoa Binh. L'explosion a soufflé ses jambes et son bassin. Nous sommes restés autour de lui quelques minutes qui resteront gravées en moi jusqu'au dernier jour. La piste était noire de sang. Il est mort comme un Templier, perdu dans un pays lointain, porté par ses camarades. »
Hélie de Saint Marc, Les champs de braises
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11/06/2015
Oui, j'ai bien connu ma France
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« J’ai bien connu la France. J’ai connu ses villages. Le dimanche, l’église était pleine à craquer et, à la fin de la messe, une foule se répandait dans la rue principale en direction des boulangeries et des boucheries. J'ai connu les banlieues quand elles étaient la campagne du pauvre, le repos du citadin, l’excursion des amoureux. J’ai vu, de mes yeux vu, derrière les pavillons en meulière, des cultures et des champs en friche. J’ai bien connu cette France-là, quand on apprenait l’orthographe aux enfants, quand des générations entières s’écrivaient de longues lettres pour se donner mutuellement des nouvelles. Oui, j'ai bien connu ma France. »
Alain Paucard, La crétinisation par la culture
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Des crises de vie
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« La crise de l'enseignement n'est pas une crise de l'enseignement ; il n'y a pas de crise de l'enseignement ; il n'y a jamais eu de crise de l'enseignement ; les crises de l'enseignement ne sont pas des crises de l'enseignement ; elles sont des crises de vie ; elles dénoncent, elles représentent des crises de vie et sont des crises de vie elles-mêmes ; elles sont des crises de vie partielles, éminentes, qui annoncent et accusent des crises de la vie générales ; ou si l’on veut les crises de vie générales, les crises de vie sociales s'aggravent, se ramassent, culminent en crises de l'enseignement, qui semblent particulières ou partielles, mais qui en réalité sont totales, parce qu'elles représentent le tout de la vie sociale ; c’est en effet à l’enseignement que les épreuves éternelles attendent, pour ainsi dire, les changeantes humanités ; le reste d’une société peut passer, truqué, maquillé ; l’enseignement ne passe point ; quand une société ne peut pas enseigner, ce n’est point qu’elle manque accidentellement d’un appareil ou d’une industrie ; quand une société ne peut pas enseigner, c'est que cette société ne peut pas s'enseigner ; c'est qu'elle a honte, c'est qu'elle a peur de s'enseigner elle-même ; pour toute humanité, enseigner, au fond, c'est s'enseigner ; une société qui n'enseigne pas est une société qui ne s'aime pas ; qui ne s'estime pas ; et tel est précisément le cas de la société moderne. »
Roger Nimier, Pour la rentrée (1904), in La Pléiade, Œuvres en prose complètes, tome I
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La tragique volupté de l’admiration
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« C’est qu’en effet, dans l’Art, est beau uniquement ce qui a du caractère.
Le caractère, c’est la vérité intense d’un spectacle naturel quelconque, beau ou laid : et même c’est ce qu’on pourrait appeler une vérité double: car c’est celle du dedans traduite par celle du dehors; c’est l’âme, le sentiment, l’idée, qu’expriment les traits d’un visage, les gestes et les actions d’un être humain, les tons d’un ciel, la ligne d’un horizon.
Or pour le grand artiste, tout dans la Nature offre du caractère: car l’intransigeante franchise de son observation pénètre le sens caché de toute chose.
Et ce qui est considéré comme laid dans la Nature présente souvent plus de caractère que ce qui est qualifié beau, parce que dans la crispation d’une physionomie maladive, dans le ravinement d’un masque vicieux, dans toute déformation, dans toute flétrissure, la vérité intérieure éclate plus aisément que sur des traits réguliers et sains.
Et comme c’est uniquement la puissance du caractère qui fait la beauté de l’Art, il arrive souvent que plus un être est laid dans la Nature, plus il est beau dans l’Art.Il n’y a de laid dans l’Art que ce qui est sans caractère, c’est-à-dire ce qui n’offre aucune vérité extérieure ni intérieure.
Est laid dans l’Art ce qui est faux, ce qui est artificiel, ce qui cherche à être joli ou beau au lieu d’être expressif, ce qui est mièvre et précieux, ce qui sourit sans motif, ce qui se manière sans raison, ce qui se cambre et se carre sans cause, tout ce qui est sans âme et sans vérité, tout ce qui n’est que parade de beauté ou de grâce, tout ce qui ment.
Quand un artiste, dans l’intention d’embellir la Nature, ajoute du vert au printemps, du rose à l’aurore, du pourpre à de jeunes lèvres, il crée de la laideur parce qu’il ment.
Quand il atténue la grimace de la douleur, l’avachissement de la vieillesse, la hideur de la perversité, quand il arrange la Nature, quand il la gaze, la déguise, la tempère pour plaire au public ignorant, il crée de la laideur, parce qu’il a peur de la vérité.
Pour l’artiste digne de ce nom, tout est beau dans la Nature, parce que ses yeux, acceptant intrépidement toute vérité extérieure, y lisent sans peine, comme à livre ouvert, toute vérité intérieure.
Il n’a qu’à regarder un visage humain pour déchiffrer une âme; aucun trait ne le trompe, l’hypocrisie est pour lui aussi transparente que la sincérité; l’inclinaison d’un front, le moindre froncement de sourcils, la fuite d’un regard lui révèle les secrets d’un coeur. Il scrute l’esprit replié de l’animal. Ebauche de sentiments et de pensées, sourde intelligence, rudiments de tendresse, il perçoit toute l’humble vie morale de la bête dans ses regards et dans ses mouvements.
Il est de même le confident de la Nature insensible. Les arbres, les plantes lui parlent comme des amis.
Les vieux chênes noueux lui disent leur bienveillance pour l’humanité qu’ils protègent de leurs branches éployées.
Les fleurs s’entretiennent avec lui par la courbe gracieuse de leur tige, par les nuances chantantes de leurs pétales : chaque corolle dans l’herbe est un mot affectueux que lui adresse la Nature.
Pour lui la vie est une infinie jouissance, un ravissement perpétuel, un enivrement éperdu.
Non pas que tout lui paraisse bon, car la souffrance qui s’attaque si souvent à ceux qu’il chérit et à lui-même démentirait cruellement cet optimisme.
Mais pour lui tout est beau, parce qu’il marche sans cesse dans la lumière de la vérité spirituelle.
Oui, même dans la souffrance, même dans la mort d’êtres aimés et jusque dans la trahison d’un ami, le grand artiste, et j’entends par ce mot le poète aussi bien que le peintre ou le sculpteur, trouve la tragique volupté de l’admiration. Il a parfois le coeur à la torture, mais plus fortement encore que sa peine, il éprouve l’âpre joie de comprendre et d’exprimer. Dans tout ce qu’il voit, il saisit clairement les intentions du destin. Sur ses propres angoisses, sur ses pires blessures, il fixe le regard enthousiaste de l’homme qui a deviné les arrêts du sort. Trompé par un être cher, il chancelle sous le coup, puis, se raffermissant, il contemple le perfide comme un bel exemple de bassesse, il salue l’ingratitude comme une expérience dont s’enrichit son âme. Son extase est parfois terrifiante, mais c’est du bonheur encore parce que c’est la continuelle adoration de la vérité.
Quand il aperçoit les êtres qui se détruisent les uns les autres, toute jeunesse qui se fane, toute vigueur qui fléchit, tout génie qui s’éteint, quand il voit face à face la volonté qui décréta toutes ces sombres lois, plus que jamais il jouit de savoir et, rassasié de vérité, il est formidablement heureux. »
Auguste Rodin, L’Art
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Un Baiser...
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« Lis mon âme, beau guerrier :
Tu es parti loin. J'ai vu les vagues... avaler tes vaisseaux,
Et rouler mon coeur au fond des eaux.
Je voudrais t'envoyer un baiser
Déchirant comme un coup de dague. »
Virgile, "Mort de Didon"in L’Enéide
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09/06/2015
Je voudrais me pencher sur l’instinct, en son sens de lumière...
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« Je me sens attiré avant tout par les gestes inconscients de l’être, qui passent leurs mains lumineuses à travers les créneaux de cette enceinte d’artifice où nous sommes enfermés. Je voudrais étudier tout ce qui est informulé dans une existence, tout ce qui n’a pas d’expression dans la mort et dans la vie, tout ce qui cherche une voix dans un cœur. Je voudrais me pencher sur l’instinct, en son sens de lumière, sur les pressentiments, sur les facultés et les notions inexpliquées, négligées ou éteintes, sur les mobiles irraisonnés, sur les merveilles de la mort, sur les mystères du sommeil, où malgré la trop puissante influence des souvenirs diurnes, il nous est donné d’entrevoir, par moments, une lueur de l’être énigmatique, réel et primitif ; sur toutes les puissances inconnues de notre âme ; sur tous les moments où l’homme échappe à sa propre garde ; sur tous les secrets de l’enfance, si étrangement spiritualiste avec sa croyance au surnaturel, et si inquiétante avec ses rêves de terreur spontanée, comme si réellement nous venions d’une source d’épouvante. »
Novalis, Fragments
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Parler et écrire...
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« C’est réellement une drôle d’affaire que de parler et d’écrire ; la vraie conversation n’est qu’un pur jeu de mots. On ne peut qu’admirer l’erreur ridicule des gens qui se figurent parler en fonction des choses. Mais précisément, personne ne sait que le propre du langage est de s’occuper purement et simplement de lui-même. Voilà pourquoi le langage est un mystère si admirable et si fécond, - celui qui ne parle que pour parler exprime justement les vérités les plus splendides, les plus originales. »
Novalis, Fragments
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Maladie littéraire
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« Lui (le lettré ), lit pour lire, pour retenir ce qu'il a lu. Pour lui, le livre n'est pas l'ange qui s'envole aussitôt qu'il a ouvert les portes du jardin céleste, mais une idole immobile, qu'il adore pour elle-même, qui, au lieu de recevoir une dignité vraie des pensées qu'elle éveille, communique une dignité factice à tout ce qui l'entoure. Le lettré invoque en souriant en l'honneur de tel nom qu'il se trouve dans Villehardouin ou dans Boccace, en faveur de tel usage qu'il est décrit dans Virgile. Est-il besoin de dire que si je qualifie de malsains ce goût, cette sorte de respect fétichiste pour les livres, c'est relativement à ce que seraient les habitudes idéales d'un esprit sans défauts qui n'existe pas, et comme font les physiologistes qui décrivent un fonctionnement d'organes normal tel qu'il ne s'en rencontre guère chez les êtres vivants. Dans la réalité, au contraire, où il n'y a pas plus d'esprits parfaits que de corps entièrement sains, ceux que nous appelons les grands esprits sont atteints comme les autres de cette "maladie littéraire". Plus que les autres, pourrait-on dire. Il semble que le goût des livres croisse avec l'intelligence, un peu au-dessous d'elle, mais sur la même tige, comme toute passion s'accompagne d'une prédilection pour ce qui entoure son objet, a du rapport avec lui, dans l'absence lui en parle encore. Aussi, les plus grands écrivains, dans les heures où ils ne sont pas en communication directe avec la pensée, se plaisent dans la société des livres. N'est-ce pas surtout pour eux, du reste, qu'ils ont été écrits ; ne leur dévoilent-ils pas mille beautés qui restent cachées au vulgaire ? A vrai dire, le fait que des esprits supérieurs soient ce que l'on appelle livresques ne prouve nullement que cela ne soit pas un défaut de l'être. De ce que les hommes médiocres sont souvent travailleurs et les intelligents souvent paresseux, on ne peut pas conclure que le travail n'est pas pour l'esprit une meilleure discipline que la paresse. Malgré cela, rencontrer chez un grand homme un de nos défauts nous incline toujours à nous demander si ce n'était pas au fond une qualité méconnue, et nous n'apprenons pas sans plaisir qu'Hugo savait Quinte-Curce, Tacite et Justin par coeur, qu'il était en mesure, si on contestait devant lui la légitimité d'un terme, d'en définir la filiation, jusqu'à l'origine, par des citations qui prouvaient une véritable érudition. (J'ai montré ailleurs comment cette érudition avait chez lui nourri le génie au lieu de l'étouffer, comme un paquet de fagots qui éteint un petit feu et en accroît un grand).
Maeterlinck, qui est pour nous le contraire du lettré, dont l'esprit est perpétuellement ouvert aux mille émotions anonymes communiquées par la ruche, le parterre ou l'herbage, nous rassure grandement, sur les dangers de l'érudition, presque de la bibliophilie, quand il nous décrit en amateur les gravures qui ornent une vieille édition de Jacob Cats ou de l'abbé Sanderus. Ces dangers, d'ailleurs, quand ils existent, menaçant beaucoup moins l'intelligence que la sensibilité, la capacité de lecture profitable, si l'on peut ainsi dire, est beaucoup plus grande chez les penseurs que chez les écrivains d'imagination. Schopenhauer, par exemple, nous offre l'image d'un esprit dont la vitalité porte légèrement la plus énorme lecture, chaque connaissance nouvelle étant immédiatement réduite à la part de réalité, à la portion vivante qu'elle contient. »
Marcel Proust, Sur la lecture
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L'initiatrice
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« Il n'y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons si pleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre, ceux que nous avons passés avec un livre préféré. »
« Tant que la lecture est pour nous l'initiatrice dont les clefs magiques nous ouvrent au fond de nous-même la porte des demeures où nous n'aurions pas su pénétrer, son rôle dans notre vie est salutaire. Il devient dangereux au contraire quand, au lieu de nous éveiller à la vie personnelle de l'esprit, la lecture tend à se substituer à elle, quand la vérité ne nous apparaît plus comme un idéal que nous ne pouvons réaliser que par le progrès intime de notre pensée et par l'effort de notre coeur, mais comme une chose matérielle, déposée entre les feuillets des livres comme un miel tout préparé par les autres et que nous n'avons qu'à prendre la peine d'atteindre sur les rayons des bibliothèques et de déguster ensuite passivement dans un parfait repos de corps et d'esprit. »
Marcel Proust, Sur la lecture
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La place inviolable du Passé
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« Tout autour, les jours actuels, les jours que nous vivons circulent, se pressent en bourdonnant autour des colonnes, mais là brusquement s’arrêtent, fuient comme des abeilles repoussées ; car elles ne sont pas dans le présent, ces hautes et fines enclaves du passé, mais dans un autre temps où il est interdit au présent de pénétrer. Autour des colonnes roses, jaillies vers leurs larges chapiteaux, les jours actuels se pressent et bourdonnent. Mais, interposées entre eux, elles les écartent, réservant de toute leur mince épaisseur la place inviolable du Passé : – du Passé familièrement surgi au milieu du présent, avec cette couleur un peu irréelle des choses qu’une sorte d’illusion nous fait voir à quelques pas, et qui sont en réalité situées à bien des siècles ; s’adressant dans tout son aspect un peu trop directement à l’esprit, l’exaltant un peu comme on ne saurait s’en étonner de la part du revenant d’un temps enseveli ; pourtant là, au milieu de nous, approché, coudoyé, palpé, immobile, au soleil. »
Marcel Proust, Sur la lecture
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Tout se fragmente et tout se désassemble
« Tout se fragmente et tout se désassemble, les notions - que l'on jugeait acquises - se défont, le grand ébranlement prélude et chacun rompt les instruments dont se servaient nos pères.
Dans les pays où règne la censure, on se consume à nier l'évidence; dans les pays où la censure est abolie, on dit n'importe quoi; la différence paraît insensible, car il revient au même de mentir ou de se perdre et l'on présume que ceux-là, qui mentent, rejoindront quelque jour ceux qui se sont perdus. Les Muses ont abandonné la terre et voilà plusieurs générations que les beaux-arts sont morts, les imposteurs ont le champ libre et jamais il ne s'en vit de plus incroyables, mais le pire est que ceux qui s'opposent à leur imposture, ne nous proposent rien, rien que des platitudes.
Nos villes sont des cauchemars, leurs habitants deviennent pareils aux termites, tout ce qui s'édifie est d'une laideur monstrueuse et nous ne savons plus bâtir de temples, de palais ni de tombeaux, de places triomphales ni d'amphithéâtres. A chaque pas, la vue est offensée, l'oreille abasourdie et l'odorat désespéré, nous nous demanderons bientôt :
- A quoi bon l'ordre ? »
Albert Caraco, Bréviaire du Chaos
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Agréable, huileux et tiède
« Le christianisme, qui n'avait su ni vaincre ni mourir, fit alors comme tous les conquis. Il reçut la loi et paya l'impôt. Pour subsister, il se fit agréable, huileux et tiède. Silencieusement, il se coula par le trou des serrures, s'infiltra dans les boiseries, obtint d'être utilisé comme essence onctueuse pour donner du jeu aux institutions et devint ainsi un condiment subalterne, que tout cuisinier politique put employer ou rejeter à sa convenance. On eut le spectacle, inattendu et délicieux, d'un christianisme converti à l'idolâtrie païenne, esclave respectueux des conculcateurs du Pauvre, et souriant acolyte des phallophores.
Miraculeusement édulcoré, l'ascétisme ancien s'assimila tous les sucres et tous les onguents pour se faire pardonner de ne pas être précisément la volupté, et devint, dans une religion de tolérance, cette chose plausible qu'on pourrait nommer le catinisme de la piété. »
Léon Bloy, Le désespéré
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Mystères...
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Le leurre
« Après le lycée Jeanson, le lycée Henri-IV, où elle avait approfondi sans ménager sa peine la littérature française, et la philosophie, l’anglais, et la littérature anglaise. A vingt ans, après le lycée Henri-IV, l’Ecole normale supérieure de Fontenay, avec l’élite intellectuelle française... "on n’en reçoit que trente par an". Thèse : "Le déni de soi chez Georges Bataille" (Bataille, allons bon, pour changer !). A Yale, les étudiants chics travaillent tous sur Bataille ou Mallarmé. Il n’a pas grand mal à comprendre ce qu’elle cherche à lui faire comprendre, d’autant qu’il connaît un peu Paris pour y avoir, grâce à une bourse Fulbright, passé un an avec femme et enfants, du temps qu’il était jeune professeur ; il connaît un peu ces jeunes Français ambitieux, formés dans les lycées d’élite. Parfaitement préparés, connaissant les intellectuels qui comptent, des jeunes très intelligents, immatures, dotés de l’éducation française la plus snob, se préparant ardemment à être enviés toute leur vie. On les voit traîner le samedi soir dans des petits restaurants vietnamiens pas chers rue Saint-Jacques, parler des grands problèmes, jamais de banalités, jamais de la pluie et du beau temps – débats d’idées, philosophie et politique, à l’exclusion de tout autre sujet. Même pendant leurs loisirs, lorsqu’ils sont en tête à tête avec eux-mêmes, ils pensent l’incidence de Hegel sur la vie intellectuelle française au XXème siècle. L’intellectuel s’interdit d’être frivole. La vie c’est la pensée. Conditionnés à être violemment marxistes ou violemment antimarxistes, ils souffrent d’un effarement congénital devant tout ce qui est américain.[...] Ses jeunes étudiants l’amusent. Elle cherche encore leur côté intellectuel. Elle est sidérée par la façon dont ils s’amusent. Leur façon de penser, de vivre, hors de toute idéologie, dans le chaos. Ils n’ont jamais vu un film de Kurosawa – même ça, ils l’ignorent. Elle, à leur âge, elle avait vu tout Kurosawa, tout Tarkovski, tout Fellini, tout Antonioni, tout Fassbinder, tout Wertmuller, tout Satyajit Ray, tout René Clair, tout Wim Wenders, tous les Truffaut, les Godard, les Chabrol, les Resnais, les Rohmer et les Renoir. Eux, ils n’avaient vu que Star Wars.[...] A contrecoeur, elle pose sa candidature, et la voilà, avec son kilt et ses bottes, dans le bureau du doyen Silk, en face de lui. Pour avoir le prochain poste, le poste chic, il faut en passer par Athena. Sauf que pendant près d’une heure le doyen Silk va l’écouter quasiment se disqualifier pour le poste en question. Structure narrative et temporalité. Les contradictions internes de l’oeuvre d’art. Rousseau s’avance masqué, mais sa rhétorique le trahit (la tienne aussi, en somme, se dit le doyen, au vu de l’essai autobiographique [Delphine a écrit un essai autobiographique pour présenter sa carrière universitaire...]). La voix du critique n’a pas moins de légitimité que celle d’Hérodote. Narratologie. Diégétique. La différence entre diégésis et mimésis. L’expérience entre parenthèses. La qualité proleptique du texte. Coleman n’a pas besoin de lui demander ce que ce jargon veut dire. Il le sait, dans l’original grec, ce que ces mots de Yale veulent dire, ce que les mots de l’Ecole normale supérieure veulent dire. Et elle, le sait-elle ? Il y travaille depuis trois décennies, il n’a pas de temps à perdre. Il se demande : pourquoi une femme aussi belle tente-t-elle de dissimuler la dimension humaine de son expérience sous ces mots-là ? Peut-être parce qu’elle est si belle, justement. Il se dit : Elle est si contente d’elle, elle se leurre tellement. »
Philip Roth, La tache
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Nul fruit ne mûrit pour nous qui n’ait tenu dans les orages de fer
« Le combat demeure une chose sainte, un jugement de Dieu entre deux idées. Notre nature profonde nous pousse à défendre notre cause avec toujours plus d’acharnement, de sorte que le combat est le dernier mot de notre raison, et que seul ce qu’il nous acquiert peut être possession véritable. Nul fruit ne mûrit pour nous qui n’ait tenu dans les orages de fer, et tout, jusqu’au meilleur et au plus beau, exige d’être conquis de haute lutte.
Qui creuse ainsi jusqu’aux racines du combat et vénère l’authentique esprit combattant, qu’il le vénère partout, même chez l’adversaire. Aussi la réconciliation après le combat devrait-elle rassembler d’abord les hommes du front. C’est en guerrier que j’écris cela, qui peut n’être point au goût du jour : mais pourquoi ne tenterions-nous pas, nous autres guerriers, de nous trouver sur notre ligne à nous, celle de la bravoure virile ? Nous n’y saurions rencontrer pire insuccès que les hommes d’État, les artistes, les savants et les dévots sur la leur. N’avons-nous pas souvent serré les mains qui venaient de nous lancer des grenades, alors que ceux de l’arrière s’empêtraient toujours plus profond dans les taillis de leur haine ? N’avons-nous pas planté des croix sur les tombes de nos ennemis ? Nous sommes restés les plus décents de tous, nous qui chaque jour trempions nos mains dans le sang. La lutte est une façon d’être qui reste ce qu’elle est, mais on peut l’ennoblir par l’esprit chevaleresque. »
Ernst Jünger, La guerre comme expérience intérieure
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07/06/2015
La tempe de l’Occident
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« Nous ignorons les arcanes de l’économie pétrolière. Nous négligeons le fait que le carburant consommé alimente les guerres, fournit sa force à certains réseaux terroristes. Le pétrole est le sang de l’islamisme, le nerf de la radicalité. La houille est le carburant d’une idéologie fossile. Et à chaque fois que nous mettons le pistolet de la pompe dans le trou du réservoir, on l’appuie en fait sur la tempe de l’Occident. »
Sylvain Tesson, L’or noir des steppes
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L’idéal du chien crevé
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« La pensée qui domine l’ensemble de la société, c’est justement l’existence d’un cours de l’histoire, implacable, nécessaire, qui suppose que tout effort est vain s’il ne se situe pas dans le bateau qui suit le courant… Or, le lieu commun du sens de l’histoire correspond exclusivement à l’idéal du chien crevé. Bon petit chien bien gonflé (nécessaire pour surnager) qui s’installe au filet le plus fort du courant et descend le fil de l’eau en se dandinant gravement avec des airs de docteur ès sciences politiques et qui oscille à droite ou à gauche selon les vaguelettes (ses opinions mûrement pensées); parfois un remous lui fait perdre la bonne direction, il hésite en tournoyant (ce sont les scrupules de conscience), il dérive vers un banc de sable (c’est la manifestation de la liberté de sa personne); il se trouve aspiré par un entonnoir vers les fonds (c’est l’angoisse); mais il surmonte bientôt bravement ces tentations, une vague le remet à flot et il poursuit victorieusement son chemin ayant enfin retrouvé la bonne ligne, qui le porte, évidemment, vers la fin nécessaire. Et plus il avance, plus il se gonfle orgueilleusement d’horribles certitudes sur sa liberté et le sens de l’histoire, qui le font s’affirmer plus turgide chaque fois, jusqu’au moment où l’imprégnation de l’âme par cette corruption le fait s’en aller en lambeaux de matières affreuses, à jamais décomposées. »
Jacques Ellul, Exégèse des nouveaux lieux communs
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Tout est prêt pour l’apparition d’un racisme de type nouveau, basé sur le masochisme
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« "A l’époque où les Blancs se considéraient comme supérieurs, dit-il, le racisme n’était pas dangereux. Pour les colons, les missionnaires, les instituteurs laïques du XIX siècle, le Nègre était un gros animal pas très méchant, aux coutumes distrayantes, une sorte de singe un peu plus évolué. Dans le pire des cas on le considérait comme une bête de somme utile, déjà capable d’effectuer des tâches complexes ; dans le meilleur des cas comme une âme fruste, mal dégrossie, mais capable par l’éducation de s’élever jusqu’à Dieu - ou jusqu’à la raison occidentale. De toute façon on voyait en lui un "frère inférieur", et pour un inférieur on n’éprouve pas de haine, tout au plus une bonhomie méprisante. Ce racisme bienveillant, presque humaniste, a complètement disparu. A partir du moment où les Blancs se sont mis à considérer les Noirs comme des égaux , il est clair qu’il en viendrait tôt ou tard à les considérer comme supérieur. La notion d’égalité n’a nul fondement chez l’homme" continua t’il en dressant à nouveau l’index.
Je crus un moment qu’il allait citer ses sources - La Rochefoucauld , ou je ne sais qui - mais finalement non. Lionel plissa le front. "Les Blancs se considérants eux mêmes comme inférieurs , poursuivit Robert, soucieux d’être compris, tout est prêt pour l’apparition d’un racisme de type nouveau, basé sur le masochisme : historiquement, c’est dans ces conditions qu’on en arrive à la violence, à la guerre interraciale et au massacre. Tous les antisémites, par exemple, s’accordent à attribuer aux Juifs une supériorité d’un certain ordre : si vous lisez les écrits antisémites de l’époque, vous serez frappé par le fait que le Juif est considéré comme plus intelligent, plus malin, qu’on lui prête des qualités spéciales dans le domaine de la finance - et, par ailleurs, de la solidarité communautaire. Résultat : six millions de morts." »
Michel Houellebecq, Plateforme
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Industrialiser l’oecumène
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« Nos maîtres furent de tout temps nos ennemis et maintenant plus que jamais, plus que jamais nos maîtres sont faillibles, car si nous sommes innombrables, c’est leur faute, voilà des siècles et des millénaires qu’ils veulent que les subalternes multiplient, afin de les embesogner et de les mener à la mort.
Aujourd’hui même que le monde éclate et que la terre manque aux hommes, leur rêve est de construire des maisons ayant cinquante étages et d’industrialiser l’oecumène, sous le prétexte de fournir aux besoins de ces milliards qui naissent, car il leur faut toujours plus de vivants, toujours, malgré ce qu’ils affirment. Ils organisent méthodiquement l’Enfer, où nous nous consumons, et pour nous empêcher de réfléchir, ils nous proposent des spectacles imbéciles, où notre sensibilité se barbarise et notre entendement achèvera par se dissoudre, ils iront consacrer ces jeux en présidant à leur manie avec toute la pompe convenable.
Nous revenons au cirque de Byzance et nous en oublions nos vrais problèmes, mais sans que ces problèmes nous oublient, nous les retrouverons demain et nous savons déjà que lorsqu’ils seront insolubles, nous irons à la guerre. »
Albert Caraco, Bréviaire du chaos
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L’aventure
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« Quand il n’y aurait qu’une chance sur mille de trouver l’aventure au coin de la rue, il faudrait aller au coin de la rue. »
Henry de Montherlant, Carnets
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