22/08/2015
Un doux et tiède anéantissement se glissait par tous ses membres
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« Non, décidément, rien de tout cela n’était visible ; la Hollande était un pays tel que les autres et, qui plus est, un pays nullement primitif, nullement bonhomme, car la religion protestante y sévissait, avec ses rigides hypocrisies et ses solennelles raideurs. Ce désenchantement lui revenait ; il consulta de nouveau sa montre: dix minutes le séparaient encore de l’heure du train. Il est grand temps de demander l’addition et de partir, se dit-il. Il se sentait une lourdeur d’estomac et une pesanteur, par tout le corps, extrêmes. Voyons, fit-il, pour se verser du courage, buvons le coup de l’étrier ; et il remplit un verre de brandy, tout en réclamant sa note. Un individu, en habit noir, une serviette sur le bras, une espèce de majordome au crâne pointu et chauve, à la barbe grisonnante et dure, sans moustaches, s’avança, un crayon derrière l’oreille, se posta, une jambe en avant, comme un chanteur, tira de sa poche un calepin, et, sans regarder son papier, les yeux fixés sur le plafond, près d’un lustre, inscrivit et compta la dépense. Voilà, dit-il, en arrachant la feuille de son calepin, et il la remit à des Esseintes qui le considérait curieusement, ainsi qu’un animal rare. Quel surprenant John Bull, pensait-il, en contemplant ce flegmatique personnage à qui sa bouche rasée donnait aussi la vague apparence d’un timonier de la marine américaine.
À ce moment, la porte de la taverne s’ouvrit ; des gens entrèrent apportant avec eux une odeur de chien mouillé à laquelle se mêla une fumée de houille, rabattue par le vent dans la cuisine dont la porte sans loquet claqua; des Esseintes était incapable de remuer les jambes; un doux et tiède anéantissement se glissait par tous ses membres, l’empêchait même d’étendre la main pour allumer un cigare. Il se disait : Allons, voyons, debout, il faut filer ; et d’immédiates objections contrariaient ses ordres. A quoi bon bouger, quand on peut voyager si magnifiquement sur une chaise ? N’était-il pas à Londres dont les senteurs, dont l’atmosphère, dont les habitants, dont les pâtures, dont les ustensiles, l’environnaient ? Que pouvait-il donc espérer, sinon de nouvelles désillusions, comme en Hollande ?
Il n’avait plus que le temps de courir à la gare, et une immense aversion pour le voyage, un impérieux besoin de rester tranquille s’imposaient avec une volonté de plus en plus accusée, de plus en plus tenace. Pensif, il laissa s’écouler les minutes, se coupant ainsi la retraite, se disant: Maintenant il faudrait se précipiter aux guichets, se bousculer aux bagages ; quel ennui ! quelle corvée ça serait ! – Puis, se répétant, une fois de plus : En somme, j’ai éprouvé et j’ai vu ce que je voulais éprouver et voir. Je suis saturé de vie anglaise depuis mon départ ; il faudrait être fou pour aller perdre, par un maladroit déplacement, d’impérissables sensations. Enfin quelle aberration ai-je donc eue pour avoir tenté de renier des idées anciennes, pour avoir condamné les dociles fantasmagories de ma cervelle, pour avoir, ainsi qu’un véritable béjaune, cru à la nécessité, à la curiosité, à l’intérêt d’une excursion ? – Tiens, fit-il, regardant sa montre, mais l’heure est venue de rentrer au logis ; cette fois, il se dressa sur ses jambes, sortit, commanda au cocher de le reconduire à la gare de Sceaux, et il revint avec ses malles, ses paquets, ses valises, ses couvertures, ses parapluies et ses cannes, à Fontenay, ressentant l’éreintement physique et la fatigue morale d’un homme qui rejoint son chez soi, après un long et périlleux voyage. »
Joris-Karl Huysmans, À rebours
16:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) |
|
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
Tel un laquais obèse sur sa banquette graisseuse
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« Votre pensée,
qui rêvasse sur votre cervelle ramollie,
tel un laquais obèse sur sa banquette graisseuse,
je m’en vais l’agacer
d’une loque de mon coeur sanguinolent
et me repaître à vous persifler, insolent et caustique.
Mon âme n’a pas pris un seul cheveu blanc,
et il n’y a en elle aucune tendresse sénile !
Enfracassant le monde par le bourdon de ma voix,
je m’avance, beau gosse, mes vingt-deux ans en prime.
Tendres !
Vous couchez l’amour sur les violons.
Les brutaux le flanquent sur des cymbales.
Mais sauriez-vous comme moi vous retourner comme un gant
pour que vous ne soyez plus que des lèvres intégrales ?
Venez prendre des leçons
- salonnière de satin,
fonctionnaire formatée de la ligue angélique,
et celle qui feuillette des lèvres sans émoi aucun,
comme si c’étaient les pages d’un livre de cuisine !
Voulez-vous
que je sois un enragé de la viande,
ou bien, changeant de ton comme les couleurs du ciel -
voulez-vous
que je sois impeccablement tendre,
un nuage en pantalon au lieu d’un homme charnel ?
Ce n’est pas vrai qu’il y ait une Nice florale !
Voilà que je me remets à chanter vos louanges
- vous, hommes, défraîchis comme un hôpital,
et vous, femmes, rebattues comme un proverbe. »
Vladimir Maïakovski, Le Nuage en Pantalon
12:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) |
|
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
Comme une coupe je soulève mon crâne
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« En un toast
à vous toutes
qui m’avez plu et me plaisez,
icônes bien gardées au creux de l’âme,
comme une coupe je soulève mon crâne
plein à ras bord de poésie.
De plus en plus je me demande
s’il ne serait pas mieux
que je me mette d’une balle un point final.
Aujourd’hui
à tout hasard
je donne un concert d’adieu
Mémoire !
Rassemble dans ma salle cérébrale
les files infinies des femmes chères.
Verse le rire d’oeil en oeil.
Pare la nuit en noces ancestrales.
Verse la joie de chair en chair.
Je vais jouer de la flûte aujourd’hui
sur ma propre colonne vertébrale. »
Vladimir Maïakovski, La flûte des vertèbres in "À pleine voix, Anthologie poétique 1915-1930"
07:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) |
|
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
21/08/2015
Un monde où le Bien et le Mal se combattent
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« Si l’on connaît la place privilégiée que Nietzsche accorde à la musique par rapport aux autres arts, comme émanant directement de la source, de l’instinct vital, on ne s’étonnera pas des violentes critiques que le philosophe allemand proférera à l’égard de Socrate, "l’homme qui ne sait pas chanter". Socrate va privilégier la conscience et la lucidité par rapport à l’instinct. Il est l’homme non mystique ; Nietzsche dira "l’homme théorique". En effet, Socrate, le premier, va se permettre d’envisager les mythes, de les concevoir autrement que dans la pensée traditionnelle. Le mythe, de charnel et complexe, va pivoter vers la simplification et l’abstraction. Plus encore, c’est l’amorce d’une rationalisation, d’une explication. Dans le Phèdre de Platon, un dialogue entre Phèdre et Socrate est très révélateur de l’état d’esprit de ce dernier. Evoquant le mythe dans lequel Orythye est enlevée par Borée, Phèdre interroge : "Mais dis-moi, Socrate, crois-tu que cette aventure mythologique soit réellement arrivée ?". Et Socrate répond : "Mais si j’en doutais, comme les sages, il n’y aurait pas lieu de s’en étonner". Socrate explique avec des arguments rationnels que le souffle de Borée (le vent) a occasionné la chute d’Orythye qui en est morte. Voilà peut-être le premier argument rationnel destiné à se substituer à un élément mythologique. On le voit ici, cette pensée est très moderne et très accessible à notre compréhension. Socrate et Platon vont donc faire évoluer les mythes, et de la connaissance instinctive, on glisse à la connaissance rationnelle. On n’accepte plus le sens mystique du monde qui va être dévoré par la logique.
Les mythes n’en sont pas pour autant abandonnés : ils vont évoluer, à la fois dans la manière dont ils vont être perçus et dans leur forme propre. Il est temps ici de reprendre le mythe d’Héraklès que nous avons laissé dans la première partie de cet exposé, dans toute la force et la puissance ambiguës d’un être mi-divin, mi-humain, avec sa force surhumaine, ses débauches et ses passions démesurées. Après Sophocle qui, dans Les Trachiniennes, en fait un être brutal et sans finesse, Héraklès ne va cesser d’évoluer vers un idéal. La période hellénistique le montrera comme une divinité civilisatrice dont les travaux seront des épreuves d’utilité publique ; il devient un bienfaiteur de l’humanité au service du bien. Les philosophes (cyniques et stoïciens) vont vanter le caractère hautement moral de l’acceptation volontaire des souffrances qui jalonnent sa vie : il accepte librement le sacrifice ; il se dévoue pour l’humanité. Son nom est invoqué dans les situations difficiles (on l’appelle "Alexikakos", le détourneur de maux) et il devient le "héros" par excellence. Très grec mais très populaire, il passera à Rome où, devenu Hercule, il subira la même épuration qu’en Grèce. Cet Hercule idéalisé n’aura pas de mal à survivre partiellement dans le personnage d’un autre demi-dieu, purificateur de la terre et sauveur du genre humain, le Christ.
La rationalisation est le prélude de la moralisation.
Toutefois le mythe purifié se désincarne de plus en plus et chemine vers l’idéalisation, l’abstraction. En s’éloignant du monde, les divinités, dieux et héros, deviennent des idées, des concepts, des absolus. Ce faisant, ils se moralisent et la moralisation nous apparaît comme l’inévitable corollaire de l’absolu. Platon va rejeter le côté humain et refuser ce qu’il appellera "des mensonges de poètes", et les dieux, peu à peu, se tiendront sagement sur l’Olympe, dans une vertu exemplaire invitant à l’imitation autant qu’à l’ennui. En invoquant le monde des idées, Platon a ouvert la porte à un monde où le Bien et le Mal se combattent : le mal est le monde de l’instinct, de l’irrationnel, symbolisé chez Platon par le cheval noir ; le bien est le monde de la volonté, de la tempérance, symbolisé par le cheval blanc ; les 2 chevaux sont conduits par le cocher : la raison. Ce char symbolise l’âme humaine qui, on le voit, hiérarchise ses 2 composantes. L’instinct dès lors ne cessera d’être méprisé, la raison glorifiée. Le mythe en mourra, ce magnifique lien que les hommes avaient tissé pour relier leurs dieux à la condition humaine, au monde sensible ; ce lien est désormais rompu, à jamais sacrifié par quelques hommes fiers d’être moins naïfs, sur l’autel de ce que Heidegger appelle avec bonheur "la pensée calculante". »
Hughes Labrusse, Analyses & Réflexions sur Borgès
16:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (1) |
|
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
Je me balance de vos sentences
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« Je me balance
de vos sentences.
Tant qu’en conscience
je puis dévorer ma pitance,
je n’ai pas besoin d’allégeance
à vos pâles jactances
creuses. Accroître la sapience
je le peux par moi-même. La finance
depuis toujours régit le monde.
Il se fera bien tondre
celui qui à lui-même ne sait pas correspondre.
Et la pédanterie
n’est qu’une vilaine manie :
j’ai dit. »
Robert Walser, Je me balance de vos sentences in Poèmes
12:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) |
|
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
Les résistances imprévues qui s’éveillent
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« Depuis la fin de l’interminable période figée de la guerre froide, le monde est entré en mouvement, ce que montrent des changements culturels et géostratégiques immenses. Le monde est entré dans une nouvelle histoire où l’imprévu retrouve ses droits. Ce qui bouge ne peut qu’être favorable à un réveil européen par ébranlement de la puissance suzeraine que sont les Etats-Unis. Mais je ne pense pas que ceux-ci se laisseront facilement déposséder. Comme l’ont confirmé les révélations de Wikileaks, les Américains ont favorisé l’immigration invasion extra-européenne et musulmane en Europe dans le but de nous briser définitivement. En apparence, cela se révèle efficace. En apparence seulement. Les résistances imprévues qui s’éveillent lentement sont les signes de ce qui se passera à l’avenir. Je ne crois pas que les Européens se laisseront écraser dès lors qu’ils prendront conscience du danger, ce qui est encore loin d’être le cas. Les réveils historiques sont toujours très lents, mais une fois commencés, on ne les arrête plus. »
Dominique Venner, Dossier "Le déclin de l'Occident" in Revue "Eléments 139, avril 2011"
07:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) |
|
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
20/08/2015
Nous nous sommes contentés de rafistoler les restes
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« Mais les vivants, dans leur folie, l'exil ou la retraite, ne sont pas beaucoup plus que les morts (…) Il aurait fallu reconstruire et nous nous sommes contentés de rafistoler les restes. Bienheureux ceux qui ont tout perdu ! Leurs enfants ont ouvert les yeux dans un monde nettoyé du D.D.T. et à la bombe. Les charniers se sont révélés un bon fumier et nous vivons dans l'abondance avec pour seule crainte qu'elle nous étouffe. La grande peur n'est plus d'avoir faim, mais de trop manger. La grande peur n'est plus de ne pas faire l'amour quand le désir nous prend, mais de trop le faire et d'en être un jour écœuré. »
Michel Déon, Les Poneys sauvages
16:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) |
|
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
Des cages
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« Le souci d'aimer ou de dire la vérité vous place tantôt à droite, tantôt à gauche. On reconnaît les hommes malhonnêtes à ce qu'ils sont constamment à gauche ou constamment à droite. Inscrit à un parti, fidèle à ce parti et à ses chefs, vous acceptez implicitement de truquer ou de mentir par omission. La gauche et la droite ne sont plus des notions abstraites, ce sont des cages, des prisons et il se pourrait bien que la plus sectaire des deux soit la gauche, celle-là même qui s'est élevé autrefois avec le plus grand courage contre le sectarisme de la droite appuyée par le clergé et l'armée. »
Michel Déon, Les Poneys sauvages
07:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) |
|
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
19/08/2015
L’épreuve
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« La comédie humaine me hérisse. C'est l'épreuve qui révèle le salaud et l'honnête homme. Tel est devenu l'un des principes qui ont guidé ma vie. »
Hélie de Saint Marc, L'aventure et l'espérance
17:06 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) |
|
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
Savoir, tuer et créer
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« "Il n'existe que trois êtres respectables : le prêtre, le guerrier, le poète. Savoir, tuer et créer. Les autres hommes sont taillables et corvéables, faits pour l'écurie, c'est-à-dire pour exercer ce qu'on appelle des professions." (Baudelaire, Mon cœur mis à nu (1864)… il n'y a de grand parmi les hommes que le poète, le prêtre et le soldat. L'homme qui chante, l'homme qui bénit, l'homme qui sacrifie et se sacrifie. »
Richard Millet, La Confession négative
17:06 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) |
|
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
Celui qui nous a placé ici les plaça là-bas
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« Il serait d’un orgueil insensé de prétendre que les habitants de toutes les parties du monde devraient être des Européens pour vivre heureux ; car serions-nous devenus nous-mêmes ce que nous sommes hors d’Europe ? Celui qui nous a placé ici les plaça là-bas et leur a donné le même droit à jouir de la vie terrestre. Comme la félicité est un état intérieur, elle a son critère et sa définition non en dehors, mais au-dedans de chaque être individuel. »
Johann Gottfried von Herder, Histoire et Cultures
07:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) |
|
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
17/08/2015
Vouloir ce que je voudrais voir se reproduire tout le temps
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« Vouloir ce que je voudrais voir se reproduire tout le temps : voilà ce qui définit une vie philosophique. Certes, il y a d’abord vie philosophique quand il y a coïncidence entre ce que l’on pense, ce que l’on croit, ce que l’on enseigne, ce que l’on professe et ce que l’on vit au quotidien ; mais il y a aussi vie philosophique quand il y a production d’instants vivants, accumulation de ces durées sublimes, juxtaposition de ces accumulations dans le temps, le tout finissant par architecturer une vie construite selon ces principes. Qui voudrait voir se reproduire sans cesse les moments ternes et tristes, sombres et lugubres qui remplissent sa vie de temps morts ? Qui ne voudrait d’une vie faite de ces moments d’un contre-temps hédoniste ? »
Michel Onfray, Cosmos
16:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) |
|
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
Un instant sans lien avec l’avant et l’après
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« Cette étrange dilution des temps vrais dans un faux temps nie le passé autant que l’avenir. Ce qui fut, tout comme ce qui sera, n’a pas été et ne sera pas, donc n’est pas. Ce qui est ? Juste un instant sans lien avec l’avant et l’après. Un point incapable de prendre place dans le processus qui jadis faisait une ligne.
(…)
Ce temps dissocié de ses attaches avec le passé et le futur, ce temps non dialectique, ce temps intemporel définit le temps mort. Nous vivons dans le temps mort construit par les machines à virtualiser le réel. Le téléphone abolit les distances, la radio aussi ; la télévision, quant à elle, abolit les distances mais aussi le temps. L’instant du tweet et du texto n s’inscrit dans aucun mouvement. Temps mort présenté comme temps vif, temps décomposé qu’on imagine quintessence du temps postmoderne, temps déracine d’un monde hors sol.
Comment, dés lors, saisir : le temps du vin et le temps des paysans, le temps du géologie et celui du spéléologue, le temps des nomades et celui des sédentaires, le temps des ruraux et celui des urbains, le temps des plantes et celui des pierres, le temps des vivants et celui des morts ? La confusion des temps empêche de partir à la recherche du temps perdu et de jouir du temps retrouvé, elle interdit qu’on connaisse la douceur de la nostalgie et la violence du désir des choses à venir. Cette dilution dommageable transforme en sourds ceux qui ne peuvent plus entendre une symphonie dans sa longue durée, en illettré le lecteur incapable de lire de longs livres, en crétin l’individu qui ne sait plus soutenir son attention et sa concentration au-delà de cinq pages d’un essai, en demeuré celui qu’on a habitué aux temps brefs des pastilles radiophoniques et télévisés. La mort du temps tue ceux qui vivent dans ce temps.
Ce temps mort ne permet donc rien d’autre que la mort. Il n’est pas le temps suspendu du mystique païen ou du sage qui sait parvenir au sublime, à l’extase et au sentiment océanique, mais la présence vide et creuse à l’ici-bas comme s’il s’agissait déjà d’un néant.»
Michel Onfray, Cosmos
07:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) |
|
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
16/08/2015
Le réel de nos temps nihilistes
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« Le temps du cosmos, un ordre plurimillénaire, a disparu au profit du temps des machines à produire de la virtualité. Le virtuel est devenu le réel de nos temps nihilistes ; le réel, le virtuel de ces mêmes temps. Dans la configuration de ce temps de leurre, le réel n’a pas eu lieu ; et ce qui a eu lieu de façon virtuelle devient le réel. »
Michel Onfray, Cosmos
16:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) |
|
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
Ils vivent parce qu’ils vivent… ils meurent parce qu’ils meurent…
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« Mes articles étaient nets, incisifs, brillants ; ils étaient généralement appréciés, d’autant que je n’avais jamais de retard sur les dates de remise. Mais cela suffisait-il à justifier une vie ? Et en quoi une vie a-t-elle besoin d’être justifiée ? La totalité des animaux, l’écrasante majorité des hommes vivent sans jamais éprouver le moindre besoin de justification. Ils vivent parce qu’ils vivent, et voilà tout, c’est comme ça qu’ils raisonnent ; ensuite je suppose qu’ils meurent parce qu’ils meurent, et que ceci, à leur yeux, termine l’analyse. »
Michel Houellebecq, Soumission
07:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) |
|
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
15/08/2015
Exigeants héros qui invitent au dépassement de soi
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« [La] mythologie [de la France] est la mienne, et j'aime qu’au contraire des anciens Grecs qui peuplaient la leur de dieux mesquins et fourbes à l'image des hommes, elle soit habitée par d'exigeants héros qui invitent au dépassement de soi : sainte jeune fille en armes délivrant la patrie, saint roi mourant au retour de la Croisade, mécènes princiers accumulant sur leur tête une splendeur qu'ils lèguent à la nation, poètes maudits, Chouans fous de Dieu et d'Honneur, chevaliers sans reproches, ermites émaciés aux visages brûlés par les vents de sable, savants innocents qui se laissent dépouiller de leurs inventions, aristocrates, musiciens, peintres, sculpteurs, architectes qui ont le mieux compris leur temps, marins ivres d'espace, penseurs qui ont traité la métaphysique noblement, d'égal à égal, sans lui faire d’horribles enfants comme les philosophes allemands. »
Michel Déon, Bagages pour Vancouver
18:30 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) |
|
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
13/08/2015
Dans l’enceinte sacrée d’Aphrodite
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« La plus honteuse des lois de Babylone est celle qui oblige toutes les femmes du pays à se rendre une fois dans leur vie au temple d’Aphrodite pour s’y livrer à un inconnu. Beaucoup d’entre elles, fières de leur richesse, refusent de se mêler aux autres femmes et se font conduire au temple dans des voitures couvertes où elles demeurent, avec de nombreux serviteurs autour d’elles. Mais en général cela se passe ainsi : les femmes sont assises dans l’enceinte sacrée d’Aphrodite, la tête ceinte d’une corde, toujours nombreuses, car si les unes se retirent, il en vient d’autres. Des allées tracées en tous sens par des cordes tendues permettent aux visiteurs de circuler au milieu d’elles et de faire leur choix. La femme qui s’est assise en ce lieu ne peut retourner chez elle avant qu’un des passants n’ait jeté quelque argent sur ses genoux, pour avoir commerce avec elle en dehors du temple. Il doit, en lui jetant l’argent, prononcer uniquement la formule : « J’invoque la déesse Mylitta » (Mylitta est le nom assyrien d’Aphrodite). Quelle que soit la somme offerte, la femme ne refuse jamais : elle n’en a pas le droit, et cet argent est sacré. Elle suit le premier qui lui jette de l’argent et ne peut repousser personne. Mais, ceci fait, libérée de son devoir envers la déesse, elle retourne chez elle et, par la suite, on ne saurait lui offrir assez d’argent pour la séduire. Celles qui sont belles et bien faites sont vite de retour chez elles, les laides attendent longtemps sans pouvoir satisfaire à la loi ; certaines restent dans le temple pendant trois ou quatre ans. »
Hérodote, L’Enquête, I, 196
01:01 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (1) |
|
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
04/08/2015
Une âme habituée
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise pensée. C’est d’avoir une pensée toute faite. Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise âme et même de se faire une mauvaise âme. C’est d’avoir une âme toute faite. Il y a quelque chose de pire que d’avoir une âme même perverse. C’est d’avoir une âme habituée. »
Charles Péguy, Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne
13:58 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) |
|
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
Pierre Porcon de la Bardinais
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« En 1665, un capitaine corsaire fut chargé par les armateurs malouins de protéger leurs navires des attaques barbaresques. Ayant été capturé, il se vit offrir par le dey d’Alger d’aller porter à Louis XIV des propositions de paix. La vie d’une centaine d’esclaves français cautionnait sa démarche et l’obligation de revenir reprendre ses chaînes en cas d’insuccès. Il alla à Versailles. L’offre du dey ayant été rejetée, il passa par Saint-Malo, mit ses affaires en ordre et fit ses adieux à sa famille. Puis il retourna en Afrique. Le dey le fit exécuter, attaché à la gueule d’un canon. Il s’appelait Pierre Porcon de la Bardinais. Son nom est oublié. »
Dominique Venner, Histoire et tradition des Européens
13:42 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) |
|
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
Mûr pour l’isolement
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« Tel qu’un ermite, il était mûr pour l’isolement, harassé de la vie, n’attendant plus rien d’elle ; tel qu’un moine aussi, il était accablé d’une lassitude immense, d’un besoin de recueillement, d’un désir de ne plus avoir rien de commun avec les profanes qui étaient, pour lui, les utilitaires et les imbéciles. »
Joris-Karl Huysmans, A rebours
13:31 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) |
|
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
Tout esprit critique, toute pensée personnelle sont détruits
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« Par une propagande permanente à sens unique, à laquelle chacun est soumis dès l’enfance, le régime, sous ses multiples aspects, a progressivement intoxiqué les Français. Toutes les nations à direction démocratique en sont là. Tout esprit critique, toute pensée personnelle sont détruits. Il suffit que soient prononcés les mots-clefs pour déclencher le réflexe conditionné prévu et supprimer tout raisonnement. »
Dominique Venner, Pour une critique positive
13:14 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) |
|
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
03/08/2015
En broutant de l’herbe
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« Il a fallu les chambardements du XXe siècle pour qu’on écoute quelques toquées assurant qu’on ne naît pas femme, mais qu’on le devient. Sans doute pensaient-elles aussi qu’on ne naît pas cerf ou biche mais qu’on le devient en broutant de l’herbe... »
Dominique Venner, Le Choc de l’Histoire
11:16 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) |
|
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
31/07/2015
Une petite partie bien déterminée du vaste monde inerte
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« Mon cousin semblait parfois ployer sous un poids énorme qui menaçait de le terrasser, et il lui fallait fuir, peut-être la canicule et l’incessante frénésie estivale, peut-être la migraine, le souvenir de nuits sordides ou quelque chose de plus sombre dont j’ignorais la nature. Il m’emmenait alors en montagne boire un café sur la terrasse d’un gîte d’étape, dans un ancien village de transhumance que traversait un sentier de randonnée. Nous y passions un moment, dans la fraîcheur des fougères, à l’ombre de grands pins. Mais son humeur restait maussade. Il ne m’adressait pas la parole. Nous reprenions sa voiture pour retourner en ville et soudain, sans que rien le laissât prévoir, au détour d’un virage, apparaissait la mer. Nous dominions le paysage, comme si nous étions suspendus dans l’air limpide, au-dessus de la route en lacets dévalant à pic à travers la forêt vers le golfe éblouissant qui s’étendait mille mètres en contrebas. Mon cousin ouvrait de grands yeux sur ce panorama qu’il connaissait depuis son enfance mais semblait découvrir à chaque fois comme si c’était la première. Il faisait une grimace incrédule, se mettait à sourire et me donnait des petits coups de poing sur la cuisse en disant, putain ! quand même, hein ? incapable d’exprimer avec davantage de clarté le sentiment qui le bouleversait et lui rendait aussi instantanément le goût de vivre, dans lequel il n’était pas difficile de reconnaître une curieuse forme d’amour qui aurait pris pour objet, non un autre être humain, mais une petite partie bien déterminée du vaste monde inerte, et dont, quoique je sois moi-même incapable de le ressentir, je devais cependant admettre l’incomparable puissance. »
Jérôme Ferrari, Le principe
20:15 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) |
|
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
C’était son propre de ne pas savoir choisir
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« Déjà il se sentait pris par l’envie de retourner en arrière. C’était son propre de ne pas savoir choisir. Il avait toujours un geste de retard et un désir d’avance. Il ne pouvait pas compter sur soi. Son corps ne le suivait pas. De l’âme, il en avait à revendre ; vendre son âme, l’âme de Buridan... »
Antoine Blondin, L’Europe Buissonnière
18:43 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) |
|
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
La Cynthia que avez fait naître de la mort même, avec la violence d’un accoucheur
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« Ma nouvelle existence, celle qui me donne le bonheur de respirer dans cette chambre, de voir ce soleil rose et votre visage près du mien, c’est vous qui me l’avez donnée. La Cynthia que avez fait naître de la mort même, avec la violence d’un accoucheur, peut-être n’est-elle pas aussi belle, ni aussi désirable que celle que vous avez rencontrée à Rome, un soir, mais tant pis pour vous. Une femme, je m’en rends compte maintenant, naît deux fois. L’homme qui la révèle à elle-même, par une preuve d’amour irrécusable, est le seul qui prenne la place de son père. Et c’est pour cela qu’il est aussi le seul auquel elle puisse obéir sans discuter. »
André Fraigneau, L’amour Vagabond
18:23 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) |
|
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook


































































































