Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

16/05/2015

L'existence farouche

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Enfin je ne danse plus pour personne et, de toutes mes forces, je célèbre l'existence. Rien, rien d'autre que l'existence farouche, son grand corps unanime et son immense matière mortelle. »

Henry Bauchau, Antigone

 

01:28 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Ce noir ardent, qui me nie...

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Le temps s'écoule dans la profondeur du regard et du cœur apaisé mais le soleil continue d'avancer dans le ciel et il est temps de songer au départ. »

« Les sentiments comme les dieux sont sauvages, quand ils se civilisent, ils meurent. »

« Il ne faut pas trop questionner l'espérance. »

« Ce noir ardent, qui me nie, ne cesse pas de grandir et de me consumer. »

« Est-ce qu'il ne faut pas être rejeté pour devenir soi-même ? »

Henry Bauchau, Antigone

 

01:23 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Ils ne sont pas

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Il se trouve que les hommes oublient qu'ils ne sont pas avant d'être. »

Pascal Quignard, Les Ombres errantes

 

00:58 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

14/05/2015

Se mettre à genoux devant l’or et devant la merde !

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Que demande toute la foule moderne ? Elle demande à se mettre à genoux devant l’or et devant la merde !… Elle a le goût du faux, du bidon, de la farcie connerie, comme aucune foule n’eut jamais dans toutes les pires antiquités… Du coup, on la gave, elle en crève… Et plus nulle, plus insignifiante est l’idole choisie au départ, plus elle a de chances de triompher dans le coeur des foules… mieux la publicité s’accroche à sa nullité, pénètre, entraîne toute l’idolâtrie… Ce sont les surfaces les plus lisses qui prennent le mieux la peinture. »

Louis-Ferdinand Céline, Bagatelles pour un massacre

18:42 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Plus c’est cul et creux, mieux ça porte

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« N’importe quel trou du cul peut devenir, bien enculé de publicité, un immense n’importe quoi, l’objet d’un culte, une suprêmissime vedette, un criminel horriblissime, une léviathane catastrophe, un film dantesque, une pâte à rasoir cosmique, un transatlantique qui fait déborder la mer, un apéritif qui fait tourner la terre, le plus grand Lépidaure des Ages, le Président du Conseil qui bouffe les casquettes vivantes. Plus c’est cul et creux, mieux ça porte. Le goût du commun est à ce prix. Le “bon sens” des foules c’est : toujours plus cons.  »

Louis-Ferdinand Céline , Bagatelles pour un massacre

18:42 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Une éclaboussure de magie et de fascination

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Ce qui lui plaisait dans ce bistrot, c’étaient les couleurs. Il y avait un bon peintre qui avait vécu par ici et qui avait laissé une trace heureuse. Ce peintre était fou de bleu et Constant aussi. Sans doute ce peintre avait-il touché ces murs au début de la guerre quand Paris était soudain devenu tout bleu, d’un bleu secret et délicat de solitude qui se complait doucement et chaudement en elle-même et qui nie avec un entêtement rusé et délicieusement absurde les traînées de froid et de rigueur qui s’approchent de tous les lointains. Ce peintre aimait sans doute le bleu auparavant, mais la circonstance lui avait enjoint de se repaître de sa préférence. Peut-être maintenant, s’il n’était pas mort, aimait-il une autre couleur ? Mais Constant qui n’était pas peintre aimerait toujours le bleu. Il haïssait le verre et mépriser le violet. Avec quelque complaisance pour le jaune, il appréciait le rouge dans la mesure où il se mariait, divorcée et se remarier avec le bleu. Il y avait aussi des terres de Sienne, des cobalts qui le nourrissait bien. Il était goinfre et aimait à se gaver. Il était amoureux des choses. Quelquefois il se disait qu’il aurait pu se passer des gens ; il savait pourtant que les choses ne vivent que par les gens et que jouer des choses est le dernier moyen de communiquer avec les gens : à travers les choses on échange des messages. Et c’est ainsi que lui, Constant, venait causer dans ce bistrot avec un type qui lui disait des paroles bleues comme on en entend pas de bouche à oreille.

 
Dans un coin près du comptoir il y avait une silhouette de femme pétrie dans un bleu de Prusse qui vous saturait le sang. La ligne ajoutait aux bienfaits de la couleur un autre bienfait. Cela faisait deux bienfaits en même temps : on n’avait pas se plaindre, on avait de quoi se réjouir profondément dans les entrailles de son ventre et de son imagination. Tout cela ne tombe pas du ciel, mais c’était doucement sué par la terre qui était sous ce quartier de bitume et de plâtras et sous ce bistrot de marchandage et de bavardage. Constant rigolait doucement en songeant au bon tour que la terre, la couleur bleue et un copain inconnu jouaient à tous ces idiots crasseux et gentils qui ne savaient pas qu’ils nageaient dans le bleu, dans le suc que le plus raffiné. Pourtant, de temps en temps l’un d’eux semblait une seconde se méfier, s’inquiéter et, interrompant une phrase, suspendant son verre, demeurait bouche bée devant une tâche, une éclaboussure de magie et de fascination. Constant connaissait bien la terre. Bien qu’il fût de Paris, il connaissait la terre. Il ne l’avait jamais ignorée ; il l’avait toujours soupçonné, devinée, décelée sous les quartiers. Il n’avait aimé rien tant que les travaux de voirie qui, tout d’un coup, fendaient le bitumes et l’asphalte, cassaient le ciment et autour des tuyaux faisaient resurgir la chair vive, non pas seulement cette matière rapportée et sableuse qui est tout de suite sous le pavé, mais plus en dessous, le terreau même. »

Pierre Drieu la Rochelle, Les Chiens de paille

 

16:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Supprimer la transgression tue l'érotisme

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« La volonté de supprimer la transgression tue pareillement l'érotisme. Car il y a bien des normes en matière sexuelle, comme il y en a en toutes choses. L'erreur est de croire que ce sont des normes morales, l'autre erreur étant de s'imaginer que n'importe quelle conduite peut être érigée en norme, ou que l'existence d'une norme délégitime du même coup tout ce qui est hors-normes. L'érotisme implique la transgression, pour autant que cette transgression reste possible sans cesser d'être transgression, c'est-à-dire sans être posée comme norme.

Entre les "jeunes des cités" pour qui les femmes ne sont que des trous avec de la viande autour, les suceuses professionnelles aux formes siliconées et les magazines féminins transformés en manuels de sexologie pubo-coccygienne, l'érotisme apparaît ainsi verrouillé de toutes parts. Les jeunes, en particulier, doivent faire face à une société qui est à la fois beaucoup plus permissive et beaucoup moins tolérante que par le passé. De même que la domination débouche sur la dépossession, la prétendue libération sexuelle n'a finalement abouti qu'à de nouvelles formes d'aliénation. Mais le sexe, parce qu'il est avant tout le domaine de l'incertitude et du trouble, se dérobe toujours à la transparence. »

Robert de Herte, Magazine "Eléments" n°102, septembre 2001

 

07:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

L’avilissement des cœurs...

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Le monde va finir. La seule rai­son, pour laquelle il pour­rait durer, c’est qu’il existe. Que cette rai­son est faible, com­pa­rée à toutes celles qui annoncent le contraire, par­ti­cu­liè­re­ment à celle-ci : Qu’est-ce que le monde a désor­mais à faire sous le ciel? — Car, en sup­po­sant qu’il conti­nuât à exis­ter maté­riel­le­ment, serait-ce une exis­tence digne de ce nom et du Dic­tion­naire his­to­rique? Je ne dis pas que le monde sera réduit aux expé­dients et au désordre bouf­fon des répu­bliques du Sud-Amérique, que peut-être même nous retour­ne­rons à l’état sau­vage, et que nous irons, à tra­vers les ruines her­bues de notre civi­li­sa­tion, cher­cher notre pâture, un fusil à la main. Non; car ces aven­tures sup­po­se­raient encore une cer­taine éner­gie vitale, écho des pre­miers âges. Nou­vel exemple et nou­velles vic­times des inexo­rables lois morales, nous péri­rons par où nous avons cru vivre. La méca­nique nous aura tel­le­ment amé­ri­ca­ni­sés, le pro­grès aura si bien atro­phié en nous toute la par­tie spi­ri­tuelle, que rien, parmi les rêve­ries san­gui­naires, sacri­lèges ou anti­na­tu­relles des uto­pistes, ne pourra être com­paré à ses résul­tats posi­tifs. Je demande à tout homme qui pense de me mon­trer ce qui sub­siste de la vie. De la reli­gion, je crois inutile d’en par­ler et d’en cher­cher les restes, puisque se don­ner la peine de nier Dieu est le seul scan­dale, en pareilles matières. La pro­priété avait dis­paru vir­tuel­le­ment avec la sup­pres­sion du droit d’aînesse ; mais le temps vien­dra où l’humanité, comme un ogre ven­geur, arra­chera leur der­nier mor­ceau à ceux qui croient avoir hérité légi­ti­me­ment des révo­lu­tions. Encore, là ne serait pas le mal suprême.

L’imagination humaine peut conce­voir, sans trop de peine, des répu­bliques ou autres États com­mu­nau­taires, dignes de quelque gloire, s’ils sont diri­gés par des hommes sacrés, par de cer­tains aris­to­crates. Mais ce n’est pas par­ti­cu­liè­re­ment par des ins­ti­tu­tions poli­tiques que se mani­fes­tera la ruine uni­ver­selle, ou le pro­grès uni­ver­sel ; car peu m’importe le nom. Ce sera par l’avilissement des cœurs. Ai-je besoin de dire que le peu qui res­tera de poli­tique se débat­tra péni­ble­ment dans les étreintes de l’animalité géné­rale, et que les gou­ver­nants seront for­cés, pour se main­te­nir et pour créer un fan­tôme d’ordre, de recou­rir à des moyens qui feraient fris­son­ner notre huma­nité actuelle, pour­tant si endurcie ? — Alors, le fils fuira la famille, non pas à dix-huit ans, mais à douze, éman­cipé par sa pré­co­cité glou­tonne ; il la fuira, non pas pour cher­cher des aven­tures héroïques, non pas pour déli­vrer une beauté pri­son­nière dans une tour, non pas pour immor­ta­li­ser un gale­tas par de sublimes pen­sées, mais pour fon­der un com­merce, pour s’enrichir, et pour faire concur­rence à son infâme papa, fon­da­teur et action­naire d’un jour­nal qui répan­dra les lumières et qui ferait consi­dé­rer le Siècle d’alors comme un sup­pôt de la super­sti­tion. — Alors, les errantes, les déclas­sées, celles qui ont eu quelques amants et qu’on appelle par­fois des Anges, en rai­son et en remer­cie­ment de l’étourderie qui brille, lumière de hasard, dans leur exis­tence logique comme le mal, — alors celles-là, dis-je, ne seront plus qu’impitoyable sagesse, sagesse qui condam­nera tout, fors l’argent, tout, même les erreurs des sens! Alors, ce qui res­sem­blera à la vertu, que dis-je, tout ce qui ne sera pas l’ardeur vers Plu­tus sera réputé un immense ridi­cule. La jus­tice, si, à cette époque for­tu­née, il peut encore exis­ter une jus­tice, fera inter­dire les citoyens qui ne sau­ront pas faire for­tune. Ton épouse, ô Bour­geois! ta chaste moi­tié, dont la légi­ti­mité fait pour toi la poé­sie, intro­dui­sant désor­mais dans la léga­lité une infa­mie irré­pro­chable, gar­dienne vigi­lante et amou­reuse de ton coffre-fort, ne sera plus que l’idéal par­fait de la femme entre­te­nue. Ta fille, avec une nubi­lité enfan­tine, rêvera, dans son ber­ceau, qu’elle se vend un mil­lion, et toi-même, ô Bour­geois, — moins poète encore que tu n’es aujourd’hui, — tu n’y trou­ve­ras rien à redire ; tu ne regret­te­ras rien. Car il y a des choses, dans l’homme, qui se for­ti­fient et pros­pèrent à mesure que d’autres se déli­ca­tisent et s’amoindrissent; et, grâce au pro­grès de ces temps, il ne te res­tera de tes entrailles que des vis­cères! — Ces temps sont peut-être bien proches ; qui sait même s’ils ne sont pas venus, et si l’épaississement de notre nature n’est pas le seul obs­tacle qui nous empêche d’apprécier le milieu dans lequel nous respirons ?

Quant à moi, qui sens quel­que­fois en moi le ridi­cule d’un pro­phète, je sais que je n’y trou­ve­rai jamais la cha­rité d’un méde­cin. Perdu dans ce vilain monde, cou­doyé par les foules, je suis comme un homme lassé dont l’œil ne voit en arrière, dans les années pro­fondes, que désa­bu­se­ment et amer­tume, et, devant lui, qu’un orage où rien de neuf n’est contenu, ni ensei­gne­ment ni dou­leur. Le soir où cet homme a volé à la des­ti­née quelques heures de plai­sir, bercé dans sa diges­tion, oublieux — autant que pos­sible — du passé, content du pré­sent et rési­gné à l’avenir, enivré de son sang-froid et de son dan­dysme, fier de n’être pas aussi bas que ceux qui passent, il se dit, en contem­plant la fumée de son cigare : "Que m’importe où vont ces consciences ?"

Je crois que j’ai dérivé dans ce que les gens du métier appellent un hors-d’œuvre. Cepen­dant, je lais­se­rai ces pages, — parce que je veux dater ma colère. »

Charles Baudelaire, Fusées

 

00:07 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

"Cosmopolites"...

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« La lutte contre la "servilité devant l'Occident" rejoignait la campagne de "lutte contre le cosmopolitisme", comme on disait ; il s'agissait, en fait, d'un antisémitisme pur et simple. B.L. Vannikov, juif lui-même, amusait ses interlocuteurs de l'appareil par des blagues du genre de celle-ci : Si tu ne veux pas être antisémite, appelle les Juifs "cosmopolites". »

Andreï Sakharov, Mémoires

 

00:05 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Il se masque son gouffre

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Et il prononce lui-même à ce sujet le mot de stoïcisme. Ces règles minutieuses et tatillonnes, il se les impose d’abord pour mettre un frein à son insondable liberté. Par des obligations constamment renouvelées, il se masque son gouffre : il est d’abord dandy par peur de soi : c’est l’ "askèsis" des Cyniques et de la Stoa. Notons que le dandysme, par sa gratuité, par la libre position de valeurs et d’obligations, s’apparente au choix d’une Morale. Il semble que, sur ce plan, Baudelaire ait donné satisfaction à cette transcendance qu’il a découverte en lui dès l’origine. Mais c’est une satisfaction truquée. Le dandysme n’est que l’image affaiblie du choix absolu de Valeurs inconditionnelles. En fait il se tient dans les limites du Bien traditionnel. Il est gratuit, sans doute, mais il est aussi parfaitement inoffensif. Il ne bouleverse aucune des lois établies. Il se veut inutile et, sans doute, il ne sert pas ; mais il ne nuit pas non plus ; et la classe au pouvoir préférera toujours un dandy à un révolutionnaire, de la même façon que la bourgeoisie de Louis-Philippe tolérera plus volontiers les outrances de l’Art pour l’Art que la littérature engagée de Hugo, de Sand et de Pierre Leroux. C’est un jeu d’enfant, que les adultes considèrent avec indulgence ; ce sont des obligations supplémentaires que Baudelaire s’inflige en plus de celles que lui impose la Société. Il en parle avec emphase, avec insolence, mais aussi avec un léger sourire de coin. Il ne souhaite pas qu’on le prenne tout à fait au sérieux. »

Jean-Paul Sartre, Baudelaire

 

00:03 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

12/05/2015

La condition des hommes

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Qu'on s'imagine un nombre d'hommes dans les chaînes, et tous condamnés à la mort, dont les uns étant chaque jour égorgés à la vue des autres, ceux qui restent voient leur propre condition dans celle de leurs semblables, et, se regardant les uns les autres avec douleur et sans espérance, attendent leur tour. C'est l'image de la condition des hommes. »

Blaise Pascal, Pensées

 

21:31 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

La dissolution de la société présente

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« La dissolution de l'empire romain n'était rien en comparaison de la dissolution de la société présente.
Il y avait sans doute beaucoup plus de crimes et encore un peu plus de vices. Mais il y avait aussi infiniment plus de ressources. Cette pourriture était pleine de germes. Ils n'avaient pas cette sorte de promesses de stérilité que nous avons aujourd'hui. »

Charles Péguy, Pensées

 

21:02 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Les tenants officiels de la petitesse

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Le débat n’est pas entre les héros et les saints ; le combat est contre les intellectuels, contre ceux qui méprisent également les héros et les saints. Le débat n’est point entre ces deux ordres de (la) grandeur. Le combat est contre ceux qui haïssent la grandeur même, qui haïssent également l’une et l’autre grandeurs, qui se sont faits les tenants officiels de la petitesse, de la bassesse, et de la vilenie. »

Charles Péguy, Notre Jeunesse

 

20:40 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

10/05/2015

La boisson

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Le seul obstacle entre nous, disait-elle, c’est la boisson.
- Je boirai l’obstacle, répondais-je. »

Antoine Blondin, Un singe en hiver

(Ce sont, ici, les belles jambes de la ravissante Altana Otovic...) 

23:25 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Les Médiocres…

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Mes rêves sont médiocres. Comme tous les habitants d'Europe occidentale, je souhaite voyager. Enfin il y a les difficultés, la barrière de la langue, la mauvaise organisation des transports en commun, les risques de vol ou d'arnaque : pour dire les choses plus crûment, ce que je souhaite au fond, c'est pratiquer le tourisme. On a les rêves qu'on peut ; et mon rêve à moi c'est d'enchaîner à l'infini les "Circuits passion", les "Séjours couleur" et les "Plaisirs à la carte" — pour reprendre les thèmes des trois catalogues Nouvelles Frontières. »

Michel Houellebecq , Plateforme

 

19:38 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

On est soldat et contraint de faire cette guerre par cela seul qu’on entre dans la vie

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« La très-sainte Église catholique reçut en héritage de son divin fondateur et maître le privilège de la persécution et des outrages; elle a tété outragée et persécutée par les peuples et par les chefs des peuples, rois ou empereurs. De son propre sein sortirent les grandes hérésies qui entourèrent son berceau, pareilles à des monstres prêts à la dévorer. Elles tombent terrassées aux pieds de l’Hercule divin; mais c’est en vain; la lutte effrayante entre l’Hercule divin et l’Hercule humain, entre Dieu et l’homme, recommence. La rage des serviteurs du mal égale l’indomptable courage des serviteurs de Dieu. Les succès sont divers; le théâtre de la bataille s’étend sur les continents d’une mer à l’autre, sur les mers d’un continent à l’autre, dans le monde d’un pôle à l’autre pôle. Le parti vainqueur en Europe est vaincu en Asie; il succombe en Afrique, dans les Amériques il est triomphant. Tout homme, qu’il le sache ou l’ignore, sert et combat dans l’une des deux armées, et il n’en est pas un seul qui n’ait sa part dans la responsabilité de la défaite ou de la victoire. Le forçat dans les chaînes et le roi sur son trône, le pauvre et le riche, l’homme sain et le malade, le savant et l’ignorant, l’enfant et le vieillard, l’homme civilisé et le sauvage, tous combattent le même combat. Toute parole qui se prononce est inspirée de Dieu ou inspirée par le monde, et proclame forcément d’une manière implicite ou explicite, mais toujours claire, la gloire de l’un ou le triomphe de l’autre. Nous sommes forcément enrôlés dans cette milice, où il n’y a ni remplacement, ni engagements volontaires, et dont ne dispense ni le sexe, ni l’âge, ni la maladie. Aucune excuse n’est admise, et personne n’est reçu à venir dire : "je suis le fils d’une veuve dans l’indigence" ou bien : "je suis la mère d’un paralytique" ou encore : "je suis la femme d’un estropié" On est soldat et contraint de faire cette guerre par cela seul qu’on entre dans la vie. 

(...)

Il n’y a pas un coin de l’espace, pas un moment du temps où la lutte ne soit engagée. Dans la seule éternité, patrie des justes, se rencontre le repos, là seulement cesse le combat. Mais n’allez pas croire que les portes de cette éternité s’ouvriront pur vous si vous ne pouvez pas montrer les cicatrices, marques de votre courage! Ces portes s’ouvrent pour ceux-là seuls qui ont combattu glorieusement ici-bas les combats du Seigneur, pour ceux-là seuls qui ont, comme le seigneur, été crucifiés. »

Juan Donoso Cortès, Essai sur le catholicisme le libéralisme et le socialisme

 

19:37 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Sous quelque forme qu’il se présente, l’athéisme suppose un manque de manières

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« S’en prendre à Dieu, vouloir le détrôner, le supplanter, est un exploit de mauvais goût, la performance d’un envieux qui ressent une satisfaction de vanité à être aux prises avec un ennemi unique et incertain. Sous quelque forme qu’il se présente, l’athéisme suppose un manque de manières, comme, pour des raisons inverses, l’apologétique ; car n’est-ce point une indélicatesse autant qu’une charité hypocrite, une impiété, que s’escrimer à soutenir Dieu, à lui assurer coûte que coûte une longévité ? L’amour ou la haine que nous lui portons relève moins la qualité de nos inquiétudes que la grossièreté de notre cynisme. »

Emil Cioran, "Lettre sur quelques impasses", in "La Tentation d’exister"

 

19:36 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Les partis politiques…

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Je préfère savoir la jeunesse dans les bals, les cafés ou ce qui tient lieu de bordels, plutôt que dans les partis politiques. »

Michel Braspart, J'ai du bon tabac, in « La Nation française, 8 mai 1957 »

 

19:31 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

05/05/2015

Les Italiennes, les Françaises...

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Et puis, les femmes. Il y a longtemps, Français, que vous n'êtes plus au courant de l'élément "femme". Vous vous êtes vengés de l'esprit qui l'habitait. Mes italiennes, ici, de milieu modeste, éclatent de vie par rapport à vos modèles racornis. Loretta ! Ada ! Qu'avez-vous de commun avec la petite-bourgeoise française partout au pouvoir ? Rien. Vous vous faites payer, soit, mais votre gratuité saute aux yeux. Il n'y a pas que l'argent, vous êtes constamment bordées par l'air, le vent, le soleil, les bateaux, la lagune, le velours des soirs. Les Françaises pensent que le monde a un sens, les Italiennes, non. Leur prostitution est plus dégagée, gaie, alors que celle de la Française est sérieuse, dure, appliquée. une Française expédie des organes, une Italienne s'expédie elle-même quand ça lui plaît. L'Italienne ne revendique aucune authenticité, quand la Française exige le respect. Il arrive, d'ailleurs, que la Française soit estimable, mais l'Italienne est toujours passionnée. La Française fait sans cesse de la prose, l'autre est le plus souvent en train de chanter. »

Philippe Sollers, Médium

 

15:37 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Aimer

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Je vais te dire, reprit-elle avec le même murmure précipité et passionné, ce qu'est le vrai amour. C'est la dévotion aveugle, l'humiliation sans réserve, la soumission absolue, la confiance et la foi en dépit de soi-même et du monde entier, l'abandon de son coeur et de son âme tout entiers au bourreau - voilà comment j'ai aimé ! »

Charles Dickens, De grandes espérances

 

14:57 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Un vice à la mode

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« L’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour des vertus. »

Molière, Dom Juan ou Le festin de Pierre

 

14:43 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

29/04/2015

L'usine des cadavres

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Je vois que vous n’avez pas l’air convaincu par ma description de la folie humaine, écrite le soir, à La Riviera, après de fabuleux couchers de soleil rouge. Je dois donc employer des moyens plus forts, en vous prévenant que tout ce qui va suivre est vrai et prouvé. Regardez, ça se lit tout seul, et le titre qui convient est L’Usine des cadavres.

Une enquête minutieuse porte sur la commercialisation des tissus corporels humains, implants dentaires, crèmes antirides, greffes osseuses, implants mammaires ou péniens. L’être humain est une marchandise, et tous ses organes sont transformables en dollars. La principale usine de retraitement spécial se trouve, comme c’est étrange, en Allemagne. Les principaux pays vendeurs se situent dans les pays ex-communistes de l’Est : Ukraine, République tchèque, Estonie, Russie, Bulgarie, Lettonie, Hongrie, Slovaquie.
Ce recyclage hallucinant et tranquille est en plein essor. Vous pouvez acquérir des actions de sociétés, cotées en Bourse, qui utilisent des cadavres humains comme matière première. Les Etats-Unis sont le plus gros marché et le plus gros fournisseur dans ce domaine, puisqu’on estime à 2 millions les produits dérivés de tissus humains vendus chaque année, chiffre qui a doublé en l’espace de dix ans, et qui continue son expansion irrésistible.

Vous êtes aveugle, vous pouvez voir, grâce aux implants cornéens. Vous êtes paralysés, mais vous pouvez marcher de nouveau, grâce aux tendons et ligaments utilisés pour la réparation des genoux. La Science, comme Dieu, est miraculeuse, mais les profits sont énormes grâce surtout aux cadavres frais. C’est ainsi qu’on retrouve, ici ou là, des décharges ou des morgues, que les spécialistes appellent des « marottes humaines », pleines de cadavres dépouillés de toutes leurs parties réutilisables. Pour dissimuler cette manipulation, les os et les muscles retirés sont remplacés par des morceaux de bois ou des chiffons. Les chiffonniers font fortune.

La Slovaquie exporte des tissus de cadavres en Allemagne, les Allemands les exportent en Corée du Sud et aux Etats-Unis, les Sud-Coréens les envoient au Mexique, les Etats-Unis en vendent à plus de trente pays. On trouve des distributeurs de produits manufacturés d’origine humaine dans l’Union européenne, en Chine, au Canada, en Thaïlande, en Inde, en Afrique du Sud, au Brésil, en Australie, en Nouvelle-Zélande. Certains distributeurs sont des filiales de multinationales médicamenteuses multimilliardaires. Mondialisation des cadavres, trafic intense, opacité garantie, froideur du récit.

Comme le dit plaisamment un observateur : "Il y a plus de contrôles sur les fruits et légumes que sur les matériaux corporels." Pour ce qui est des bénéfices, un seul cadavre exempt de pathologie (mais comment en être sûr ?) peut rapportr 80 000 à 200 000 dollars, soit de 65 500 à 164 000 euros. C’est l’avance que votre éditeur, en vous évaluant comme futur cadavre, devrait vous verser à la signature du contrat. Aux Etats-Unis, un simple récupérateur de cadavres peut gagner jusqu’à 10 000 dollars pour chaque corps qu’il arrive à se procurer, grâce à ses contacts dans les hôpitaux, les dépôts mortuaires ou les morgues. Les funérariums peuvent jouer le rôle d’intermédiaires afin d’identifier les donneurs potentiels. On peut aussi payer un hôpital public pour utiliser son service de prélèvements des tissus. Certains chirurgiens, qui procèdent aux transplantations, peuvent simultanément travailler comme consultants auprès des fabricants, comme un ministre de la Santé, n’importe où, peut augmenter ses comptes en Suisse avec des laboratoires pharmaceutiques. Un des conglomérats médicaux a réalisé, en 2011, 11,6 millions de dollars de bénéfices avant impôts pour un chiffre d’affaires de 169 millions de dollars.

La peau et les os sont les bienvenus dans les industries cosmétiques, pour gonfler les lèvres, accroître la taille du pénis ou faire disparaître les rides. Voilà qui donne tout son sens à une expression usée, mais qui se révèle brusquement torride : le baiser de la mort. Il est vrai que cette blonde pulpeuse, style Marilyn, vient de vous laisser un drôle de goût dans la bouche.

Quant aux os prélevés sur les cadavres, remplacés par des tubes en plastique avant les funérailles, ils sont débités et façonnés en vis et en boulon utilisés dans des dizaines d’applications orthopédiques ou dentaires. Ou bien ils sont broyés pour obtenir, en les mélangeant avec des produits chimiques, des colles chirurgicales très vantées comme étant de qualité supérieure aux colles artificielles. Quand on vous disait que l’être humain pouvait être supérieurement collant ! Dans les milieux spécialisés, la colle la plus recherché a un très joli nom : "la Staline". Trouvaille d’experts.

Un employé de ce consortium d’un nouveau genre s’exprime ainsi, sans complexes :
"Au fond, ce que nous faisons aux cadavres, c’est quelque chose de très physique, certains diraient même de très grotesque. Nous sortons les os des bras. Nous sortons les os des jambes. Nous ouvrons la poitrine et extrayons le cœur pour accéder aux valvules. Nous retirons les veines de dessous la peau."
Cette comédie est aussi un sport. Des tendons entiers, soigneusement nettoyés et désinfectés (vous êtes sûrs ?), sont transplantés sur des athlètes pour qu’ils puissent reprendre la compétition. Bonne course, les mecs ! Gloire aux Jeux olympiques !

À force d’accompagner des condamnés à mort (une balle dans la nuque) immédiatement transportés à l’hôpital de retraitement, un Chinois sensible a fini par craquer et raconter son aventure : « C’était à vomir », dit-il. Il a mis un certain temps à vomir.

La folie fabrique les corps et recycle les cadavres. Embryons et cellules souches sont disponibles partout. Vous naissez à l’hôpital, vous mourez à l’hôpital, et ce n’est pas vous qui, le premier, avez comparé l’activité humaine à un "grand hôpital de fous". Le même auteur insiste : "Les hommes sont si nécessairement fous, que ce serait être fou par un autre tour de folie, de n’être pas fou." Cet "autre tour de folie" n’est évidememnt pas la contre-folie. Chaque chose arrivant à son tour, vous assistez donc ici à une découverte fondamentale. Prenez soin de vous, et évitez un grave accident de voiture sur l’autoroute : certains ambulanciers sont spéciaux, et les demandes cliniques en morts frais, de préférence encore palpitants, sont constantes. »

Philippe Sollers, Médium

 

 

16:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

"Dieu est bon pour Israël, pour les hommes au cœur pur"...

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Débarrassons-nous d’abord des clichés et des préjugés habituels : Ernst Jünger portait l’uniforme allemand pendant les deux guerres mondiales du XXe siècle, il a occupé Paris, n’a pas déserté, n’a été ni inquiété, ni pendu, ni fusillé, il est donc forcément criminel, et sa mort tranquille, à 103 ans, couvert d’estime et d’honneurs, est un scandale incompréhensible.
Oui, mais voilà, on ouvre ces deux volumes de ses Journaux, impeccablement présentés et annotés par Julien Hervier, et l’étonnement grandit : ce sont de grands livres.

"Orages d’acier" ? Le meilleur récit de guerre, selon Gide, est un précis de bruit et de fureur mécanique, annonciateur des catastrophes futures soulevées par la dictature de la technique. Un autre écrivain en a été bouleversé, et c’est Borges. Pas d’idéologie, dans ces Orages, la description pure, force de l’écriture du jeune Jünger, plongé, à 19 ans, dans cet enfer. C’est un petit soldat aux quatorze blessures, un héros national modeste qui, par la suite, aurait pu faire carrière dans le nouveau régime totalitaire. Pourtant, il refuse tout : il ne sera ni député ni académicien, et ses livres suivants, "Le Cœur aventureux" et surtout "Sur les falaises de marbre", seront considérées, à juste titre, comme très suspects par la Gestapo. Goebbels voulait frapper, mais Hitler lui-même aurait dit : "On ne touche pas à Jünger." Ce dernier, et c’est un des aspects les plus étonnants de son existence romanesque, passe son temps à brûler des notes, des lettres, des documents, après des perquisitions chez lui. En réalité, il méprise le côté démoniaque des bourreaux plébéiens et de son chef, de plus en plus fou, qu’il surnomme "Kniebolo" dans son Journal. "Ils sont répugnants. J’ai déjà supprimé le mot 'allemand' de tous mes ouvrages pour ne pas avoir à le partager avec eux."

Il faut ici écouter Hannah Arendt, en 1950. "Le 'Journal de guerre' d’Ernst Jünger apporte sans doute le témoignage le plus probant et le plus honnête de l’extrême difficulté que rencontre un individu pour conserver son intégrité et ses critères de vérité et de moralité dans un monde où vérité et moralité n’ont plus aucune expression visible. Malgré l’influence indéniable des écrits antérieurs de Jünger sur certains membres de l’intelligentsia nazie, lui-même fut du début jusqu’à la fin un antinazi actif et sa conduite prouve que la notion d’honneur, quelque peu désuète mais jadis familière aux officiers prussiens, suffisait amplement à la résistance individuelle."

Comment conserver son intégrité sous la Terreur ? Question d’honneur, question de goût. On a reproché à Jünger son dandysme et son esthétisme, sans comprendre son aventure métaphysique intérieure. Dès 1927, alors qu’on lui propose d’être député national-socialiste au Reichstag, il déclare qu’il lui semble préférable d’écrire un seul bon vers plutôt que de représenter soixante mille crétins. Sa stratégie défensive personnelle : la botanique, l’entomologie, la lecture intensive, les rêves. Ses descriptions de fleurs ou d’insectes sont détaillées et voluptueuses, il passe beaucoup de temps dans le parc de Bagatelle ou au Jardin d’acclimatation. C’est pas ailleurs un rêveur passionné, familier de l’invention fantastique, proche, en cela, du grand Novalis. "Nous rêvons le monde, et il nous faut rêver plus intensément lorsque cela devient nécessaire." Que lit-il, en 1942, dans sa chambre de l’hôtel Raphaël, à Paris ? La Bible, et encore la Bible, et toujours la Bible (il se convertira discrètement, à la fin de sa vie, au catholicisme). On le voit marcher dans Paris, il voit Paris comme un enchantement permanent, il achète des livres rares, et tout à coup, le 25 juillet 1942 : "L’après-midi au Quartier latin, où j’ai admiré une édition de Saint-Simon en vingt-deux tomes, monument de passion pour l’histoire. Cette œuvre est l’un des points de cristallisation de la modernité." Après tout, on doit aussi à Jünger, dans l’ombre, que Paris n’ait pas été incendié et détruit selon les ordres finaux de Hitler. Le rêve, la profondeur vivante et inlassable du monde : on sait que, par la suite, Jünger a beaucoup expérimenté les drogues, et pas les plus banales, mescaline et psylocibine (comme Michaux). En même temps, il a sur place une charmante maîtresse, Sophie Ravoux, médecin, qu’il appelle tantôt "la Doctoresse", tantôt "Charmille". Les tortures, les exécutions de masse ? C’est immédiatement le dégoût (il refuse d’y assister sur le front russe, au Caucase). "L’infamie est célébrée comme une messe, parce qu’elle recèle en son tréfonds le mystère du pouvoir de la populace." L’infamie c’est, par exemple, l’apparition des étoiles jaunes sur la poitrine des Juifs à Paris que Jünger salue au garde-à-vous ("J’ai toujours salué l’étoile") tout en notant aussitôt qu’il a honte de porter son uniforme. C’est lui toujours qui met en sécurité pour l’avenir des lettres d’otages fusillés, lecture qui l’a "fortifié", dit-il, puisqu’on y vérifie que "l’amour est le plus profond de tous les liens".

Et puis, bien entendu, il y a les portraits, tous incisifs et révélateurs. Morand, Jouhandeau, Léautaud, Céline (qu’il déteste), Picasso (qui lui propose de signer immédiatement la paix pour que les hommes puissent faire la fête le soir même). "Gaston Gallimard donne une impression d’énergie éclairée, aussi intelligente que pratique — celle-là même qui doit caractériser le bon éditeur. Il doit y avoir aussi en lui quelque chose du jardinier." Quant à Kniebolo (Hitler), "son passage à Satan est de plus en plus manifeste". Comment se comporter dans ces conditions ? "Il faut agir en cachant complètement son jeu. Il importe avant tout d’éviter toute apparence d’humanité." Phrase terrible. Le fils de Jünger, 17 ans, a été imprudent : il est arrêté, difficilement libéré par son père portant toutes ses décorations, mais aussitôt envoyé sur le front, en Italie, où il se fait tuer dans les carrières de marbre de Carrare. Les falaises de marbre... Jünger note sèchement que son livre se prolonge dans les événements mêmes. C’est une lutte ouverte entre le démoniaque et l’art. Les portraits des démons (Himmler, Goebbels) sont aussi décapants. "Le retour de l’absolutisme, toutefois sans aristocratie — je veux dire sans distance intérieure —, rend possible des catastrophes dont l’ampleur échappe encore à notre imagination." Cette nostalgie date de novembre 1941. Qui dira qu’elle n’est plus actuelle ? Mais aussi : "La vie divine est un présent éternel. Et il n’y a de vie que là où le divin est présent."

Jünger, après la guerre, voyagera beaucoup sur la planète. Il sera constamment attaqué par la presse plus ou moins communiste, visité par Gracq et Borges, et deviendra même un symbole du rapprochement franco-allemand. On va le voir en pèlerinage, Mitterrand et Kohl forcent la note, le Pape le bénit en 1990. Il aura donc assisté à la chute du mur de Berlin et à la dissolution d’un siècle de sang et de larmes. La "distance intérieure" aura tenu bon. En 1995, il a 100 ans, et il meurt trois ans après, ou plutôt, comme il le pensait, il franchit la ligne. Goebbels, pendant la guerre, avait demandé au général Speidel de faire supprimer, par Jünger, une citation qu’il faisait d’un psaume ("Dieu est bon pour Israël, pour les hommes au cœur pur"). Réponse de Speidel : "Je ne commande pas à l’esprit de mes officiers." »

Philippe Sollers, "Etrange Jünger", in "Discours Parfait"

 

07:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

28/04/2015

Mais pouvez-vous empêcher qu’on écrive ?

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« La permission tacite, me direz-vous, n’est-elle pas une infraction de la loi générale qui défend de rien publier sans approbation expresse et sans autorité ? — Cela se peut, mais l’intérêt de la société exige cette infraction, et vous vous y résoudrez parce que toute votre rigidité sur ce point n’empêchera point le mal que vous craignez, et qu’elle vous ôterait le moyen de compenser ce mal par un bien qui dépend de vous. — Quoi ! je permettrai l’impression, la distribution d’un ouvrage évidemment contraire à un culte national que je crois et que je respecte, et je consentirai le moins du monde qu’on insulte à celui que j’adore, en la présence duquel je baisse mon front tous les jours, qui me voit, qui m’entend, qui me jugera, qui me remettra sous les yeux cet ouvrage même ? — Oui, vous y consentiriez ; eh ! ce Dieu a bien consenti qu’il se fit, qu’il s’imprimât, il est venu parmi les hommes et il s’est laissé crucifier pour les hommes. Moi qui regarde les mœurs comme le fondement le plus sûr, peut-être le seul, du bonheur d’un peuple, le garant le plus évient de sa durée, je souffrirai qu’on répande des principes qui les attaquent, qui les flétrissent ? — Vous le souffrirez. — J’abandonnerai à la discussion téméraire d’un fanatique, d’un enthousiaste, nos usages, nos lois, notre gouvernement, les objets de la terre les plus sacrés, la sécurité de mon souverain, le repos de mes concitoyens. — Cela est dur, j’en conviens, mais vous en viendrez là, oui, vous en viendrez là tôt ou tard, avec le regret de ne l’avoir pas osé plus tôt. — Il ne s’agit pas ici, monsieur, de ce qui serait le mieux, il n’est pas question de ce que nous désirons tous les deux, mais de ce que vous pouvez, et nous disons l’un et l’autre du plus profond de notre âme : "Périssent, périssent à jamais les ouvrages qui tendent à rendre l’homme abruti, furieux, pervers, corrompu, méchant !"

Mais pouvez-vous empêcher qu’on écrive ? — Non. — Eh bien ! vous ne pouvez pas plus empêcher qu’un écrit ne s’imprime et ne devienne en peu de temps aussi commun et beaucoup plus recherché, vendu, lu, que si vous l’aviez tacitement permis. »

Denis Diderot, Lettre sur le commerce de la librairie ou Mémoire sur la liberté de la presse

 

12:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Ne fais pas ce que tu ne voudrais pas qu’on te fît

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« "Ne fais pas ce que tu ne voudrais pas qu’on te fît." Or on ne voit pas comment, suivant ce principe, un homme pourrait dire à un autre : "Crois ce que je crois, et ce que tu ne peux croire, ou tu périras." C’est ce qu’on dit en Portugal, en Espagne, à Goa. On se contente à présent, dans quelques autres pays, de dire : "Crois, ou je t’abhorre ; crois, ou je te ferai tout le mal que je pourrai ; monstre, tu n’as pas ma religion, tu n’as donc point de religion : il faut que tu sois en horreur à tes voisins, à ta ville, à ta province."
S’il était de droit humain de se conduire ainsi, il faudrait donc que le Japonais détestât le Chinois, qui aurait en exécration le Siamois ; celui-ci poursuivrait les Gangarides, qui tomberaient sur les habitants de l’Indus ; un Mogol arracherait le cœur au premier Malabare qu’il trouverait ; le Malabare pourrait égorger le Persan, qui pourrait massacrer le Turc et tous ensemble se jetteraient sur les chrétiens, qui se sont si longtemps dévorés les uns les autres.
Le droit de l’intolérance est donc absurde et barbare : c’est le droit des tigres, et il est bien horrible, car les tigres ne déchirent que pour manger, et nous nous sommes exterminés pour des paragraphes. »

Voltaire, Traité sur la tolérance

 

10:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook