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29/11/2013

Les bêtes sont le Christ, pensais-je, et mes lèvres trem­blent, mes mains en trem­blent...

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« Les autres officiers, les cama­rades de Frédéric, sont jeunes aussi : vingt, vingt-cinq, trente ans. Mais tous por­tent sur leur fig­ure jaune et ridée des signes de vieil­lesse, de décompo­si­tion, de mort. Tous ont l’œil hum­ble et dés­espéré du renne. Ce sont des bêtes, pensé-je; ce sont des bêtes sauvages, pensé-je avec hor­reur. Tous ont, sur leur vis­age et dans leurs yeux, la belle, la mer­veilleuse et la triste mansuétude des bêtes sauvages, tous ont cette folie con­cen­trée et mélan­col­ique des bêtes, leur mys­térieuse inno­cence, leur ter­ri­ble pitié. Cette ter­ri­ble pitié chré­ti­enne qu’ont les bêtes. Les bêtes sont le Christ, pensais-je, et mes lèvres trem­blent, mes mains en trem­blent. Je regarde Frédéric, je regarde ses cama­rades; tous ont le même vis­age flapi et ridé, le même front dénudé, le même sourire édenté, tous ont le même regard de renne. Même la cru­auté, la cru­auté alle­mande est éteinte sur leurs vis­ages. Ils ont l’œil du Christ, l’œil d’une bête. Et, brusque­ment, me revient à l’esprit ce que j’ai entendu racon­ter dès le pre­mier moment où je suis arrivé en Laponie, et dont cha­cun parle à voix basse, comme d’une chose mys­térieuse (c’est chose véri­ta­ble­ment mys­térieuse), ce dont il est inter­dit de par­ler. Il me revient à l’esprit ce que j’ai entendu racon­ter dès le pre­mier moment où je suis arrivé en Laponie au sujet de ces jeunes sol­dats alle­mands, de ces Alpen­jäger du général Dielt qui se pen­dent aux arbres dans l’épaisseur des forêts ou s’asseyent des jours et des jours au bord d’un lac, en regar­dant l’horizon, puis se tirent un coup de revolver dans la tempe, ou bien, poussés par une extra­or­di­naire folie, sorte de fan­taisie amoureuse, vagabon­dent dans les bois comme des bêtes sauvages, se jet­tent dans l’eau immo­bile des lacs, ou s’étendent sur un tapis de lichens, au-dessous des pins que le vent fait gron­der, et atten­dent la mort, se lais­sent tout douce­ment mourir dans la soli­tude glaciale et dis­traite de la forêt. »

Curzio Mala­parte, Kaputt

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J'imagine que les secours en argent iront surtout à quelques millionnaires

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[Après la destruction, le 8 mai 1902, de Saint-Pierre de la Martinique par l'éruption de la montagne Pelée]

« On a récolté près d'un million, pour la Martinique. Les malheureux en recevront-ils seulement un quarantième ? J'imagine que les secours en argent iront surtout à quelques millionnaires dont l'opulence a été plus ou moins entamée par le volcan et qui ont besoin de se refaire. Pour ce qui est des mourants de faim, on leur expédiera de la morue invendable, des farines avariées, des conserves en putréfaction, tous les rebuts et déchets des entrepôts de la France ou de l'Angleterre. Les fournisseurs nageront dans l'allégresse et les tenanciers de la Compassion publique achèteront des immeubles situés à d'énormes distances de tout cratère. »

Léon Bloy, Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne

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Ils s'en allaient, mornes, sans joie, et sans expression

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« Les gens n'avaient pas de figures, ou plutôt ils avaient tous la même figure. Ces hommes paraissaient enchaînés. Ils ne semblaient être conscients ni de l'espace, ni de l'ampleur. Ils s'en allaient, mornes, sans joie, et sans expression, presque comme des machines, des machines bien graissées, assouvies, au souffle rapide et frémissantes de vitalité, mais nullement vivantes. »

Ernst von Salomon, Les Réprouvés

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La haine envers soi équivaut à l’égoïsme

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« Pour ce qui est des autres, du monde environnant, il faisait continuellement et héroïquement effort pour les aimer, leur rendre justice, ne point leur faire de mal, car “aimer son prochain” était inscrit en lui aussi profondément que se haïr lui-même : ainsi, toute sa vie n’a-t-elle pas démontré qu’il est impossible d’aimer son prochain sans s’aimer soi-même, que la haine envers soi équivaut à l’égoïsme et engendre le même isolement sinistre, le même désespoir ? »

Hermann Hesse, Extrait de "La préface de l’éditeur" ( à propos de Harry Haller) en ouverture de Le Loup des steppes

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28/11/2013

Douleur d’ignorer ce qu’est le mystère du monde

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« Douleur d’ignorer ce qu’est le mystère du monde, douleur de ne pas être aimé des autres, douleur de subir leur injustice, douleur de sentir la vie peser sur nous, nous étouffant, nous emprisonnant, douleur des rages de dents, des pieds pris dans des chaussures trop étroites - qui saurait dire laquelle de toutes ces douleurs est la plus forte, en nous-mêmes, à plus forte raison chez les autres, ou chez les être vivants en général ? »

« Cruauté de la souffrance - savourer la douleur même, car nous savourons alors notre propre personnalité, consubstantielle à la souffrance. C’est le dernier refuge sincère pour la faim de vivre et la soif de jouir. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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Sentir sans posséder, c’est conserver, parce que c’est extraire de chaque chose son essence

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« L’amour, le sommeil, la drogue et les stupéfiants sont des formes d’art élémentaires, ou plutôt, des façons élémentaires de produire le même effet que les siens. Mais amour, sommeil ou drogues apportent tous une désillusion particulière. L’amour lasse ou déçoit. Après le sommeil, on s’éveille, et tant qu’on a dormi, on n’a pas vécu. Les drogues ont pour prix la ruine de l’organisme même qu’elles ont servi à stimuler. Mais, en art, il n’y a pas de désillusion, car l’illusion a été admise dès le début. En art il n’est pas de réveil, car avec lui on ne dort pas — même si l’on rêve. En art, nul prix ou tribut à payer pour en avoir joui. Le plaisir que l’art nous offre ne nous appartient pas, à proprement parler : nous n’avons donc à le payer ni par des souffrances, ni par des remords. Par le mot art, il faut entendre tout ce qui est cause de plaisir sans pour autant nous appartenir : la trace d’un passage, le sourire offert à quelqu’un d’autre, le soleil couchant, le poème, l’univers objectif. Posséder, c’est perdre. Sentir sans posséder, c’est conserver, parce que c’est extraire de chaque chose son essence. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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27/11/2013

La vie que nous vivons est un désaccord fluide

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« La vie que nous vivons est un désaccord fluide, une moyenne enjouée. Nous sommes satisfaits parce que nous sommes capables – alors même que nous pensons, que nous sentons – de ne pas croire à l’existence de l’âme. Dans ce bal masqué où se passe notre vie, l’agrément des costumes nous suffit, car le costume est tout. Nous sommes esclaves des couleurs et des lumières, nous entrons dans la ronde comme dans la vérité, et nous ignorons tout du froid glacial de la nuit extérieure, de notre corps mortel sous les oripeaux qui lui survivront, de tout ce que, seuls avec nous-mêmes, nous croyons constituer notre être essentiel, mais qui n’est en fin de compte que l’intime parodie de ce que nous croyons être notre vérité. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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J’ai perdu le monde

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« Réfléchissant à tout cela, si je regarde autour de moi, pour voir si la réalité apaise ma soif, ce que je vois, ce sont des maisons sans expression, des figures sans expression, des gestes sans expression. Pierres, corps ou idées – tout cela est mort. Tous les mouvements sont arrêtés – en un même arrêt dans lequel ils se figent tous. Rien ne me dit rien. Rien ne m’est connu, non que je le trouve bizarre, mais parce que je ne sais ce que c’est. J’ai perdu le monde. Et tout au fond de mon âme – seule réalité de cet instant – il y a une douleur intense et invisible, une tristesse semblable au bruit d’un homme pleurant dans une pièce obscure. »

« L’art est une esquive de l’action, ou de la vie. L’art est l’expression intellectuelle de l’émotion, distincte de la vie qui est elle-même l’expression volitive de l’émotion. Tout ce qu’il nous est impossible d’avoir, d’oser ou d’obtenir, nous pouvons le posséder en rêve, et c’est avec ce rêve que nous faisons de l’art. Parfois l’émotion est si forte que, même réduite à l’action, cette action ne peut la satisfaire ; du surplus de cette émotion, privé d’expression dans la vie réelle, naît alors l’oeuvre d’art. Il y ainsi deux sortes d’artistes : celui qui exprime de ce qu’il ne possède pas, et celui qui exprime le surplus de ce qu’il a possédé. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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26/11/2013

Un dégoût anonyme de tous les sentiments

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« Mais ce qui nous en reste, sans nul doute, c’est un dégoût de la vie et de toutes ses actions, une lassitude anticipée de tous les désirs et de toutes leurs manifestations, un dégoût anonyme de tous les sentiments. Dans ces heures de subtile mélancolie, il nous devient impossible, même en rêve, d’être amoureux, d’être héroïque, d’être heureux. Tout cela est vide, jusque dans l’idée de ce qu’il est. Tout cela nous est dit dans une autre langue, incompréhensible, suite sonore de syllabes qui ne prennent aucune forme dans notre esprit. La vie est creuse, notre âme est creuse, le monde entier est creux. Tous les dieux meurent, d’une mort plus profonde que la mort. Tout est plus vide que le vide. Tout se réduit à un chaos de choses inexistantes. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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Je ne sais si ces sentiments trahissent une lente folie

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« Je ne sais si ces sentiments trahissent une lente folie, née de la détresse, ou s’ils sont les réminiscences de quelque autre monde où nous aurions déjà vécu – réminiscences croisées et entremêlées comme les choses vues en rêve, dont l’aspect nous semble absurde, mais dont l’origine ne le serait pas – si seulement nous la connaissons. Je me demande s’il n’a pas existé d’autres êtres – nous-mêmes autrefois – dont nous percevons aujourd’hui, ombres de ce qu’ils furent, la plus grande complétude, mais de manière incomplète, une fois perdue leur consistance que nous pouvons tout juste imaginer, réduits aux deux dimensions de cette ombre que nous vivons. »

« Je sais que ces pensées de l’émotion font rage dans notre âme. Notre incapacité à imaginer à quoi elles peuvent correspondre, ou à trouver quoi que ce soit pour remplacer ce qu’elles étreignent en vision – tout cela nous pèse comme une condamnation, infligée nous ne savons ni où, ni par qui, ni pourquoi. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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25/11/2013

Jamais entièrement en paix

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« Ne jamais trouver Dieu, ne pas même savoir si Dieu existe ! Passer de monde en monde, d’incarnation en incarnation, toujours perdus dans la chimère qui nous cajole, dans l’erreur qui nous flatte. »

« Mais jamais la vérité, jamais l’arrêt définitif ! Jamais l’union avec Dieu ! Jamais entièrement en paix, mais seulement un peu de la paix, et toujours le désir de cette paix ! »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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Nous peuplons des songes

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« L’acte même de vivre équivaut à mourir, puisque nous ne vivons pas un jour de plus dans notre vie sans qu’il devienne, de ce fait même, un jour de moins. »

« Nous peuplons des songes, nous sommes des ombres errantes dans les forêts de l’impossible, dont les arbres sont demeures, coutumes, idées, idéals et philosophies. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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24/11/2013

Les émotions qui nous étreignent le plus douloureusement sont aussi les plus absurdes 

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« Les sentiments qui nous font le plus souffrir, les émotions qui nous étreignent le plus douloureusement, sont aussi les plus absurdes : l’envie de choses impossibles, justement parce qu’elles sont impossibles, la nostalgie de ce qui n’a jamais été, le désir de ce qui aurait pu être, la douleur de ne pas être différent, l’insatisfaction de voir le monde exister. Tous ces demi-tons de la conscience créent en nous un paysage douloureux, un éternel soleil couchant de ce que nous sommes. La sensation que nous avons de nous-mêmes est alors celle d’une campagne déserte qui va s’assombrissant ; tristesse des roseaux au bord d’un fleuve où nul bateau ne passe, coulant clairement des eaux noires entre des rives lointaines. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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23/11/2013

Tout ce que nous jugeons supérieur dans nos activités participe de la mort

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« Il existe le même rapport entre le sommeil et la vie qu’entre ce que nous appelons la vie et ce que nous appelons la mort. Nous sommes endormis, et cette vie-ci est un songe, non pas dans un sens métaphorique ou poétique, mais dans un sens véritable. »

« Tout ce que nous jugeons supérieur dans nos activités participe de la mort, tout est la mort. Qu’est-ce que l’idéal, sinon l’aveu que la vie ne rime à rien ? Qu’est-ce que l’art, sinon la négation de la vie ? Une statue, c’est un corps mort, sculpté pour fixer la mort dans une matière incorruptible. Le plaisir lui-même, qui nous semble à tel point une immersion dans la vie, est bien plutôt une immersion en nous-mêmes, une destruction des liens entre la vie et nous, une ombre mouvante de la mort. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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Rêve et Action

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« Il me faut choisir entre deux attitudes détestées - ou bien le rêve, que mon intelligence exècre, ou bien l’action, que ma sensibilité a en horreur ; ou l’action, pour laquelle je ne me sens pas né, ou le rêve, pour lequel personne n’est jamais né. Il en résulte, comme je déteste l’un et l’autre, que je n’en choisis aucun, mais comme, dans certaines circonstances, il me faut bien ou rêver, ou agir, je mélange une chose avec l’autre. »

Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquilité

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22/11/2013

Dieu ne serait-il pas un enfant, infiniment grand ?

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« La petite fille sait bien que sa poupée n’est pas réelle – or elle la traite comme un être réel, au point de pleurer et d’avoir du chagrin quand elle se casse.

L’art de l’enfance consiste à tout déréaliser. Bénie soit cette période chimérique de la vie, quand on nie la vie parce que le sexe en est absent, qu’on nie la réalité simplement par jeu et qu’on croit réelles des choses qui ne le sont pas ! Que je redevienne enfant et le reste à jamais, sans m’attacher à la valeur que les hommes donnent aux choses, ni aux liens qu’ils établissent entre elles.

Quand j’étais petit, il m’arrivait souvent de poser mes soldats de plomb la tête en bas… Et connaissez-vous un seul argument, d’une logique capable d’emporter la conviction, qui me prouve que les soldats réels ne devraient pas marcher la tête en bas ?
L’enfant n’accorde pas plus de valeur à l’or qu’au verre.
Et, en réalité, l’or vaut-il davantage ? – L’enfant, obscurément, trouve absurdes les passions, les colères et les peurs qu’il voit comme sculptées dans les actions des adultes. Et ne sont-elles pas aussi absurdes que vaines, toutes sans exception, nos craintes, nos haines et nos amours ?

Ô divine et absurde intuition de l’enfance ! Vision-vérité des choses, alors que nous les revêtons de conventions dans notre vision la plus nue, et que nous les embrumons d’idées subjectives dans notre regard le plus direct !
Dieu ne serait-il pas un enfant, infiniment grand ? L’univers entier une plaisanterie, une gaminerie d’enfant espiègle ?
Je vous ai lancé cette idée pour rire, et maintenant qu’elle se trouve loin de moi, voyez à quel point j’en saisis subitement toute l’horreur (et qui sait pourtant si elle ne reflète pas la vérité ?).

Et la voilà qui retombe à mes pieds, et se brise en poussière d’horreur, en mille éclats de mystère… Je me réveille pour savoir que j’existe… Un ennui incertain et profond gazouille sa fraicheur déplacée à mon oreille, depuis les cascades, là-bas derrière les ruches, au fond stupide du jardin. »

Fernando Pessoa, Le livre de l'intranquillité

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Il y a du sublime à gaspiller une vie qui pourrait être utile

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« Il y a du sublime à gaspiller une vie qui pourrait être utile, à ne jamais réaliser une oeuvre qui serait forcément belle, à abandonner à mi-chemin la route assurée du succès ! … Pourquoi l’art est-il beau ? Parce qu’il est inutile. Pourquoi la vie est-elle si laide ? Parce qu’elle est un tissu de buts, de desseins et d’intentions. Tous ses chemins sont tracés pour aller d’un point à un autre. Je donnerais beaucoup pour un chemin conduisant d’un lieu d’où personne ne vient, vers un lieu où personne ne va… La beauté des ruines ? Celle de ne plus servir à rien. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l’Intranquillité

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Dieu et l'Humanité

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« Je suis né en un temps où la majorité des jeunes gens avait perdu la foi en Dieu, pour la même raison que leurs ancêtres la possédaient ― sans savoir pourquoi. Et comme l’esprit humain tend tout naturellement à critiquer, parce qu’il sent au lieu de penser, la majorité de ces jeunes gens choisit alors l’Humanité comme succédané de Dieu. J’appartiens néanmoins à cette espèce d’hommes qui restent toujours en marge du milieu auquel ils appartiennent, et qui ne voient pas seulement la multitude dont ils font partie, mais également les grands espaces qui existent à côté. C’est pourquoi je n’abandonnai pas Dieu aussi totalement qu’ils le firent, mais n’admis jamais non plus l’idée d’Humanité. Je considérai que Dieu, tout en étant improbable, pouvait exister ; qu’il pouvait donc se faire qu’on doive l’adorer ; quant à l’Humanité, simple concept biologique ne signifiant rien d’autre que l’espèce animale humaine, elle n’était pas plus digne d’adoration que n’importe quelle autre espèce animale. Ce culte de l’Humanité, avec ses rites de Liberté et d’Égalité, m’a toujours paru une reviviscence des cultes antiques, où les animaux étaient tenus pour des dieux, et où les dieux avaient des têtes d’animaux.
Ainsi donc, ne sachant pas croire en Dieu, et ne pouvant croire en une simple somme d’animaux, je restai, comme d’autres situés en lisière des foules, à cette distance de tout que l’on appelle communément Décadence. La Décadence, c’est la perte totale de l’inconscience ; car l’inconscience est le fondement de la vie. S’il pouvait penser, le cœur s’arrêterait. »

Bernardo Soares [Fernando Pessoa], Le livre de l’intranquillité - Posthume, § 1, "Texte initial"

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Un chemin conduisant d’un lieu d’où personne ne vient, vers un lieu où personne ne va

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« Pourquoi l’art est-il beau ? Parce qu’il est inutile. Pourquoi la vie est-elle si laide ? Parce qu’elle est un tissu de buts, de desseins et d’intentions. Tous ses chemins sont tracés pour aller d’un point à un autre. Je donnerais beaucoup pour un chemin conduisant d’un lieu d’où personne ne vient, vers un lieu où personne ne va. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l’intranquilité

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21/11/2013

Nous sommes faits de mort

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« Nous sommes faits de mort. Cette chose que nous considérons comme étant la vie, c’est le sommeil de la vie réelle, la mort de ce que nous sommes véritablement. Les morts naissent, ils ne meurent pas. Les deux mondes, pour nous, sont intervertis. Alors que nous croyons vivre, nous sommes morts ; nous commençons à vivre lorsque nous sommes moribonds. Il existe le même rapport entre le sommeil et la vie qu’entre ce que nous appelons la vie et ce que nous appelons la mort. Nous sommes endormis, et cette vie-ci est un songe, non pas dans un sens métaphorique ou poétique, mais dans un sens véritable. Tout ce que nous jugeons supérieur dans nos activités participe de la mort, tout est la mort. Qu’est-ce que l’idéal, sinon l’aveu que la vie ne rime à rien ? Qu’est-ce que l’art, sinon la négation de la vie ? Une statue, c’est un corps mort, sculpté pour fixer la mort dans une matière incorruptible. Le plaisir lui-même, qui nous semble à tel point une immersion dans la vie, est bien plutôt une immersion en nous-mêmes, une destruction des liens entre la vie et nous, une ombre mouvante de la mort. L’acte même de vivre équivaut à mourir, puisque nous ne vivons pas un jour de plus dans notre vie sans qu’il devienne, de ce fait même, un jour de moins. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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Couronner d’images le front du quotidien

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« J’ai appris dans mes songes à couronner d’images, le front du quotidien, à dire la banalité avec étrangeté, la simplicité avec de multiples détours ; à dorer d’un soleil artificiel les recoins et les meubles morts, et à rendre musicales, comme pour me bercer, les phrases fluides par où je me décris. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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20/11/2013

La pire des cocaïnes

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« Le rêve est la pire des cocaïnes, parce que c’est la plus naturelle de toutes. Elle se glisse dans nos habitudes avec plus de facilité qu’aucune autre, on l’essaye sans le vouloir, comme un poison pris sans méfiance. Elle n’est pas douloureuse, elle ne cause ni pâleur ni abattement – mais l’âme qui fait usage du rêve devient incurable, car elle ne peut plus se passer de son poison, qui n’est rien d’autre qu’elle-même. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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Plus bas que toute angoisse et toute douleur

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« Il est des moments où tout nous fatigue, même ce qui devrait nous reposer. Ce qui nous fatigue parce que c'est fatigant ; et ce qui devrait nous reposer parce que la seule idée de l'obtenir nous fatigue. Il y a des accablements de l'âme qui se situent plus bas que toute angoisse et toute douleur ; et seuls les ignorent, à mon sens, ceux qui se dérobent aux angoisses et aux douleurs humaines, et qui déploient assez de diplomatie envers eux-mêmes pour esquiver jusqu'à l'ennui. Ainsi diminués, ainsi cuirassés contre le monde, on ne peut s'étonner qu'en de certains moments, où ils prennent conscience d'eux-mêmes, ils sentent d'un seul coup tout le poids de cette cuirasse, et que la vie soit alors pour eux une angoisse à l'envers, une douleur perdue. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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19/11/2013

Quant à moi, qui déteste la vie avec timidité, j’ai peur de la mort avec fascination

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« Mon cœur se vide malgré lui, comme un seau percé. Penser ? Sentir ? Comme tout nous lasse dès qu’il s’agit d’une chose bien définie. »

« Quant à moi, qui déteste la vie avec timidité, j’ai peur de la mort avec fascination. Je redoute ce néant qui peut être autre chose, et je crains simultanément ce néant et cet autre chose ; comme s’il pouvait unir en lui le nul et l’horrible, comme si on allait enfermer dans mon cercueil la respiration éternelle d’une âme corporelle, comme si on y torturait de claustration quelque chose d’immortel. L’idée de l’enfer, que seule une âme diabolique a pu inventer, me semble résulter d’une confusion de ce genre, du mélange de deux terreurs différentes, qui se contredisent et se corrompent mutuellement. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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Dans notre façon même de nous connaître, nous nous méconnaissons

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Fernando Pessoa (à droite) en compagnie du sulfureux Aleister Crowley


« Les relations entre une âme et une autre âme, à travers des choses aussi incertaines et divergentes que les mots courants et les actes que l’on accomplit, sont un sujet d’une curieuse complexité. Dans notre façon même de nous connaître, nous nous méconnaissons. Ils disent tous deux « je t’aime », ou ils le pensent et le sentent réciproquement, et chacun d’eux veut exprimer une idée différente, une vie différente, peut-être même une couleur ou un parfum différents, dans cette somme abstraite d’impressions qui constitue l’activité de l’âme. »

« J’ai sculpté ma propre vie comme une statue faite d’une matière étrange à mon être. Il m’arrive de ne pas me reconnaître, tellement je me suis placé à l’extérieur de moi-même, tellement j’ai employé de façon purement artistique la conscience que j’ai de moi-même. Qui suis-je, derrière cette irréalité ? Je l’ignore. Je dois bien être quelqu’un. Et si je ne cherche pas à vivre, à agir, à sentir, c’est – croyez-le bien – pour ne pas bouleverser les traits déjà définis de ma personnalité supposée. Je veux être celui que j’ai voulu être, et que je ne suis pas. Si je cédais, je me détruirais. Je veux être une œuvre d’art, dans mon âme tout au moins, puisque je ne peux l’être dans mon corps. C’est pourquoi je me suis sculpté dans une pose calme et détachée, et placé dans une serre abritée de brises trop fraîches, de lumières trop franches – où mon artificialité, telle un fleur absurde, puisse s’épanouir en beauté lointaine. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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