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24/11/2013

Les émotions qui nous étreignent le plus douloureusement sont aussi les plus absurdes 

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« Les sentiments qui nous font le plus souffrir, les émotions qui nous étreignent le plus douloureusement, sont aussi les plus absurdes : l’envie de choses impossibles, justement parce qu’elles sont impossibles, la nostalgie de ce qui n’a jamais été, le désir de ce qui aurait pu être, la douleur de ne pas être différent, l’insatisfaction de voir le monde exister. Tous ces demi-tons de la conscience créent en nous un paysage douloureux, un éternel soleil couchant de ce que nous sommes. La sensation que nous avons de nous-mêmes est alors celle d’une campagne déserte qui va s’assombrissant ; tristesse des roseaux au bord d’un fleuve où nul bateau ne passe, coulant clairement des eaux noires entre des rives lointaines. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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23/11/2013

Tout ce que nous jugeons supérieur dans nos activités participe de la mort

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« Il existe le même rapport entre le sommeil et la vie qu’entre ce que nous appelons la vie et ce que nous appelons la mort. Nous sommes endormis, et cette vie-ci est un songe, non pas dans un sens métaphorique ou poétique, mais dans un sens véritable. »

« Tout ce que nous jugeons supérieur dans nos activités participe de la mort, tout est la mort. Qu’est-ce que l’idéal, sinon l’aveu que la vie ne rime à rien ? Qu’est-ce que l’art, sinon la négation de la vie ? Une statue, c’est un corps mort, sculpté pour fixer la mort dans une matière incorruptible. Le plaisir lui-même, qui nous semble à tel point une immersion dans la vie, est bien plutôt une immersion en nous-mêmes, une destruction des liens entre la vie et nous, une ombre mouvante de la mort. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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Rêve et Action

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« Il me faut choisir entre deux attitudes détestées - ou bien le rêve, que mon intelligence exècre, ou bien l’action, que ma sensibilité a en horreur ; ou l’action, pour laquelle je ne me sens pas né, ou le rêve, pour lequel personne n’est jamais né. Il en résulte, comme je déteste l’un et l’autre, que je n’en choisis aucun, mais comme, dans certaines circonstances, il me faut bien ou rêver, ou agir, je mélange une chose avec l’autre. »

Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquilité

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22/11/2013

Dieu ne serait-il pas un enfant, infiniment grand ?

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« La petite fille sait bien que sa poupée n’est pas réelle – or elle la traite comme un être réel, au point de pleurer et d’avoir du chagrin quand elle se casse.

L’art de l’enfance consiste à tout déréaliser. Bénie soit cette période chimérique de la vie, quand on nie la vie parce que le sexe en est absent, qu’on nie la réalité simplement par jeu et qu’on croit réelles des choses qui ne le sont pas ! Que je redevienne enfant et le reste à jamais, sans m’attacher à la valeur que les hommes donnent aux choses, ni aux liens qu’ils établissent entre elles.

Quand j’étais petit, il m’arrivait souvent de poser mes soldats de plomb la tête en bas… Et connaissez-vous un seul argument, d’une logique capable d’emporter la conviction, qui me prouve que les soldats réels ne devraient pas marcher la tête en bas ?
L’enfant n’accorde pas plus de valeur à l’or qu’au verre.
Et, en réalité, l’or vaut-il davantage ? – L’enfant, obscurément, trouve absurdes les passions, les colères et les peurs qu’il voit comme sculptées dans les actions des adultes. Et ne sont-elles pas aussi absurdes que vaines, toutes sans exception, nos craintes, nos haines et nos amours ?

Ô divine et absurde intuition de l’enfance ! Vision-vérité des choses, alors que nous les revêtons de conventions dans notre vision la plus nue, et que nous les embrumons d’idées subjectives dans notre regard le plus direct !
Dieu ne serait-il pas un enfant, infiniment grand ? L’univers entier une plaisanterie, une gaminerie d’enfant espiègle ?
Je vous ai lancé cette idée pour rire, et maintenant qu’elle se trouve loin de moi, voyez à quel point j’en saisis subitement toute l’horreur (et qui sait pourtant si elle ne reflète pas la vérité ?).

Et la voilà qui retombe à mes pieds, et se brise en poussière d’horreur, en mille éclats de mystère… Je me réveille pour savoir que j’existe… Un ennui incertain et profond gazouille sa fraicheur déplacée à mon oreille, depuis les cascades, là-bas derrière les ruches, au fond stupide du jardin. »

Fernando Pessoa, Le livre de l'intranquillité

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Il y a du sublime à gaspiller une vie qui pourrait être utile

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« Il y a du sublime à gaspiller une vie qui pourrait être utile, à ne jamais réaliser une oeuvre qui serait forcément belle, à abandonner à mi-chemin la route assurée du succès ! … Pourquoi l’art est-il beau ? Parce qu’il est inutile. Pourquoi la vie est-elle si laide ? Parce qu’elle est un tissu de buts, de desseins et d’intentions. Tous ses chemins sont tracés pour aller d’un point à un autre. Je donnerais beaucoup pour un chemin conduisant d’un lieu d’où personne ne vient, vers un lieu où personne ne va… La beauté des ruines ? Celle de ne plus servir à rien. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l’Intranquillité

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Dieu et l'Humanité

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« Je suis né en un temps où la majorité des jeunes gens avait perdu la foi en Dieu, pour la même raison que leurs ancêtres la possédaient ― sans savoir pourquoi. Et comme l’esprit humain tend tout naturellement à critiquer, parce qu’il sent au lieu de penser, la majorité de ces jeunes gens choisit alors l’Humanité comme succédané de Dieu. J’appartiens néanmoins à cette espèce d’hommes qui restent toujours en marge du milieu auquel ils appartiennent, et qui ne voient pas seulement la multitude dont ils font partie, mais également les grands espaces qui existent à côté. C’est pourquoi je n’abandonnai pas Dieu aussi totalement qu’ils le firent, mais n’admis jamais non plus l’idée d’Humanité. Je considérai que Dieu, tout en étant improbable, pouvait exister ; qu’il pouvait donc se faire qu’on doive l’adorer ; quant à l’Humanité, simple concept biologique ne signifiant rien d’autre que l’espèce animale humaine, elle n’était pas plus digne d’adoration que n’importe quelle autre espèce animale. Ce culte de l’Humanité, avec ses rites de Liberté et d’Égalité, m’a toujours paru une reviviscence des cultes antiques, où les animaux étaient tenus pour des dieux, et où les dieux avaient des têtes d’animaux.
Ainsi donc, ne sachant pas croire en Dieu, et ne pouvant croire en une simple somme d’animaux, je restai, comme d’autres situés en lisière des foules, à cette distance de tout que l’on appelle communément Décadence. La Décadence, c’est la perte totale de l’inconscience ; car l’inconscience est le fondement de la vie. S’il pouvait penser, le cœur s’arrêterait. »

Bernardo Soares [Fernando Pessoa], Le livre de l’intranquillité - Posthume, § 1, "Texte initial"

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Un chemin conduisant d’un lieu d’où personne ne vient, vers un lieu où personne ne va

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« Pourquoi l’art est-il beau ? Parce qu’il est inutile. Pourquoi la vie est-elle si laide ? Parce qu’elle est un tissu de buts, de desseins et d’intentions. Tous ses chemins sont tracés pour aller d’un point à un autre. Je donnerais beaucoup pour un chemin conduisant d’un lieu d’où personne ne vient, vers un lieu où personne ne va. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l’intranquilité

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21/11/2013

Nous sommes faits de mort

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« Nous sommes faits de mort. Cette chose que nous considérons comme étant la vie, c’est le sommeil de la vie réelle, la mort de ce que nous sommes véritablement. Les morts naissent, ils ne meurent pas. Les deux mondes, pour nous, sont intervertis. Alors que nous croyons vivre, nous sommes morts ; nous commençons à vivre lorsque nous sommes moribonds. Il existe le même rapport entre le sommeil et la vie qu’entre ce que nous appelons la vie et ce que nous appelons la mort. Nous sommes endormis, et cette vie-ci est un songe, non pas dans un sens métaphorique ou poétique, mais dans un sens véritable. Tout ce que nous jugeons supérieur dans nos activités participe de la mort, tout est la mort. Qu’est-ce que l’idéal, sinon l’aveu que la vie ne rime à rien ? Qu’est-ce que l’art, sinon la négation de la vie ? Une statue, c’est un corps mort, sculpté pour fixer la mort dans une matière incorruptible. Le plaisir lui-même, qui nous semble à tel point une immersion dans la vie, est bien plutôt une immersion en nous-mêmes, une destruction des liens entre la vie et nous, une ombre mouvante de la mort. L’acte même de vivre équivaut à mourir, puisque nous ne vivons pas un jour de plus dans notre vie sans qu’il devienne, de ce fait même, un jour de moins. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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Couronner d’images le front du quotidien

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« J’ai appris dans mes songes à couronner d’images, le front du quotidien, à dire la banalité avec étrangeté, la simplicité avec de multiples détours ; à dorer d’un soleil artificiel les recoins et les meubles morts, et à rendre musicales, comme pour me bercer, les phrases fluides par où je me décris. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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20/11/2013

La pire des cocaïnes

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« Le rêve est la pire des cocaïnes, parce que c’est la plus naturelle de toutes. Elle se glisse dans nos habitudes avec plus de facilité qu’aucune autre, on l’essaye sans le vouloir, comme un poison pris sans méfiance. Elle n’est pas douloureuse, elle ne cause ni pâleur ni abattement – mais l’âme qui fait usage du rêve devient incurable, car elle ne peut plus se passer de son poison, qui n’est rien d’autre qu’elle-même. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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Plus bas que toute angoisse et toute douleur

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« Il est des moments où tout nous fatigue, même ce qui devrait nous reposer. Ce qui nous fatigue parce que c'est fatigant ; et ce qui devrait nous reposer parce que la seule idée de l'obtenir nous fatigue. Il y a des accablements de l'âme qui se situent plus bas que toute angoisse et toute douleur ; et seuls les ignorent, à mon sens, ceux qui se dérobent aux angoisses et aux douleurs humaines, et qui déploient assez de diplomatie envers eux-mêmes pour esquiver jusqu'à l'ennui. Ainsi diminués, ainsi cuirassés contre le monde, on ne peut s'étonner qu'en de certains moments, où ils prennent conscience d'eux-mêmes, ils sentent d'un seul coup tout le poids de cette cuirasse, et que la vie soit alors pour eux une angoisse à l'envers, une douleur perdue. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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19/11/2013

Quant à moi, qui déteste la vie avec timidité, j’ai peur de la mort avec fascination

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« Mon cœur se vide malgré lui, comme un seau percé. Penser ? Sentir ? Comme tout nous lasse dès qu’il s’agit d’une chose bien définie. »

« Quant à moi, qui déteste la vie avec timidité, j’ai peur de la mort avec fascination. Je redoute ce néant qui peut être autre chose, et je crains simultanément ce néant et cet autre chose ; comme s’il pouvait unir en lui le nul et l’horrible, comme si on allait enfermer dans mon cercueil la respiration éternelle d’une âme corporelle, comme si on y torturait de claustration quelque chose d’immortel. L’idée de l’enfer, que seule une âme diabolique a pu inventer, me semble résulter d’une confusion de ce genre, du mélange de deux terreurs différentes, qui se contredisent et se corrompent mutuellement. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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Dans notre façon même de nous connaître, nous nous méconnaissons

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Fernando Pessoa (à droite) en compagnie du sulfureux Aleister Crowley


« Les relations entre une âme et une autre âme, à travers des choses aussi incertaines et divergentes que les mots courants et les actes que l’on accomplit, sont un sujet d’une curieuse complexité. Dans notre façon même de nous connaître, nous nous méconnaissons. Ils disent tous deux « je t’aime », ou ils le pensent et le sentent réciproquement, et chacun d’eux veut exprimer une idée différente, une vie différente, peut-être même une couleur ou un parfum différents, dans cette somme abstraite d’impressions qui constitue l’activité de l’âme. »

« J’ai sculpté ma propre vie comme une statue faite d’une matière étrange à mon être. Il m’arrive de ne pas me reconnaître, tellement je me suis placé à l’extérieur de moi-même, tellement j’ai employé de façon purement artistique la conscience que j’ai de moi-même. Qui suis-je, derrière cette irréalité ? Je l’ignore. Je dois bien être quelqu’un. Et si je ne cherche pas à vivre, à agir, à sentir, c’est – croyez-le bien – pour ne pas bouleverser les traits déjà définis de ma personnalité supposée. Je veux être celui que j’ai voulu être, et que je ne suis pas. Si je cédais, je me détruirais. Je veux être une œuvre d’art, dans mon âme tout au moins, puisque je ne peux l’être dans mon corps. C’est pourquoi je me suis sculpté dans une pose calme et détachée, et placé dans une serre abritée de brises trop fraîches, de lumières trop franches – où mon artificialité, telle un fleur absurde, puisse s’épanouir en beauté lointaine. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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18/11/2013

Nous n’aimons jamais vraiment quelqu’un

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« Nous n’aimons jamais vraiment quelqu’un. Nous aimons uniquement l’idée que nous nous faisons de ce quelqu’un. Ce que nous aimons, c’est un concept forgé par nous – et en fin de compte, c’est nous-mêmes. […] Les relations entre une âme et une autre âme, à travers des choses aussi incertaines et divergentes que les mots courants et les actes que l’on accomplit, sont un sujet d’une curieuse complexité. Dans notre façon même de nous connaître, nous nous méconnaissons. Ils disent tous deux “je t’aime”, ou ils le pensent et le sentent réciproquement et chacun d’eux veut exprimer une idée différente, une vie différente, peut-être même une couleur ou un parfum différents, dans cette somme abstraite d’impressions qui constitue l’activité de l’âme. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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Je ne désire rien d’autre de la vie que la sentir se perdre, au long de ces soirées imprévues

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« Ombre obscure et fugitive d’un arbre citadin, son léger de l’eau tombant dans un bassin plaintif, vert du gazon régulier – jardin public dans le semi-crépuscule -, vous êtes en ce moment l’univers entier pour moi, car vous êtes le contenu plein et entier de ma sensation consciente. Je ne désire rien d’autre de la vie que la sentir se perdre, au long de ces soirées imprévues, au milieu d’enfants inconnus et bruyants qui jouent dans ces jardins, confinés dans la mélancolie des rues qui les entourent, et couverts, au-delà des hautes branches des arbres, par la voûte du vieux ciel où recommencent les étoiles. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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17/11/2013

La conscience de l’inconscience de la vie est l’impôt le plus ancien que l’intelligence ait connu

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« La conscience de l’inconscience de la vie est l’impôt le plus ancien que l’intelligence ait connu. Il y a des intelligences inconscientes – éclats fugitifs de l’esprit, courants de la pensée, mystères et philosophies – qui ont les mêmes automatismes que les réflexes de notre corps, ou que le foie et les reins dans la gestion de leurs excrétions. »

« Je vis toujours au présent. L’avenir, je ne le connais pas. Le passé, je ne l’ai plus. L’un me pèse comme la possibilité de tout, l’autre comme la réalité de rien. Je n’ai ni espoirs ni regrets. Sachant ce que ma vie a été jusqu’à maintenant – c’est-à-dire, si souvent et si largement, le contraire de ce que j’aurais voulu -, que puis-je prévoir de ma vie future, sinon qu’elle sera ce que je ne prévois pas, ce que je ne souhaite pas, et qu’elle m’arrivera du dehors, parfois même par le jeu de ma propre volonté ? Rien non plus, dans mon passé, que je puisse me remémorer avec l’inutile désir de le revivre. Je n’ai jamais été que la trace et le simulacre de moi-même. Mon passé, c’est tout ce que je n’ai pas réussi à être. Même les sensations des moments enfuis n’éveillent en moi aucune nostalgie : ce qu’on éprouve exige le moment présent ; celui-ci une fois passé, la page est tournée et l’histoire continue, mais non pas le texte. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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Un désarroi qui dépasse les limites de mon individualité consciente

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« Il me vient alors une terreur sarcastique de la vie, un désarroi qui dépasse les limites de mon individualité consciente. Je sais que je n’ai été qu’erreur et égarement, que je n’ai point vécu, que je n’ai existé que dans la mesure où j’ai empli le temps avec de la conscience, de la pensée. Et l’impression que j’ai de moi-même, c’est celle d’un homme se réveillant d’un sommeil peuplé de rêves réels, ou d’un homme libéré par un tremblement de terre, de la pénombre du cachot à laquelle il s’était accoutumé. »

« La lassitude de toutes les illusions, et de tout ce qu’elles comportent – la perte de ces mêmes illusions, l’inutilité de les avoir, l’avant-lassitude de devoir les avoir pour les perdre ensuite, le chagrin de les avoir eues, la honte intellectuelle d’en avoir eu tout en sachant que telle serait leur fin. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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16/11/2013

Fantômes de la foi, spectres de la raison

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« Passer des fantômes de la foi aux spectres de la raison, c’est simplement changer de cellule. L’art, qui nous libère des idoles officielles et abstraites, nous libère aussi des idées généreuses et des préoccupations sociales – simples idoles, elles aussi. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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15/11/2013

Une impatience de l’âme contre elle-même

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« Je suis donc ainsi fait, futile et sensible, capable d’élans fougueux qui m’absorbent tout entier, bons et mauvais, nobles et vils – mais jamais d’un sentiment durable, jamais d’une émotion qui persiste et qui pénètre la substance de l’âme. Tout en moi tend à être en suivant autre chose ; une impatience de l’âme contre elle-même, comme on peut l’avoir contre un enfant importun ; un malaise toujours plus grand et toujours semblable. Tout m’intéresse, rien ne me retient. Je m’applique à toute chose en rêvant sans cesse. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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Un puits contemplant le Ciel

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«  Je suis, en grande partie, la prose même que j’écris. Je me déroule en périodes et en paragraphes, je me sème en ponctuations et, dans la distribution sans frein des images, je me déguise, comme les enfants, en roi vêtu de papier journal ou, dans la façon dont je crée du rythme à partir d’une série de mots, je me couronne, comme les fous, de fleurs séchées, mais toujours vivantes dans mes rêves. Et, par dessus tout, je suis calme comme un pantin qui prendrait conscience de lui-même et hocherait la tête, de temps à autre, pour que le grelot perché au sommet de son bonnet pointu ( et d’ailleurs partie intégrante de sa tête) fasse résonner au moins quelque chose – vie tintinnabulante d’un mort, frêle avertissement au Destin. »

« Nous ne nous accomplissons jamais.

Nous sommes deux abîmes face à face – un puits contemplant le Ciel. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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Je souffre de retourner vers le lit de la vie, sans sommeil, sans compagnie, et sans repos

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« Je lève de mon registre, fermé d’un geste lent, mes yeux brûlés de larmes que je n’ai pas pleurées, et, avec des impressions confuses, je souffre de ce qu’en fermant le bureau, on me ferme aussi mon rêve ; je souffre parce que le geste dont je ferme mon registre se referme aussi sur un passé irréparable ; et je souffre de retourner vers le lit de la vie, sans sommeil, sans compagnie, et sans repos, dans le flux et le reflux de ma conscience où se mêlent - telles deux marées au sein de la nuit noire, parvenues au terme de leur destin – ma nostalgie et ma désolation. »

« Si loin que je m’enfonce en moi-même, tous les sentiers du rêve me ramènent aux clairières de l’angoisse. »

« Et me voici entre la vie que j’aime à mon grand dépit et la mort que je crains dans sa séduction. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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14/11/2013

j’eus le sentiment douloureux et fier d’être plus étroitement attaché à ma patrie par le sang que j’avais versé pour sa grandeur

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« Comme la première fois à Heidelberg, j’eus le sentiment douloureux et fier d’être plus étroitement attaché à ma patrie par le sang que j’avais versé pour sa grandeur. Et -pourquoi le tairais-je ?- à la pensée de tous les exploits dont j’avais été le témoin, je me mis à pleurer à chaudes larmes. J’étais parti en campagne avec l’idée de faire une guerre joyeuse ; je n’avais pas approfondi l’idée pour laquelle j’allais me battre. Maintenant je regardais en arrière : quatre années de croissance passées au milieu d’une génération destinée à la mort, dans des cavernes, dans des tranchées noires de fumée, dans des champs d’entonnoirs remplis d’éclairs, quatre années coupées seulement par les maigres joies du lansquenet, des nuits sans fin dans lesquelles les gardes succédaient aux gardes -bref un monotone calendrier plein de peines et de privations, partagé par les lettres rouges des batailles. Et de tous ces sacrifices s’étaient dégagée, sans même que je m’en fusse aperçu, l’idée de patrie toujours plus pure et plus brillante. C’était ce que j’avais gagné à ce jeu dont le gage avait, si souvent, été mon existence même : la nation n’était plus pour moi un concept vide, et voilé par des symboles -comment aurait-il pu en être autrement, alors que j’en avais vu tant mourir pour elle et que j’avais moi même été dressé à risquer ma vie pour son existence, sans hésiter, à toute minute du jour ou de la nuit ? Ainsi, si étrange que cela puisse paraître, de ces quatre années passées à l’école de la violence, de toutes les fureurs de la bataille de matériel, je rapportais précieusement cette notion que la vie ne reçoit son sens profond qu’engagée pour une idée ; qu’il y a des idéals auprès desquels la vie de l’individu, et même la vie de tout un peuple, sont sans importance. Si le but pour lequel j’ai combattu comme individu, comme atome, dans le corps de l’armée ne devait pas être atteint non plus ; si, en apparence, la matière nous avait jetés à terre -qu’importe. Nous avons toujours appris, comme il convient à des hommes, à combattre pour une cause et, au besoin, à mourir pour elle. Durcis au feu et à la flamme, nous avons pu, au sortir de cette forge du caractère, aborder la vie, l’amour, la politique, la carrière, tout ce que nous réservait la destinée, dans des conditions qui ont été données à bien peu de générations.
Si on devait nous reprocher un jour d’être issus d’une époque de rudesse et de violence, nous répondrions : nous avons combattu les pieds dans la boue et dans le sang ; mais notre visage était tourné vers des choses d’une grande et haute valeur. Et aucun des innombrables que nous avons perdus, au cours de notre assaut, n’est tombé en vain ; chacun d’eux a rempli sa destinée. A chacun d’eux s’adresse cette parole, de Saint Jean que Dostoïevski a mis en tête de son grand roman :
"En vérité, en vérité je vous le dis : si le grain tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruits." »

Ernst Jünger, Orages d'acier

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La formidable concentration des forces, à l'heure du destin où s'engageait la lutte pour un lointain avenir

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« La Grande bataille marqua aussi un tournant dans ma vie intérieure, et non pas seulement parce que désormais je tins notre défaite pour possible.

La formidable concentration des forces, à l'heure du destin où s'engageait la lutte pour un lointain avenir, et le déchaînement qui la suivait de façon si surprenante, si écrasante, m'avaient conduit pour la première fois jusqu'aux abîmes de forces étrangères, supérieures à l'individu. C'était autre chose que mes expériences précédentes ; c'était une initiation, qui n'ouvrait pas seulement les repaires brûlants de l'épouvante. Là, comme du haut d'un char qui laboure le sol de ses roues, on voyait aussi monter de la terre des énergies spirituelles.

J'y vis longtemps une manifestation secondaire de la volonté de puissance, à une heure décisive pour l'histoire du monde. Pourtant, le bénéfice m'en resta, même après que j'y eus discerné plus encore. Il semblait qu'on se frayât ici un passage en faisant fondre une paroi de verre - passage qui menait le long de terribles gardiens. »

Ernst Jünger, Orages d'acier

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13/11/2013

Parce que désormais, ils sont habitués au froid !

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« A ce moment, en un point où la forêt était plus dense et plus profonde et où une piste traversait notre route, je vis brusquement surgir du brouillard, là-bas devant nous, au carrefour des deux pistes, un soldat enfoncé dans la neige jusqu’au ventre. Il était là, debout, immobile, le bras droit tendu pour indiquer le chemin. Quand nous passâmes devant lui, Schulz porta la main à son képi, comme pour le saluer et le remercier, puis dit :

-- En voila un autre qui voudrait aller dans le Caucase ! et se mit à rire en se renversant sur le dossier de son siège. Au bout d’un autre segment de route, à un autre croisement de piste, voici qu’à grande distance, un autre soldat apparu, également enfoncé dans la neige, le bras droit tendu pour nous montrer le chemin.

-- Ils vont mourir de froid, ces pauvres diables dis-je.

Schulz se retourna pour me regarder :

-- Il n’y a pas de danger qu’ils meurent de froid ! dit-il.

Et il riait. Je lui demandais pourquoi il pensait que ces pauvres bougres n’étaient pas en danger de mourir gelés.

-- Parce que désormais, ils sont habitués au froid ! me répondit Schulz et il riait en me tapant sur l’épaule. Il arrêta la voiture et se tourna vers moi en souriant :

-- Vous voulez le voir de prés ? Vous pourrez lui demander s’il a froid.

Nous descendîmes de voiture et nous approchâmes du soldat qui était là, debout, immobile, le bras droit tendu pour nous montrer la route. Il était mort. Il avait les yeux hagards, la bouche entrouverte. C’était un soldat Russe mort.

C’est notre police des voies et communications, dit Schulz. Nous l’appelons la "police silencieuse".

-- Êtes vous bien sûr qu’il ne parle pas ?

-- Qu’il ne parle pas ? Ach so ! Essayez de l’interroger.

-- Il vaudrait mieux que je n’essaie pas. Je suis sûr qu’il me répondrait, dis-je.

-- Ach sehr amusant, s’écria Schulz en riant.

-- Ja, sehr amusant, nicht wahr ?

Puis j’ajoutais d’un air indifférent :

-- Quand vous les amenez là sur place, ils sont vivants ou morts ?

-- Vivants, naturellement, répondit Schulz.

-- Ensuite, ils meurent de froid naturellement ? dis-je alors.

-- Nein, nein, ils ne meurent pas de froid : regardez là. Et Schulz me montra un caillot de sang, un grumeau de glace rougie, sur la tempe du mort.

-- Ach so ! sehr amusant. -- Sehr amusant, nicht wahr ? dit Schulz ; Puis il ajouta en riant : "il faut tout de même bien que les prisonniers Russes servent à quelque chose !" »

Curzio Malaparte, Kaputt

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Agrippés à la rive et aux barques, plongés dans l’eau jusqu’à la bouche, ou ensevelis dans la terre jusqu’au cou, ils attendaient que les autorités trouvassent un remède quelconque contre ce feu perfide

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« Ce soir là, Lanza se trouvait chez Ridomi, et les deux amis, assis dans le noir, parlaient du massacre de Hambourg. Les rapports du Consul Royal d’Italie à Hambourg racontaient des faits terrifiants. Les bombes au phosphore avaient mis le feu à des quartiers entiers de cette ville, faisant un grand nombre de victimes. Jusque là, rien d’extraordinaire, même les Allemands sont mortels. Mais des milliers et des milliers de malheureux, ruisselant de phosphore ardent, dans l’espoir d’éteindre le feu qui les dévorait, s’étaient jetés dans les canaux qui traversent Hambourg en tous sens, dans le port, le fleuve, les étangs, dans les bassins des jardins publics ou s’étaient faits recouvrir de terre dans les tranchées creusées ça et là sur les places et dans les rues pour servir d’abri aux passants en cas de bombardement.

Agrippés à la rive et aux barques, plongés dans l’eau jusqu’à la bouche, ou ensevelis dans la terre jusqu’au cou, ils attendaient que les autorités trouvassent un remède quelconque contre ce feu perfide. Car le phosphore est tel qu’il se colle à la peau tel une lèpre gluante, et ne brûle qu’au contact de l’air. Dès que ces malheureux sortaient un bras de la terre ou de l’eau, le bras s’enflammait comme une torche. Pour échapper au fléau, ces malheureux étaient contraints de rester immergés dans l’eau ou ensevelis dans la terre comme les damnés de Dante. Des équipes d’infirmiers allaient d’un damné à l’autre, distribuant boisson et nourriture, attachant avec des cordes les plus faibles au rivage, afin qu’ils ne s’abandonnent pas vaincus par la fatigue, et se noient ; ils essayaient tantôt un onguent, tantôt un autre, mais en vain, car tandis qu’ils enduisaient un bras, une jambe ou une épaule, tirés un instant hors de l’eau ou de la terre, les flammes, semblables à des serpents de feu se réveillaient aussitôt et rien ne parvenait à arrêter la morsure de cette lèpre ardente.

Pendant quelques jours, Hambourg offrit l’aspect de Dité, la Cité infernale. Ca et là, sur les places, dans les rues, dans les canaux, dans l’Elbe, des milliers et des milliers de têtes émergeaient de l’eau et de la terre, et ces têtes, qui semblaient coupées à la hache, livides d’épouvante et de douleur, remuaient les yeux, ouvraient la bouche, parlaient. Autour des horribles têtes, enfoncées dans la chaussée des rues ou flottant à la surface des eaux, les familiers des damnés allaient et venaient, nuit et jour, foule décharnée et déchirée, qui parlait à voix basse comme pour ne pas troubler cette déchirante agonie. L’un apportait de la nourriture, des boissons, des onguents, un autre un coussin pour placer sous la nuque d’un de ces malheureux, un autre encore, assis prés d’un enseveli, le soulageait de la chaleur du jour en lui faisant de l’air avec un éventail, un autre abritait du soleil une tête à l’aide d’une ombrelle, ou lui essuyait le front moite de sueur, ou lui humectait les lèvres avec un mouchoir mouillé, ou lui arrangeait les cheveux avec un peigne, ou, se penchant d’une barque, encourageait les damnés agrippés aux cordes et se balançant au fil de l’eau ; des bandes de chiens couraient, ça et là aboyant, léchant le visage de leurs maîtres enterrés, ou se jetaient à l’eau pour leur porter secours.

Parfois certains de ces damnés, gagnés par l’impatience ou par le désespoir, jetaient un grand cri, en essayant de sortir de l’eau ou de la terre pour mettre fin à la torture de cette attente inutile : mais aussitôt au contact de l’air, leurs membres flambaient, et des combats atroces s’engageaient entre ces désespérés et leurs familiers, qui à coups de poing, de pierre et de bâtons, ou de tout le poids de leur corps, s’efforçaient de replonger dans l’eau ou dans la terre ces horribles têtes.

Les plus courageux et les plus patients étaient les enfants. Ils ne pleuraient pas, ne criaient pas, mais tournaient autour d’eux des yeux clairs pour regarder l’effroyable spectacle, et souriaient à leurs parents, avec cette merveilleuse résignation des enfants qui pardonnent à l’impuissance des grandes personnes et ont pitié d’elles qui ne peuvent pas les aider. Dès que la nuit tombait, un murmure s’élevait de partout, pareil au murmure du vent dans l’herbe : ces milliers de têtes guettaient le ciel avec des yeux flamboyant de terreur.

Le septième jour, ordre fut donné d’éloigner la population civile des lieux où les damnés étaient ensevelis dans la terre ou plongés dans l’eau. La foule des parents et des amis s’éloigna en silence, repoussée avec douceur par les soldats et par les infirmiers. Les damnés restèrent seuls. Des balbutiements apeurés, des claquements de dents, des plaintes étouffées sortaient de ces têtes affleurant à la surface de l’eau ou de la terre, le long des berges du fleuve ou des canaux, dans les rues et sur les places désertes. Pendant toute la journée, ces têtes parlèrent entre elles, pleurèrent, crièrent, la bouche à fleur de terre, grimaçant, tirant la langue aux SS de garde aux carrefours, et elles semblaient manger la terre et cracher les cailloux. Puis, la nuit descendit. Des ombres mystérieuses rodèrent au milieu des damnés, se penchèrent sur eux en silence. Des colonnes de camions arrivaient, les phares éteints, s’arrêtaient, repartaient. De toutes parts, on entendait un bruit de pioches et de pelles, des coups sourds de rames dans des barques, des cris aussitôt étouffés, des plaintes et des claquements secs de révolver. »

Curzio Malaparte, La peau

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